Nicolas Bárdos-Féltoronyi:


Exercices géopolitiques pour l’Union européenne

- Les puissances et leurs différends –

Partie 2 doc Imprimerie Correspondance

Table des matières

down  Des situations « entre deux » : pays plats et transitaires
down    *  Quid de la Communauté des Etats indépendants ?
down    *  Leurs caractéristiques communes et les « narrations » sur des révolutions en couleurs
down  2.1 L’Ukraine et le transit d’hydrocarbures
down    *  Données géographico-historiques
down    *  Dimension politico-économique
down    *  Dimension extérieure
down    *  Le transit et le débat énergétique eurasiatique
down    *  L’Ukraine, faut-il l’intégrer à l’UE ou à l’OTAN ?
down    *  Bibliographie spécifique
down  2.2 Le Bélarus, stable mais « désobéissant »
down    *  Position géohistorique
down    *  Les manoeuvres russo-américaines
down    *  L’offensive anti-Bélarus
down    *  Au-delà de la propagande de « guerre froide »
down    *  Conclusions et appréciation
down    *  Bibliographie spécifique
down  2.3 La République Moldava, russe ou roumaine, … ou encore américaine ?
down    *  Les dimensions extérieures
down    *  Conclusion et prospective
down    *  Bibliographie spécifique

  down 

Des situations « entre deux » : pays plats et transitaires

Voici donc trois situations à la lisière orientale de l’UE qui sans doute méritent un examen attentif. Ces situations ont en commun la position géographique semblable : être « coincée » entre deux ou trois grandes puissances, en l’occurrence entre l’UE, la Russie et les EUA. Elles reflètent le rapport de force que ces puissances développent en vue de pouvoir incorporer les pays concernés dans leurs zones d’influence respectives. L’enjeu principal y est l’Ukraine par ses voies de communications, sa localisation, sa dimension et ses richesses humaines et économiques, mais, cités en ordre d’importance, le Bélarus et la République moldave ne sont pas non plus sans signification.

Les trois pays de la CEI1 au flanc oriental de l’UE dont l’Ukraine principalement restent plus ou moins proches encore de la Russie, alors que certains pays de la Caucasie méridionale2 virent provisoirement vers les EUA (voir la partie 3). Dans les deux cas, l’UE joue plutôt l’alliance douce de nature géoéconomique. Notons, dès à présent, que la Turquie entretient des relations qui jusqu’il y a peu se sont avérées privilégiées avec les EUA, mais semble à présent se tourner davantage vers l’UE et l’Ukraine qui lui sont complices dans le gestion de la mer Noire (voir la partie 3). Toutes ces situations se caractérisent par leurs instabilités considérables que renforce le caractère transitaire des trois pays envisagés dans cette partie. Tous les coups bas (militaires ou diplomatiques) et tous les changements brusques (régimes, alliance, orientations des privatisations, etc.) y sont possibles.



down

Carte 4. Le Bélarus, l’Ukraine et la République moldave


Le plan d’action de l’UE pour les “pays voisins” concerne, entre autres, l’Ukraine et la République moldave. Il est renvoyé à plus tard avec le Bélarus et les pays de la Caucasie méridionale dont “l’UE attend des engagements crédibles en faveur de la démocratie”. L’accord qui en 2004 est négocié entre la Commission de l’UE et la Russie implique parmi d’autres uniquement un doublement du prix du gaz russe pour les utilisateurs industriels d’ici 2010, en contrepartie du respect par l’UE du monopole d’exportation de Gazprom (compagnie russe mi publique mi privée) et de l’accès des groupes capitalistes européens aux champs de gaz russes par le réseau de gazoducs de Gazprom. Cette hausse du prix aura sans doute de multiples conséquences sur l’UE elle-même et des pays transitaires entre celle-ci et la Russie.

Dans l’avenir, la question se reposera de savoir quelle sera l’attitude de l’UE à l’égard de l’Ukraine, du Bélarus et de la République moldave dans la politique de bon „voisinage”. Avant de pouvoir même simplement esquisser une réponse à cette question (si une réponse existe). Voyons-en de tout abord quelques données significatives.

down

up down

Quid de la Communauté des Etats indépendants ?

Les trois pays qui nous préoccupent dans cette partie ont une origine commune par la décomposition de l’Union soviétique en 1991. En février 1991, les pays membres décident la dissolution des structures militaires du Pacte de Varsovie et le Pacte sera dissous le 1er juillet suivant. En mars, le référendum sur le maintien de l'Union indique 76,4 % de oui pour 80 % de participants. Les pays Baltes et de la Caucasie méridionale ont refusé d'y participer. En août ont lieu les proclamations d'indépendance des Parlements tant ukrainien, bélarusse et moldave, qu’azerbaïdjanais, kirghiz et ouzbèk. En décembre 1991, un référendum d'indépendance est organisé en Transnistrie qui, jusqu’alors faisait en principe partie de la République moldave. La votation vise bien entendu à légitimer la sécession de ce territoire peuplé majoritairement de russophones. Egalement en décembre, il y a le succès du référendum en faveur de l'indépendance d’Ukraine (90,3 % pour le "oui"). Toujours au même mois, la Russie, l'Ukraine et la Bélarus déclare la fin de l'URSS et la création d'une « Communauté des Etats indépendants » à Bieloveje près de Minsk dont tous les républiques soviétiques font partie, sauf les trois baltes.

La question de base est évidemment de savoir que représente aujourd’hui cette CEI ? Serait-elle le reste de l’ex-URSS, plutôt symbolique, ou représente-t-elle davantage la zone que la Russie actuelle souhaiterait dominer dans l’avenir? L’Ukraine comme la Géorgie sont réticentes, mais ne la quittent pas. Hérités de l’URSS disparue, les liens économiques s’avèrent sans doute trop importants. Parmi les pays de la CEI et parfois avec d’autres Etats, des associations de type divers se multiplient par ailleurs : la Communauté économique eurasienne, l’Organisation du traité de sécurité collective ou l’organisation de la coopération de Shanghai, par exemple. Leurs portées restent incertaines, mais elles constituent des noyaux de coopération possible, voire réelle. Il en est de même du GUAM. Lancé avec le soutien peu discret des EUA en 1996 par la Géorgie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan et la Moldova pour renforcer la coopération politique, économique et stratégique entre ces pays, le GUAM (sigle reprenant l’initiale du nom de chaque État membre) est devenu GUUAM avec l’adhésion de l’Ouzbékistan de 1999 à 2005.

Ce qui paraît plus décisif, c’est un double phénomène. D’une part, la plupart des dirigeants des divers pays de la CEI sont les mêmes qu’avant 1991 ou les descendants de ces derniers. Ils se connaissent et leurs stratégies capitalistes se ressemblent fondamentalement : s’approprier totalement des biens qu’ils contrôlaient déjà à l’époque soviétique, mais dont ils n’étaient pas les propriétaires légaux et surtout légitimes. Ils le sont devenus et y tiennent beaucoup, s’agissant d’immenses richesses. D’autre part, la décomposition de l’URSS a créé un vide géopolitique dans les années 1990. Les autres grandes puissances s’y engouffrent et en profitent jusqu’au début des années 2000 lorsque la Russie apparaît plus sûre d’elle-même grâce à une reprise politique et économique du pays. En dehors d’elle, les autres pays de la CEI peuvent se sentir à juste titre comme plus des enjeux géopolitiques que des sujets autonomes sur le plan régional. D’où leurs tendances à s’associer réellement sans trop en insister3 ! D’où aussi leurs réticences de coopérer trop fort !

La CEI se ressemble évidemment plus à l’ASEAN qu’à l’UE. La Russie y joue cependant un rôle majeur, mais la CEI n’est pas devenu un instrument hégémonique à ses services. Quelques bases militaires russes sont présentes dans différents pays de la CEI. Elles assuraient un avantage stratégique pour la Russie et en même temps constitueraient une certaine garantie de sécurité aux dirigeants des pays hôtes. Les groupes capitalistes russes y développent des relations multiples avec leurs contreparties locales. En matière énergétique, elles sont en avant-garde dans l’établissement des réseaux d’infrastructures telles que des routes, des chemins de fers ou des conduites d’hydrocarbures. En collaboration avec leurs pouvoirs publics, elles s’assurent le contrôle et l’exploitation des matières premières et énergétiques des pays concernés. La nature de la stratégie de la Russie ne se distingue guère de celle des EUA. La CEI dès lors semble encore tenir ensemble. Aucune des parties ne souhaite la supprimer. C’est ce qui s’explique sans doute par la maîtrise militaire et énergétique exercée par la Russie dans les régions concernées. Les pays membres auraient plus à perdre qu’à gagner en quittant cet organisme, malgré les efforts américains pour les encourager de s’en séparer.

up down

Leurs caractéristiques communes et les « narrations » sur des révolutions en couleurs

Devant nos yeux et sous formes de propos propagandistes, la grande narration surgit à propos des événements dans les pays d’ex-URSS depuis le début des années 2000 : c’est ce que l’on appelle la deuxième « guerre froide » ou « la paix froide ». Les composants essentiels en comportent notamment, pour les Etats en question, les éléments suivants:
• le pays s’est échappé à son statut de satellite de la Russie asiatique et se retrouve enfin en Europe;
• la société civile surgit de la passivité presque séculaire de la population, c’est-à-dire depuis la chute du régime tsariste;
• en termes eschatologiques, la victoire sur le mal l’a emporté dans le pays grâce à la lutte pour la liberté déclarée par l’administration de Bush II;
• l’Est et l’Ouest du pays se réconcilient dans un grand élan démocratique engendré par les ONG qui soutenaient ces “révolutions” mais n’y sont jamais et aucunement intervenues;
• beaucoup de réformes dont les privatisations se sont déjà effectuées, mais quelles qu’injustes, elles aient été faites, il n’est pas question d’y revenir, car la propriété privée s’avère sacrée;
• s’il y en a, de nouveaux régimes sont appelés à instituer un système de transparence pour le capitalisme d’Occident et à éliminer la corruption trop coûteuse pour ce dernier;
• après l’élimination de l’hégémonie ignoble exercée par la Russie, la question décisive de l’heure actuelle est évidemment l’adhésion urgente à l’OTAN et subsidiairement à l’UE.
Il importe pour la suite de notre propos de ne pas tomber dans le piège réel de cette rhétorique dont cependant les effets peuvent devenir décisifs dans certaines circonstances. C’est bien sûr le cas quand une partie de la population fait siennes certains slogans ou déclarations (voir, une fois de plus, la Partie 6).

Fondamentalement, quelques remarques s’imposent d’emblée qui mettent en évidence des marques distinctives communes aux pays étudiés du point de vue géopolitique:
a. non seulement coincés entre l’UE et la Russie, ces trois pays ont aussi des caractéristiques géographiques communes. Ils constituent un bloc continu entre l’UE à 27 et la Russie. Leurs territoires se situent sur une plaine entre les pays baltes et la mer Noire, entre Berlin et Moscou où les quelques collines qui existent ne dépassent même pas les 400 mètres. A l’époque des « chevauchées », mais également aujourd’hui avec des véhicules motorisés, les invasions s’y font donc avec une très grande aisance et rapidité. La résistance s’y organise péniblement et la guérilla se limita toujours à quelques sorties à partir des forêts peu épaisses. Par contre, ce relief convient parfaitement au dégagement des ressources hydrocarbures de la Russie vers l’Europe centrale et occidentale. Les deux pays septentrionaux sont ainsi devenus de territoires de transit classiques ;
b. comme déjà souligné, les trois pays ont une origine commune par la décomposition de l’Union soviétique en 1991. Dans le cadre de la CEI, leurs liens avec la Russie sont cependant variés, complexes et évolutifs, mais sans rupture ;
c. les trois pays qui nous préoccupent ici comportent dans leurs constitutions une stipulation similaire qui interdit le séjour de forces militaires sur leurs territoires, stipulation qui assimile leur position en termes de droit international à la neutralité ou du moins au non alignement. Dans certains cas, l’autorisation expresse des Parlements concernés peut suspendre cette interdiction4 ;
d. non sans lien avec la remarque précédente, la population de chaque pays est majoritairement favorable à l’adhésion à l’UE et opposée à l’entrée à l’OTAN. Sauf au Bélarus, une partie des élites souhaitent exactement à l’inverse, c’est-à-dire considèrent urgent l’adhésion à l’OTAN afin de garantir leurs positions en tant que dirigeants politiques ou capitalistes ;
e. les trois pays sont objet d’intérêts stratégiques de l’UE, de la Russie et des EUA. Quant à ces derniers, s’installer dans cette partie centrale de l’Europe signifie de surcroît de s’interposer entre la Russie et l’Europe, et encercler cette dernière du côté de l’est.

up down

2.1 L’Ukraine et le transit d’hydrocarbures

Comme ce qui suit le montrera, le cas ukrainien s’avère, du point de vue d’études géopolitiques, d’un intérêt évident. Notre hypothèse est triple :
1. chaque grande puissance concernée marque au pays un intérêt certain pour pouvoir l’inclure dans sa zone d’influence ;
2. quelles que divisées qu’elles soient, les classes dominantes (les factions politiques ou les groupes économico-financiers) veillent, jusqu’ici, à ce que leur pays reste indépendant pour qu’elles puissent sauvegarder leurs pouvoirs et réseaux sur place ;
3. au fur et à mesure que la pression de l’une ou l’autre puissance augmente sur le pays, l’entente ou la mésentente parmi les élites ne fait qu’augmenter pour se relâcher dès que la pression diminue. Jusqu’ici, ce comportement politique est couronné de succès.

Pour vérifier cette hypothèse, l’analyse doit porter sur la dimension géopolitique interne et externe du pays et sur l’évaluation des événements récents eu égard à la question de l’adhésion du pays à l’OTAN ou à l’UE. Préalablement, les données géographiques et historiques méritent l’examen.

up down

Données géographico-historiques

En russe comme en ukrainien « terre des confins », l'Ukraine formait, depuis le bas Moyen Age et avant d'accéder elle-même au rang d'Etat en 1918 et à l'indépendance en 1991, les marches d'Etats voisins : la Pologne et la Lituanie historiques, puis la Russie tsariste avec la Monarchie austro-hongroise. Enfin, elle devint une des quinze républiques de l’URSS, puis une république indépendante dans le cadre de la CEI.


down

Carte 5. L’Ukraine


Géographiquement, l’Ukraine correspond à un des grands pays d’Europe, équivalant à la France, mais avec une population plus réduite d’un cinquième et en diminution. Elle a un relief peu accidenté, s’étendant sur la zone des riches terres noires. Elle englobe la majeure partie du bassin houiller du Donbass, avec de grands gisements de fer et d’importants aménagements hydroélectriques. A l’extrême ouest se situe la chaîne des Carpates appartenant à l’Ukraine avec l'ouverture sur le bassin de la Ruthénie subcarpatique qui donne un accès terrestre aisé à la Hongrie. De l’Est à l’Ouest une ligne de partage répartit le sens des fleuves vers la Baltique et la mer Noire à laquelle l’Ukraine dispose un large accès. L’Ukraine n’est pas seulement un pays fondamentalement de transit, mais dispose aussi de nombreuses matières premières (minerais de fer, charbon, manganèse, hydrocarbures, métaux non ferreux, etc.) et de terres arables de haute qualité.

Au début du XXe siècle, trois catégories d’Ukraine peuvent être identifiées :
* une Ukraine industrielle, regroupant, de Kharkov (Kharkiv) jusqu’au Donets, une forte minorité russe au sein de ((Russie impériale), (Histoire de Russie)) l’Empire russe;
* une Ukraine agricole, avec pour capitale Kiev, qui rassemble à la fois la bourgeoisie locale et les élites intellectuelles ukrainiennes, auxquelles le pouvoir tsariste interdit toute expression nationale également au sein de l’Empire russe;
* une Ukraine occidentale « périphérique » (Podolie, Volhynie, Ruthénie subcarpatique), intégrée à l’Empire austro-hongrois (Autriche-Hongrie) et majoritairement gréco-catholique5 , où s’exprime avec le plus de force - et avec la bénédiction des autorités locales - le sentiment national ukrainien, mais dont une partie, la Bucovine septentrionale, a une forte minorité roumaine6 .

En grande partie, les deux premiers territoires seront attachés à l’Union soviétique dès le lendemain de la Révolution d’octobre de 1917 et le reste après 1945. La presqu’île de la Crimée fera partie de l’Ukraine à partir de 1954. Aux yeux des Ukrainiens et Bélarusses, la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986 marque une étape historique de leurs pays. A partir de la proclamation d'indépendance en 1991 et quelle que soit sa « couleur », le gouvernement ukrainien n'a eu de cesse d'affirmer haut et fort l'identité nationale ukrainienne, ravivant le grand débat historiographique sur les relations "coloniales" entretenues par la Russie vis-à-vis de ce territoire.

Mais, les différentes parties de l'Ukraine restent fort distinctes. Dans l'Est industriel, ouvrier, intégré à la Russie depuis des siècles et majoritairement russophone et orientée vers une vision de gauche de la société7 . Dans l'Ouest, plus rural, plus religieux, précédemment intégré à l'empire austro-hongrois, puis à la Pologne (comme la Galicie) ou à la Tchécoslovaquie (comme la Transcarpatie) se trouvent les bastions traditionnels du nationalisme ukrainien. La présence d’une forte Eglise gréco-catholique accentue le phénomène. De Kiev jusqu’à Odessa, les régions centrales sont traversées par des orientations variées.

Jusqu’il y a peu, les gouvernements successifs ont tenté de maintenir une sorte d’équidistance entre Moscou et Washington et ce, conformément à la majorité de l’opinion publique. La forte sympathie à l’égard de l’UE ne soulève aucun problème international. Ni l’une, ni l’autre de ces capitales ne s’y oppose. La majorité de la population est favorable à l’UE, alors que, malgré une propagande soutenue d’origine américaine, la même majorité demeure opposée à l’idée d’adhérer à l’OTAN. En 2006, 64% contre, alors que les chiffres des opposants n’atteignent que 33,5% en 2000 et 50,4 en 2005. On cite souvent des chiffres exactement inverses quant à la volonté d’adhérer à l’UE à l’instar de ce que l’on a pu constater dans les autres PECO dans le passé.

L'Ukraine est par ailleurs confrontée à de mouvements migratoires asymétriques. D’une part, elle voit émigrer plusieurs millions de ces plus ou moins jeunes qualifiés et souffre de la traite humaine surtout blanche vers les pays occidentaux. Le reste de l’émigration s’oriente principalement vers la Russie. D’autre part, il existe une immigration asiatique, à destination de l'UE, mais qui reste et pourrait rester sur place si elle était repoussée aux frontières de l'Union. Elle se nourrit essentiellement de la Chine (37 %), de l’Inde (21 %), de l'Afghanistan et du Vietnam.

up down

Dimension politico-économique

L'Ukraine voit sa production chuter de moitié entre 1991 et 1996. Si au début de cette période près de 80 % des entreprises ukrainiennes destinaient leur production à l'ensemble de l'espace soviétique, trois ans plus tard 81 % du parc industriel ne produisaient plus que pour l’économie interne. A l’instar au sort des économies d’autres PECO, les effets des privatisations massives et intempestives s’y ajoutent. Les deux phénomènes conjugués provoquent la chute de 43% du PIB entre 1990 et 1993 et la situation de l'Ukraine continue par la suite à se dégrader tout au long des années 1990. Ces privatisations se faisaient en faveur des groupes locaux et russes. Une économie noire persiste, peut-être massivement. Deux tiers des entreprises et la moitié des terres sont formellement privatisées, mais l'Ukraine ne s'est pas débarrassée de sa bureaucratie ni de la corruption, en partie conséquence de la précarité des conditions de vie des fonctionnaires. Il faut attendre le début des années 2000 qu’une consolidation économique survient, après une dégradation profonde pour l’immense majorité de la population. La hausse de recettes sur le transit des hydrocarbures russes y contribue sans doute.

Durant la deuxième moitié des années 1990, le pays apparaît comme peu gouverné et les régions, les villes, parfois les quartiers mènent leur propre politique. Ce mouvement est renforcé par la persistance d’un certain clivage entre l'est et l'ouest du pays. Dans les deux cas, les Ukrainiens manifestent leur méfiance devant un néolibéralisme source de fracture sociale. Le besoin de projets économiquement utiles est réel mais les classes nouvellement dominantes, qui ne sont pas toutes mafieuses, ne semblent pas encore capables d'en élaborer. Dans le pays, il y a beaucoup de conflits qui tournent en apparence autour de la révision des privatisations antérieures, mais qui déstabilisent sans conteste les groupes européens dont russes et les multinationales américaines, tous avides de pouvoir profiter du processus de privatisations. Le débat véritable porte, jusqu’ici, sur le contrôle du pays par des oligarchies locales, multiples et influentes, parfois en alliances avec d’autres groupes, notamment étrangers.

Depuis 2005, le président Youtchenko cependant réussit à faire payer les pensions, augmenter les rémunérations dans le secteur public et accroître certains budgets dits sociaux dans le pays. Il n’a pas manqué de rembourser sa dette politique à certains milieux occidentaux en procédant à quelques privatisations en leur faveur telle que la grande entité sidérurgique Kriworochstal dont l’acheteur est le groupe indo-britannique de la famille Mittal ou la banque AWAL acquise par Raffeisen Austria. Le prix obtenu pour Kriworochstal correspond à € 1,7 milliard ce qui est considéré par beaucoup comme surfait d’autant plus que d’autres groupes ukrainiens ont renoncé à participer à la surenchère.

Des premiers signes des compromis négociés apparaissent dès à présent lorsque les milieux d’affaires occidentaux évoquent le principe sacro-saint de la propriété privée et hésitent à accepter l’idée d’un réexamen des privatisations déjà acquises. Pour beaucoup, la corruption ukrainienne atteint actuellement des niveaux jusqu’ici jamais vus, ce qui indiquerait la “latino-américanisation” accélérée du pays devenu “pro-occidental”. Le Conseil de l’Europe garde néanmoins pour l’Ukraine un statut d’observateur, en attendant que les conditions de démocraties s’améliorent dans le pays. Pour apprécier les diverses évolutions, il s’avère intéressant de suivre le contexte et les résultats des dernières élections législatives du pays.

Les élections de fin 2004

Dès le début des années 2000, les partisans de V. Youtchenko prônent des réformes libérales et un rapprochement plus net avec l'Occident, compris comme « euro-atlantique »8 . Ils bénéficient de l'appui de certaines compagnies russes comme le pétrolier Lukoil, ce qui pouvait les amener à rechercher une certaine entente avec le président L. Koutchma. Il semblerait également que L. Koutchma, protégé jusque-là par Washington puis par le Kremlin, ait finalement accepté de se retirer en deuxième ligne après avoir reçu de la part des EUA l’assurance que lui et sa famille ne seraient pas poursuivis pour malversations financières et violations des droits de l’homme après le changement de pouvoir. Cette évolution peut expliquer l’engagement de l’armée ukrainienne en Irak aux côtés des forces de Washington et de Varsovie, malgré la poursuite de la politique de rapprochement avec le Kremlin. Face au camp des partisans de L. Koutchma, l’ancien Premier ministre Victor Youtchenko a vu sa cote de popularité monter. Celui-ci faisait valoir le soutien dont il bénéficie de la part des EUA et des institutions financières internationales.

En fait, Koutchma, malgré la contestation par une minorité, pouvait briguer un troisième mandat en 2004. Il y renonce suite à l'opposition libérale et nationaliste pro-américaine, influente dans l'Ouest de l'Ukraine et à Kiev. On sait que cette opposition bénéficie de l'appui financier et logistique de fondations américaines qui ont montré leur efficacité dans le renversement du président Chevardnadze en Géorgie. Le nouveau président géorgien Saakachvili a d'ailleurs annoncé que l'Ukraine allait bientôt suivre son exemple et rejoindre l'OTAN "en tant que grande puissance". Au terme d’un troisième tour électoral, Youtchenko est élu à la présidence de l’Ukraine en décembre 2004. La « révolution orange » atteste de l’existence d’une société civile, même si elle se trouve parfois manipulée.

Si la personne de Koutchma rassemble contre elle et ses pratiques les oppositions tant à gauche qu'à droite, celles-ci n'ont pas de programme commun pour l'avenir. Les figures de proue sont avant tout des opposants à Victor Youtchenko et à Julia Timochenko. Celle-ci s’est en fait enrichie grâce à sa liaison avec Pavlo Lazarenko, ex-premier et proche de Kutchma, pendant les années 1990 et à cause de cela s’est trouvée en prison9 . Lazarenko lui avait en effet permis de “gérer” l’importation du gaz russe à travers un réseau de revendeurs régionaux. Le candidat dit pro-russe, Yanoukovitch, n’a de son côté guère facilité les prises de participations des groupes russes dans le pays, ni en tant qu’ancien gouverneur du Donetsk, ni comme premier ministre durant les années où il s’est trouvé au pouvoir.

Les classifications en pro-russe ou pro-occidentale de la presse internationale obscurcissent plus que ne clarifient la complexité de la situation politique ukrainienne, favorisant ainsi les pêcheurs en eau trouble. De fait, vers le mi-décembre 2004, Yanoukovitch est abandonné par une série de dirigeants de groupes financiers: Rinat Ahmetov, Victor Pintchuk, Victor Medwetchek, etc. Pour moi, cela signifie que les négociations ont abouti entre les différentes forces en présence en Ukraine et un compromis s’est élaboré, y compris avec Moscou. Pour le nouveau président, les choses ne sont guère faciles. Non seulement, il doit tenir compte de la masse des électeurs qui attendent de miracles de lui, mais aussi des oligarchies qui lui sont défavorables ou favorables. Parmi ces dernières, il faut citer celle qui est liée à Petro Porochenko, un homme d’affaires puissant du pays et président de la commission influente du budget au parlement. Yanoukovitch a été étiqueté comme candidat pro-russe. Suivant la même logique simpliste, Youtchenko a été rangé dans la catégorie des "occidentalistes".

Il faut aussi remarquer que la polémique autour de ces élections s’est développée dans un contexte économique particulièrement favorable. L’économie du pays croît à un rythme remarquable. Cette croissance est surtout sensible dans la partie orientale du pays, qui bénéficie des impulsions venant de l’économie russe, notamment en matière d’équipements militaires. L’est de l’Ukraine dispose en fait d’une industrie exportatrice. La valeur ajoutée par habitant y est supérieure de 30% par rapport au centre et de 15% par rapport à l’ouest de l’Ukraine. Il est remarquable que la Russie effectue presque la moitié de son commerce extérieur avec l’UE, tandis que l’Ukraine n’en réalise qu’un tiers.

Parallèlement, la présidence depuis 2004 n’apparaît pas tout à fait assurée dans position, puisque parmi ses premières mesures elle décide d’augmenter sensiblement ses dépenses sociales et les salaires publics. Certes, elle s’efforce également d’introduire une meilleure discipline fiscale et d’empêcher la contrebande, semble-t-il, énorme aux frontières du pays.
Le “nouveau régime” cumule néanmoins échecs sur échecs. Qu’il s’agisse de la stabilité gouvernementale, des négociations avec la Russie, de l’adhésion à OMC, de la privatisation, etc.

Les élections de mars 2006

Les élections législatives en mars 2006 ont donné des résultats conformes à ceux que l’on avait connus antérieurement. C’est comme si « la révolution orange » n’avait pas eu lieu. On observe la fragmentation de partis, la nécessité de coalition, de manipulations diverses, etc.10 . Suite à ces élections, la répartition des sièges est la suivante (entre parenthèses, les résultats électoraux en proportion du nombre) :


down

En Ukraine, les négociations en vue de constituer une coalition donnent l’impression d’être terminées pendant l’été 2006. Les arbitrages entre les différents groupes financiers ukrainiens et entre les intérêts stratégiques russes et américains avec leurs multinationales respectives, les unes articulés aux autres, s’avèrent malaisés dans les circonstances et ne permettent guère de dégager des solutions viables et durables. En outre, les négociations entre Gazprom et l’Ukraine se poursuivent et ne sont pas sans influencer la constitution d’un gouvernement. Il est aussi significatif que Moscou exprime sa volonté de renégocier sa collaboration dans le domaine militaire et se retire de la coopération industrielle en ce qui concerne la construction des gros avions de transports de type Antonov-70.

Par ailleurs, les exercices militaires l’OTAN-Ukraine ou seulement américano-ukrainiens qui auraient dû commencer au début de juillet 2006 n’ont pas pu se dérouler devant la protestation contre les nombreux militaires américains (plus de 200 selon certaines sources !) déjà sur place en Crimée (au port de Feodossija), sans l’autorisation nécessaire du parlement ukrainien. Aujourd’hui encore, l’autorisation n’en a pas encore été donnée. Les militaires ont rebroussé chemin et quitté le pays, malgré la mise en place d’un réseau de 27 bureaux d’information de l’OTAN sur tout le territoire ukrainien.

Au début de décembre 2006, deux ministres sont limogés par une majorité au Parlement : Boris Tarassiouk, ministre des affaires étrangères, et Iouri Loutchenko, ministre de l’intérieur, les deux étant les partisans les plus déclarés de l’adhésion du pays à l’OTAN. Le président Youchtchenko perd ainsi des atouts dans son jeu pro-américain, mais obtient que les deux ministres exercent leurs fonctions à titre intérimaire et en contrepartie de sa signature du budget social. Au même moment, le premier ministre Yanoukovitch se rend aux EUA et, avant de rendre à Washington, effectue une visite brève à Moscou. Le prix du gaz naturel au mètre cube et livré par Gazprom au pays passe en 2007 de $ 95 à 130, alors qu’au même moment le prix en est fixé à $ 235 à la Géorgie.

Une réunion de la commission intergouvernementale russo-ukrainienne examine, plus tard en décembre 2006, plusieurs problèmes bilatéraux, notamment celui du stationnement dans le sud de l'Ukraine de la flotte russe de la mer Noire et de la délimitation de la frontière maritime. Dans un entretien publié avant cette réunion, le président ukrainien assure qu'une adhésion de son pays à l'OTAN n'affecterait pas les relations entre l'Ukraine et la Russie. L'Ukraine serait ainsi prête à donner à la Russie des garanties de sécurité et de stabilité pour l'élaboration et la production communes avec l'Ukraine d'armements modernes. Enfin, les groupes autour de celle qui incarnerait l’espoir des EUA, Julia Timochenko, fait orienter la question d’adhésion à l’OTAN vers des positions prorusses. Ainsi, Timochenko revendique à l’époque que la question de cette adhésion éventuelle soit soumise au référendum. Or, elle sait d’avance qu’elle peut le perdre, puisque la majorité de la population11 souhaite de plus en plus sauvegarder la neutralité du pays. Dès à ce moment, elle aspire à la présidence du pays en 2010.

Avant et après des élections en 2007, deux blocs politiques en présence en Ukraine12

La conjoncture économique reste fort favorable en Ukraine, selon la Commission de l’UE. Grâce aux recettes énergétiques et aux remises des Ukrainiens qui travaillent à l’étranger, à l’Est autant qu’à l’Ouest, les réserves de devises sont considérables.

En avril 2007, le président dit pro-occidental Youchtchenko annonce la dissolution du Parlement dominé par les députés qui lui sont opposés et la tenue d'élections législatives anticipées en mai suivant. Après l'entrée en vigueur du décret relatif à la dissolution du Parlement, le président et le premier ministre Yanoukovitch se rencontrent plusieurs fois afin d'organiser les élections législatives anticipées à une date ultérieure. Pour sa part, le Parlement, dominé par la coalition formée par Yanoukovitch, adopte en urgence une résolution proclamant que ce décret présidentiel apparaît comme un coup d'Etat. Rappelons qu’en tant que président de la République, Youchtchenko contrôle l’armée et une partie de services de sécurité, alors qu’en tant que chef du gouvernement, Yanoukovitch garde la haute main sur la police et une autre partie de services de sécurité.

En Russie, les réactions ne se sont pas fait attendre : Moscou exprime son inquiétude et demande un "compromis" entre les factions. L’UE a appelé les forces politiques ukrainiennes à la "modération" afin de "trouver une solution pacifique" à la crise politique. Dans un communiqué, la présidence allemande de l'UE se dit "inquiète" de la crise, mais appelle les forces politiques à régler "leurs différends de politique intérieure d'une façon qui respecte la Constitution et les règles démocratiques". Un peu plus tôt, la Commission européenne, qui a récemment annoncé une augmentation de son aide financière à l'Ukraine à hauteur de 123 millions d'euros pour la période 2007-2010, invite "toutes les forces politiques concernées à coopérer et trouver une solution pacifique". Les premiers semestres de 2007, les négociations aboutissent à fixer la date des élections pour septembre 2007. D’autres ont sans doute eu aussi lieu entre Bruxelles, Washington et Moscou afin d’éviter que l’un ou l’autre tire un avantage du conflit local ou que le conflit « généré » par l’un ou l’autre ne profite à quiconque. Rappelons que ces protagonistes sont nombreux au niveau d’Etats et dans la sphère des multinationales locales et non. Leurs objectifs peuvent être contradictoires et leurs manœuvres antinomiques ou du moins enchevêtrés.

Il est possible que l’un ou l’autre composant des forces armées (militaires, troupes du ministre de l’Intérieur, police, etc.) ait envisagé de vouloir profiter du conflit pour s’affirmer. C’est ce dont la part notable des politiques craindraient évidemment. Il semblerait que l’opportunité pour l’Ukraine d’adhérer à l’OMC ait dès ce moment-là évoquée, sous la pression vraisemblable des multinationales locales et russes. Les échéances de préparation du championnat de football de 2012 à organiser conjointement par l’Ukraine et la Pologne auraient aussi joué un certain rôle afin de surmonter provisoirement les antagonismes. Le jours même du compromis conclu, le président et le premier ministre côte-à-côte assistèrent à un match de football, entourés des propriétaires de deux groupes financiers et industriels les plus importants du pays : Ahmetov et Surkis ! qui manifestement ne sont pas étrangers à l’accalmi politique dans le pays. Selon moi, aucune des parties n’a d’intérêt de voir leur pays de se décomposer. Cependant et en même temps, il leur faudrait au minimum des politiques auxquels ils pourraient accorder leur confiance au niveau global. Or, ils n’en disposent guère. D’où la continuation des conflits entre eux.

Les aléas politiques ne seraient qu’un nouveau moment dans le jeu complexe qui se déroule en Ukraine. Les protagonistes en sont bien entendu Bruxelles, Moscou, Washington et les classes politiques locales partagées entre les trois capitales, ainsi que les multinationales locales et subsidiairement les multinationales étrangères dont principalement russes. L’enjeu reste évidemment le contrôle du pays et de son économie. Les chances d’ébranler les équilibres locaux me paraissent limitées. Les dirigeants politiques et économiques font preuve, depuis une vingtaine d’années, un intérêt commun et un sens inné pour arriver à de compromis sans mettre en question leurs propres positions. Le compromis est acquis concernant les élections avancées. Ces élections donnent des résultats conformes à ceux que l’on avait connus antérieurement. C’est comme si « la révolution orange » n’avait pas eu lieu. Cette fois aussi, on observe la fragmentation de partis, la nécessité de coalition, de manipulations diverses, etc. La répartition des sièges correspondra à ce qui suit (entre parenthèses, les résultats électoraux en proportion du nombre) :


down

Une coalition orange est donc possible. Mais Youlia Timochenko y occuperait une place prépondérante (premier ministre) et le président Youchtchenko ne semble pas enthousiaste à l’idée de l’accepter. De son côté le Parti des Régions n’est pas disposé à se laisser mettre « hors jeu ». L’hypothèse d’une grande coalition est évoquée, mais elle est rejetée aussi bien par Timochenko que par les radicaux et les ultranationalistes de la formation présidentielle. Mais le problème de fond posé n’est pas d’arithmétique électorale. Plus précisément, les deux principaux « blocs » qui se font face, les « bleus-blancs » et les « oranges », ne traduisent pas de choix de société fondamentalement opposés, mais sont surtout représentatifs d’intérêts régionaux divergents, de sensibilités résultant d’histoires, de cultures, de brassages de populations qui font la diversité de l’Ukraine. Ces élections et le nouveau Parlement n’ont en rien changé la donne : l’Ukraine est diverse et partagée, elle ne forme pas (encore ?) une nation unie et ne pourra pas trouver l’union en jouant « une bonne Ukraine » contre l’autre. A défaut d’une restructuration du « vivre ensemble » dans ce pays, l’Ukraine demeure condamnée à la crise politique et aux compromis instables, que les forces extérieures chercheront à influencer.

Il va de soi, pour les partis et les dirigeants de la « révolution orange », que les forces orangistes sont fondées à former la coalition gouvernementale. Précédemment, la coalition majoritaire était constituée du PR (les bleus-blancs), du KPU (les communistes) et du Parti Socialiste d’Ukraine (les roses) désormais hors-course, n’ayant pas obtenu les 3% nécessaires pour entrer au parlement. La lutte pour le leadership régional entre les deux formations oranges était l’un des enjeux de ces élections– et c’est Timochenko qui en sort gagnante, au détriment du président Viktor Youchtchenko. Le Parti des Régions et ses alliés, partisans de l’indépendance de l’Ukraine mais dans le respect de sa diversité, sont pour une plus large autonomie des régions et exigent un référendum sur deux questions majeures : l’adhésion à l’OTAN (qu’ils refusent) et l’adoption du russe comme deuxième langue d’état. Le Parti des Régions milite cependant pour un rapprochement avec l’UE, sans cesser de privilégier les liens avec la Russie et les autres anciennes républiques soviétiques.

Le camp de la « révolution orange » se présente en ordre dispersé. Le parti « Notre Ukraine » du président Viktor Youchtchenko, allié à diverses formations nationalistes et d’extrême-droite. Une fois de plus, il donne la main aux néofascistes du Congrès National Ukrainien13 . De son côté, le camp Julia Timochenko accepte en bonne place sur ses listes un leader célèbre de l’extrême-droite, Andryi Shkyl, l’une des vedettes de la formation politico-militaire « UNA-UNSO » (Assemblée Nationale Ukrainienne- Autodéfense populaire ukrainienne) dont les milices avaient combattu en Géorgie et en Tchétchénie. Les deux partis oranges représentent, comme le Parti des Régions, des groupes d’intérêt différents des milieux d’affaires. Implantés à l’Ouest et au Centre surtout, ils mettent en œuvre une politique « d’ukraïnisation » linguistique, refusant que le russe soit la deuxième langue d’état. Ils soutiennent l’adhésion à l’OTAN et des liens étroits avec les EUA et l’UE. Ils forment en principe le gouvernement jusqu’en 2009.

up down

Dimension extérieure

L'Ukraine est un pays charnière entre la Russie et l'Europe centrale et occidentale. Depuis l'indépendance, ses dirigeants ont fait de l'intégration à l’UE, ainsi que de leurs relations avec les EUA, leurs priorités, tout en préservant des liens nécessairement étroits avec leur partenaire principal, la Russie.

Les pays « camarades »

L’espace militaire unique existerait en principe au sein de la CEI. Dès 1991, l'Ukraine revendique une partie de la flotte de la mer Noire, s'opposant ainsi à la prétention de la Russie de se poser en unique héritière des biens de l'ex-Union. La signature d'un accord en 1992 sur le partage de la flotte ne met cependant pas fin au différend russo-ukrainien. L'Ukraine affirme son opposition à des forces armées "communautaires". Elle proclame également sa neutralité et sa volonté d'être une puissance "dénucléarisée". Le contentieux russo-ukrainien est-il cependant aussi grave que les nouvelles autorités veulent bien le dire? On pourrait en douter en constatant que les Russes (20% de la population ukrainienne) et les russophones ont voté majoritairement en faveur de l'indépendance de l'Ukraine. Le conflit autour du passage maritime entre les mers Noire et Azovienne serait également réglé jusqu’à un certain point à l’amiable14 .

Vis-à-vis de la Russie, l'Ukraine est parvenue au cours des années 1990 à conforter son indépendance et à régler pacifiquement plusieurs contentieux. On peut citer la signature d'un traité d'amitié et de coopération. L'Ukraine a également renoncé, peu après son indépendance, à son armement nucléaire. Kiev et Moscou ont finalement accepté de conclure en mai 1997 une série d'accords clarifiant ces questions et prévoyant le partage de la flotte militaire de la mer Noire ainsi que la location à la Russie, pour vingt ans, d'une partie de la base navale de Sébastopol. A la même année, un accord de „partenariat pour la paix” est conclu avec l'OTAN, ce qui permet désormais la circulation des officiers américains en plus grand nombre dans le pays.

L'Ukraine ne semble cependant pas en état d'ignorer Moscou, mais néanmoins construit un terminal énergétique à Odessa et une conduite de cette ville vers Brody en Ukraine occidentale permettant de contourner les voies d'approvisionnement russes. Nonobstant, l’oléoduc fonctionne, dans le sens contraire, depuis 2005. Le pays reste cependant fortement dépendant de Moscou pour son approvisionnement énergétique et son commerce extérieur (28 %), même si progressivement celui-ci se développe avec l’UE (33 %). Par ailleurs, la Russie et ses multinationales cherchent à renforcer l'influence russe en Ukraine par des prises de participations dans les grandes entreprises, à préserver son contrôle sur les voies d'évacuation des hydrocarbures à travers l'Ukraine...

La conclusion d’un accord fondant un Espace économique commun entre la Russie, le Bélarus, l’Ukraine et le Kazakhstan tendait à renforcer le poids de l’espace post-soviétique dans l’économie ukrainienne, au moment même où ses voisins occidentaux (pays baltes, Pologne, Slovaquie, Hongrie), en adhérant à l’UE, semblaient s’éloigner. La zone de libre-échange dans cet « espace » fonctionnera dès 2004, affirme-t-on. Est-ce un marché de dupes pour Kiev ? Cette mesure serait, selon certains, “peu compatible” avec l'intention de l'Ukraine d'adhérer à l'OTAN. Pour d’autres, il s’agit d’un nouveau point marqué par la Russie. D’aucuns accusent tout simplement le président Koutchma de “brader son pays”. Le président ukrainien d’alors chercherait à s'attirer les bonnes grâces de la Russie et à ménager son avis personnel, au cas où son successeur en 2004 serait un de ses opposants, comme si la seule option possible de l’Ukraine était de s’incliner devant Washington.

Difficiles avec la Russie, malgré les déclarations sur "l'intangibilité des frontières", et avec la Roumanie qui n'a toujours pas accepté la perte de la Bucovine à l'occasion de la Seconde Guerre mondiale, les relations avec la Pologne et la Hongrie n'ont en revanche souffert d'aucune tension. Avec la Roumanie, un conflit frontalier spécifique semblent en voie de se régler et qui concerne l’accès à la mer Noire15 .

Les EUA et l’UE

L'Ukraine reste une priorité américaine. Les EUA disposent d'un budget annuel de coopération de €120 millions dont l’usage est essentiellement destiné à la « subversion », à la corruption et au soutien aux opposants proaméricains. L'Ukraine a de ce fait décidé d'envoyer un contingent de 1 600 hommes en Irak. Avec l'UE, les relations sont régies par l'accord de partenariat et de coopération, entré en vigueur dès 1998. Cet accord a instauré un dialogue politique régulier, permet l'octroi de la clause de la nation la plus favorisée et organise la coopération entre les deux entités. L'UE reste le premier bailleur international de l'Ukraine avec plus d'un milliard d'euros depuis 1991. L'Ukraine souhaite progresser vers la position d'Etat associé puis de candidat.

En matière de sécurité et de justice, l’UE développe avec Kiev un programme visant à réduire le trafic et la consommation de drogue en provenance d'Afghanistan. Ce programme sur deux ans est doté d'une enveloppe totale de € 5 millions financés à hauteur de 90 % par l'UE et de 10 % par le PNUD qui en assure la mise en oeuvre. Par ailleurs, un plan d'action en matière de justice et d'affaires intérieures a été adopté en décembre 2001. En 2003, des projets d'assistance à la gestion des frontières (gestion des flux migratoires et lutte contre les trafics d'êtres humains) et d'aide judiciaire et législative. € 60 millions sont programmés sur la période 2004-2006 pour poursuivre ces projets. L’Ukraine participe enfin aux programmes de la nouvelle politique européenne de « bon voisinage ».

Vers le milieu des années 1990, la politique de rapprochement avec les pays de l'Ouest se poursuit, mais l'évolution de l'Ukraine reste surtout dépendante de ses rapports avec la Russie, d'où elle importe la quasi-totalité de son énergie. Les dirigeants ukrainiens tentent de jouer sur l'importance stratégique de leur pays par lequel passent les gazoducs qui permettent à la Russie d'exporter son énergie vers l'Ouest, Moscou cherchant, pour sa part, à négocier une annulation de la dette ukrainienne (d'un montant global estimé à € 3,7 milliards) en échange d'une prise de participation dans les entreprises devant être privatisées. Plusieurs accords portant sur la dette ukrainienne ou le partage de la flotte de la mer Noire sont signés, mais restent largement lettre morte.

En janvier 2007, les ministres des Affaires étrangères de l’UE ont donné mandat à la Commission européenne d’engager des pourparlers avec l’Ukraine sur un «accord renforcé» de coopération. Les discussions commencent en février 2007 à Kiev, au niveau des ministres des Affaires étrangères. Cependant, dans un autre texte, adopté le même jour, les ministres européens affichaient une attitude ambiguë sur les chances de ce pays d’adhérer un jour à l’UE. En effet, tout en se félicitant de son «choix européen» et en souhaitant «établir une relation de plus en plus étroite» avec lui, ils soulignent que l’accord «ne préjuge pas de l’évolution future des relations entre l’UE et l’Ukraine» et se disent déterminés à «renforcer la Politique européenne de voisinage» qui, on le sait, ne considère pas les pays concernés par cette dernière comme des candidats potentiels. Cette formulation reflète un certain clivage existant, au sein de l’UE, entre des membres favorables à une adhésion à terme de l’Ukraine, comme la Pologne, la Hongrie, la Grande-Bretagne et la Suède, et ceux qui refusent cette option, comme la France, l’Espagne et l’Allemagne.

L'Ukraine entre dans l'OMC en février 2007, avec effet un an plus tard en 2008.

up down

Le transit et le débat énergétique eurasiatique

La question d’hydrocarbures est devenu un enjeu géoéconomique majeure en Eurasie où sont impliquées les grandes puissances, quelques Etats et leurs multinationales ! L’Ukraine y est impliquée d’une façon non négligeable.

Rappelons que l'oléoduc Druzhba est l'oléoduc le plus long au monde, avec ses 4 000 km de long. Il débute dans le sud-est de la Russie et débouche en Ukraine, Pologne, Hongrie et Allemagne. Il a été construit en 1964 et son nom, Druzhba, signifie amitié. En plus, comme on le sait, l’Ukraine est un des principaux pays transporteurs du gaz dans le monde vers les pays de l’Europe Occidentale, Centrale et Orientale et au Sud de la Russie. A travers le territoire de l’Ukraine on transporte environ 90% des exportations de gaz russe vers l’étranger. Le maintien comme le développement du potentiel en transit de l'Ukraine dépend
o des besoins évolutifs dans le gaz naturel des des membres de l’UE et d’autres pays de l'Europe Occidentale ;
o de la stratégie énergétique de l’UE et de la Fédération de Russie,
o du développement des réseaux de transports du gaz sur le territoire de l'Europe.

Le débat autour de la dépendance énergétique de l’UE de la Russie bat son plein dans la majorité des pays européens. L’UE fait des efforts pour limiter cette dépendance. Elle ne débat aucunement cette dépendance par rapport aux multinationales, en majorité américaine en l’occurrence. Dans ces discussions, c’est la problématique classique « du conflit ou de la coopération » dans les rapports de force qui s’annonce entre la compagnie russe Gazprom et les compagnies européennes non russes, d’une part, et entre ces dernières, d’autre part.
Le projet de l’UE, c’est-à-dire celui de certaines de ses multinationales, baptisé « Nabucco », fut annoncé la première fois en 2002. Il fait partie désormais des priorités du programme qui concerne les réseaux énergétiques transeuropéens. Rappelons-le, le projet vise à la construction d’un gazoduc de 3300 km qui relierait les ressources de gaz naturel de l’Asie centrale avec l’économie européenne. Le gazoduc débutera en Turquie et arrivera jusqu’en Autriche en traversant la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie. Selon les prévisions, le coût de la construction s’élèvera à 4,6 milliards d’euros et devrait s’achever en 2011. Jusqu’en 2020, les capacités de Nabucco devraient atteindre les 31 milliards de mètres cube de gaz naturel par an. La « crise » entre l’Ukraine et la Russie en 2005 sonna à nouveau l’alarme sur l’importance de la diversification des ressources énergétiques de l’UE. Dans ces circonstances, le projet de construction du gazoduc Nabucco fut relancé, d’autant plus que la Russie est soucieuse de conserver sa place dans l’approvisionnement de l’UE face à d’autres pays.

C’est dans cette perspective que l'Ukraine sera amenée de planifier sa politique à long terme de diversification, compte tenu de l'ensemble des intérêts des exportateurs du gaz naturel de l'Asie centrale (le Turkménistan, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan), l'Iran et les importateurs du gaz à l'Europe. On peut déterminer quelques variantes de l'approvisionnement du gaz naturel de l'Asie centrale et l'Iran vers l'Ukraine, conformément des réserves prouvées du gaz et les possibilités de son transport à l'Ukraine. Il existe de nombreux projets en cette matière qui, d’une façon ou d’autres, concernent directement la Russie, l’Ukraine et un ensemble de pays du reste de l’Europe. Sérions-les :

a. le gazoduc Balte (Ostsee-Leitung) reliant la Russie et la RFA sous la mer Baltique, contournant les « pays à problèmes » dont notamment l’Ukraine, le Bélarus, les pays baltes et la Pologne, terminé normalement en 2011 et l’accord par lequel Gazprom acquiert une part du réseau allemand de distribution;
b. le projet Nabucco qui servirait à dégager du gaz naturel de l’Asie centrale et de l’Iran à travers l’Azerbaïdjan, la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie et l’Autriche (la compagnie énergétique autrichienne OMV s’y intéresse beaucoup) ; ce projet est considéré comme fort cher ; de Baku azer jusqu’à Tbilissi géorgien, le gazoduc existe déjà mais devrait être prolongé jusqu’à Erzerum turc ; à partir de cette ville serait alors construit le prolongement Nabucco ; il y a peu de temps, l’OMV a signé un accord gazier avec l’Iran en dépit du projet Nabucco et surtout des pressions américaines ;
c. le Flux bleu, le gazoduc qui fonctionne déjà, sous la mer Noire, entre la Russie et la Turquie ; il fonctionne depuis novembre 2005 grâce aux participations de la compagnie russe Gazprom, de la compagnie turque Botas et de la compagnie italienne ENI. Il s’agit d’un gazoduc de 1213 km de long ; dès 2005, le président russe Poutine et le premier ministre turc Erdogan envisagent la possibilité de l’extension du gazoduc Flux bleu à partir de la Turquie à travers la Bulgarie, la Roumanie ou la Serbie, jusqu’à la Hongrie et l’Autriche, en suivant ainsi presque entièrement l’itinéraire prévu du projet Nabucco (voir le point 4 ci-après). De plus, les travaux devraient s’achever en 2011, comme dans le cas du gazoduc Nabucco ;
d. en juin 2007, l’ENI et Gazprom se mettent d'accord sur la construction d’un gazoduc intitulé « Flux sud » qui aurait pour but de transporter le gaz naturel russe en Italie. Le gazoduc arrivera en Bulgarie en traversant la mer Noire et depuis la Bulgarie, il se divisera en deux parties. La partie sud-ouest continuera son chemin à travers la Grèce et la mer Ionienne jusqu’à l’Italie du Sud alors que la partie nord-ouest traversera la Roumanie, la Hongrie ou la Slovénie pour atteindre l’Italie du Nord en ayant une branche également en Autriche. Ainsi le Flux sud correspondrait à l’extension prévue du gazoduc Flux bleu. L’inauguration du gazoduc Flux sud est aussi envisagée en 2011 et sa capacité annuelle devrait atteindre les 30 milliards de mètres cube ;
e. l’accord définitif pour construire un oléoduc de 280 km pour 2009 qui traversera la Bulgarie et la Grèce ; cet oléoduc transportera du pétrole russe et contournera le goulot d’étranglement physique et géopolitique de Bosphore ; grâce à une multinationale américaine, il aurait une bifurcation de 850 km jusqu’à Vlore en Albanie ;
f. l’Iran envisagerait, avec du capital suisse, de construire un gazoduc à partir de ce pays, à travers la Turquie et la Grèce, jusqu’à l’Albanie (en collaboration russe ?) où le gaz serait liquéfié pour être vendu dans les ports de l’Europe occidentale ;
g. un accord pour construire un nouveau gazoduc long de quelque 340 km, afin de lier des gazoducs croate et hongrois. En plus, le projet porte sur la construction dans le nord de la côte croate (près de l’île Krk) d'un terminal du gaz liquéfié qui devrait commencer à desservir l'Europe centrale à partir de 2012 avec du gaz en provenance notamment d'Afrique du Nord et du Proche-Orient ;
h. à fin mai 2007, la multinationale pétrolière hongroise MOL annonce encore un projet qui consiste de renforcer substantiellement des gazoducs entre l’Ukraine et la Hongrie, projet qui selon les observateur peut être interprété comme étant soit complémentaire, soit contradictoire par rapport à d’autres projets ;
i. le président kazakh propos la construction d'un canal de la mer Caspienne à la mer Noire qui pourrait devenir un axe majeur pour les exportations énergétiques de l'Asie centrale;
j. enfin, la question se pose où pourrait se situer le centre de distribution et de stockage du gaz au centre de l’Europe : en Hongrie, géré par la compagnie énergétique hongroise (MOL) et/ou en Autriche, par l’intermédiaire de la compagnie énergétique autrichienne (OMV), le choix de Gazprom n’en étant pas très clair, encore que Gazprom et MOL évoque, au début de juin 2007, la possibilité d'accélérer les travaux visant à créer en Hongrie un entrepôt souterrain stratégique de gaz.

Cette profusion de projets m’apparaît comme expression d’une activité énergique des multinationales, malgré les aléas géopolitiques et financiers attachés à chacun des projets. A l’abri de l’opinion publique et du monde politique démocratiques, les « responsables » négocient à leurs guises aux niveaux des Etats et des multinationales concernés. Ainsi, par exemple, la Turquie laisserait entendre que les deux projets (Nabucco et Flux sud) pourraient être reliés, s’il y a accord entre les multinationales non russes et Gazprom.

Le projet Nabucco semble cependant ébranlé par une sorte de reprise en main de l’industrie d’hydrocarbure en Azerbaïdjan par le dictateur local et l’accord fort incertain du coté iranien. Cette reprise en main signifierait l’élimination des financiers et marchands multinationaux. De plus, la Russie, le Kazakhstan et le Turkménistan signent un accord en mai 2007. L’accord porte sur des gazoducs à construire pour écouler de ces derniers le gaz naturel vers la Russie, puis vers le centre et l’ouest de l’Europe. Le projet Nabucco aurait ainsi peu de chance à se réaliser. Mais les choses s’avèrent plus compliquées et où l’étude analytique et normative se rejoignent.

Il y a une nécessité d’approfondir le « dialogue » avec la Russie afin de parvenir à développer un partenariat avec l’UE et dans lequel la Russie verrait ses intérêts. L’affaire sera donnant-donnant. Eventuellement, donner à la Russie un accès au marché d'approvisionnement et de distribution dans l'UE. Cela fera de la Russie non seulement un partenaire en amont mais également en aval dans la mesure où elle percevrait de l'argent en vendant le gaz mais aussi en le distribuant directement aux consommateurs. La Russie deviendrait de ce fait un partenaire beaucoup plus intégré en Europe.

En contrepartie, et là il s'agit déjà d'une demande européenne, la Russie ouvrirait l'accès de ses champs pétroliers et gaziers aux multinationales européennes en amont, c'est-à-dire aux sources mêmes. L'UE pourrait ainsi en savoir un peu plus sur ce qui se passe en Russie (les réserves d'hydrocarbures) et aurait l'occasion d'exporter vers cette dernière ses technologies avancées afin d'accroître et d'optimiser le rendement des champs pétroliers vieillissants russes. La Russie pourrait ainsi en profiter pleinement. Il faut examiner de manière exhaustive tous les domaines dans lesquelles les Russes et les Européens pourraient travailler ensemble de manière à ce que la Russie perçoive son intérêt. Selon moi, son intérêt est de collaborer avec l'Europe. D’où les négociations entre la Russie et l’Ukraine ne peut pas laisser l’UE indifférente.

Négociations entre Kiev et Moscou

Au début de juin 2005, les négociations se poursuivent entre Kiev et Moscou concernant le différend en matière d’approvisionnement en gaz de l’Ukraine et de transit du pétrole vers l’Occident. Le nouveau président tente apparemment à se dégager du contrat négocié par son prédécesseur quant à l’acheminement du gaz naturel du Turkménistan jusqu’à l’Ukraine. Le contrat a été signé avec une entreprise suisse dont le contrôle est assuré par la compagnie russe Gazprom et un groupe d’actionnaires (dont certains groupes ukrainiens et autrichiens). Les nouveaux dirigeants ou les groupes qui les dominent tentent vraisemblablement à modifier le contrat en leur faveur! Rejoints par la Roumanie, les pays de GUAAM ne cachent pas leur volonté de s’impliquer dans la construction de nouvelles voies de dégagement énergétiques qui contourneraient la Russie et certains de ses alliés. Cette volonté signifierait de transformer la mer Noire en espace non russe avec le soutien actif du gouvernement américain et des compagnies pétrolières d’outre-atlantique. Le but en est naturellement de mieux contrôler l’UE, militairement et économiquement.

Comme déjà mentionné, Kiev essayait de faire aboutir un projet d’oléoduc reliant la mer Noire aux côtes polonaises sur la mer Baltique et qui permettrait de contourner les voies d’approvisionnement russes. Or, la décision de juin 2004 consiste à vouloir utiliser “provisoirement” l’oléoduc Odessa-Brody dans le sens de la seconde ville pour évacuer le pétrole russe par la mer Noire. Cette décision aurait entre autres favorisé le groupe russo-britannique TNK-BP. Si le pétrole passait dans l’autre sens, une telle décision aurait la faveur des compagnies américaines. A fin décembre 2004, le ministre des transports est cependant démis de sa fonction avec effet immédiat. La question de l’oléoduc Odessa-Brody reflète moins la pression de la Russie que celle des multinationales. Dans ce cas c'est provisoirement TNK-BP et le Kremlin qui l’emportent. L'alliance des grands groupes ukrainiens et russes est certes la seule manière pour les deux pays de résister à la prise de contrôle des multinationales. Celles-ci insistent par contre sur des privatisations « ouvertes », c’est-à-dire lorsque cela sert leurs.

La Russie réussit en décembre 2005 à s’assurer de toutes les exportations nouvelles de gaz naturel du Turkménistan ce qui exclut pour l’Ukraine toute alternative en cette matière, à moins que les compagnies américaines ou européennes fassent un effort. Est-ce probable ? Apparemment, l’Ukraine reste néanmoins assurée de pouvoir importer ce qu’elle a été négocier antérieurement avec le Turkménistan A mentionner toutefois le fait que, avec la complicité de Chevron américain, l’Ukraine a obtenu fin novembre 2005 l’accord du Kazakhstan en vertu duquel l’oléoduc « Nabucco » serait construit de ce pays jusqu’à la Pologne16 en traversant la mer Caspienne, l’Azerbaïdjan et l’Ukraine ou la Roumanie. Il est néanmoins possible qu’avec les pays baltes et la Pologne,, ainsi que l’Ukraine, la République moldave et la Roumanie, un “axe mer Baltique - mer Noire” se mette en place sous l’influence des autres pays de l’UE.


down

Carte 6. « Couloirs » énergétique en Eurasie occidentale


Le rôle pivot de la Hongrie et de l’Autriche

A cause de sa situation géographique, la Hongrie s’est retrouvée en plein milieu du débat énergétique entre la Russie et l’UE. La position du gouvernement hongrois reflète un pragmatisme nécessaire, vu que la réalisation du projet Nabucco a été retardée maintes fois alors qu’entre-temps le prolongement du projet Flux bleu prend réellement forme. Le gaz naturel signifie que 70% de la consommation d’énergie de la Hongrie. Quatre-cinquième de ce gaz vient de l’importation. De cette importation, 70% viennent de Russie à travers le gazoduc « Fraternité » de l’Est qui passe par l’Ukraine et le gazoduc qui passe par la Slovaquie et l’Autriche.

Pour l’instant, il y a trop d’intérêts divergents dans l’UE à propos de la question énergétique. La réalité est que la Russie dispose de réserves importantes en gaz naturel dont on ne connaît pas d’alternative garantie pour le moment étant donnée la multitude des problèmes qui se posent au sujet de l’Asie centrale et de l’Iran comme fournisseurs potentiels. Cependant, cette dépendance devrait pousser le pays à chercher à diversifier ses ressources et malgré les présomptions, les responsables hongrois sont bien conscients de ce fait. Il ne faut pas oublier que la première compagnie de gaz et de pétrole hongrois, le MOL – avec le Botas, le Bulgargaz, le roumain Transgaz et l’autrichien OMV – figure parmi les principaux intéressés du projet Nabucco.

La compagnie énergétique hongroise MOL proposerait en outre de réunir au moins huit compagnies de transport de gaz d'Europe centrale et méridionale au sein du système New Europe Transmission System (NETS) en vue d'obtenir un crédit avantageux pour la construction du projet Nabucco contournant la Russie. En cas de création de ce système, Gazprom devra discuter de la construction du gazoduc Flux sud non plus avec de petits pays, mais avec un influent consortium balkanique contrôlant les gazoducs d'une longueur totale de 27.000 km. Il n'est pas exclu que ce projet jouisse du soutien de l'UE.

Dans ce cas, les pays qui ont soutenu le projet pourront bénéficier de certains avantages de la part de membres influents de l'UE. D'ailleurs, il convient de souligner que l’opération n'aura de sens que si elle s'accomplit dans de brefs délais. Au début de décembre 2007, on annonce cependant que la Hongrie prendra part au projet de gazoduc Flux sud. Le groupe Gazprom et la holding italienne Eni créeraient une entreprise mixe chargée de piloter le projet. Le gazoduc doit entrer en service en 201317 . A fin décembre 2007, Gazprom a conclu un accord sur le prix du gaz vendu par l'Ouzbékistan à la Russie en 2008.

Le contrôle du transit

Afin de contrôler avant tout le transit, Gazprom a acquis une participation significative du réseau de conduites d’hydrocarbures au Bélarus, tandis que l’Ukraine résiste à une telle idée. Or, l’annonce de construire un gazoduc sous la mer Baltique de la Russie à l’Allemagne relativise, en tout état de cause, l’importance du maintien du contrôle ukrainien. Dans ce domaine, Gazprom bénéficie d’ailleurs de l’appui des groupes allemands qui seraient prêts de s’associer à un consortium de ces réseaux. Dès décembre 2005, l’UE reconnaît le « statut d’économie de marché » à l’Ukraine18 . Sur cette base cependant, la Russie annonce qu’elle vendra désormais son gaz naturel à l’Ukraine au prix mondial19 ce qui serait normal en « économie de marché », alors qu’elle conclut en même temps avec le Bélarus un accord plus favorable à ce dernier. Moscou met ainsi fin à sa politique de « bon voisinage » par le biais des prix de faveurs à « l’étranger proche » et abandonne l’idée de vouloir reconstituer une URSS sous une autre forme. Quoi qu’il en soit, en cas d’une hausse sensible des charges ukrainiennes, les entreprises ukrainiennes risquent perdre leur avantage de coûts par rapports aux entreprises russes ou bélarusses des mêmes secteurs.

Simultanément, l’Ukraine, pour exercer une pression sur la Russie, juge utile d’exprimer la volonté de renégocier le statut de la base maritime militaire russe dans la Crimée. En réponse, Moscou menace Kiev de demander la renégociation des frontières orientales ukrainiennes qui ont été sensiblement modifiées en faveur de l’Ukraine en 1954. Certaines voix rappellent le « mémorandum de sécurité » en faveur du pays. En fait, ce mémorandum a été signé par la Russie et les EUA, dans le cadre de l’accord sur le démantèlement de l’arsenal nucléaire stationné en Ukraine en janvier 1994 mais peut être mis en cause. De même, les stations de radar qui se trouvent près de la frontière ukrano-hongroise et au bord de la mer Noire sous le contrôle de l’armée russe constituent également une question non négligeable dans le débat. Elles permettent à la Russie de « voir » ce qui se passe dans les pays de l’OTAN et en Asie centrale, ainsi que d’être avertie à temps en cas d’attaque par fusées.

Enfin, l’Ukraine ayant une dette croissante et notamment à l’égard de la Russie, ces négociations comme les précédentes pourraient aboutir à de payements sous forme de prises de participations dans des entreprises ukrainiennes ce qui accroîtrait l’influence déjà importante du capital russe en Ukraine. Cette pratique a déjà été expérimentée par les EUA en Amérique latine avec succès pour les multinationales.

Evaluations des événements récents

En Ukraine, les manoeuvres politiques entre les différents groupes financiers et politiques continuent comme avant la dite “révolution orange” et comme cela était prévisible. Les preuves n’en manquent pas. En 2006, l’alliance conclue entre le président “pro-occidental” Youtchenko et son adversaire “prorusse” (resic). Les membres du gouvernement constitué sont également en partie des anciens ministres ou hauts responsables du président Kutchma tels que Anatoli Kinah, Boris Tarasjuk, Jurij Lucenko ou Oleh Rabachuk. Le “altneu”20 président du Parlement n’est autre que Vladymir Lytvyn, ancien chef de cabinet de Kutchma, qui a fait un voyage discret mais remarquable au début décembre 2004 à Washington. C’est lui qui a aussi présidé le Parlement au moment des modifications constitutionnelles mentionnées ci-après.

Les anciens comme les nouveaux dirigeants du pays proviennent essentiellement des différentes oligarchies ou des multinationales ukrainiennes de différentes parties du pays. Il semble bien que toutes les élections aient été “truquées” d’une manière ou d’autre, mais les “trucs” américains ont mieux marché grâce à certaine complicité européenne, notamment polonaise et lituanienne: des centaines de conseillers étrangers et de milliers « d’étudiants », ainsi que des équipements de télécommunications et de photocopies les plus modernes et une “marque de fabrication” sous la forme de la couleur d’orange ce qui faisait appeler cette mobilisation la “révolution affairiste”, mais légale21.

Néanmoins, il faut souligner que, comme l’ensemble de ces événements récents et l’histoire de l’Ukraine depuis son indépendance l’ont montré, ce pays réussit à surmonter des difficultés non négligeables sans agression, ni d’effusion de sang et ce, malgré des interventions extérieures parfois douteuses et répétées ! Par ailleurs, les compromis ne concernent pas seulement le système électoral, mais surtout modifient l’équilibre entre les différentes branches de pouvoir, par le renforcement ou l’effritement subtiles du rôle du premier ministre et du parlement, ainsi qu’entre le centre et les régions dont bénéficient ces dernières.

Plus fondamentalement, les partis et les dirigeants politiques ukrainiens ont, selon moi, toujours fait preuve (i) du respect des diverses oppositions du moment, (ii) d’une loyauté envers leur pays et (iii) de la capacité de se concerter, de négocier des compromis. Cela était le cas avant mais surtout après l’indépendance de 1991. Peut-être est-ce bien cela qui expliquerait finalement la douceur de la transition d’un président à un autre au début de 2005 et l’établissement des coalitions variées en 2006 et 2007. A mon sens, les jeux « oranges » ne sont aujourd’hui pas encore entièrement faits, loin de là.

D’une part, les oligarchies politico-économiques perdantes pourraient ne pas se laisser avoir. D’autre part, l’influence également politico-économique de la Russie est de telle importance qu’elle devrait pouvoir négocier une solution satisfaisante de son point de vue avec les EUA et l’UE. Enfin, la tension entre les différents courants politiques et entre les groupes financiers, tout autant qu’entre le nouveau président et le premier ministre à propos de l’adhésion éventuelle du pays à l’OTAN reflètent les compromis nécessaires non encore dégagés dans les circonstances actuelles.

up down

L’Ukraine, faut-il l’intégrer à l’UE ou à l’OTAN ?

Répétons-le, l’enjeu géopolitique du pays est exceptionnel. Pour la Russie, l’Ukraine représente
 un territoire étendu comme la France, face aux EUA et à une partie de l’UE,
 un pays significatif dans l’imaginaire russe,
 le contrôle du transit de ses exportations,
 une entité substantielle de la “communauté Bélarus-Russie-Ukraine-Kazakhastan” dont la préoccupation constante est l’hydrocarbure et son exportation ;
 un « coussin géostratégique », bien sûr.
La Russie y dispose en outre d’une base militaire portuaire à la mer Noire. Pour les EUA, l’inclusion de l’Ukraine dans leur zone d’influence correspondrait à une percée stratégique dans l’espace d’influence de la Russie et au contrôle accru de l’UE du point de vue de ressources énergétique, voire de leur propre approvisionnement.

En tout cas, le basculement de l'Ukraine dans la zone d'influence de Washington aurait des conséquences géopolitiques encore plus importantes que celui de la Géorgie. Il interpelle aussi l'UE au moment où son élargissement à l'Est se ralentit pour le moment. Or, en vertu de la constitution, on considère que l’Ukraine est un pays neutre ou du moins non aligné; il n’est pas du tout certain que les clauses constitutionnelles lui permettent d’adhérer à l’OTAN, à moins qu’un statut particulier ne lui soit attribué à l’instar du Danemark. Le rapprochement entre l’UE et la Russie est enclenché dès le début des années 2000. Ce rapprochement visait d’abord à créer un espace économique unique entre les deux entités, mais maintenant cet espace serait complété par une entente en matière de “liberté, de sécurité et de droit”.

En avril 2005, de son côté, l’OTAN accorde une assistance supplémentaire à l’Ukraine dans le cadre d’un « dialogue intensifié », mais se refuse à amorcer un processus d’adhésion. À Washington, Youtchenko et Bush II ont convenu d’une « ère nouvelle de partenariat stratégique », malgré le retrait des troupes ukrainiennes d’Irak. Vis-à-vis de Moscou, une redéfinition des relations a été engagée, l’Ukraine demeurant attachée au projet signé en 2003 d’un Espace économique commun avec la Russie, le Bélarus, le Kazakhstan, tout en relançant le GUAM pour s’affranchir de la tutelle russe.

Plus que les pays de la Caucasie méridionale, l’Ukraine représente l’enjeu géopolitique prioritaire dans la partie occidentale de l’Eurasie. La raison essentielle en est évidemment les aléas des alliances russo-américaine et euro-russe. De plus, l’enjeu de l’Ukraine devient indirectement l’enjeu de l’OTAN. Sans vouloir s’appesantir ici sur la première, on peut mentionner le fait que depuis les années 1930 les EUA mènent un jeu subtil de « lutte et coopération » avec l’URSS ou la Russie. La preuve en est la collaboration pendant la deuxième guerre mondiale et l’antagonisme constructif durant la « guerre froide », puis, maintenant, la collaboration ambiguë au niveau de leurs multinationales respectives et le grignotage dans les régions de « l’étranger proche russe » dont l’Ukraine. De son côté, la Russie en est complice face au danger venant de l’Europe occidentale et de la Chine ou du Japon pour faire bref. Toutefois, elle tente en même temps de s’allier à l’UE et à la Chine ou, parfois, à l’Inde afin de constituer un noyau hégémonique en Eurasie.

Pour des raisons fort variées, tant la France et la Turquie, dans une perspective sécuritaire, que le Royaume-Uni et l’Allemagne, du point de vue plus économique, tiennent beaucoup à des bonnes relations avec la Russie. Il reste la question : ces pays ont-ils d’ailleurs intérêt à voir l’Ukraine faire partie de l’UE, voire de l’OTAN, alors qu’une telle adhésion serait financièrement fort coûteuse et mécontenterait la Russie sans contrepartie significative ? Le 1er mars 2006, l’opposition ukrainienne qualifiée « pro-russe » annonce avoir recueilli 4,5 millions de signatures afin de lancer un referendum sur l’opportunité du pays à adhérer à l’OTAN contre laquelle cette opposition se bat. Rappelons ici que la constitution ukrainienne exclut la présence de militaires étrangers sur le territoire du pays. Cette prescription est évidemment contournée car les militaires russes sont installés au Crimée et les militaires américains sont nombreux dans le pays sous des prétextes divers.

Après l’échec de l’adoption du traité constitutionnel de l’UE, les pays membres de l’UE sont devenus assez prudents et souhaitent ne pas trop bouleverser l’équilibre stratégique fragile, quels que soient les « souhaits » des EUA. Il n’empêche qu’au sommet de Bucarest en avril 2008, il est déclaré ce qui suit : « L’OTAN se félicite des aspirations euro-atlantiques de l’Ukraine et de la Géorgie, qui souhaitent adhérer à l’Alliance. Aujourd’hui, nous avons décidé que ces pays deviendraient membres de l’OTAN22, 23 … Nous avons demandé aux ministres des Affaires étrangères de faire, à leur réunion de décembre 2008, une première évaluation des progrès accomplis. Les ministres des Affaires étrangères sont habilités à prendre une décision sur la candidature au MAP de l'Ukraine et de la Géorgie.» (c’est moi qui souligne).

On peut néanmoins se demander si la Russie n’aurait pas le droit de vouloir maintenir des territoires quasi neutralisés entre elle et l’OTAN ou si l’Ukraine elle-même n’en aurait pas quelques intérêts ? La présence de 5 ou 6 pays neutres au sein de l’UE à 27 ouvre, institutionnellement, même la porte à l’élargissement de l’UE à l’Ukraine telle qu’elle se présente géopolitiquement aujourd’hui. Ne serait-ce pas dans l’intérêt de l’UE de rassurer la Russie et de disposer ainsi d’un « coussin » stratégique ? Or, cette logique pourrait se conforter depuis que les EUA ont établi des nouvelles bases militaires en Roumanie et en Bulgarie et encerclent à leur guise tant la Russie que l’UE. Enfin, le préalable « politique » de l’adhésion à l’OTAN par rapport à celle à l’UE ne devrait-il pas effacer afin de garantir mieux la sécurité et le bien-être de l’Ukraine et, surtout, des Ukrainien-nes ?

up down

Bibliographie spécifique

ASH, T.G. & T. SNYDER, The Orange Revolution, in The New York Review, 28.4.2005;
ANTONENKO, Oksana, Assessing the CIS - Beginning of the End or End of the Beginning?, in: Special to Russia Profile, 14.2.2006.
Bulletin de la BCE, Le développement financier dans les pays d’Europe centrale, orientale et sud-orientale, novembre, 2006.
BEAUMONT, Gilles, Pleins feux orange sur l’Ukraine - Dérives du conformisme; le compte-rendu de cinq ouvrages parus récemment dénonce précisément le manque total du recul de plusieurs des auteurs, in: Le Monde Diplomatique, novembre 2005.
BERDYCHOWSKA, Bogumil, Polen – Ukraine. Der Schatten der Geschichte, in: Ost-West-Europäische Perspektiven, n° 3, 2005.
BERGLUND, Sten & Joakim EKMAN (ed.), The Handbook of Political Change in Eastern Europe, seconde édition, Elgar, London, 2004.
BESTERS-DILGER, Juliane (Hrsg), Die Ukraine in Europa – Aktuelle Lage – Hintergründe und Perspektiven, Böhlau, Wien, 2003.
BRUMME, Christoph D., Einmal Wolga und zurück - Für sechs Wochen das Zeitkorsett ablegen - mit dem Fahrrad durch die Ukraine, in : NZZ, 3.3.2008.
CHAILLOT Paper, Ukraine : Quo Vadis ?, n° 108, Février 2008.
CHAUVIER, Jean-Marie, Les élections du 30 septembre 2007 confirment : on ne peut jouer une Ukraine contre l’autre, (analyses et infromations fournies par internet), 8.10.2008.
idem, Les multiples pièces de l’échiquier ukrainien - Un bouleversement géopolitique, in : Le Monde Diplomatique, janvier 2004.
CHETERIAN, Vicken, Le pendule ukrainien, in Le Monde Diplomatique, octobre 2004.
Idem, Révolutions en trompe-l’oeil à l’Est, in Le Monde Diplomatique, octobre 2005.
Courrier des pays de l’Est, Le,: La Russie et les autres pays de la CEI en 2006, n° 1059, janvier-février, 2007.
Idem, Europe centrale et orientale 2006-2007, juillet-août, 2007 ;
Idem, Nouveaux Etats membres de l’UE – une intégration réussie ?, septembre-octobre, 2007.
EISENBAUM, Boris, Le nouveau Grand Jeu en Asie centrale, in Le Nouvel Observatoire, 14.4.2005.
Financial Times, The 'gas princess' makes claims for power, By Stefan Wagstyl and Tom Warner, 24.1.2005.
Financial Times Reports, Ukraine 2006, 31.10.2006.
Financial Times Special Report: Central & East Europe Banking and Finance, April 2 2008.
FISCHER, Peter A., « Wir haben nichts zu verbergen » - Der CEO des umstrittenen ukrainischen Erdgashändlers RosUkrEnergo äussert sich zu seinem Geschäft, in : NNZ, 8.11.2006.
GENTé, Régis, Du Caucase à l’Asie centrale, « grand jeu » autour du pétrole et du gaz - Les ex-républiques soviétiques dans la géopolitique mondiale, in : Le Monde Diplomatique, Juin 2007.
GNAUCK, Gerhard, Schauplatz Ukraine, in : NZZ, 31.10.2006.
GRESEA Echo, L’emploi et le chômage en Russie et en Ukraine, in : L’emploi dans le monde 1996-2006, n° 49, Janvier-Mars, 2007.
GOANEC, Mathilde, L’Ukraine frappe à la porte de l’Europe, après son échec au sommet de l’OTAN, in : Le Monde Diplomatique, juin 2008.
GUICHER, Catherine, Ukraine, Biélorussie et Moldova : entre l’Union européenne et la Russie, in : Politique étrangère, n° 3, 2002.
HARDY, Margaux, Orange ukrainienne à la sauce belge, in : Politique, revue des débats, n° 52, Février, 2008.
Hérodote, L’Europe et ses limites, n° 118, 3e trim. 2005.
Imagine– Demain le monde, Tchernobyl, mai & juin 2006.
JOUKOVSKY, Arkady, Histoire de l’Ukraine, Dauphin, Paris, 1994.
KAPPELER, Andreas, Kleine Geschichte der Ukraine, C.H. Beck, München, 1994.
KERNOOUH, Claude & Bruno DRWESKI (sous la direction de), La grande braderie à l’Est ou le pouvoir de la kleptocratie, Le Temps des Cerises, Pantin, 2005.
LEPESANT, Gilles (dir.), L'Ukraine dans la nouvelle Europe, CNRS, Collection espaces et milieux, Paris, 06/01/2005.
LIMES, La Russie in gioco, n° 6, 2004;
idem, Dossier Ucraina, n° 1, 2005.
idem, C’era une Volta l’Est, n° 1, 2006.
MISZCZAK, Krzysztof , Polens Aussenpolitik als Kunst der Balance - Europäische und amarikanische Interesse im Visier, in NZZ, 4 September 2003.
NAHAYLO, Bohdan, The Ukrainan Resurgence, Hurst, 1999, London.
NAZEMROAYA, Mahdi Darius, Mondialisation du pouvoir militaire grâce à l’expansion de l’OTAN - L’OTAN et le réseau plus vaste d’alliances militaires sous l’égide des EUA, in: Mondialisation.ca, Le 13 juillet 2007, www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=6315.
NZZ Online, Dossier “Machtkampf in der Ukraine” - Ein Land zwischen Russland und Europe, 2006,
www.nzz.ch/ukraine ;
NZZ, Streit in Kiew trotz dem WTO-Erfolg - Präsident Juschtschenko torpediert die Privatisierungspläne der Premierministerin Timoschenko, 17.4.2008 ;
idem, Timoschenko kündigt Nato-Referendum an, 17.4.2008 ;
idem, Eine Kultur des Ignorierens in der Ukraine, 6.7.2007.
Russische Grossmachtnostalgie am Schwarzen Meer – Das ukrainische Sewastopol auf der Krim orientiert sich ganz nach Moskau, 23.11.2006 ;
idem, « Wer versteckt sich hinter RosUkrEnergo? Neue Erkenntnisse und neue Fragen zum russisch-ukrainischen Erdgas-Joint-Venture », 13/14.5.2006 ;
idem, Kiewer Pirouetten im Gas-Disput mit Moskau Präsident Juschtschenko verlangt Klarheit über das Geschäft, 18.2.2006 ;
idem, “Trainer” für den Aufstand aus Belgrad - Das serbische Modell des Machtwechsels macht Schule, 27.4.2005;
idem, Tagebuch eines Demonstranten in Kiew - Notizen des ukrainischen Schriftstelle Juri Andruchowyrsch, 9.12.2004;
OBERSTEINER, Erich & Paul G. PUTZ, Megatrends Osteuropa, Linde-Verlag, Wien, 2004.
Osteuropa, Tschernobyl – Vermächtnis und Verpflichtung, n° 4, 2006.
OLEARCHYK, Roman & Stefan WAGSTYL, Reforms take a back seat as Ukraine’s leaders struggle for power, in : FT, 24.6.2006.
OREL Anatolij, Senza Mosca si può morire, in: LIMES, n° 1, 2006.
OVERHAUS, Marco, Editorial, in: Foreign Policy in Dialogue, The New Neighbourhood Policy of Europan Union, vol. 6, n° 19, Juillet 2006.
PANKIN, A., The Difficulties of Codependency, No Matter Which Faction Rules in Ukraine, the Countgry Stilkl Needs Russia, in : RUSSIA PROFILE, juin 2007.
PEEL, Quentin, Factions invest hope in a marriage of opposites, in : FT, 4.8.2006.
PIEHL, Ernst, P.W. SCHULZE & Heinz TIMMERMANN, Die offene Flanke der Europäischen Union. Russische Föderation, Belarus, Ukraine und Moldau, BWV-Verlag, Berlin, 2005.
PFAFF , William, Why make an enemy of Russia?, in: International Herald Tribune, 13.4.2005.
RADVANYI, Jean, Les Etats postsoviétiques - Identités en construction, transformations politiques, trajectoires économiques, Armand Colin, Paris, 2003.
Religion, State & Society, vol. 32, n° 3, Septembre, 2004.
La Revue Nouvelle, numéro à thème : Où va l’Ukraine ?, n° 10, octobre, 2006.
RÜHL, Lothar, Neuer atlantischer Horizont in Osteuropa – Eine Aufnahme der Ukraine als Programmpunkt der NATO, in: NZZ, 8.12.2005;
idem, Ein neues Spiel – Die Ukraine im Fokus euro-atlantischer Bündnispolitik, in Frankfurter Allgemeine, 23.1.2006.
RYKOVTSEVA, Y., Not a Revolution, Ukraine’s Current Problems are Unlikely to Drive People Back to the Streets, in : RUSSIA PROFILE, juin 2007.
Questions internationales, L’UE et ses nouveaux voisins de l'Est : Ukraine, Biélorussie, Moldova, Dossier réalisé en juillet 2006.
SAMARY, Catherine, Espérance frustrée à l’Est, in Le Monde diplomatique, avril 2005.
SAYODNIK, Peter, Ukraine: The Washington Connection, in: The New York Review, 5.2.2005.
SCHMID, Ulrich, Wer versteckt sich hinter RosUkrEnergo? Neue Erkenntnisse und neue Fragen zum russisch-ukrainischen Erdgas-Joint-Venture,in: NZZ, 10.5. 2006;
idem, Odessa - aufgemotzte Stadt am Schwarzen Meer, in : NZZ Online, 31.3.2008,
idem, «Sehen Sie sich vor» Erkundigungen am Dnjestr - Ein Reisetagebuch, in: NZZ Online, 1.4.2008.
SUSSMAN, Gerald, U.S. Intervention in Eastern European Elections, in : Monthly Review, décembre, 2006.
SNYDER, Timothy, The Reconstruction of Nations - Poland, Ukraine, Lituania, Belarus - 1569-1999, Yale University Press, New Haven & London, 2003.
The Guardian, The price of People Power, by Mark Almond, 7.1.2004.
TINGUY, Anne de, L’Ukraine, nouvel acteur du jeu international, Brylant, 2000. Bruxelles.
The Economist, On the border and on the brink - A thrilling election in Ukraine, a sad referendum in Belarus, and what they mean for Russia and the West, 30.10.2004;
Tr@nsitExtra, Ukraine in Focus - die Ukraine im Blickpunkt, December 2005.
WAGSTYL, S. & R. OLEARCHYK, Ukraine’s three-sided fight, in : FT, 14.6.2007.
WAGNER, Richard, War Joseph Roth vielleicht Ruthene ? Die Ukraine, die EU und das Markenzeichen Galizien, in : NZZ, 3.6.2008.
WILSON, Andrew, The Ukrainians, Unexpected Nation, Yale University Press, New Haven, Connecticut, 2008.
WISSELS, Rutger, The dvelopment of the European Neighbourhood Policy, in: Foreign Policy in Dialogue, The New Neighbourhood Policy of Europan Union, vol. 6, n° 19, Juillet 2006.
WIPPERFÜRTH, Christian, Russland und seine GUS-Nachbarn. Hintergründe, aktuelle Entwicklungen und Konflikte in einer ressourcesreichen Region, Ibidem Verlag, Stuttgart, 2007.

up down

2.2 Le Bélarus, stable mais « désobéissant » 24

Le cas du Bélarus attire l'attention dans le cadre d'une analyse géopolitique des pays de la CEI en raison des conséquences géopolitiques assez spécifiques que ce pays est amené à assumer au centre de l'Europe. Ce pays représente une pomme de discorde séculaire, que sa position géographique ne fait que favoriser, au beau milieu d'une large plaine entre Berlin et Moscou. La Lituanie, la Pologne et les Tatars, aussi bien que plus tard le monde germanique et la Russie, puis à présent la Russie, l’UE et les EUA, y jouent un rôle stratégique non négligeable. Cette circonstance tend à déterminer d'une façon fondamentale les évolutions géopolitiques du pays. Rappelons enfin que le rapprochement institutionnel entre la Russie et le Bélarus fait de lui le voisin effectif de la première sur 400 kilomètres de la Pologne, pays devenu membre de l’OTAN en 1999 et de l’UE en 2004.

Il s’agit de savoir, en l’occurrence, comment un tel rapprochement s’applique par un consensus géopolitique interne et externe, par une adéquation des rapports de force à l’intérieur et à l’extérieur d’un pays ou d’une région du monde. Certes, ce consensus ou cette adéquation ne signifie nullement que la solution géopolitique soit stable, ou agréable pour tout le monde ou qu’elle respecte scrupuleusement les droits de l’homme. Cette hypothèse pourrait cependant être appliquée à beaucoup de pays dans le monde mais, également, au centre de l'Europe, à la Bulgarie, à certains pays baltes, à la Bosnie-Herzégovine, au Kosovo ou à la République moldave, par exemple. Cet examen se présentera comme suit: après avoir présenté les données géohistoriques, les questions géopolitiques et géoéconomiques seront abordées.

up down

Position géohistorique

Avant la dissolution de l'URSS en 1991, le pays portait le nom russe de Biélorussie. Le nom officiel en est devenu le Bélarus, plus proche de la langue bélarusse. L'usage de l'une ou l'autre appellation est en soi déjà une option politique: l’une est plus favorable aux russophiles, tandis que l’autre est plus patriotique. Géographiquement, le Bélarus couvre une superficie de 207.600 km² qui correspond aux 2/5e de celle de la France. Ses frontières sont longues de plus de 2.000 km, c’est-à-dire indéfendable, avec une population restreinte et un niveau de développement relativement modeste. Les frontières avec la Russie, la Lettonie et l'Ukraine reprennent largement le tracé des frontières du grand-duché de Lituanie d'avant 1772, l'année du premier partage de la Pologne. Celles avec la Lituanie et la Pologne actuelles n'ont été fixées qu'en 1945. Dépourvue de débouché sur la mer, le Bélarus est dépendant de ses voisins pour ses accès maritimes.


down

Carte 7. Le Bélarus


Source : Le gouvernement de Minsk

Le pays occupe la partie la plus plate de la plaine germano-polono-bélarussienne et s'étend sur un espace, où se trouve la ligne de partage des eaux entre les fleuves bélarussiens qui coulent vers la Baltique ou vers la mer Noire. Il constitue ainsi un lieu idéal pour les champs de bataille et se prête à des occupations couvrant le territoire entier. De plus, il se trouve inséré parmi des grands voisins, tels la Pologne et la Russie jadis, ou celle-ci et les peuples germaniques, voire l'UE, depuis le XVIIIe siècle jusqu'aujourd'hui. Encore actuellement, il est littéralement coincé de part et d’autre par la seule Russie. Cette dernière se trouve à l’est du Bélarus, mais dispose d'un territoire, la région de Kaliningrad, à l'ouest du Bélarus, au-delà de la Lituanie.

Comme plus ou moins celle de la Belgique, la population du Bélarus s'élève à 10,2 millions. L'espérance de vie comme la mortalité infantile se compare favorablement à celles de l'Europe de l'ouest. Mais, à l’instar des autres pays de la région, l’économie a subi des régressions, mais bien moins importantes qu’ailleurs. La population se départit de la façon suivante en terme de nationalités: 78% Bélarusses, 13% Russes, 4% Polonais et 5% autres minorités (Ukrainiens, Juifs, etc.) et en terme de religions très approximativement, 3/5e d’orthodoxes et un quart de catholiques latins ou gréco-catholiques.

Historiquement, le Bélarus partage l'héritage des Jagellons lituaniens, celui de la "République des deux nations" (polonaise et lituanienne) sous la domination de la Pologne et puis, avant comme après les partages de cette république (en 1772, 1793 et 1975), celui de la suprématie russe, quasi sans interruption depuis le début de XVIIIe siècle. Le pays fait ainsi partie de la Russie tsariste, puis de l'URSS. Cependant, au moment de l’affaiblissement de la Russie devenue soviétique durant la période d'entre-deux-guerres, le Bélarus est divisé entre. Si l'on fait abstraction d'une brève période troublée de 1918 à 1921, le Bélarus n’est donc devenu, pour la première fois dans l'histoire, indépendant qu’en 1991.

Sans l’approuver, on ne s'étonnera guère que le pays soit, aujourd'hui encore, considéré par la Russie comme une de ces "nations proches" qui entreraient "naturellement" dans sa sphère d'intérêts. Depuis 1991, la capitale du Bélarus, Minsk, héberge d'ailleurs le siège de la CEI et ce, dès sa création cette année-là. Pour l’OTAN, elle est participante non active à la formule de PPP.

Composants historico-culturels

En termes culturels et à la fin du premier millénaire, les Slaves de l'Ukraine, du Bélarus et de la Russie actuels ne se distinguaient guère. Ils parlaient ce que nous appelons aujourd'hui le vieux slavon, celui qui est encore en usage dans les Eglises orthodoxes de nombreux pays ou dans celles qui dépendent du patriarcat de Moscou. La séparation linguistique ne s'impose que très progressivement grâce à l'installation des principautés multiples sur les territoires concernés. Les principautés médiévales, qui couvraient approximativement le Bélarus actuel, sont celles de Polozk-Minsk, de Turow-Pinsk et de Smolensk.

Toutefois, la séparation véritable entre ces trois grandes entités ne se réalise que suite à l'invasion du Rus kiévien par les Tatars au XIIIe siècle. Une principauté importante, le Rus est à l'origine de tout processus “d'étatisation” des Slaves orientaux depuis un millénaire. Les territoires bélarusses sont de plus en plus absorbés par le grand-duché de Lituanie, puis incorporés à la "république" polono-lituanienne. Cette spécificité explique la formation progressive d'un groupe ethnique et linguistique bélarusse distinct. Les frontières entre les trois entités ne peuvent que très rarement s'appuyer sur les traditions de continuité historique ou culturelle précise.

L'influence culturelle et linguistique s'exerçait selon la domination du moment. C'est ce qui explique qu'au début du XVIIe siècle, la polonisation fait des progrès substantiels dans l'élite aristocratique et urbaine, tant en Lituanie qu'au Bélarus occidentaux. Or, faisant suite au traité d'Andrusow (1657) et après l'incorporation progressive du pays à la Russie, la russification s'impose et la culture locale, surtout celle des villes, est ignorée, voire réprimée avant tout durant la deuxième moitié du XIXe siècle. Pendant la période d'entre-deux-guerres, la Pologne reprend une partie du Bélarus et recommence tant la polonisation que la "re-catholicisation".

Du côté religieux précisément, les masses populaires gardent en grande partie la foi orthodoxe. Même la création de l'Eglise gréco-catholique bélarusse, créée par le compromis de Brest en 1596, n'a que relativement peu d'effet dans le pays du point de vue institutionnel. C'est sans doute une des explications possibles la naissance tardive et hésitante du fait national et de la russification aisée. Ces deux phénomènes pourraient bien être liés. L'absence d'appui institutionnel au fait national bélarusse s’avère patent malgré que le gréco-catholicisme ait effectivement essayé de le jouer en Ukraine occidentale. De son côté, l'aisance de la russification apparaît comme un fait depuis deux ou trois siècles dans la majeure partie de la population. Enfin, rappelons que l'élite se tourne vers le catholicisme polonais dès la fin du Moyen-Age. Aussi les mouvements nationalistes ont-ils une faible résonance et un certain patriotisme n'est observable qu'à la fin du XIXe siècle avec la création des organisations révolutionnaires. Il est symptomatique que ces organisations se mettent en place à Vilnius ou à St. Péterbourg, villes où se concentrent les jeunes élites bélarusses.

A partir de la révolution russe de 1917, une période mouvementée commence pour le Bélarus. La paix de Riga, conclue entre la Russie soviétique et la Pologne en 1921, partage le pays. La partie soviétique bénéficie d'une politique de nationalité généreuse pour l'époque. Pour la première fois dans l'histoire, une université et des journaux bélarusses sont créés à Minsk. La partie polonaise subit par contre une politique de polonisation assez agressive et les écoles en langue bélarusse sont fermées. Ce qui explique que, suite aux accords germano-soviétiques dits Molotov-Ribbentrop, l'entrée de l'armée soviétique en 1939 y est considérée par beaucoup comme une libération de la Pologne. Subissant néanmoins pendant deux ans le régime stalinien assez dur, la même population accueille l'armée allemande avec un certain enthousiasme en 1941, après la rupture du traité. Pendant la période 1941 à 1945, quatre années de batailles incessantes et d'exactions extrêmes, plus de 20% de la population perd la vie en raison des exterminations nazies, des faits de guerres et des déportations staliniennes.

Néanmoins, pendant la période d'entre-deux-guerres comme après 1945, l'urbanisation, provoquée par l’industrialisation vigoureuse et la scolarisation intense, entraîne un accroissement de l'usage de la langue et de la culture bélarusse jusqu'aux années 1960. Toutefois, dès la fin des années cinquante, se perçoit une impatience russe croissante, sous l'impact peut-être des événements insurrectionnels en Hongrie et en Pologne de 1956. Cette impatience se traduit par un nouveau mouvement de russification. Le journal officiel est désormais rédigé en russe et le gouvernement pratique avant tout cette langue.

De son côté, pour des raisons déjà évoquées, le tissu social est de création récente et les élites doivent leurs promotions au système soviétique, qu’il s’agisse des dirigeants de l’important “complexe militaro-industriel”, du secteur agro-industriel ou d’une certaine “intelligentsia”. Une nouvelle poussée patriotique ne se pointe que vers le milieu des années 1980. Un Front patriotique bélarusse est constitué en 1989, une fois de plus, pas à Minsk mais dans la capitale lituanienne qui, rappelons-le, n'est autre que Vilnius.

Après 1990, le Front réussit à se mobiliser en évoquant trois faits survenus dans un passé récent. D'une part, lors du recensement de 1979, 74,2% des habitants du pays déclarent parler le bélarusse comme langue maternelle. D'autre part, la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986 a lourdement touché le Bélarus, en réalité plus que l'Ukraine. Les effets en étaient fort mal maîtrisés par les autorités soviétiques. Enfin, on découvre les fosses communes de Kouropaty qui contiennent les restes de 300.000 victimes de la répression stalinienne. Malgré ces excellents thèmes de mobilisation, la population ne semble pas en être très émue et il ne reste pas grand-chose, électoralement parlant, du Front pour les années 1990. Etait-ce uniquement l’affaire des populations urbaines, politisées et relativement bien scolarisées? “La superposition de traditions étatiques, politiques, religieuses et culturelles différentes explique la méfiance que l’on y rencontre à l’égard de tous les nationalismes, qu’ils proviennent de l’extérieur ou soient d’origine locale”, souligne Drweski.

De plus, paradoxalement en apparence, c'est dans la partie orientale du pays (plus proche de la Russie) que le bélarusse se préserve le mieux à des échelons administratifs moins élevés, alors que, dans la partie occidentale qui a subi antérieurement la polonisation, la russification est fort avancée. Les élites survécurent peu nombreuses aux répressions multiples et systématiquement pratiquées, d'une façon ou d'une autre, par les Polonais, puis par les Soviétiques et surtout par les Allemands. A l'heure actuelle, pour des raisons historiques, elles restent culturellement partagées entre une fidélité bélarusse, polonaise et russe. Il est probable que le manque de conscience nationale dans ce pays n'est attribuable qu'à cette faiblesse numérique et à la division culturelle des élites. Cette situation contribue sans doute aux difficultés de se structurer politiquement et d'une façon autonome. La minorité polonaise semble reprend vigueur grâce au soutien que la Pologne lui prodigue depuis des années 1990.

Les études d'opinion de ces années indiquent qu'environ 60% des habitants souhaitent que le russe et le bélarusse restent les deux langues officielles du pays et seulement 22-23% imposeraient l'unilinguisme bélarusse Il en résulte que les autorités d’alors poursuivent une “bélarussification” modérée qui semble convenir au désir majoritaire de la population; choix que celle-ci a depuis lors confirmé par un référendum. Il n'est pas sans intérêt de savoir qu'en 1994, sur cinq chaînes de télévision, trois sont en russe et deux en bélarusse25. Enfin, il faut rappeler que le patriarcat orthodoxe de Moscou crée dès 1990 l’exarchat bélarusse et met ainsi en place l'Eglise orthodoxe autonome du Bélarus. Cela signifie en termes ecclésiastiques que l’Eglise est autocéphale mais doit exprimer le “respect ecclésial” à l’égard de ce patriarcat26.

up down

Les manoeuvres russo-américaines

La Russie, en 1993, a quasi ouvertement déclaré que les territoires des "nations proches", c'est-à-dire les nouveaux Etats sur le territoire de l'ancienne URSS et du tsarisme russe, appartiennent à sa "zone naturelle d'influence", à l'exception peut-être des pays baltes, encore que l’on puisse en douter. C'est comme la doctrine de Monroe américain assurant l'influence des EUA sur les pays d'Amérique Latine. Selon la doctrine soviétique toute similaire de Brejnev, la Russie se considère comme autorisée à entreprendre des actions dans ces pays dits "proches", si les intérêts de sa propre sécurité sont en jeu, ou à protéger les minorités russes substantielles au sein des nouveaux Etats de la CEI, environ de 25 millions de personnes. En outre, elle tente d’imposer l’idée qu'elle doit remplir une "mission historique" en protégeant les frontières extérieures de la CEI, ou en évitant des guerres civiles locales qui pourraient donner l'occasion à d'intervention, ouverte ou clandestine, d'autres grandes puissances, les EUA par exemple. Ce fut le cas en Tchétchénie, au Dagistan, en Asie centrale ou au Caucase.

La Russie veut la stabilité à ses frontières; d'où le rapprochement avec la Chine et le maintien des relations “correctes” avec les EUA. Elle tient à empêcher les conflits ethniques de se propager sur son territoire. Enfin, elle ne peut guère négliger ses intérêts, notamment géoéconomiques, au centre de l'Europe et dans les Balkans comme au Moyen-Orient ou en Asie. Quant au Bélarus, plus spécifiquement, il est indispensable à la Russie pour se garantir
 une zone de protection vers l’ouest et des liaisons de transports, notamment vers les pays de l’Europe occidentale (la majorité des exportations russes dans cette direction passent par le Bélarus);
 les frontières occidentales de la CEI en face de l’OTAN élargie, notamment à la Pologne; d'où l'importance de la présence de l'armée russe à la frontière polono-bélarusse;
 une certaine neutralité des pays baltes pour assurer des accès à la Baltique et la sortie vers l'Atlantique;
 les passages vers le territoire russe de Kaliningrad (Königsberg) enclavé entre la Lituanie et la Pologne.
Il s'agit des questions qui concernent directement, voire déterminent, la position géopolitique, l’équilibre politique intérieur et la vie socio-économique du Bélarus.

Sans connaître les annexes techniques et secrètes de l'accord l’OTAN-Russie, celui-ci semble respecter les "intérêts légitimes" de la Russie, mais ne laisse pas de grande marge de manoeuvre au Bélarus, dont la dépendance énergétique à l’égard de son grand voisin de l'Est est, par ailleurs, quasi totale. De son côté, Minsk accepte que le pays devienne l’avant-poste de la défense antiaérienne russe, avec l’installation de nouveaux missiles le long de la frontière avec l’UE. Ainsi, le Bélarus est amené à admettre des relations asymétriques avec la Russie, mais dans une certaine mesure moindres que sous le régime soviétique. Pour les saisir correctement, il faut revenir sur la position du pays au moment de sa déclaration d’indépendance.

Un quasi coup d'Etat, local ou russe, en 1993 ?

Après deux années de tribulations de la politique intérieure à partir de l’année de l'indépendance, restait-il aux dirigeants bélarusses autre chose à faire que de s’adapter, de “s'aligner" à la situation créée par les deux Grands? Cela signifiait-il jouer le jeu de Moscou et redevenir le fidèle allié de la Russie? En janvier 1993, une espèce de révolution de palais se déroule au Parlement de Minsk (entouré de chars bélarusses ou russes? personne ne le saura avec certitude !); elle élimine des dirigeants patriotiques et fait élire des politiciens davantage pro-russes. Il en résulte qu'au début 1994, le Bélarus signe deux conventions avec la Russie.

L'une crée une union douanière entre celle-ci et le Bélarus, dont le commerce extérieur dépend à plus de 80% de la Russie, dans les deux sens du terme. L'autre prévoit le stationnement de militaires russes dans deux bases en territoire bélarusse et ce, pour 25 ans: l'une des bases pour les fusées défensives et l'autre pour une station de radio militaire. Au même moment, le Bélarus signe la convention de participation au PPP de l’OTAN, sans objection quelconque de la part de la Russie. Ce pays conclut aussi un accord avec l’OTAN mais ne le ratifie qu'en 1995. L’accord l’y associe certes, mais encore d’une façon très particulière et dans l’esprit ambigu de la “charte de Paris”27.

Depuis la fin 1993, des informations font état d'un contrôle officiel accru sur les médias en Bélarus, notamment suite aux révélations d’agissements éventuellement corrupteurs du futur président Loukachenko28. Elu en mai 1994, le nouveau président mène d'abord un combat contre la petite minorité patriotique restante et élimine des dirigeants, entre autres dans l'armée et la police, qui ne lui seraient pas favorables. En août 1994, il effectue sa première visite à Moscou. Il réalise que la Russie n'est guère prête à faire des sacrifices en sa faveur, notamment du point de vue économique. En février 1995, il conclura néanmoins un premier accord de rapprochement avec la Russie, qui sera suivi par de nombreux autres, sans que ceux-ci n’aient des effets très tangibles. Moscou garde une certaine attitude de discrétion politique et, manifestement, préfère contrôler le pays à distance, ce qui est une manière d'agir probablement moins risquée ou moins coûteuse.

Loukachenko parvient progressivement à rallier les anciens dirigeants communistes et les élites du secteur agricole pour s’assurer une majorité politique confortable tant au Parlement que dans le pays ou dans la rue. Nonobstant, en mai 1995, un référendum et les élections organisées visent à diminuer l'influence du Parlement et à renforcer le caractère présidentiel du régime. Le référendum est un succès, car 75 à 80% des votants apportent leur soutien à Loukachenko. Les partis d’opposition continuent à fonctionner, mais ils sont marginalisés: ils n’ont que peu d’accès à la télévision et leur presse rencontre des difficultés. Néanmoins, ce qui serait fort mal vu par la majorité de la population, les opposants sont soutenus par les EUA et, leur proche allié, la Pologne. Il n’empêche que l’économie bélarusse semble mieux marcher que celles de ses voisins de l’est ou de l’ouest, malgré sa dépendance de l’économie russe en crise dans les années 1990.

Le président suspend l'activité des syndicats indépendants du pouvoir, supprime l'immunité de certains parlementaires et invite le parquet à mieux contrôler les partis politiques. Enfin, en novembre 1996, a lieu un deuxième "coup d'Etat légal" et Loukachenko réussit à réduire le pouvoir du Parlement, nouvellement créé, et l'influence de la Cour suprême. Il en résulte donc une augmentation du pouvoir présidentiel. C'est une manoeuvre qui convient sans doute bien à Moscou, mais l’UE n’en reconnaît pas la légalité. La conséquence en est que les relations entre le Bélarus et l’UE connaissent des hauts et des bas.

La Fondation Soros29 ferme ses bureaux à Minsk tandis que l’US Information Agency (proche du Département d’Etat américain) reste fort active en fournissant des ordinateurs au Front patriotique oppositionnel et dont quelque 100 membres sont directement rémunérés par l’agence. A propos des bâtiments des ambassades occidentales à Minsk, un conflit éclate en 1998 entre l’UE principalement et le Bélarus. Il fallait six mois pour que Loukachenko juge nécessaire de résoudre le différend. La sensibilité de la population concernant ces sujets apparaît néanmoins faible, puisque le citoyen moyen s’intéresse davantage aux conditions de vie que le régime semble lui garantir.

Le Conseil de l’Europe suspend, en janvier 1997, le statut d’invité du pays pour non-respect des principes de la démocratie. Or, le nombre d’exécutions est infiniment plus élevé aux EUA qu’au Bélarus, car dans ce dernier il n’y en a pas! De ce point de vue, la présence au Conseil de l’Europe est moins justifiée pour les EUA que pour le Bélarus. Il en est de même s’agissant de l’usage de tortures, de l’établissement de camps de concentration ou des élections présidentielles discutables aux EUA.

Alliance russo-bélarusse

Parallèlement, Loukachenko se pointe comme futur président d'une union russo-bélarusse. Est-ce raisonnable lorsque le président russe pourrait lui aussi y aspirer. Mais l’union est entre pays et non pas une union des pays. Non dépourvue d'arguments raisonnables, sa stratégie consiste à intégrer le Bélarus à la Russie. Elle vise ainsi, d’une part, à obtenir des garanties de sécurité militaire et, d’autre part, à assurer l'approvisionnement de son pays en matières premières bon marché. Cette stratégie poursuit le but de préparer, pour son pays, une place renforcée dans le cadre du "protectorat" russe. Dans cette perspective, en avril 1997, un nouvel accord d'union est signé entre les deux pays, malgré des manifestations de rue durement réprimées.

Dans le même sens, le « traité d’union » est solennellement signé en novembre 1999, dans la perspective - semble-t-il - des élections russes. Le traité prévoit le stationnement des troupes russes aux frontières orientales de l’OTAN, ainsi que l’unification des doctrines militaires, des programmes d’armements et du système de défense aérienne. La base militaire de la Russie qui héberge 1200 soldats russes se trouve à Baranovitchi, à la frontière polono-bélarusse. Cela ne semble pas par contre représenter un progrès par rapport aux avantages déjà acquis par les dirigeants bélarusses. Faisant suite à l’achat de 48 avions de chasse américains par la Pologne, la Russie décide en 2006 d’installer d’ailleurs un nouveau système de défense anti-fusées à la frontière occidentale du Bélarus. Grâce à ce système qui complète trois autres déjà existants, l’armée russe élargira son rayon d’actions de 400 kilomètres d’ici quelques années.

Certains milieux surtout dit “libéraux” exigeraient que le Bélarus procède à des privatisations aussi vite que possible. Sans doute comptent-ils en profiter. Mais, vraisemblablement, Loukachenko souhaite protéger ses propres partisans et s’oppose donc à ces velléités. Le ton monte en septembre 2003 entre Moscou et Minsk après la décision russe de cesser ses livraisons de gaz à tarif préférentiel au Bélarus, menace à laquelle ce dernier répond par la menace d'une rupture des processus d'intégration avec la Russie.

Sous l'égide directe de Moscou, la politique bélarusse inquiète cependant trois autres pays voisins qui ne manquent pas de l'exprimer publiquement:
 la Pologne qui, voyant l'armée russe à ses frontières orientales en face de l’OTAN, risque, une fois de plus, de devenir un champ de bataille potentiel entre l'Est et l'Ouest; ce facteur, comme les liens traditionnels entre les deux pays, incita d’abord les Polonais à la prudence à l’égard du Bélarus mais, depuis quelques années, leur attitude est devenues plus offensive;
 la Lituanie qui n'éprouve pas moins de malaise, tout en bénéficiant d’un appui certain des EUA; d’où une prudence, voire une volonté politique de coopération;
 l'Ukraine vit le risque russe de deux façon différentes; certains auraient des velléités d’abandonner la position de neutralité, constitutionnellement fixée par ce pays, et de s'approcher de l’OTAN, alors que d’autres préconisent, à l’instar du Bélarus, des bonnes relations avec la Russie.

Quoi qu’il en soit, ramener le Bélarus et surtout l’Ukraine dans le giron d’une plus grande Russie correspond bien à l’objectif stratégique de beaucoup de milieux russes, surtout face à l’élargissement de l’OTAN par divers moyens vers les pays centre-européens. Il ne s’agit cependant pas d’une intégration plénière car celle-ci coûterait trop cher à la Russie. Il semblerait que, dans l’esprit de Rapallo30, la RFA soit tentée de mieux respecter la volonté russe de garder son influence au Bélarus. Dans l'optique de la mise en place concrète de l'accord russo-américain, l'ensemble de ces évolutions ne fait évidemment qu'accroître la position conflictuelle au centre de l'Europe. La contrepartie à l'intérieur du Bélarus est une démocratie autoritaire. Quoi qu’il en soit, Loukachenko est assuré de se maintenir au pouvoir et d’avoir une majorité au Parlement.

Certes, les autorités bélarusses ne sont guère des champions de la démocratie à l’instar des ukrainiennes ou des russes, mais le président actuel bénéficie du soutien de la population. Est-ce une justification suffisante pour l’interventionnisme américain et depuis peu européen? Depuis quand les EUA se trouveraient-ils dérangés par des dictatures, alors qu’ils les soutenaient militairement ou par le biais de la coopération au développement au Pakistan, au Viêt-nam ou en Chine, en de nombreux pays d’Afrique et d’Amérique latine, ainsi qu’en Asie centrale? Les élections au Bélarus ne s’avèrent pas moins libres qu’en Israël s’agissant des citoyens arabes ou dans les pays de l’Amérique centrale.

Les élections de ces dernières années au Bélarus sont déroulées dans les conditions parfois discutables. Selon certains observateurs “d’Occident”, il y a eu des abus évidents : mauvais fonctionnement de la justice, corruptions, contrôle de certains média ou manipulations électorales. Cet Occident-là mène un travail de sape indiscutable envers le Bélarus à partir surtout de la Pologne et de la Lituanie. Sans doute, d’aucuns poursuivent une stratégie visant à affaiblir la Russie dans son flanc occidentale, à l’instar de ce qui se fait à l’égard de l’Ukraine, également. Une liberté de presse relative, mais étonnante semble y régner. L’attachement est réel au Président Loukachenko qui, depuis son avènement, fait bien fonctionner l’économie et garantit le payement des salaires et des pensions, certes modestes, mais assurés; ce qui importe le plus à la majorité de la population.

Le Bélarus a tout intérêt à maintenir des relations amicales avec la Russie qui, elle aussi, n’est guère désintéressée, puisque le Bélarus correspond à un des pays de transit pour l’évacuation d’hydrocarbures russes vers l’Europe occidentale. Toutefois, Minsk s’avère hésitant dès qu’il s’agisse de laisser entrer les grands groupes financiers russes dans le pays. L’absence des « réformes » préconisées par divers milieux proches d’intérêts capitalistes de l’Est comme de l’Ouest est constamment dénoncée par ceux-là mêmes. Sur ce point, le Bélarus semble avoir raison. A l'instar de la Slovénie, le Bélarus a choisi de ne pas privatiser son économie et de ne pas livrer cette dernière à la stratégie désastreuse des multinationales, qu'elles soient occidentales ou russes; d'où nettement moins de destructions d'emplois et d'activités propres du pays31. Une exception, la vente partielle quasi inévitable de Beltransgaz à Gazprom russe. Avec une autre société que cette dernière contrôle déjà, Beltransgaz s’assure la totalité du transport du gaz naturel russe vers l’Europe occidentale.

L’économie bélarusse repose sur trois piliers : le transit et le raffinage du pétrole russe ; la métallurgie et l’industrie militaire; la production d’engrais et de produits chimiques. Il est tout à fait frappant d’observer la croissance élevée du Bélarus qui s’explique notamment par la part du secteur d’hydrocarbure dans le PIB. L’économie du Bélarus semble néanmoins fort bien fonctionner si l’on croit aux études de WIIW. Les secteurs d’automobile et d’équipements agricoles ne sont ni privatisés ni démolis au nom de la globalisation glorifiée. La création en cours d'un espace économique commun Russie-Belarus-Ukraine-Kazakhstan illustre les tendances à l'oeuvre en Ukraine comme dans d'autres anciens pays soviétiques à se rassembler : ces pays ont en commun des intérêts énergétiques, des liens industriels, technologiques et humains hérités de l'URSS, le rejet des nouvelles frontières et des nationalismes séparatistes dans de larges franges des populations.

up down

L’offensive anti-Bélarus

La position du Bélarus correspond jusqu’à un certain point à celle de l’Ukraine. Pour la Russie, l’Ukraine représente
 un territoire étendu comme la France face aux EUA et à une certaine UE,
 un pays significatif dans l’imaginaire russe,
 le contrôle du transit de ses exportations et
 une entité substantielle de la “communauté Bélarus-Russie-Ukraine-Kazakhastan” dont la préoccupation constante est l’hydrocarbure et son exportation.
La Russie y dispose en outre d’une base militaire portuaire au bord de la mer Noire. Pour les EUA, le contrôle de l’Ukraine correspond à une percée stratégique dans l’espace d’influence de la Russie, à la surveilleillance accrue de l’UE du point de vue de ressources énergétiques et à l’amélioration de leur propre approvisionnement.

Soutenues évidemment par les EUA et, depuis 2004 assez modestement par l’UE également, la Pologne et la Lituanie poursuivent leur offensive contre le régime au Bélarus. Toutes les mesures prises me rappellent curieusement celles qu’en pleine “guerre froide” utilisaient les EUA. Elles s’appliquèrent contre les régimes communistes au lendemain de la deuxième guerre mondiale mais dont “les pots cassés" sont retombés sur le dos des citoyens locaux. Contrairement aux “pays de l’Est” de l’époque, la différence essentielle en est que chez Loukachenko il n’y a apparemment pas de prisonniers politiques, ni de camps de concentration, alors que parmi les alliés de l’OTAN comme en Turquie la situation est bien différente. Il en est de même en Israël, aux EUA, en Irak ou en Afghanistan.

Le gouvernement du Bélarus doit faire face à une pression croissante de la part des EUA: discours de propagande, création d’une université “en exil” à Vilnius, établissement d’un radio “libre” en bélarusse en Pologne, financement des opposants, soutien aux partis d’opposition, etc. Toutefois, le pays continue à bénéficier de sa position géographique de “transit” des oléoducs et gazoducs russes. La Russie n’a manifestement guère envie de perdre cette position d’importance, d’autant plus qu’elle en a déjà perdu bien d’autres en faveur des EUA. En 2004, l’ambassade de la RFA est devenue le « point de contact OTAN » à Minsk. A une réunion à fin août 2005 en Crimée, les dirigeants lituaniens, lettons et polonais d’une part, et ukrainiens et géorgiens d’autre part ont décidé de renforcer leur coopération en vue de pratiquement “changer le régime bélarusse”.

Une sorte d’infiltration concerne l’association des Polonais au Bélarus: changement et rechangement du président, visite inopinée des diplomates américains ou des politiciens polonais, protestations diplomatiques, propagande intense dans la presse occidentale non critique, etc. Qui a tort, qui a raison? Dieu seul le sait, ou quelques services spéciaux. Certes, Loukachenko n’est pas un ange, mais qui en est dans le domaine politique ? Néanmoins, il a été élu par une majorité confortable, sans que les conditions électorales soient considérées comme inacceptables ou moins acceptables qu’en Irak, en Arabie Séoudite, en Chine, au Pakistan et dans une série d’autres alliés de “l’Occident”. Quoi qu’il en soit, les milieux européens à Bruxelles seraient irrités devant l’activisme polonais.

Quiconque voyage au Bélarus ne trouvera pas un état totalitaire soviétique en situation lamentable telle qu’une partie de la presse occidentale laisse entendre, mais une population ethniquement unifiée et fort bien formée, ainsi qu’une excellente localisation au centre de l’Europe. Certes, le régime est autoritaire notamment dans le domaine d’information ce qui est évidemment à déplorer, mais c’est ce que les milieux d’affaires préfèrent dans ce pays comme ailleurs. A ma connaissance, les droits de l’homme sont bien mieux respectés que dans beaucoup de pays parfaitement acceptés par les pays de deux côtés d’Atlantique. Il suffit de songer aux pays centre-asiatiques, latino-américains ou de la Caucasie méridionale où sont installées les bases militaires américaines. La manière négative d’agir de l’OSCE à l’égard du pays étonne plus d’un et renforce l’idée de Moscou que cette institution paneuropéenne soit fort orientée en fonction des intérêts de Washington ou le cas échéant de Bruxelles.

Répétons-le : contrairement aux autres PECO, les différences croissantes en termes socio-économiques ne s’observent pas au Bélarus. D’où le soutien de la majorité bélarusse en faveur de Loukachenko ou du moins le peu d’appui à ses opposants; d’où il est peu probable de voir se créer une opposition politique unifiée, même si elle bénéficie de l’aide américaine ou polonaise. Il serait difficile de lancer des “révolutions” de quelques couleurs que ce soient dans le pays. Les gesticulations polono-lituaniennes paraissent un peu « américano-satellitaire », tandis que “l’amitié” très intéressée de la Russie reste évidemment de caractère impérialiste également.

Pourquoi la propagande anti-Bélarus ?

La propagande avant tout américaine et subsidiairement polonaise32 devient menaçante à l’approche des élections présidentielles de mars 2006. Beaucoup perdent, selon moi, toute capacité de réflexion33. Certes, le Bélarus a un régime présidentiel qui dans certains domaines a des tendances autoritaires. Mais observons que rien que dans la région, il n’est pas le seul ! Il suffit de penser aux pays de la Caucasie méridionale ou de l’Asie centrale où il ne s’agit pas de tendances autoritaires mais, purement et simplement, de dictatures qui appliquent des répressions violentes, des tortures, des procès fabriqués, des élections truquées, etc. Or, ces pays sont membres du Conseil de l’Europe et bénéficient du soutien énergique des EUA et un peu plus tiède de l’UE. Rien de pareil au Bélarus. Manifestement, l’ambassade des EUA déploie une activité étendue dans le pays dans le but de déstabiliser à la fois le Bélarus et indirectement la Russie.

Le président actuel et le régime qu’il entretient, ont en tous cas des avantages certains. De plus, il ne laisse aucunement se développer un culte de la personnalité, ni une oligarchie des riches capitalistes à l’instar des autres PECO. Son régime n’est jusqu’ici pas la « dernière dictature de l’Europe », heureusement loin de cela. Le Front populaire bélarusse qui porte le nom « tous unis contre Loukachenko » se réunit, en 2006, autour de la candidature présidentielle d'Alexandre Milinkevitch. Le Front s'inscrit dans la tradition des mouvements politiques dissidents des dernières années de l'URSS. Le Front est aujourd'hui membre de la coalition des Forces démocratiques unifiées, qui présentent un candidat unique face à Loukachenko lors des élections présidentielles de mars 2006. En réalité, tous les candidats ont pu apparaître à la télévision d’Etat pendant la campagne électorale.

D’origine polonaise, le candidat Alexandre Milinkevitch reconnaît cependant que “l’opposition bélarusse reçoit quelques aides de pays démocratiques, européens ou des EUA, mais c’est minuscule par rapport aux besoins... nous avons besoin du soutien psychologique, moral et financier de l’extérieur”. Les agissements de la diplomatie polonaise en Bélarus paraissent vains et parfois douteux, même s’ils bénéficient de l’appui de Washington : soutien à une association des Polonais du pays qui ne représente que 5% des intéressés, aide active au candidat Alexander Milinkiewicz (en bélarusse : Milinkevitch) président d’honneur de cette association, appui à l’opposition qui désapprouve la mise en place de la confédération entre la Russie et le Bélarus, etc. Le gouvernement polonais autorise et soutient une émission de TV vers le Bélarus afin de diffuser les « nouvelles vraies et libres ». L’émetteur est sous la direction de Polonais bélarusses « dissidents » mais les douze journalistes qui y travailleront habitent au Bélarus. Ce dernier aspect semble indiquer que la répression de Loukachenko ne doive pas être écrasante.

Comme on le sait, Loukachenko réélu du Bélarus atteint un résultat dépassant 83%, alors que les prévisions étaient de l’ordre des deux tiers des votants. Il n’est pas invraisemblable qu’il favorisât, « administrativement », ses résultats. Encore qu’il ne faille pas exagérer le phénomène. L’opposition parla de restriction à l’accès routier à la capitale pendant les manifestations. Or, les témoignages directs n’ont fait état d’aucune restriction et les trains ont normalement circulé, sans présence de forces d’ordre aux gares de Minsk34.

up down

Au-delà de la propagande de « guerre froide » 35

Le Bélarus se trouve aujourd’hui dans la zone de turbulence maximale du continent européen, l’axe mer Baltique-mer Noire ou plus précisément pour les géographes, l’isthme Kaliningrad - Odessa. Cette zone dont le caractère slave est l’élément unifiant comprend : la Pologne, les Républiques baltes, l’Ukraine et le Belarus est soumise, mais ce n’est pas la première fois dans l’histoire, à un véritable lutte géopolitique depuis la disparition de l’URSS. La Pologne et les républiques baltes ont rejoint l’OTAN puis l’UE et sont donc polarisées avec des liens militaires et idéologiques étroits avec les EUA.

Indépendant, le Belarus hésite sur la voie à suivre. Sur le plan économique, il s’engage lentement dans la privatisation. Sur le plan politique, le Belarus tient, à l’inverse des républiques baltes qui veulent consommer au plus vite la rupture avec la Russie, à conserver des liens amicaux et de bon voisinage avec les ex-républiques soviétiques. Ce lien sera institutionnalisé par la création de la CEI (Communauté des Etats Indépendants) qui est fondée, et ce n’est pas un hasard, à Minsk (capitale du Bélarus) en 1992 et regroupe toutes les républiques de l’ancienne URSS à l’exception des trois républiques baltes. Les conséquences dramatiques de l’entrée brutale du capitalisme qui a eu lieu chez les voisins polonais, russe et ukrainien : hyper-inflation, dépeçage des industries d’Etat, écroulement des services sociaux, corruption, chômage...Des Bélarusses s’en méfient. La population ne se précipite pas à exiger des « réformes ».

Le cas Bélarus devient, dés cette date, un cas original dans le monde ex-soviétique. Un homme relativement jeune arrive au pouvoir alors que les dirigeants ex communistes sont restés en place au Kazakhstan, en Georgie, en Ukraine, au Turkménistan, en Ouzbékistan... sans oublier la Russie où Eltsine ou Poutine est tout sauf un nouveau venu dans les allées du pouvoir. Mais là ne s’arrête pas l’originalité bélarusse. Son administration décide de conserver les acquis et, au lieu de mettre à bas l’édifice social et économique existant, ils décident de l’améliorer : pas de suppressions des kolkhozes et des sovkhozes, maintien et modernisation des entreprises étatiques, maintien d’une planification centralisée. Ce choix clair et unique commence à gêner le monde capitaliste. Celui-ci concentre son intervention: introduction à marche forcée de la liberté d’entreprise sur de plus grandes économies: Russie, Ukraine et ne l’oublions surtout pas, l’ex-Yougoslavie.

Les armes nucléaires soviétiques installées sur le territoire bélarusse sont déménagées vers la Russie. Malgré des critiques probablement fondées sur la qualité un peu « dirigée » du système électoral, Lukachenko est réélu en 2001 et le soutien électoral massif qu’il a encore obtenu en mars 2006 est d’abord la sanction d’une réussite économique et sociale. En 2007, le PIB par habitant est plus élevé que ceux de ses voisins européens : en Russie, en Pologne ou dans les républiques baltes qui ont souffert de l’invasion du capital qu’apportent leurs adhésions à l’UE. Les villes sont propres comparées à Moscou ou à Kiev et les citoyens en sont fiers. Pas de corruption, ni des bandes mafieuses ou oligarchiques ! Le Bélarus pays pauvre en matières premières a une industrie de transformation compétitive, ne fût-ce que par rapport à la Russie, et une balance commerciale excédentaire : ses principaux clients : la Russie et la Chine. Dans la CEI, il reste le premier producteur de tracteurs, de machines-outils, de téléviseurs, de réfrigérateurs et de chaussures... Les Bélarusses consomment 3 fois plus de viande et 2 fois plus de laitages par tête que les russes et les ukrainiens. Les retraites sont les plus élevées de la CEI.

Autant de données qui expliquent que les électeurs bélarusses auraient d’abord voté pour une réussite économique et pour une politique qui n’a pas dramatiquement creusé les inégalités sociales et qui n’a pas engendré une couche de nouveaux milliardaires. Les exemples sont là comme en Russie ou en Ukraine, ainsi que dans les PECO ou pays de la Caucasie méridionale. Si l’on ajoute que le Bélarus n’a pas l’intention d’entrer à l’OTAN, qu’il ne demande pas d’aide financière au FMI et à la BM, que son budget est en équilibre, qu’il n’accepte que très parcimonieusement les investissements étrangers dans le cadre de la planification économique centrale et tout en conservant la majorité du capital dans les entreprises même partiellement privatisées, on voit que toutes les conditions sont réunies pour que le régime actuel soit désormais bon pour être contesté par les intérêts stratégiques et économiques euro-américains.

Le Bélarus est-il isolé ? Peut-être de « l’Occident » et lequel ?

Le Bélarus fait partie du mouvement des non-alignés et le président participe au sommet de 160 pays du mouvement à La Havane et dont le Venezuela qui lui procure une certaine indépendance énergétique. Il a le soutien de la Russie, avec laquelle sa frontière est ouverte permettant la libre circulation des travailleurs entre les deux pays, et celui de la Chine. Ses adversaires les plus résolus sont Washington et ses alliés: la Pologne et la Lituanie (le centre nerveux des opposants se trouve à Vilnius, à quelques kilomètres des frontières occidentales), l’Ukraine et la Georgie. Les manifestants de la place centrale de Minsk sont formés dans les mêmes officines que les « révolutionnaires oranges » d’Ukraine y compris au maniement des explosifs : des attentats dans les bureaux de vote étaient programmés mais ils ont été déjoués par les services de sécurité. Les observateurs occidentaux un peu lucides et qui ne sont pas simplement destinés au conditionnement de masse ont admis que la réussite économique du régime rendait impossible un échec électoral de Loukachenko.

Tandis que, la satisfaction des milieux « euro-atlantiques » a été sans mesure quand Saakashvili, qui se comporte de plus en plus comme un tyran et laisse son peuple dans la misère, a été élu président de la Georgie avec 97 % des voix. Satisfaction presque égale d’ailleurs, lorsque son prédécesseur alors favori de Washington avait obtenu 92 % des voix en 1992. Satisfaction encore quand Bakiev a obtenu 89% des voix en Kirghizie en 2004. Peu de critiques sur les dernières élections législatives en Ukraine alors que les listes électorales ont oublié plus d’électeurs dans les régions de l’Est – favorables à l’opposition – que dans les régions de l’Ouest favorables au régime actuel. Mais, pour le chef des observateurs de l’OSCE, le polonais Marek Siwieç, ancien chef des services d’espionnage, tout se passe bien36.

Les sanctions de l’UE contre le Bélarus se justifieraient directement par la grève de faim d’un des candidats aux élections présidentielles de mars 2006 et emprisonné. Curieusement, l’Ukraine ne subit aucune sanction alors que le Conseil de l’Europe dénonce, une fois de plus, des violences au cours des enquêtes et mêmes certains cas de torture dans les prisons ukrainiennes. D’origine polonaise, l’opposant bélarus Alexandre Milinkevitch a accompli son deuxième voyage semi-officiel en France à la fin mai 2006 et obtient le prix Sakharov du Parlement européen. Est-ce un vrai régime policier qui autoriserait des voyages du chef de l’opposition à l’étranger ? Il reste cependant à remarquer que Milinkevitch déclare que « la neutralité inscrite » dans la constitution de son pays devra à son avis « être préservée ».

L’union entre deux pays ou l’union de deux pays ?

Depuis 2004, Gazprom augmente le prix du gaz naturel livré au Bélarus. Ces augmentations constituent une pression sur les autorités de Minsk pour qu’elles acceptent de vendre le réseau de gazoducs du pays qui d’ailleurs se trouvent déjà en location en faveur de Gazprom. Minsk continue apparemment à refuser cette vente. D’ailleurs, Moscou semble vouloir accélérer l’union entre les deux pays, l’union pour laquelle l’enthousiasme de la population (favorables ±10%) et des dirigeants bélarusses s’avère fort limitée. Les Bélarusses jouent avec le feu en s'exposant à des mesures de rétorsion de la part de la Russie qui a menacé de revenir sur les accords d'union douanière entre les deux pays, alors que le Bélarus exporte 90 % de sa production (téléviseurs, camions, tracteurs) vers son grand voisin.

A mi février 2007, le Bélarus annonce une augmentation le prix du transit du pétrole russe de plus de 30 % via son territoire. Le prix augmentera de 34,6 % pour la branche nord de l’oléoduc Droujba, qui dessert la Pologne et l’Allemagne, et de 31,6 % pour la branche sud, qui approvisionne la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque. L’annonce n’a pour l’instant suscité qu’une réaction mesurée côté russe. Les nouveaux prix seront de 2,7 euros par tonne de pétrole sur la branche nord et de 1,2 euro sur la branche sud. En mars 2007, le Bélarus et la Russie signent un accord de coopération économique et commerciale afin de supprimer les restrictions imposées aux entreprises russes exportant en particulier bière, tabac, poissons et produits de la mer et de mettre un terme aux discriminations dont les entreprise russes auraient été victimes, notamment en supprimant les subventions aux prix des biens produits par les entreprises bélarusses.

Entré en vigueur le 1er janvier 2007, l’accord russo-bélarusse se traduit donc par une hausse du prix du gaz importé de 46 à 100 dollars les 1 000 m3. Si le niveau reste inférieur aux 260 dollars facturés à l’Ouest européen, le groupe russe Gazprom a obtenu 50 % de Beltransgaz, la société publique biélorusse qui gère les flux de gaz vers l'Europe. Le tarif du transit de gaz russe par le Bélarus a été relevé de 75 à 145 dollars par 1 000 m3 de gaz transportés sur 100 kilomètres. Minsk a donc dû renoncer à son monopole sur l'acheminement du gaz pour ne pas être victime, comme l'Ukraine durant l'hiver 2005-2006, d'une guerre des prix qui avait conduit la Russie à suspendre ses livraisons. Même si le premier vice-premier ministre bélarusse Vladimir Semachko a promis, le 2.1.2007, que la hausse du prix du gaz serait prise en charge par les entreprises et n'entraînerait pas celle du coût des services domestiques. L'économie bélarusse serait contrôlée à 75 % par l'Etat ce qui rend plus aisé à mieux répartir des charges nouvelles.

Le gouvernement bélarusse effectue, d’habitude, d'importantes augmentations annuelles de salaires, ainsi que, d’une façon judicieuse, il subventionne les entreprises d'Etat et investit massivement. En 2007-8, la situation pourrait dans une certaine mesure se détériorer. Les importations énergétiques à prix assez bas coûteront désormais davantage et les prix énergétiques risquent d’augmenter d’année en année d’ici à la fin de la décennie pour atteindre le niveau ouest-européen. A cela s'ajoute la décision de Bruxelles de mettre fin aux droits de douanes réduits favorisant les exportations bélarusses en raison du non-respect du droit syndical dans ce pays. La fin de ce système généralisé de préférences, qui prend effet en juin 2007, correspondrait à un manque à gagner de € 400 millions.

Voulant «en finir avec un système paternaliste hérité du passé soviétique», selon les propres termes du vice-ministre russe des Affaires étrangères, le gouvernement russe (au nom du monopole Gazprom) négocie depuis deux ans, voire impose à certains ex-pays frères, comme l'Ukraine, la Moldova ou la Géorgie, une hausse des prix du pétrole et du gaz, afin de les aligner sur ceux du marché mondial, s’ils existent pareils. Le Bélarus a signé avec la Russie un traité d'union, mais n'a pas été épargnée fin 2006. Ponctué par des ultimatums de part et d'autre, l'affrontement a duré jusqu'à la mi-janvier 2007, malgré l'accord signé sur le gaz entre les deux pays, quelques heures avant le 31 décembre 2006, Minsk faisant de la surenchère. A la hausse des prix du gaz et des taxes sur le pétrole russe raffiné au Bélarus demandées par Moscou, Minsk répondit en exigeant l’instauration, à compter du 1er janvier 2007, d’une taxe sur le pétrole russe destiné à l’Europe et transitant par son territoire. Pour se faire mieux comprendre, le Bélarus décidait de fermer l'oléoduc Droujba (Amitié)37, qui achemine le pétrole vers l'Europe, et notamment l'Allemagne et la Pologne, la Russie l'accusant alors d'avoir programmé cette opération.

Mais les couteaux ne sont pas complètement rentrés La Russie et le Bélarus. Si Minsk continuera à recevoir, en contrepartie du transit, 4,5 milliards d’euros par an, ces recettes suffiront-elles pour maintenir le régime en place, d'autant que son rôle de pays de passage pourrait être compromis par certains projets, comme celui du gazoduc Russie-Allemagne via la mer Baltique ? Quel est le but de cette confrontation qui va en fin de compte coûter économiquement et socialement au Bélarus plus qu'elle ne va lui rapporter ? Pour quelles raisons la Russie continuerait-elle à favoriser Alexandre Loukachenko, qui mène une politique d’autonomie, tient à l’écart les multinationales russes et brandit même la carte de la souveraineté nationale en matière énergétique ? A moins que ne se prépare au Bélarus, en douceur, une alternance politique voulue par Moscou, ce que n'exclut d'ailleurs pas l'opposition biélorusse ?

Cette affaire a suscité à nouveau bien des inquiétudes (fausses ou hypocrites) en Europe centrale et occidentale, du fait surtout de la fermeture momentanée de l’oléoduc Droujba, et ce pour la première fois depuis sa mise en service en 1973. A peine installée aux commandes de l’UE, l’Allemagne, par la voix d’Angela Merkel, a estimé que «la confiance avait été brisée», reprochant à Moscou de ne pas l'avoir informée, au moment même où devait reprendre l’étude des modalités d’un nouvel accord de partenariat UE-Russie, notamment en matière énergétique, après le veto polonais, au sommet d'Helsinki en novembre 2006. Lors de sa rencontre avec le président russe Poutine, à Sotchi, en janvier 2007, elle insiste sur la nécessité de mettre en place des «mécanismes précis» de communication, afin d’éviter des tensions. La réponse de Poutine est affirmative pour un partenariat, mais négative à un «parasitage» des ressources et des réseaux russes.

La dépendance européenne à l'égard des livraisons russes de pétrole est estimée à 30 %, mais ce taux s’élève pour la Hongrie et la Slovaquie respectivement à 83,5 % et 82,2 %, et à 77 % pour la Pologne. Cette dernière dispose d’importantes réserves, mais doit néanmoins procéder à une diversification de ses approvisionnements. D’où un regain d’intérêt pour le projet polono-ukrainien de construction d’une conduite qui acheminerait le pétrole kazakhstanais du terminal pétrolier d’Odessa, sur la mer Noire, jusqu’à la raffinerie polonaise de Plock et qui avait achoppé sur l’absence d'appui européen. Ce dernier étant désormais acquis, une firme polono-ukrainienne a été désignée comme maître d'œuvre.

A peine terminée la brouille russo-bélarusse, la tension est montée d'un cran entre Moscou et Varsovie. Etant donné le projet de gazoduc Russie-Allemagne, à travers la Baltique (Ostsee-Leitung), qui évite le territoire polonais, le monopole russe Gazprom – lequel détient 48 % d'EuRoPol, propriétaire du tronçon polonais du tube reliant la Russie à l'Europe - semble en effet ne plus être favorable à la construction d’une seconde conduite, doublant celle déjà en service. En République tchèque, où les besoins en pétrole sont couverts à hauteur de 49,3 % par la Russie, l'arrêt des livraisons n’a pas provoqué de panique. Ce ne fut pas non plus le cas lors de la panne, en Ukraine, des stations de pompage de l’oléoduc, en raison d’une violente tempête, en janvier 2007, Prague disposant de réserves équivalant à 102 jours de consommation, la norme établie par l’UE étant de 90 jours. En Slovaquie, la fermeture de Droujba s’est soldée pour le raffinage par un déficit égal à quatre jours de consommation.

Il y a ces coïncidences qui frappent l’esprit. Les sanctions appliquées contre le Bélarus par l’UE et ses alliés outre-atlantiques se joignent à la dureté des négociations entre Moscou et Minsk et à ses conséquences économiques. Serait-on devant une stratégie convergente entre Bruxelles, Washington et Moscou pour obliger Minsk à libéraliser, à privatiser et à désétatiser ? Faisant suite à l’achat de 48 avions de chasses américaines par la Pologne, la Russie installe un nouveau système de défense anti-fusées à la frontière occidentale du Bélarus. Grâce à ce système qui complète trois autres déjà là, l’armée russe élargit son rayon d’actions de 400 kilomètres. Au début de novembre 2007, le premier ministre chinois rend visite à Minsk. Cette visite est précédée de quatre autres de Loukachenko à Beijing. La Chine accorde un crédit de $ 500 millions pour construire notamment trois cimenteries. On peut se demander quelle est la stratégie de la Chine en finançant ce type d’opération ?

Vers la mi-décembre 2007, la rencontre entre Loukachenko et Poutine annonce une intégration du Bélarus à la Russie, surtout dans le domaine économique et militaire. Cette intégration exclut, à présent du moins, un rapprochement institutionnel entre les deux pays, par exemple une union douanière. Rappelons cependant l’acquisition de 50% de Beltransgaz bélarus par Gazprom en 2006. De plus, plus récemment, le secteur bancaire russe a renforcé sa prise sur le même secteur au Bélarus (Banque du commerce extérieur et Banque Belros bélarusses par la banque russe Minsk-Moscou). La Russie met à la disposition du Bélarus un crédit de stabilisation de $ 1,5 milliard. La mobilité des travailleurs entre les deux pays est totalement libre. A l’occasion de cette rencontre, les deux présidents ont signé un accord en vertu duquel la sécurité du réseau ferroviaire du Bélarus est désormais assurée conjointement par les armés des deux pays ! Enfin Loukachenko assure Poutine que son pays soutient la Russie contre les EUA au sujet du système d’anti-missiles à implanter au centre de l’Europe.

up down

Conclusions et appréciation

Le pays est soumis à un rapport de force particulier entre Washington et Moscou, ainsi qu’avec certaines capitales de l’UE, notamment Berlin, Varsovie et Vilnius. Ces deux dernières tentent de l’arracher à la Russie afin d’affaiblir cette dernière, avec le soutien explicite de Bruxelles et de Washington. Avec un simplisme qui n’étonne plus, Washington considère le régime au Bélarus comme “la dernière dictature dure et pure” de l’Europe. Il aide directement et indirectement certains partis d’opposition et certaines ONG bien particulières dans un but de déstabiliser le pays. Il existe certes une vraie opposition au projet de construction d’une centrale nucléaire dans le pays, opposition sans soutien quelconque. Mais qui s’en soucie en « Occident » ?

Il appert clairement que la stabilisation du pays dans la zone d’influence russe pourrait être de l’intérêt de l’UE dans la mesure où elle n’a aucun intérêt particulier à défendre dans cette partie de l’Europe : ni de sécurité, ni d’intérêts économiques. Ce n’est certes pas la position des EUA. L’espace militaire entre la Russie et le Bélarus est unifié depuis 2001. Par ailleurs, il se confirme que, au moment de la fin en 2008 de son mandat russe, le président Poutine pourrait éventuellement devenir le président de la future confédération russo-bélarusse à mettre encore en place. Il faut se rappeler à ce propos qu’au début d’avril 2006, le secrétaire d’Etat russe chargée des questions de la confédération annonce un calendrier selon lequel l’union douanière se réalisera vers 2007, puis un référendum s’organisera sur l’opportunité de se confédérer en 2008 et pour terminer des élections parlementaires seront finalement organisées.

On peut se demander si la politique suivie par l’UE est bien fondée et n’est pas trop influencée par les seuls intérêts de Washington, peu respectueux des ceux des populations concernées par sa politique. Une politique plus équilibrée vers Minsk, qui en ferait un allié, serait sans doute dans l’intérêt de l’UE en vue de ses négociations avec la Russie. Une telle politique pourrait également contribuer à favoriser mieux le bien être socio-politique tout aussi bien que les droits humains de la majorité de la population bélarusse et ce, au lieu de soutenir des personnalités peu significatives et des démarches partisanes. Quoi qu’il en soit, l’UE décide enfin d’installer une délégation à Minsk en février 2008.

A l’instar du capitalisme atlantique, les groupes financiers russes souhaitent beaucoup que les privatisations se fassent dans le pays, mais Loukachenko y résiste jusqu’ici avec succès. Il est ainsi parfaitement possible d’admettre une hypothèse à savoir : les sanctions appliquées contre le Bélarus par l’UE et ses alliés outre-atlantiques se joignent à la dureté des négociations entre Moscou et Minsk et à ses conséquences économiques. Serait-ce une stratégie convergente entre Bruxelles, Washington et Moscou pour obliger Minsk à libéraliser, à privatiser et à désétatiser, puis on verra … ?

up down

Bibliographie

ABELSKY, Paul, The Pragmatic Option, in : Russie Profile, n° 8, 2005.
ACHCAR, Gilbert, L’OTAN à la conquête de l’Est, in Le Monde Diplomatique, Janvier 2003.
ANTONENKO, Oksana, Assessing the CIS - Beginning of the End or End of the Beginning?, in: Special to Russia Profile, 14.2.2006.
BELARUS – unbekannte Mitte Europas, Europäische Humanistischen Universität Minsk – Robert Bosch Stiftung, Minsk, 2004.
BELMONTE, Pasquale, Quanto polacca è la Bielorussia?, in: LIMES, 2006/1.
BILLETTTE, Alexandre & J.-A. DERENS, Pourquoi …. se croit-il à l’abri ?, in : Le Monde Diplomatique, mars 2006.
BORODIN, Pavel, Ensuring Equal Rights for Citizens in Union State, in: Russia Profile, janvier-février, 2007.
BREMER, Thomas, Alexander Lukaschenko, in: Ost-West-Europäische Perspektiven, 2004/2.
BRUMSKI, A., The Road to Minsk, in: New York Review, January 30th, 1992.
CALABUIG, Erlende, La Bélarus resurgit sans précipitation, in Le Monde Diplomatique, Mars, 1993.
CASTEL, Viviane de, Biélorusse : une indépendance à la dérive - Un nouveau défi pour l’Europe de demain, L’Harmattan, Paris, 1999.
CHAUVIER, J.-M., Une perestroïka de "deuxième type", in Le Monde Diplomatique, Avril, 1990.
Conséquences pour la santé de l’Accident de Tchernobyl – Résultats d’un suivi de 15 ans, 3e Conférences Internationales, 2001, frederic.loore@euronet.be.
CROSNIER, M.-A., Bélarus 1997, in Le Courrier des pays de l’Est, n° 428-429, mars-avril, La Documentation Française, Paris, 1998.
idem & Gicquiau, H., Bélarus, in Le Courrier des pays de l’Est, n° 397-398, mars-avril, La Documentation Française, Paris, 1995.
COURRIER DES PAYS DE L’EST, LA LETTRE DU, N° 31, janvier 2007
Courrier des pays de l’Est, Le: La Russie et les autres pays de la CEI en 2007, n° 1065, janvier-février, 2008 ;
Idem, La Russie et les autres pays de la CEI en 2006, n° 1059, janvier-février, 2007.
Idem, « Europe centrale et orientale 2006-2007 », n° 1062, juillet-août 2007 ;
Idem, La Russie et les autres pays de la CEI en 2005, n° 1053, janv.-fév. 2006.
DE BONIS, Mauro, O Bielo o Russi, in: LIMES, 2006/1.
DRZEWSKI, Bruno, Petit Parlement Bielorussien (le) les Bielorussiens, L’Harmattan, 2002, Paris.
Idem, Les paysages politiques du post-communisme, in Rey, Violette (sous la direction de), Les territoire centre-européens - Dilemmes et défis – L’Europe médiane en question, La Découverte, Paris, 1998;
idem, La Pologne et le poids de son histoire, in Transitions, vol. XXXVII, n° 2, 1996;
idem, Bélarus: le dilemme de l’indépendance, in Ukraine, Bélarus, Russie, Trois Etats en construction, La Documentation Française, Paris, 1995;
idem, Bélarus : le culte de la personnalité revient à la mode, in La Nouvelle Alternative, n° 38, Juin, 1995;
idem, La Bélarus, Que sais-je, N° 2775, PUF, Paris, 1993.
Ecole Normale Supérieure, Semaine culturelle de l’Ukraine et la Bélarus (organisé par Hanna Murauskaya) en mars 2006.
Economist Intelligence Unit, The, Belarus, 2006.
FEDOR, Helen (sous la direction de), Belarus & Moldova, country studies by the Federal Researche Division of the Library of Congress, Lanham, Maryland, January, 1996.
GUICHERD, Catherine, Ukraine, Bélarus et Moldova: entre l'Union élargie et la Russie, in: Politique étrangère, juillet - septembre, 2002.
GOUGEON, Alexandra, Violences physiques et morales en Bélarus, Diagonales Est - Ouest, n° 60, Juillet-août 1998.
GOUJON, A., (propos recueillis par), La faculté franco-Bélarusnne, in La Nouvelle Alternative, juin, 1997;
idem, Bélarus : la consolidation de l'ordre présidentiel, in La Nouvelle Alternative, décembre 1996;
idem, Bélarus : l'autorité présidentielle au coeur de la vie politique, in La Nouvelle Alternative, mars 1996.
GUICHER, Catherine, Ukraine, Bélarus et Moldova : entre l’Union européenne et la Russie, in : Politique étrangère, n° 3, 2002.
HEIDENHAIN, Stephan, Kommunistische Revanche in Weissrussland – Die Analyse des früheren Präsidenten Schuschkjewitsch, in : NZZ, 2/3.8.2003.
LAGVINETS, A., La démocratie en Bélarus, in La Nouvelle Alternative, septembre 1995.
La Nouvelle Alternative, Bélarus: Charte 97 & Nouvelle polémique sur la République populaire de Bélarus, n° 50, juin 1998.
Le gouvernement biélorusse s’attaque aux syndicats indépendants - La mise au pas du Syndicat des travailleurs de la construction automobile et de machines agricoles, in : LE MESSAGER SYNDICAL, Janvier 2004, n°25 (Bulletin d'informations sur le mouvement syndical en Russie), Denis Paillard, CNRS, Université Paris 7.
Alexandre Loukachenko : "l'OTAN est une organisation illégale", entretien avec CHRISTOPHE CHATELOT, in : Le monde, 20.07.2007.
MARCHAND, Pascal, Atlas géopolitique de la Russie, Autrement, Paris.
MARGOLINA, Sonja, Zaungäste – Die Ukraine und Weissrussland im Dilemma zwischen Europa und Russland, in : NZZ, 11.4.2006.
MISZCZAK, Krzysztof, Polens Aussenpolitik als Kunst der Balance - Europäische und amarikanische Interesse im Visier, in: NZZ, 4.9.2003.
MITROVA, Tatyana, Russia and Belarus Face Off Over Transit Rights and Cost, in: Russia Profile, mars 2007.
MONTIG, Tatjana, Nation im Ghetto – Eine schmale Elite kämpft gegen die politische und kulturelle Entmündigung, in : NZZ, 23.9.2005.
NIGG, Patrick, Verdienen und Dazuverdiennen in Minsk, in : NZZ, 12.5.2004
NZZ, Grossangriff Lukaschenkos gegen die Medien, 10.4.2008;
Idem, Erste Krisensymptome in Weissrussland – Lukaschenko mit geringem Reformwillen, 4.6.2007 ;
Idem, Russland trifft Weissrusslands Lebensnerv & Lukaschenko – kein reriöser Partner f¨r Putin, 10.1.2007;
Idem, Weissrussland – ein soderbares Wunderkind, 28.12.2006 ;
Idem, Preisschock für Lukaschenko, 3.4.2006.
Idem, Lukaschenko kontraproduktive Polenpolitiek ; 3.4.2006.
OREL, Anatolij, Senza Mosca si può morire, in: LIMES, 2006/1
Ost-West-Europäische Perspektiven, Schwerpunkt: Weissrussland, 2004/2.
PEEL, Quentin, EUROPA: Ukraine and Belarus show limits of EU influence, in: FT, 28.3.2006.
PIEHL, Ernst, P.W. SCHULZE & Heinz TIMMERMANN, Die offene Flanke der Europäischen Union. Russische Föderation, Belarus, Ukraine und Moldau, BWV-Verlag, Berlin, 2005.
Questions internationales, L’UE et ses nouveaux voisins de l'Est : Ukraine, Bélarus, Moldova, Dossier réalisé en juillet 2006.
RIETSCH, Petra, Weissrussland - Länderprofil für Investoren, in: Wirtschaft und Recht in Osteuropa, 20 August 1993.
Russia Profile, Ensuring equal rights for citizen in Union State, by Pavel BORODIN, secretary of the Russia-Belarus Union State, Janvier-Février, 2007.
Samovar, L’ébullition: Bélarus, avril-mai-juin 1999.
SCHNEIDER-DETER, Winfried & autres, Die Europäische Union, Russland und Eurasien. Die Rückkehr der Geopolitik, Berliner Wissenschafts-Verlag, Berlin, 2008.
SIEBERT, Diana, Bäuerliche Alltagsstrategien in der Belarussischen SSR (1921-1941), Steiner (Franz), Wiesbaden, 2007.
SCHMID, Ulrich, Droht in Weissrussland eine Lukaschenko-Dynastie ?, in : NZZ, 29.3.2007.
SNYDER, Timothy, The Reconstruction of Nations - Poland, Ukraine, Lituania, Belarus - 1569-1999, Yale University Press, New Haven & London, 2003.
SUSSMAN, Gerald, U.S. Intervention in Eastern European Elections, in : Monthly Review, décembre 2006.
SYMANIEC, Virginie, Bélarus: L’élite et le pouvoir ou le pouvoir de l’élite, in La Nouvelle Alternative, n° 49, mars 1998;
idem, Bélarus: chronique d’un été minskois, in La Nouvelle Alternative, n° 47, septembre 1997.
The Baltic Times, Editorial : STICK CLOSER TO HOME, 14 août 2003.
idem, Lithuanien uneasy about relations with Belarus, 17-23 Juillet 2003
The Economist, On the border and on the brink - A thrilling election in Ukraine, a sad referendum in Belarus, and what they mean for Russia and the West, 30.10.2004.
TIMMERMANN, Heinz, Belarus im Zeichen von Restauration und Reaktion, in Europäische Rundschau, n° 2, Frühjahr, 1997.
TOLEDANO LAREDANO, Emma, Les relations entre l’UE et la Bélarus entre 1991 et 2001, in Transitions, vol. XLII - 2001, n° 1.
TURCO-SORRIEUL, Laetitia, Une propagande télévisée comme au temps de l'URSS, in: Diagonales Est-Ouest; n° 34, Juillet-Août, 1995.
WALKER, Shaun, Flyinf Red-and-Green Flag, in : Russie Profile, n° 8, 2005.

up down

2.3 La République Moldava, russe ou roumaine, … ou encore américaine ?

Enclavée entre la Roumanie et l’Ukraine, la République Moldava subit actuellement les „sollicitations” de l’UE, des EUA et même de la Pologne et de l’Ukraine. La Russie entretient une base militaire et soutient la sécession d’une partie du territoire moldave. Tous ces “bienfaiteurs” des Moldaves visent évidemment la manière la plus directe de contrôler le pays. En raison de l’enclavement, il constitue un enjeu indirect quant à l’élargissement et à la garantie de l’accès à la mer Noire.

En 2004-5, les EUA décident d’intervenir plus activement dans la “recherche de paix” dans ce pays divisé en deux, alors que l’UE y avait été déjà fort active antérieurement. Grâce au PPP, Washington s’assure une présence militaire américaine. Les deux parties du pays sont dirigées par des ex-communistes dont l’un serait pro-occidental, tandis que l’autre pro-russe. Les EUA ouvrent un budget visant à financer des efforts dans les domaines d’“état de droit, démocratie et citoyenneté”, autrement dit de propagande et de soutien à certains groupements. Le succès jusqu’ici serait modeste en raison de complicités multiples entre les dirigeants des deux parties du pays et de l’Ukraine.

Les élargissements de l’UE de 2004 et 2007 posent une série de défis complexes, notamment la compensation des écarts de développement, la gestion des flux migratoires et le contrôle de la criminalité. Au delà, elle soulève la question des frontières ultimes de l’UE et ce, dans le triple contexte de l’élargissement de l’UE, des efforts « euro-atlantiques » de Washington et des progrès du « partenariat euro-russe ». Enfin, l’instabilité territoriale, les liens complexes roumano-moldaves et le débat autours des strcutures internes du pays conditionnent loitrdement la position géopolitique de la République moldave.

up down

Evolution des frontières incertaines et du contexte économique, religieux et multiethnique

La république en français porte parfois le nom de Moldova. Il serait certes plus indiqué alors d’utiliser le vocable Moldava, car la Moldova est en fait une région (une ancienne principauté) de l’actuelle Roumanie. Mais l’usage fait loi. Quoi qu’elle soit roumanophone à raison de 60% de ses habitants, la population a rejeté la proposition référendaire d’unir le pays à la Roumanie en 1994. 94% de la population se déclarent encore moldaves en 2005. Beaucoup de Moldaves sont bilingues roumain-russe et se considèrent volontiers comme des “Roumains soviétiques”, ou cultivent de doutes identitaires.


down

Carte 8. La République de Moldova


Source : Le gouvernement de Chişinău

La Moldova se situe au sud-est de l’Europe. Le tracé de la frontière qui sépare actuellement Roumanie et Ukraine remonte à la décision par les soviétiques d’annexer en 1940 le Bucovine du Nord et la Bessarabie. De plus, ayant perdu en août 1940 les 4 ports de la Bessarabie : Reni, Izmail, Chilia/Kiliya et Cetatea Albă/Bilhorod-Dnistrovskyi rattachés à l'Ukraine, elle devient un pays enclavé entre la Roumanie et l'Ukraine, englobant les régions historiques de Bessarabie38 et de Podolie méridionale, dite Transnistrie en roumain. Elle compte 3,5 millions d’habitants, selon le recensement de 2004, en baisse de 200 à 300.000 habitants (pour la plupart, expatriés) par rapport à 1989. La Moldova est membre signataire de l'Accord de libre-échange centre européen, système mis en place avec l’UE, et du GUAM, organisation pour « la démocratie et le développement » créée avec le soutien des EUA.

Le relief un peu élevé dans le nord forme dans le sud une plaine au sol fertile et faiblement ondulée. Les plus longs fleuves et aussi les plus importantes sources d’eau sont le Nistru/Dniester (660 km en Moldova sur le total de 1345 km), avec un de ses affluents le Prout (695 km en Moldova sur une longueur totale de 967 km). La frontière de la Moldova longe le Danube sur quelques centaines de mètres à l’extrême sud du pays ce qui lui donne en principe un accès indirect à la mer Noire. La Moldova envisage de construire le port de Giurgiulesti, alors que par de simples accords économiques, elle pourrait avoir accès au ports roumains ou ukrainiens directement reliés à son réseau routier et ferroviaire. La superficie du pays est quasi équivalente à celle de la Belgique.

La République était le principal fournisseur de vin, de légumes et de fruits pour les anciennes pour les anciennes républiques soviétiques. Après la décomposition de l'URSS en 1991, elle est devenue un des pays les plus pauvres d'Europe. La perte de certains marchés traditionnels, la dépendance énergétique au gaz russe, et la sécession de la « république » autoproclamée Transnistrie, ont provoqué la chute du PIB. L’économie noire est évaluée à près de 40 % du PIB. La Moldova est considérée comme étant le pays le plus pauvre d'Europe en 2007. Le gouvernement moldave assure un salaire minimum de seulement € 28, alors qu’en Roumanie, il s’élève à € 160. Depuis quelques années, le pays enregistre une croissance respectable du PIB, reposant jusqu’à un certain point sur les transferts financiers des Moldaves de l’étranger, qui représentent un demi-million de personnes environ. 70% des immigré-es seraient des femmes destinées à la traite blanche. Entre la Roumanie et la Moldova, les réseaux téléphoniques et énergétiques sont unifiés.

Seccession ou autonomie

Deux situations se présentent dans le pays : une seccession et une demande d’autonomie. En plus, beaucoup de citoyens de la république en sécession ou non disposent d’un passeport moldave, ukrainien ou russe qui leur permet de voyager à l’étranger.

Il existe au-delà de Dniester/Nistru à l’est, "République autoproclamée de Transnistrie" avec sa « capitale » Tiraspol. Ses autorités exigent la création d'une confédération rassemblant la Moldova, la Transnistrie et la communauté gagaouze (Turcs de religion chrétienne orthodoxe, de la région de Komrat). La population de cette « république » est partagée entre 60% russophones et 40% roumanophones. Les relations de Chisinau avec les autorités de la région transniestrienne restent tendues. La présence des 12 000 soldats de la 14e armée russe stationnée en Transnistrie constitue un élément majeur de la condition du pays. Quelque 70 000 Russes qui y vivent, ne facilitent guère l’absorption de la sécession. La république séparatiste de Transnistrie dispose de la majeure partie des l’industrie lourde et exportatrice de la république, notamment dans le domaine des armes. La région est considérée comme un paradis du trafic. Les bandes ukrainiennes feraient transiter leurs marchandises (femmes-enfants, drogues, armes, etc.) par la Transnistrie pour les introduire blanchies en République moldave, puis en Roumanie. L’UE encourage les autorités de mettre fin à ces activités criminelles.

Le Parlement a consolidé le statut de la région autonome de Gagaouzie par les modifications constitutionnelles en juillet 2003. La renaissance identitaire des Gagaouzes de religion musulmane est affirmée. Les 150 000 Gagaouzes de Moldova sont tiraillés entre plusieurs influences. Au lycée, les enfants apprennent quatre langues : le roumain (moldave), le russe, une langue occidentale et une langue « natale », soit le gagaouze, variante du turc, soit le bulgare... Les Roms de Moldova commencent à faire entendre leur voix. Des associations se créent ces dernières années, mais durant des siècles, cette population a été réduite en esclavage. Les Roms ont également été victimes des déportations organisées par le régime roumain du Maréchal Antonescu dans la période qui a précédé 1945.

A l’issue des élections législatives de mars 2005, le Parti des communistes (PCMR) du président Vladimir Voronine a obtenu plus de 46 % des suffrages, le Bloc Moldova démocratique (BMD), 28 % des voix, et le Parti populaire chrétien-démocrate (PPCD), 9 % des voix. Aux fractions du PCMR (56 sièges sur 101) et du PPCD (11 représentants) se sont ajoutées (à la suite de la scission du BMD) celles de l'Alliance Moldova démocratique (AMD, 23 députés), du Parti démocrate (8 députés), ainsi que trois députés sociaux-libéraux « indépendants ». Lors de la présidentielle d’avril 2005, le nouveau Parlement a reconduit V. Voronine à la présidence du pays avec 75 voix en sa faveur, l'AMD ayant boycotté l'élection.

Droits humains et dimension géopolitique des Eglises

Amnesty International ne considère pas la Moldova comme un état de droit et relève de nombreuses violations des droits de l'homme lors des interpellations et des incarcérations, de nombreuses irrégularités dans les procédures judiciaires, de nombreuses entorses à la liberté de la presse et un usage immodéré du clientélisme, de l'intimidation et du chantage (notamment économique) dans la vie politique. La Moldova constitue un des centres européens de la traite blanche.

D’après l’étude fouillée de DERENS, le petit pays est ballotté entre les influences roumaines et russes, notamment dans la sphère religieuse, avec la concurrence entre les Églises orthodoxes russe et roumaine. La métropolie de Bessarabie de l'Église orthodoxe roumaine a été reconstituée en 1992. Elle se veut l'héritière d'une tradition interrompue depuis 1812. La conquête de 1812 a marqué le début d'une politique intense de russification, qui s'est notamment exprimée par le biais ecclésiastique. À l'époque tsariste comme à l'époque soviétique, les diocèses de Bessarabie étaient rattachés à l'Église orthodoxe russe, qui continue de jouer un rôle prépondérant dans la Moldova indépendante, par le biais de la métropolie de Moldova, dont celle de Bessarabie conteste les droits.

En 1919, l'instauration de la souveraineté roumaine entraîne à nouveau le rattachement des diocèses concernés au patriarcat de Bucarest. L'exaltation nationaliste de la période de la Grande Roumanie n'a cependant pas entraîné de politique agressive de ségrégation ou d'assimilation culturelle des populations non-roumaines. Les populations des régions concernées étaient en effet fortement mélangées, avec des éléments roumains nombreux, mais aussi des Juifs, des Allemands, des Russes, des Ukrainiens et des Ruthènes, des Biélorusses, des Arméniens, des populations musulmanes, etc. La Seconde Guerre mondiale a entraîné une drastique “simplification” de cette carte ethnique: les populations juives ont presque entièrement disparu, ainsi que les Allemands, chassés après la guerre.

L'actuelle métropolie roumaine de Bessarabie fonde ses prétentions sur une situation canonique bien établie: comme tous les diocèses roumains, ceux de Bessarabie relevait en 1812 de la juridiction du patriarcat œcuménique de Constantinople, qui a, ultérieurement, reconnu l'autocéphalie du patriarcat roumain, lequel incluait les diocèses moldaves. La métropolie de Bessarabie dispose aujourd'hui d'un statut d'autonomie dans le cadre de l'Eglise orthodoxe roumaine, et le patriarcat œcuménique soutient naturellement la position de Bucarest contre celle de Moscou. Au-delà de la querelle de compétence, se pose bien sûr la question de l'identité de la Moldova elle-même et son appartenance géopolitique.

La querelle a finalement été tranchée par la Cour européenne des droits de l'homme en 2002. Depuis, l'Église russe et l'Église roumaine sont obligées de cohabiter. La métropolie de Bessarabie est naturellement fort attachée à sa reconnaissance canonique, ce qui la dissuade de fréquenter les Eglises non reconnues, comme celle du Patriarcat de Kiev. Le bras de fer religieux apparaît au grand jour en Transnistrie. L'engagement militant de l'évêque orthodoxe de Tiraspol se trouve dans le camp sécessionniste, tandis que l'Église orthodoxe roumaine de Bessarabie appelle naturellement à la réintégration de la Transnistrie à la République moldave. Sur ce dossier ultrasensible, les Églises sont donc apparues comme des facteurs de radicalisation, et n'ont jamais pu jouer un rôle de médiatrices. La Gagaouzie se situe dans l'obédience du patriarcat de Moscou, car les Gagaouzes ne pourraient pas soutenir l'Eglise roumaine, après s'être opposé au nationalisme roumain en Moldova.

up down

Les dimensions extérieures

De prime abord, il convient de rappeler que plus deux deux-tiers des Moldaves sont favorables à une entrée dans l’UE, alors que seulement 35% le sont à l’adhésion à l’OTAN.

Les relations avec la Fédération de Russie se dégradent progressivement, sur fond de déceptions liées aux problèmes économique et transniestrien. Dès juillet 1992, la fermeture abusive par Tiraspol, « capitale » de la « république moldave de Transnistrie » autoproclamée, des institutions d’enseignement en roumain et en graphie latine a mis en échec les négociations et conduit à la crise des relations moldo-russes. Lors du « sommet » de l’OSCE à Sofia, en décembre 2004, les autorités moldaves dénoncent l’« occupation illégale d’une partie du territoire », Moscou refusant de signer la Déclaration de stabilité et sécurité que Chisinau avait proposée en juin 2004 sous forme de « pacte ».

En dépit ou à cause des pressions de l’UE et des EUA, la Russie ne respecterait pas les engagements apparemment pris à Istanbul au «sommet» de l’OSCE de 1999 et réitérés à Porto en 2002 sur le retrait, à échéance de la fin de l’année 2003, de ses troupes et armements de la région transniestrienne. Moscou semble reconsidérer les perspectives de sa présence militaire dans la région, à la lumière de l’élargissement de l’OTAN dans les Balkans et des „révolutions” en couleurs dans une zone qu’il considère comme lui étant proche. De son point de vue, on peut bien comprendre sa réticence et, d’autant plus que les élargissements de l’OTAN à l’est s’accélèrent depuis ces dernières années.

Dans le contexte d’élargissements récents de l’UE et en particulier des initiatives de celle-ci en direction de l’Europe du Sud-Est, la Moldova souhaite conclure un accord de stabilisation et d’association. Chisinau sollicite un «plan individuel d’actions pour l’intégration du pays à l’UE», crée une Commission nationale pour l’intégration européenne en juin 2003 et élabore la Conception d’intégration du pays à l’UE en octobre 2003. Les trois formations parlementaires (Parti communiste, Notre Moldova et Parti populaire chrétien-démocrate) ont publié une déclaration commune sur l’orientation proeuropéenne de la République de Moldova en novembre 2003. Le pays a par ailleurs assumé la présidence tournante du Comité des ministres du Conseil de l’Europe au même moment.

La Russie a présenté un plan de paix (novembre 2003) prévoyant la réorganisation du pays en une «fédération asymétrique» (non fondée sur l'égalité de droit de ses composantes) démilitarisée. Salué par le président russe Vladimir Poutine, mais mal accueilli par le Parlement européen en décembre 2003, le plan a été rejeté par le gouvernement moldave, après quelques hésitations. En février 2004, les médiateurs “5 plus deux”: Ukraine, Russie, OSCE, UE et EUA, ainsi que les deux capitales de la république ont lancé un nouveau train de propositions sur la réorganisation du pays en une «république fédérative intégrée».

Maintes évolutions ont dénoté une inscription du pays dans le « nouveau voisinage » de l’UE. L’objectif d’intégration européenne s’est imposé comme le seul projet d’avenir consensuel, ce dont a témoigné l’adoption à l’unanimité d’une Déclaration du Parlement sur le partenariat politique, en mars 2005. Un mois plus tôt, dans le cadre de la politique de voisinage, le Conseil de coopération UE-Moldova a approuvé un Plan d’action définissant les conditions de coopération bilatérale. Un représentant spécial a été désigné par le Conseil de l’UE afin notamment de veiller à la mise en œuvre des politiques de l’union. Enfin, une mission d’assistance européenne pour la frontière moldo-ukrainienne est mise en place. Elle a en principe pour but d’empêcher la fraude douanière, le trafic ainsi que la contrebande. En réalité, elle vise à éliminer la sécession de Transnistrie et, par voie de conséquence, la présence russe dans le pays.

Zone américaine de la mer Noire et séccession à la Russe

Si une « révolution » en couleur n'a pas eu lieu en Moldova, des bouleversements s'annoncent dès 2004 dans ce petit pays coincé entre l'Ukraine et la Roumanie, au coeur d'un espace en pleine mutation, celui de la mer Noire. Pour la première fois, trois Etats de la zone, la Moldova, l'Ukraine et la Géorgie s'engagent sur la voie d'une coopération régionale, notamment douanière. L’expliquation en est que les communistes du Président Voronin changent soudainement : hier pro-russe, aujourd’hui tourné vers Washington, ce parti prône désormais l’intégration européenne et s’oppose au Kremlin sur le dossier de la Transnistrie. On ne peut que conjecturer quels ont été les arguments utilisés pour obtenir ce changement dans un des pays des plus corrompus de l’Europe. Néanmoins, cette position ne s’avéra pas très stable !

Les sécessionnistes de Transnistrie comptent toujours sur la Russie. La survie de la République sécessionniste de Transnistrie n’est pas encore menacée par le virage anti-russe des autorités Chisinau, mais le risque en est grand. Collaborant avec les autorités Chisinau, la Roumanie et l'Ukraine décideraient d’asphyxier la Transnistrie par un contrôle douanier strict. Depuis peu, les autorités moldaves alliées à l’Ukraine tentent de prendre le contrôle des exportations de cette petite bande de terre. Mais Moscou entend cependant bien défendre les intérêts de la Transnistrie et de son régime qui lui est géostratégiquement favorable. Les EUA en fait évidemment autant à propos de la Moldova dans la mesure de leurs possibilités, par voie diplomatique et clandestine.

Avec l’aide extérieure, les autorités de la République moldave organisent donc le blocus économiques de la région en sécession. Le gouvernement local de cette région tente de politiser cette situation, en dramatisant la situation « humanitaire ». Elles prétendent que le blocus ne respecte pas le mémorandum signé entre l’Ukraine, la Russie et la République moldave en 1997 et selon lequel la Transnistrie peut gérer en toute indépendance son commerce extérieur. Les électeurs de la Transnistrie39 ont voté à 97,1% en faveur de l'indépendance en septembre 2006. Il s’agirait de la dernière étape avant une hypothétique unification avec la Russie, qui soutient depuis le début le régime de Tiraspol. L’indépendance du Monténégro et celle vraisemblable du Kosovo incitent les dirigeants de cette région à demander maintenant l’indépendance.

Le président de Transnistrie, Igor Smirnov a manifesté en avril 2008 sa volonté d'entrer en pourparlers avec la Moldova concernant le règlement du conflit qui se prolonge depuis plusieurs années entre Chisinau et Tiraspol. La position rigide d'Igor Smirnov s'est assouplie après une visite de représentants de Gazprom en Transnistrie et un entretien qu'a eu le ministre des Affaires étrangères de la république autoproclamée au ministère russe des Affaires étrangères. En raison de certaines tensions dans ses relations avec la Moldova, la Russie avait d'abord approuvé le radicalisme d'Igor Smirnov. Mais le président moldave Vladimir Voronine a su à nouveau s'attirer la bienveillance du Kremlin. Un rapprochement s'est amorcé en été 2007, essentiellement grâce au fait que le président Voronine a reconnu l'immuabilité des biens de la Russie en République moldave de Transnistrie et garanti la non-adhésion de la Moldova à l'OTAN.

Parallèlement, le comportement de la Transnistrie envers les livraisons de gaz russe susciterait le mécontentement de la Russie: la dette gazière de Tiraspol approche un milliard d’euros. Après la proclamation unilatérale de l'indépendance du Kosovo en février 2008, la politique particulière appliquée par Moscou à l'égard de la Transnistrie devient claire. Si les dirigeants de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud ont pu revendiquer leur indépendance d'après le même scénario que le Kosovo en profitant de Moscou, les représentants de Tiraspol, eux, n'ont pas la même position étant « occupée ». Par conséquent, Tiraspol a décidé de sa propre initiative d'annoncer son désir de suivre l'exemple du Kosovo. Cependant, la Russie signifie immédiatement qu’elle n'admet pas les méthodes "contraires au droit international, comme c'est le cas pour le Kosovo".

Liens roumano-moldaves

Aux lendemains de l’effondrement de l’Union soviétique, les dirigeants roumains tenteront de faire valoir leurs droits sur des territoires dont ils se considéraient spoliés. La question des minorités demeure au centre du débat même si, semble-t-il, le véritable enjeu des régulières négociations roumano-ukrainiennes est en fait l’Ile des Serpents, banc de sable inhabité au large du delta du Danube, situé au voisinage direct d’importantes ressources pétrolières. À la suite des élections présidentielles en Roumanie et en Ukraine de décembre 2004, les relations avec ces deux pays se sont améliorées. En ont attesté la Déclaration commune moldo-roumaine, signée à l’issue de la visite du président Traian Basescu à Chisinau, en janvier 2005, ainsi que la relance du dialogue politique avec l’Ukraine sur la sécurisation des frontières.

Au début de 2006, afin d’adoucir les relations roumano-moldaves, le gouvernement de Bucarest a montré sa disponibilité à accélérer la négociation du traité concernant les frontières, une demande devenue presque traditionnelle de la part de la Moldova. Pour ce qui est de l’adhésion à l’UE de la Moldova, la Roumanie semble prête à pousser au maximum les limites des traités européens, en demandant au nom de Chisinau le même traitement de part de l’Union que celui accordé aux Etats des Balkans occidentaux. Le raisonnement de Bucarest est que personne ne peut empêcher la Moldova de demander de devenir membre de l’UE tant qu’elle répond aux standards et fait des efforts visibles dans ce sens…

En tout cas, les démarches de la Roumanie par rapport à la Moldova ne se basent pas sur un mandat européen spécifique. Bucarest reconnait que la Moldova ne se trouve toujours pas sur la liste des intérêts prioritaires de l’UE. La solution roumaine pour l’amélioration de la situation en Transnistrie, telle que cela ressort des déclarations diverses, porte sur la nécessité d’obtenir le retrait des troupes russes de la région et de les remplacer par une force internationale. La Roumanie aurait octroyé la citoyenneté roumaine avec passeports à entre 600 000 et un million habitants roumanophones de Moldova. Le but étant de pouvoir contourner les effets négatifs de l’adhésion à l’UE de la Roumanie : l’imposition des procédures d’octroi de visas strictes à tout entrant sur le territoire de l’union. L’opinion publique roumaine et moldave supporte difficilement que les Moldaves soient obligés de demander de visa en voulant venir en Roumanie, considérée comme leur pays-mère.

En fait, la Roumanie essaie, par ces initiatives, de repositionner la Moldova dans le contexte international. L’objectif final est de la faire sortir de la zone ex-soviétique et de la replacer dans un environnement politique qui puisse être favorable pour une prochaine adhésion dans les structures d’Europe occidentale. Evidemment, on peut se demander en quoi la zone ex-soviétique serait moins sure que d’autres espaces d’influence. La République moldave garde toujours une position marginale et de transit aisément contourné le cas échéant. A l’instar de la Pologne face à l’Ukraine ou au Bélarus, la Roumanie joue les intermédiaires pour le compte des EUA.

A la rencontre des pays de la CEI à fin novembre 2006, un rapprochement s’est opéré entre la Russie et la République moldave et le boycotte russe des produits de cette dernière est supprimé.

up down

Conclusion et prospective

Après l'intégration de la Roumanie à l’UE en 2007, si la Moldova demeure en-dehors de l'espace européen, elle sera confrontée au durcissement attendu des frontières, alors que l'on estime aujourd'hui que près d'un million de citoyens moldaves vivent et travaillent à l'étranger, fournissant le principal apport de devises à l'économie du pays. Au contraire, si l'Ukraine parvient à s’intégrer à l’union, le sort de la Moldova pourrait également être réglé, car il serait inconcevable de laisser à l'écart ce petit pays enclavé entre la Roumanie et l'Ukraine.

Pour le moment, l’UE propose le développement des relations de “voisinage” avec la Moldova. Une adhésion éventuelle s’inscrit par contre dans la logique de l’élargissement de l’UE à l’Ukraine (voir ci-dessus). Cet élargissement ne pourrait en tout cas pas survenir avant d’ici 10 à 15 ans, lorsque toutes les adaptations sont réalisées.

up down

Bibliographie spécifique

ACHCAR, Gilbert, L’OTAN à la conquête de l’Est, in Le Monde Diplomatique, Janvier 2003.
ANTONENKO, Oksana, Assessing the CIS - Beginning of the End or End of the Beginning?, in: Special to Russia Profile, 14.2.2006.
CHAUVIER, J.-M., Une perestroïka de "deuxième type", in Le Monde Diplomatique, Avril, 1990.
Courrier des pays de l’Est, Le, La Russie et les autres pays de la CEI en 2005, n° 1053, janv.-fév. 2007;
Idem, La Russie et les autres pays de la CEI en 2007, n° 1065, janvier-février, 2008.
DERENS, Jean-Arnault, Orthodoxie en Moldova: les défis identitaires d'un petit pays malmené par l'histoire, Religioscope, 9.4.2005.
FEDOR, Helen (sous la direction de), Belarus & Moldova, country studies by the Federal Researche Division of the Library of Congress, Lanham, Maryland, January, 1996.
GABANYI, Iryna Ute, European Neighbourhood Policy - The Perspective of Moldova, in: Foreign Policy in Dialogue, The New Neighbourhood Policy of European Union, vol. 6, n° 19, Juillet 2006.
GUICHERD, Catherine, Ukraine, Bélarus et Moldova: entre l'Union élargie et la Russie, in: Politique étrangère, juillet - septembre, 2002.
LIMES, C’era une Volta l’Est, n° 1, 2006;
Idem, La Russie in gioco, n° 6, 2004 dont Paolo SARTORI, Emergenza Transnistria: un ‘buco nero’ da riempire subito.
MISZCZAK, Krzysztof , Polens Aussenpolitik als Kunst der Balance - Europäische und amarikanische Interesse im Visier, in : NZZ, 4.9.2003.
POPA, Cosmin, Offensive diplomatique roumaine pour rapprocher la Moldova de l’Europe, in : ADEVARUL, 20 février 2006
NZZ, Von Integration und Sezession in der Moldau, 17.10.2006.
PIEHL, Ernst, P.W. SCHULZE & Heinz TIMMERMANN, Die offene Flanke der Europäischen Union. Russische Föderation, Belarus, Ukraine und Moldau, BWV-Verlag, Berlin, 2005.
Russia Profile (Novosti), Flying the Red-and-Green Flag - Transdnestr Celebrates, but a Resolution to the Conflict Seems as Far Away as Ever, n° 8/2005.
Questions internationales, L’UE et ses nouveaux voisins de l'Est : Ukraine, Bélarus, Moldova, Dossier réalisé en juillet 2006.
STASIUK, Andrzej, Eloge de la monotonie - La Moldova, étrange paradis, Courrier International, n° 698, 18.3.2004.
WOLKER, Martin, Menschliche Tragödien an der EU-Ostgrenze, rumänische Abschottung gegenüber der Republik Moldau, in : NZZ, 20.8.2007.

  up
 

Seite  Retour à la Courriel

Footnote list:

1 La Russie s’efforce de regrouper sous une forme ou autre les pays qui ont fait partie de l’URSS. Outre la CIE, il existe
o « l’espace économique » formé par Bélarus, Russie, Kasakhastan et Ukraine ;
o « la communauté économique eurasiatique » dont Bélarus, Russie et Ukraine, ainsi que les cinq pays centre-asiatique de l’ex-URSS ;
o ces cinq centre-asiatiques ont établi entre eux une « zone de libre-change » ;
o certains de ces pays sont intégrés dans le Groupe de Shanghai, etc. up

2 Les pays concernés correspondent à : l'Arménie, la Géorgie et l'Azerbaïdjan. Voir pour cette appellation le chapitre deux de la Partie 3 ; up

3 La coopération semble réelle par la voie de rencontres des ministres de l’intérieur et de la justice, ainsi qu’au niveau de l’Assemblée parlementaire de la CEI. up

4 Par exemple, la constitution du Bélarus stipule dans son article 18. “…La république de Bélarus s’engage à faire de son territoire un état neutre, libre d’armes nucléaire…” ou, celle de l’Ukraine, dans son article 17 « … La création et l’opération de formations armées non prévues par la loi sont interdites sur le territoire de l’Ukraine. La localisation de bases militaires étrangères ne est pas autorisée sur le territoire de l’Ukraine. … » up

5 Dans cette partie de l’Europe, le gréco-catholicisme correspond à un double phénomène. D’une part, dès le 17e et le 18e siècles et avac le soutien pesant des Habsbourg et des rois de Pologne, une partie des orthodoxes choississent de s’unir à Rome (au Vatican) en affaiblissant ainsi l’Orthodoxie comme telle (voir Partie 6). D’autre part, les gréco-catholiques d’aujourd’hui remplissent deux rôle : une spécificité catholique et une sorte de cinquième colonne face aux orthodoxes. up

6 La Bucovina dont la capitale est Tchernovtsy, est le nom donné par l’Autriche à la partie septentrionale de la Moldova qu’elle occupe en 1774. Considérée comme roumaine à l’origine, la Bucovine (10 441 km2) est le théâtre d’une intense colonisation par des Ruthènes et des Allemands. Réunie à la Roumanie en 1918, la Bucovine méridionale comporte une forte minorité ukrainienne et une majorité roumaine relative. up

7 En suivant la proposition de Norberto BOBBIO, j’appelle la gauche qui correspond à un projet ou un système politique qui vise à plus d’égalité entre citoyen-nes et ce, contrairement au but de la droite. up

8 « Comme c’est curieux, comme c’est bizarre » (Ionesco) que l’on ne parle jamais de « l’américano-atlantisme ». up

9 Elle serait proche du groupe russe Renaissance Capital. up

10 Ce diagnostic doit rendre prudent l’analyste qui ne doit pas trop croire trop vite lorsqu’on déclare à propos d’un événement politique qu’il est « historique ou révolutionnaire ». up

11 En 2006, 64% contre et 12% pour selon FT du 9.6.2006, alors que les chiffres des opposants n’atteignent que 33,5% en 2000 et 50,4 en 2005 selon NZZ du 8.6.2006. On cite souvent des chiffres exactement inverses quant à l’adhésion à l’UE à l’instar de ce que l’on a pu constater dans les autres PECO dans le passé. up

12 Voir CHAUVIER 2007. up

13 Il convient de savoir que, feue sa présidente, Slava Stetsko, veuve du premier ministre du gouvernement formé dans la foulée de l’invasion nazie du juin 1941 et leader de la diaspora anticommuniste était, au début des années 2000, députée de « Notre Ukraine », le parti du président. Présente dans le scrutin, l’extrême-droite nationaliste, conservatrice ou radicale, apparaîtra minoritaire dans les résultats. Mais de nombreux candidats nationalistes sont présents sur les listes oranges du président. Il en est de même de plusieurs autres organisations très marquées à droite. up

14 Il est intéressant de voir comment l’incident qui suit trouve une solution: des gardes-frontières ukrainiens dépêchent des troupes en octobre 2003 sur l'île de Touzla, dans le détroit de Kertch, en raison de la construction par Moscou depuis la péninsule russe de Taman (Krasnodar) d'une digue en direction de cette île, officiellement pour empêcher l'érosion de la côte russe. Devant les vives protestations des Ukrainiens, les Russes suspendent les travaux à une centaine de mètres seulement de l'île ukrainienne. Les présidents russe Vladimir Poutine et ukrainien Léonid Koutchma concluent en décembre 2003 à Kertch (Crimée, sud de l'Ukraine) un accord prévoyant "la gestion conjointe" par leurs pays du détroit de Kertch qui relie les mers Noire et d'Azov et "doit servir autant l'Ukraine que la Russie". Aucune explication concrète sur la façon pratique dont serait gérée en commun le détroit de Kertch n'a été donnée. L’accord ne semble pas non plus régler le problème de la délimitation de la frontière maritime entre les deux pays et prévoit la conclusion d'accords supplémentaires en ce sens. Aux termes de cet accord cependant, les bateaux militaires et civils ukrainiens et russes "jouissent de la liberté de navigation dans la mer d'Azov et le détroit de Kertch". En revanche, les bateaux militaires des pays tiers ne peuvent y entrer qu’avec l'autorisation des deux pays ce qui permet à la Russie d'empêcher la venue dans ces eaux des navires de l'OTAN. up

15 En mai 2007 est inauguré le canal de Bystroe qui relie le delta du Danube à la Mer Noire. Le canal est construit par l'Ukraine malgré les vives protestations de la Roumanie. Bucarest craint une destruction rapide du delta et en appelle à l'UE pour que Kiev respecte les conventions environnementales que l'Ukraine a ratifiées. La Turquie a manifesté un intérêt particulier pour le projet Bystroe, et pourrait même devenir le principal client de l’Ukraine. Celle-ci proposerait des taxes de passage bien inférieures à celles exigées par la Roumanie (40% moins chères). Les autres avantages que le ministre des Transports a voulu mentionner sont la possibilité de naviguer dans les deux sens et de laisser le canal disponible 24 heures sur 24, contrairement au canal roumain de Sulina, navigable uniquement pendant la journée et qui permet la navigation dans un seul sens.
La Roumanie a demandé à plusieurs reprises aux autorités ukrainiennes de ne pas réaliser de nouveaux travaux pour approfondir le canal Danube-Mer Noire sur les bras de Chilia et de Bystroe. La décision d’ouvrir le canal de Bystroe intervient deux ans après que le Président Victor Youchtchenko ait assuré le Président roumain, Traian Basescu, que toutes les divergences avec la Roumanie seraient résolues avant la fin 2005. En 2004, quand l’Ukraine a annoncé le démarrage des travaux, Bucarest avait réagi avec véhémence, le sujet avait même été débattu lors de la campagne électorale. Bucarest essaie d’impliquer l’UE pour résoudre ce problème. Jusqu’à présent, l’Ukraine n’a pas réagit aux pressions externes.
n même temps, la partie roumaine a sollicité l’appui de plusieurs états européens pour soutenir les démarches entreprises pour trouver une solution à ce problème, souligne un communiqué de presse du ministère des Affaires étrangères. Suite aux démarches effectuées par la présidence de la Commission internationale pour la protection du Danube, les officiels internationaux ont envoyé une lettre qui demande à l’Ukraine de s’aligner sur les normes internationales. La commission a prévu de se réunir en juin 2007 pour essayer de trouver d’autres solutions au problème. La Commission européenne a avertit l’Ukraine qu’elle devait respecter les clauses des conventions environnementales internationales. up

16 Timothy SNYDER traite la politique étrangère de la Pologne post-1989 et en développe la thèse suivante: primo, la Pologne a réalisé qu’elle a tout intérêt à abandonner simultanément toute revendication irrédentiste de type nationaliste à l’égard des pays voisins tant à l’Est qu’à l’Ouest, à revendiquer des “critères européens” de protection de minorités et, de cette façon, à stabiliser ses frontières; secundo, elle a tout fait de pouvoir se joindre à l’OTAN, puis à l’UE, aussi vite que possible, grâce notamment à la stabilisation de ses frontières; tertio, elle a tout intérêt à favoriser l’indépendance de la Lituanie, du Bélarus et de l’Ukraine afin de créer une zone entre elle et la Russie; l’ouvrage n’évoque aucunement la calcul stratégique des EUA pour pénétrer progressivement la Lituanie, le Bélarus et l’Ukraine dans le but d’affaiblir et de mieux contrôler la Russie. up

17 Au même moment, la compagnie aérienne hongroise MALEV Air Tours signe un contrat d’achat de 15 SuperJet-100 moyens-courriers de la compagnie russe Soukhoï. Parmis les cinq autres accords bilatéraux signés, il y a celui du projet de construction de la base de maintenance régionale en Europe pour les chasseurs bombardiers russes en Hongrie. up

18 On ne sait pas très bien en vertu de quel(s) principe(s) est octroyée cette reconnaissance, sauf que la plus importante entreprise sidérurgique du pays est récemment « reprivatisée » et cela se fait cette fois en faveur d’un groupe d’Europe occidentale et non pas d’un groupe local. L’UE ne semble guère perdre du temps avec des vains arguments économiques, mais se réfère bien clairement à des critèren politique et capitalistique ! up

19 Qui serait encore toujours inférieur à ceux payés par des pays de l’UE. up

20 C’est un jeu de mot qui s’inspire du nom d’une des synagogues pragoises! up

21 Voir TBT, 13/19.1.2005, The Washington Post, 2.1.2005 & NZZ, 2.2.2005. up

22 Curieusement, la version en américain se présente comme suit : « NATO welcomes Ukraine’s and Georgia’s Euro Atlantic aspirations for membership in NATO. We agreed today that these countries will become members of NATO. » up

23 La déclaration se poursuit dans les termes suivants : « Ils ont l’un et l’autre apporté de précieuses contributions aux opérations de l'Alliance. Nous nous félicitons des réformes démocratiques menées en Ukraine et en Géorgie, et nous attendons avec intérêt la tenue, en mai, d'élections législatives libres et régulières en Géorgie. Le MAP représente, pour ces deux pays, la prochaine étape sur la voie qui les mènera directement à l’adhésion. Nous déclarons aujourd’hui que nous soutenons la candidature de ces pays au MAP. Nous allons maintenant entrer dans une période de collaboration intensive avec l’un et l’autre à un niveau politique élevé afin de résoudre les questions en suspens pour ce qui est de leur candidature au MAP. Nous avons demandé aux ministres des Affaires étrangères de faire, à leur réunion de décembre 2008, une première évaluation des progrès accomplis. Les ministres des Affaires étrangères sont habilités à prendre une décision sur la candidature au MAP de l'Ukraine et de la Géorgie. » Le MAP correspond à un de ces programmes de l’OTAN qui préparent les pays candidats à l’adhésion. up

24 Il s’agit d’un texte mis à jour qui figure déjà dans Bárdos-Féltoronyi, N., Un diagnostic géopolitique de l’Europe du centre, Editions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 2001. A remarquer que l’appellation Bélarus correspond à celle que le pays devenu indépendant a choisie en fonction de sa langue propre alors que l’appellation Biélorusse ou la Russie blanche est propre à la langue russe et marque souvant une certaine sympathie à l’idée que le pays ferait partie de la Russie séculaire. up

25 En 2006, le ministre de l’Education nationale impose l’enseignement de l’histoire en russe, alors que 22% des enfants béalrusses étudient encore en bélarusse. up

26 D’après Golias du 29.9.2007, le Vatican nomme à la fois un nouvel archevêque à Minsk, en remplacement du cardinal jésuite Kazimierz Swiatek, 93 ans, et en déplaçant de Moscou l’archevêque Tadeusz Kondrusiewicz, signe d’apaisement à l’endroit des orthodoxes. Ce dernier, né en 1946, qui devient donc archevêque de Bélarus est à la tête de l’Eglise de Moscou depuis seize ans. Prélat entreprenant, féru de théologie et d’histoire, Kondrusiewicz n’était cependant doté que d’un sens limité de la diplomatie et de l’œcuménisme, ce qui ne tranquillisera guère les autorités béalusses. De plus son origine polonaise, indisposait les Russes (d’où le choix d’un italien pour lui succéder) C’est à contre-coeur et par obéissance au Pape qu’il quitte Moscou. En compensation de sa disponibilité, il devrait recevoir la barrette cardinalice en novembre prochain. Son successeur à Moscou est un prêtre italien de " Communione e Liberazione ", Mgr Paolo Pezzi, âgé seulement de 47 ans. Docteur en théologie pastorale de l’université du Latran, consacrée à la Sibérie. Paolo Pezzi est le recteur depuis 1998 du Séminaire de Saint Petersbourg. Polyglotte et cultivé, il serait l’une des figures majeures de l’Eglise universelle dans les années à venir. up

27 Dans le cadre de l’OSCE, cette charte a été adoptée en 1990, après l’unification des deux Allemagnes et après qu’ait été signé l’accord sur la réduction des forces conventionnelles en Europe. Elle porta notamment sur les orientations futures en matière de sécurité et sur l’institutionnalisation de la coopération en Europe. Elle met en place des formules possibles de “désarmement localisé” tant nucléaire que conventionnel. up

28 Il a 40 ans et a été membre et militant du Parti Communiste Biélorusse, mais, avant de devenir Président de la République, il était simple député après avoir été directeur de Sovkhoze. up

29 Il s’agit de la fondation que, le grand financier ou, plutôt, spéculateur d’origine hongroise, George Soros a mise en place dans les années 1970-80. Cette fondation apportait son aide efficace à des milliers de projets remarquables dans les PECO depuis ces années-là. En même temps, elle a néanmoins la réputation d’être proche du Département d’Etat et des services secrets des EUA, comme beaucoup d’exemples tendent à le montrerdans les pays ex-soviétiques. up

30 L’accord germano-soviétique décidant la reprise des relations diplomatiques entre l'U.R.S.S. et l'Allemagne de Weimar, signé en 1922 à Rapallo en Italie ce qui signifait le refus d’exclure l’Union soviétique du « concert des nations ». up

31 Si l'on examine les "réformes réelles" appliquées dans les pays d'Europe centrale et orientale depuis 1989-92, il s'agissait de supprimer les véritables acquis du "socialisme sans visage humain" : l'industrie de haute technologie par rapport aux exigences des économies locales et du marché russe, les activités culturelles, le système de santé, le régime de pensions, les structures scolaires et universitaires, la recherche scientifique et je pourrais continuer la liste. Au moins pour les deux-tiers des populations centre-européennes, les réformes ont été désastreuses et n'ont favorisé qu'une minorité variant, selon les pays, entre 5 à 15%. Dans d’autres PECO et en Russie, ces réformes, sans contrôle réel ni efficacité démontrée, ont proprement détruit les économies entières, sauf l’une ou l’autre exception. Néanmoins, c’est l’enjeu véritable des multinationales russes, américaines et ouest-européennes ! up

32 De Bialystok en Pologne orientale, celle-ci diffuse une émission de propagande en bélarusse. Comment peut-on reconcilier ce fait avec les exigences du Conseil de l’Europe et de l’OSCE ? up

33 Les autorités européennes vont jusqu’à ignorer l’orthographe officiel du pays (le Bélarus) en utilisant celui en usage en Russie : Bielorussie, par exemple dans un communiqué du Conseil des ministres du 2.12.2005. Or, il suffirait de consulter l’annuaire téléphonique de Bruxelles. up

34 A fin décembre 2005, le président kazakh Nazarbajev a été réélu à 91%. L’OSCE critique le scrutin, mais observe des améliorations. En Kazakhastan, des opposants disparaissent et la presse libre n’est guère prioritaire pour le pouvoir. Le président souhaite actuellement devenir le président de l’OSCE en 2011. up

35 Voir notamment: http://comaguermarseille.free.fr - comaguer@nomade.fr; ainsi que in : NZZ, 16,17 & 20.3.2006. up

36 La délégation des 450 observateurs de l’OSCE était conduite par un citoyen américain, Alcee Hastings, qui en 1989 démis par le Sénat de ses fonctions de juge pour corruption et parjure, est actuellement député. Beaucoup d’observateurs mettent en doute le sérieux de commentaires si rapide de l’OSCE. Curieusement, au lendemain des élections, les observateurs hongrois présents aux scrutins bélarusses ont considérés que « les élections se sont bien déroulés » et qu’il « n’y avait pas de trop de problème qui justifieraient la mise en question de la validité des résultats ». Puis, ils se taisent ou bien ils ne sont plus questionnés ! Les remarques au Parlement fédérale faites par Jean-Pol Henry le 5.7.2006 vont dans le même sens : « J’ai parfois l’impression que les conclusions sont faites avant mon arrivée », dit-il en tant qu’observateur de l’OSCE lors des élections présidentielles au Bélarus en 2006. La plupart des observateurs sont des diplomates, des agents secrets et d’autres sont choisis par leur gouvernement, bien payés et font exactement ce que leur employeur attend d’eux. La participation aux manifestations de rue de l’ancien ambassadeur polonais à Minsk a entraîné son arrestation et provoqué des remous en Pologne. La question surgit : qu’avait-il à faire à Minsk ? Que faire de cet incident apparemment déplorable avec un diplomate lituanien à Minsk face auquel les autorités auraient réagi sans respecter la convention de Vienne ? up

37 Voir à propos de cet oléoduc la fiche technique dans le chapitre « géoéconomie » ci-dessous ! up

38 Occupée par l’URSS en même temps que la Bessarabie, la Bucovine du Nord (6 000 km2) sera réunie à l’Ukraine (2 août 1940). Réoccupée par les troupes roumaines et allemandes (juillet 1941), elle est reconquise par l’URSS (août 1944) et réunie de nouveau à l’Ukraine (24 avril 1947). Entre 1941 et 1943, les Juifs de Bucovine (environ 75 000) sont soit massacrés sur place, soit déportés par le gouvernement Antonescu en Transnistrie, où la moitié environ périt. up

39 Territoire : 4160 km² et population : 550 mille. up