Nicolas Bárdos-Féltoronyi:


Exercices géopolitiques pour l’Union européenne

- Les puissances et leurs différends –

Partie 5 doc Imprimerie Correspondance

Table des matières

down  Cas géoéconomiques
down  5.0 Quelques fondements à l’expansion géographique et sectorielle du capital
down    *  Le jeu des acteurs et des rapports de force
down    *  Crise du capitalisme au Premier Monde
down    *  Pour une théorie
down    *  Bibliographie spécifique
down  5.1 EURO et DOLLAR, le même combat, la géoéconomie transatlantique ou la
           désaméricanisation institutionnelle ?

down    *  Diversité structurelle et différences monétaires
down    *  Avènement et déclin des monnaies-clefs
down    *  La bonne monnaie chasse la mauvaise : la loi de Gresham
down    *  Les taux de change entre l’€ et le $
down    *  La désaméricanisation des institutions monétaires et financières
down    *  Privatisation de la création monétaire
down    *  Les fameux critères de Maastricht
down    *  La question d’un système productif autonome
down    *  Bibliographie
down  5.2 La rentrée du capital au centre de l’Europe
down    *  A. Etait-ce une surprise ?
down        **  Les stratégies des groupes multinationaux
down        **  Chaque pays représente des intérêts spécifiques
down    *  B. Etait-ce une nécessité ?
down        **  Quelles sont les multinationales en jeu ?
down        **  Une étude de cas : la Serbie…
down        **  La domination conjointe d’Est-Ouest parfois en compagnie du Centre
down        **  Corruption, banque et pollution
down    *  Conclusions
down    *  Bibliographique spécifique
down  5.3 La géopolitique des activités noires, roses et grises dans la mondialisation
down    *  A. De la traite humaine à l’argent rose
down    *  B. Du trafic de drogues à l'argent gris
down    *  C. Le blanchiment l'argent et rôle des banques multinationales
down    *  Une première conclusion
down    *  Bibliographique spécifique

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Cas géoéconomiques

La géoéconomie correspond à la dimension économique de la géopolitique. Trois secteurs fort différents en seront traités ici. Leurs caractéristiques communes relèvent de l’articulation spécifique entre les multinationales et les Etats ou les fédérations d’Etats ou encore des organisations publiques internationales. En premier lieu, la rivalité qui s’accentue avec le temps entre la portée du dollar et de l’euro dans le monde incarne un beau cas où les rapports de force entre banques multinationales des deux côtés de l’Atlantique se joignent à ceux qui se développent entre les EUA et l’UE depuis le début des années 1990. Une toute autre occurrence est l’entrée du capitalisme au « centre de l’Europe » d’abord lente à partir des années 1970, puis accélérée avec la chute du Mur de Berlin. Le troisième cas qui retient l’attention explique le rôle problématique des firmes et banques multinationales dans les opérations clandestines « roses », « grises » et « noires ». Ces opérations s’organisent à l’échelle mondiale et apparemment « au vu et su » des Etats insuffisamment actifs dans ces domaines.

Faisant partie de la géopolitique, la géoéconomie vise précisément à examiner la stratégie des entreprises qui s’imbriquent dans la stratégie des Etats et vice versa1. Les Etats leur fournissent la sécurité, la garantie absolue à la propriété privée, des subsides directs ou indirects, d’aides variés, etc. Les multinationales leur garantissent une certaine loyauté et parfois des recettes fiscales et douanières non négligeables. Les entreprises qui opèrent la globalisation ne pourraient cependant guère réussir sans l’appui des pouvoirs publics nationaux et internationaux tels la BM, le FMI, l’UE, l’OMC, etc. ainsi que sans la menace de recours à la force ou le recours à la force même, étatique ou privée. Mais, la géoéconomie ne se réduit pas seulement à cela. Elle étudie entre autres des réseaux d’infrastructures de communications au sens large du terme (routes, chemins de fer, satellites, conduites, etc.) de caractère principalement économique.

Comme déjà mentionné dans le chapitre introductif, elle explore la (re)production de la spatialité des modes de production et des régimes politiques, c’est-à-dire la politique que l’on appelle communément l’« aménagement du territoire » qui accommode, conforte et garantit la reproduction, par exemple par des mécanismes politiques, bancaires, sociaux ou budgétaires, ainsi que des modes de production et des régimes politiques par la politique internationale et régionale : fixer la spécificité du cadre national eu égard à d’autres territoires et régler concrètement les contradictions à l’intérieur du cadre national. Dans le processus de la globalisation actuelle, la fonction et la place de l’Etat se redéfinit constamment par la création de fédérations d’Etats (UE, Mercosur, ASEAN, etc.), d’institutions internationales privées (OMC) ou publiques (FMI, BM, Tribunal pénal international), du mercenariat multinational privé, des mafias divers, etc.

La Partie 5 se limitera à l’examen des trois cas mentionnés ci-dessus, même si ces autres enjeux géoéconomiques ne leur échapperont pas non plus totalement et d’autres encore attendent d’être explorés tel que le mercenariat international privé, le réseau international de gazoducs et oléoducs, l’assurance et les transports internationaux, l’accès aux matières premières et énergétiques dont l’eau ou les hydrocarbures ou encore ces « boîtes à idées » qui badigeonnent d’un vernis d’expert les priorités des groupes d’intérêts qui les financent2. Avant d’entamer l’examen des trois problématiques, il convient d’esquisser le cadre théorique dans lequel prennent place ces études.

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5.0 Quelques fondements à l’expansion géographique et sectorielle du capital

C’est devenu un lieu commun de considérer que l’économie-monde a connu depuis la guerre 1939-45 un processus de restructuration globale. Cette restructuration s’inscrit dans le cadre de la nouvelle internationalisation du capital, ou autrement dit du capitalisme, dans « la lutte et la coopération » élargies entre les multinationales concernées et entre les états. Déjà, pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, le capitalisme avait connu une évolution fort semblable. A l’époque, les états ont réussi, vaille que vaille, à réguler progressivement le fonctionnement “sauvage” du capitalisme et ce, jusqu’à la fin de l’époque keynésienne-fordiste, jusqu’en 1960. Aujourd’hui également, ils le font mais d’une toute autre façon.

A présent, « parler de mondialisation, c’est évoquer l’emprise d’un système économique, le capitalisme, sur l’espace mondial » (Adda). Depuis le Moyen-Âge, les économies nationales, défendues et régulées par les états, constituaient la base première de l’accumulation mais dont les ressources essentielles provenaient du commerce international. Après 1945, les grandes entreprises et les banques avant tout entament une stratégies d’internationalisation qui aboutit à la mondialisation et au démantèlement des états. L’emprise géographique du capitalisme s’accentue avec l’effondrement du bloc soviétique qui constitue un frein à l’expansion du capitalisme. La mondialisation tend maintenant à transcender la logique d’un système interétatique à laquelle elle substitue une logique de réseaux multiples transnationaux. Elle correspond également au démantèlement progressif des frontières physiques et réglementaires maintenues par les états qui faisait obstacle à l’accumulation du capital à l’échelle mondiale.

Selon les rapports de force qui se prévalent, le rôle actuel des Etats semble se réduire essentiellement
 au maintien de l’ordre local ou du moins à la gestion locale des ‘transitions’ socio-économiques et culturelles ;
 à l’appui des intérêts de leurs multinationales respectives par la libéralisation sélective, la déréglementation systématique et la privatisation approfondie, ainsi que par la réduction des coûts (directs et indirects)3 du travail et la flexibilisation de ce dernier;
 aux interventions militaires afin de régler les conflits interétatiques nés de la mondialisation et si possible de soutenir la stratégie de leurs multinationales dans un monde économiquement hiérarchisé.
La tentative des fédérations d’états pourrait réussir à surmonter les aléas de cette mondialisation en « rerégulant » les parties essentielles de leurs économies, voire celles de toutes leurs sociétés par exemple en instituant un véritable « modèle social » au sein de l’UE ou une coopération européenne au développement équitable et durable face au reste du monde. La rerégulation devra concerner les domaines socio-économiques, financiers et monétaires, ainsi que les secteurs de la culture et de la formation.

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Le jeu des acteurs et des rapports de force

Nous considérons que cette internationalisation est le résultat de stratégies multiples, pas nécessairement cohérentes, d’acteurs variés de la sphère internationale. L’importance de ces acteurs s’avère variable, mais celle des firmes et banques est majeure. Depuis les années 1960-70, ce processus est souvent interprété en Europe comme une crise alors que, pour une part notable de la société, il correspond à une régression. En ces dernières décennies, le processus fait apparaître, entre autres, les caractéristiques structurelles suivantes qui se vérifient assez bien, notamment dans le cas des PECO :

= une re-définition constante des relations du capital-travail par une exploitation accrue; grâce à celle-ci, le profit s’accroît, dans une proportion dépassant l’ordinaire historique, au profit de quelques-uns (1 à 5% de la population) alors que les conditions de travail se détériorent pour la majorité des populations, notamment par la privatisation et la libéralisation, ainsi que par l’introduction stratégique des technologies nouvelles, de la “gestion dynamique du capital humain” et de son organisation, et par celle de la flexibilité transnationalisée (immigration, télécommunication, durée du travail et horaire, etc.) qu’opèrent les Etats principalement;

= une modification fondamentale du rôle des pouvoirs publics par des mécanismes de libérations, de déréglementations et des privatisations, puis par ceux de re-régulations sur des nouvelles bases dans le sphère des états ou au-delà des états; des états dont la plupart deviennent trop petits eu égard aux quelques centaines de grandes firmes et banques, et compte tenu du déclin relatif mais structurel des EUA et de la Russie, et de l’avènement de nouvelles puissances telles que la Chine, l’Inde, le Japon, le Brésil, l’UE, etc.; de plus, l’argent public se transforme, sans contrôle démocratique suffisant, en subsides, directs ou indirects, de plus en plus massifs en faveur des entreprises privées par des mécanismes de redistribution à rebours;

= l’extension de l’économie marchande, c’est-à-dire monétaire ou encore autrement dit la marchandisation dans des activités qui, jusqu’alors, relevaient de l’économie publique en vertu de l’intérêt général ou de l’économie sociale basée sur la solidarité telle que la famille, les tribus ou d’autres collectivités ou ce qui revient à la création de nouveaux marchés tels que celui des adolescents, de nouvelles techniques de financement telles que le micro-crédit, de nouveaux secteurs d’activités tels que l’électroménager ;

= l’apparition ou le développement de nouvelles institutions ou organisations de droit public ou, surtout, privé international dont les structures politiques et la position géopolitique sont de portée variable, telles l’ONU, l’OMC, l’UE, la CEI, l’ALENA, la BCE, de nombreuses ONG, etc.

Le processus en question favoriserait à la fois des interdépendances et des possibilités de conflits accrues à travers les frontières nationales et au sein des pays, mais il reste caractérisé par l’inégalité à la Balogh, l’asymétrie à la Perroux et le développement inégal à l’Amin. Néanmoins, il reste global par la stratégie de développement des transports et des télécommunications dans la sphère essentiellement des états. Ce qui n’empêche pas que des phénomènes spécifiques s’observent du point de vue des effets dans le temps et dans l’espace, selon la force et la faiblesse des acteurs en jeu. Ainsi se distinguent des continents, des pays, des régions, des villes. Il en est de même pour des secteurs économiques anciens et nouveaux ou pour des classes dominantes et des autres couches de la population.

Les rapports sociaux de production se modifient sous l’emprise des investissements multinationalisés et subissent des mutations par la réorganisation des méthodes de travail en accroissant le rythme et le contrôle du travail, quel qu’il soit: intellectuel ou physique. Ces développements mènent à un affaiblissement des contre-pouvoirs au sein de la société et de la capacité des organisations syndicales à améliorer (ou à préserver) les conditions de travail.

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Crise du capitalisme au Premier Monde

Depuis les années 1960, la crise du capitalisme s’installe ainsi dans les pays développés, faisant suite à une baisse des taux de profit. Elle entraîne dans les années 1970 un chômage massif qui, à son tour, modifie structurellement les rapports de force entre le capital et le travail. De plus en plus, cette évolution pèse sur les conditions de travail et les salaires, ce qui bien entendu permet une reprise vigoureuse du taux de profit. Celui-ci en moyenne atteint, au moins, actuellement le double des taux moyens observés dans l’histoire du capitalisme. Cette observation prouve que, suite à des fusions et des acquisitions nombreuses, la concurrence tant vantée ne fait que se réduire comme une peau de chagrin. Ces concentrations du capital créent des structures oligopolistiques, voire monopolistiques nombreuses, sans contrôle adéquat des autorités publiques.

Coïncidant avec le début de l’expansion du capital à travers le monde, la reprise du taux de profit vers 1975-80 a un double effet. Elle facilite, financièrement, la diffusion de nouvelles technologies qui augmentent rapidement la productivité. Les deux effets conjugués renforcent la nouvelle hausse des taux de profits dans les années 1980-90, sans que les salaires réels ne cessent de stagner, parfois de baisser. Il reste que la crise a provoqué une extraordinaire fragmentation de la société du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest. Cette fragmentation a historiquement rendu aisée l’expansion du capital. Il s’en est suivi une dualisation au sein de l’économie-monde et une accentuation marquée des inégalités dans les pays “centres” du capitalisme. Il en était de même dans les pays centre-européens et du Tiers Monde. La fragmentation comme la dualisation alimentait à son tour la crise, dans un développement dialectiquement bien connu.

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Pour une théorie

La théorie de l’internationalisation du “capital financier” intègre tous ces éléments. Elle correspond à une tentative d’explication de la logique du développement capitaliste et des acteurs majeurs de ce dernier, plus particulièrement pendant la deuxième partie du XXe siècle4 et en ce début du XXIe siècle . L'ensemble de la théorie s'appuie, rappelons-le, sur l'hypothèse que l'évolution du capitalisme s'explique par un ensemble de stratégies d'acteurs, entre autres les grandes firmes/banques et les Etats. La stratégie de base des firmes/banques capitalistes vise à obtenir le maximum de profits pour augmenter de façon optimale le capital. Elle réunit une série d’autres stratégies, toutes aussi importantes, qui permettent sa réalisation. De leur côté, autonomes ou non, les Etats sont en crise structurelle, dont ils tentent de sortir par l'intégration "vers le haut" et le régionalisme "par le bas". De plus, ces dernières décennies, on peut parler d’une véritable “prolifération d’Etats”, qui affaiblit la majorité d’entre eux par rapport aux plus grands. La catégorie “Etat” peut enfin être interprétée soit comme acteur indépendant ou autonome, soit comme entité soumise aux intérêts privés dominants.

Tant le profit que le capital est, par définition, d'ordre financier. D'où l'importance de la notion du "capital financier" dans l'explication de l'internationalisation du capitalisme. La logique et l’évolution récente du capital financier s’analyse dans les sphères des firmes/banques et des Etats, et dans un style télégraphique, comme suit :

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L'amplification des flux spatiaux polarisés s'appuie profondément sur les modèles de consommation en voie de standardisation. C’est cette internationalisation qui se prolonge dans les PECO à partir de 1960.

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La délocalisation des "actifs", des projets, des moyens de production est aussi en voie de standardisation segmentée et croissante des fabrications en termes technologiques; d’où la re-définition de la hiérarchisation mondiale des firmes et des banques occidentales, mais sous l’influence croissante du capital russe. L’interventionnisme militaires de la part des Etats capitalistes se multiplie et se joint à un renforcement des forces de maintien de l’ordre.

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L'avènement des réseaux de contrôle capitaliste des “flux” des échanges et des “stocks” de placements et d’investissements s’avère mobile et se réalise à échelle mondiale par une marchandisation grandissante de l’univers humain. Cette évolution s’explique par diverses actions et raisons :
= les changements obtenus dans les modèles de consommation,
= les stratégies de développements technologiques,
= les accroissements de productivités publiques et privées,
= l’instabilité monétaire et les difficultés de financement,
= le discours idéologique néo-libéral ou néo-conservateur;
= des mouvements migratoires, spontanés ou forcés.

De ces évolutions naissent des difficultés de cohérence interne dans la manière dont s'articule chaque projet productif aux diverses sources financières et ce, par le capital financier et eu égard aux :
= énormes coûts des technologies éphémères et "dépenses stratégiques" pour influencer l'environnement physique et sociétal;
= nouveaux marchés en termes de produits et de consommateurs;
= nécessaires amortissements rapides, au sein de chaque firme ou banque.

Malgré les succès séculaires du capitalisme, la cohérence globale du capitalisme et ses problèmes se posent, en même temps, en termes d’adéquations simultanées des:
= structures de productions par le biais des filières et liaisons technologiquement appropriées,
= modèles de consommation adaptés par la formation, la publicité et la corruption,
= systèmes des prix absolus et relatifs idoines, y compris celui des cours de changes,
= répartitions et structures des revenus assorties,
= systèmes de financements bancaire et étatique conformes,
= idéologies et discours pertinents5,

L'inadéquation sectorielle ou régionale est la situation normale: c'est l'image du "capitalisme sauvage", c'est-à-dire non planifié, en crise plus ou moins importante. S’y ajoutent éventuellement les aléas naturels ou d’ordre politique. Ces derniers sont à l’origine de certains efforts de RE-REGULATIONS étatiques pour faire accepter des règles du capitalisme à ses opposants et afin de lui épargner les “excès” et garantir la propriété privée.

Comme Adda le souligne, la mondialisation actuelle en processus est la remise en cause de l’ordre hégémonique international de la deuxième moitié du 20e siècle. Cet ordre a été façonné par les EUA qui sont arrivés au bout du cycle hégémonique qu’ils ont dominé. Cette mondialisation est synonyme de triomphe du principe de profit à l’échelle mondiale et dans les moindres parties privées au sein de la société et des individus. Elle exprime le rééquilibrage des rapports de force productifs, technologiques et financiers entre les pôles qui commandent désormais l’économie/monde capitaliste : l’UE, les EUA, la Chine, la Russie ou peut-être le Japon, ainsi que les multinationales de ces entités géographiques. Cependant, par rapport aux siècles précédents, elle s’opère en réduisant jusqu’à un certain point l’importance de la base territoriale du capitalisme.

Sans entrer dans les détails de la démonstration, les changements de rapports de force entre les monnaies, la pénétration du capital au centre de l’Europe, l’expansion des économiques douteuses comme les privatisations apparaissent donc comme partie intégrante et indispensable de l’expansion actuelle du capital. Le capital ne peut plus faire confiance à l’Etat-Nation classique pour extraire le profit à l’échelle locale ou mondiale, comme cela s’est fait notamment à l’époque coloniale. L’appropriation directe en est devenue primordiale. Dès lors, tout est pour le moment à privatiser. En cas de crise, le capitalisme s’inventra d’autres formules à sa convenance.

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Bibliographie spécifique :

Cette section s’appuie essentiellement sur mes travaux effectués depuis le début des années 1980 voir ma site: www.bardosfeltoronyi.eu.

ADDA, Jacques, La mondialisation de l’économie – Genèse et problème, La Découverte, Paris, 2007.
AMIN, Samir, La déconnexion pour sortir du système mondial, La Découverte, Paris, 1986.
ANDREFF, W., Les multinationales globales, La Découverte, Paris, 1996.
BALOGH, Thomas, Unequal partners, Basil Blackwell, London, 1960.
Banque centrale européenne, rapports annuels et bulletins mensuels.
Central Intelligence Agency, The World Factbook, Brassey's, Washington-London, éditions annuelles.
CNUCED, World Investment Reports, New York & Genève.
HARDT, Michael, The Violence of capital, in : The New Left Review, n° 48, nov-dec., 2007.
HOUTART, François, Délégitimer le capitalisme, reconstruire l’espérance, Colophon, Bruxelles, 2005.
KORTEN, D.C., When Corporations rule the World, Kumarian & Berret-Koehler, New York, 1995.
L'Etat du Monde, La Découverte, Paris, éditions annuelles.
PANITCH, Leo, The Imperial State, in : The New Left Review, Mars-avril, 2000.
Idem & Sam GINDIN, Superintending Global Capital, in : The New Left Review, septembre-octobre, 2005.
PEEMANS, Jean-Philippe, Territoires et mondialisation: enjeux du développement, in: Alternatives Sud, n° 1, 2008.
PERROUX, François, Indépendance de la Nation, Aubier-Montaigne, Paris, 1969;
Idem, Dialogue des monopoles et des Nations, Presses Universitaires de Grenoble, Grenoble, 1982.
TEULON, F., L'Etat et le capitalisme au XXe siècle, PUF, Paris, 1992.
WADE, Robert, A New Global Financial Architecture, in : The New Left Review, n° 46, juil-août, 2007.
WALLERSTEIN, I., The Capitalist World Economy, Cambridge Univ. Press, Cambridge, 1980.
WEBER, Max, Wirtschaft und Gesellschaft, Mohr, Tübingen, 1972.
WIESS, Linda, Globalization and the Myth of the Powerless State, in The New Left Review, n° 225, septembre-octobre, 1997.

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5.1 EURO et DOLLAR, le même combat, la géoéconomie transatlantique ou la désaméricanisation institutionnelle ?6

Depuis le 11 septembre 2001, on le dit et le répète: ce ne sera plus jamais comme avant. On l’avait déjà proclamé après Auschwitz. Or, depuis 1945 et à travers le monde, il y a eu de centaines de guerres et de massacres, notamment au Ruanda, en Afghanistan ou en Irak, pour lesquels nous n’avons pas gardé un silence ni de trois minutes, ni de trois secondes et pourtant les choses se passent comme avant. Certes, l’horrible attentat n’est que l’expression brutale d’une fureur, d’une fureur des exclus. S’il n’est cependant pas le “grand soir” du capitalisme américain, il n’est pas non plus l’apothéose de l’hégémonie des EUA. Pour un tel soir, l’histoire le montre, une mobilisation du grand nombre est nécessaire et ce, à présent, à l’échelle quasi mondiale. Il ne s’agit pas de cela. Au lieu de l’apothéose de l’hégémonie, l’Amérique découvre d’avoir besoin d’alliés. Aussi ai-je le sentiment que nous n’allons guère voir changer que les tendances lourdes du monde7. C’est cette idée qui présidera à l’examen suivant des relations actuelles et futures entre l’euro et le dollar.

Observons8 que“(..) les «décisions historiques» (euro, armée européenne et élargissement de l’Union) définissent sans doute les voies possibles vers une Europe de XXIe siècle, différente de celle du siècle passé. Cette Europe restera-t-elle protectorat américain ou deviendra-t-elle puissance autonome de paix (..) ? Bruxelles pourra-t-il se tenir à distance égale de Washington, de Moscou et de Beijing ? L’Europe sera-t-elle une grande puissance impérialiste ou une union de caractère automne, social et pacifique ? Les questions de la réforme de l’ONU et de la nécessaire désaméricanisation des institutions internationales sont liées à celle de l’avenir de l’Europe. L’élargissement vers l’Est de l’Union appelle une politique claire et décisive (..)”.

Dans la suite, on n’épinglera que deux ou trois questions qui sont liées à la question des liens éventuels entre l’euro et le dollar, celle de la gestion monétaire de ces devises-clefs et celle que l’on peut appeler la désaméricanisation des institutions monétaires et financières internationales.

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Diversité structurelle et différences monétaires

Pour commencer, qu’en est-il des liens entre l’euro et le dollar ? Constatons de prime abord que la diversité des structures productives et étatiques est de nature spatio-historique. Elle explique l'origine et l'avènement de la diversité monétaire qui s’appuie sur le processus de la fiscalisation multiple en faveur des pouvoirs publics quels qu’ils soient. Ainsi, en termes chronologiques et diachroniques, la multiplicité semble en être avant tout expliquée par la différenciation des pouvoirs publics qui veulent instituer un ordre fiscal propre. Le développement multiple et progressif des pouvoirs locaux qui ont peu de contacts monétarisés entre eux implique dès lors celui des monnaies locales. Or, non seulement l'existence de multiples devises mais les changements de dénominations monétaires à travers les temps sont remarquables. Les historiens pourraient sans doute aider à en comprendre les raisons.

Pour commencer, qu’en est-il des liens entre l’euro et le dollar ? Constatons de prime abord que la diversité des structures productives et étatiques est de nature spatio-historique. Elle explique l'origine et l'avènement de la diversité monétaire qui s’appuie sur le processus de la fiscalisation multiple en faveur des pouvoirs publics quels qu’ils soient. Ainsi, en termes chronologiques et diachroniques, la multiplicité semble en être avant tout expliquée par la différenciation des pouvoirs publics qui veulent instituer un ordre fiscal propre. Le développement multiple et progressif des pouvoirs locaux qui ont peu de contacts monétarisés entre eux implique dès lors celui des monnaies locales. Or, non seulement l'existence de multiples devises mais les changements de dénominations monétaires à travers les temps sont remarquables. Les historiens pourraient sans doute aider à en comprendre les raisons.

Si l'on ne remonte qu'à l'aube de l'époque moderne, les société européennes du 15e et du 16e siècle commencent à être dominées par les commerçants. La majorité des biens et services restent localement produits et consommés en une espèce d'économie sociale non monétarisée. D'autres participent déjà à des échanges internationaux. En dehors des larges couches de la population agricole, les commerçants organisent le développement de la production et de la circulation, notamment dans les colonies naissantes. En même temps, les Etats-Nations se créent et se définissent les uns par rapports aux autres. La souveraineté extérieure apparaît ainsi, mais nécessite aussitôt le financement et l'aménagement de celle-ci. Ainsi, depuis presque deux siècles, l’histoire et la position géographique des EUA et de l’Europe s’avèrent de plus en plus différenciées. Dès lors, leurs monnaies respectives ne font qu’exprimer cette différenciation et, les rapports entre elles, les évolutions différenciées entre les deux entités.

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Avènement et déclin des monnaies-clefs

Par la monnaie, les échanges comme les contraintes, la générosité comme la domination s'opèrent avec une aisance remarquable. La monnaie est un attribut économique essentiel des sociétés humaines où l'on paie et où l'on économise sous forme d’argent. Mais, en fonction de l'avènement, de l'épanouissement et du déclin des sociétés, elle revêt des caractéristiques spécifiques et changeantes. Les sociétés historiquement fortes et puissantes ont des monnaies durables dont, par convenance et facilité, l'usage est accepté et/ou imposé sur une partie plus ou moins étendue du monde grâce aux autres apports de ces mêmes sociétés dominantes. Il en a été ainsi du solidus pour la Rome impériale, du "gros tournois" pour la France capétienne, du franc Germinal pour Napoléon victorieux, de la £ pour le Lion britannique régnant sur le monde du XIXe siècle, du "$ U.S." pour l'Amérique de Roosevelt à Nixon.

C'est toujours une puissance (une tribu africaine, les commerçants débrouillards d'une ville comme Florence au XIVe siècle, les gouvernements de nos pays ou une superpuissance comme il n'y a guère les EUA) qui émet, gère et fait accepter une monnaie en fonction de ses propres intérêts. Toutefois, l'importance réelle de la puissance émettrice autant que les conditions économiques des territoires concernés par une monnaie définissent, voire limitent, les possibilités de son émission, de sa gestion et de son acceptabilité. Les modifications des structures politiques mondiales et les changements dans les relations économiques de domination d'une part, l'accumulation des erreurs d'investissements et la création de mauvaises structures économiques d'autre part, sont en effet, autant d'éléments qui agissent par et sur la monnaie de chaque pays. Selon les réussites ou échecs de divers pays, telle monnaie domine telles autres monnaies. Il s'établit entre elles une véritable hiérarchie en fonction du principe du développement inégal.

L'histoire du siècle dernier le prouve fort bien : l'usage de la livre sterling n'aurait pu se répandre dans le monde du XIXe siècle si chacun de ses utilisateurs n'avait pas eu la conviction qu'il pouvait l'employer pratiquement n'importe où et n'importe quand, dans la mesure même où les institutions politiques et financières de la Grande-Bretagne étaient puissantes et tenaient en main un véritable empire mondial. Cependant, surestimant ses possibilités lors de la première guerre mondiale et ses intérêts dans le maintien de son empire colonial, et sous-estimant la vigueur du développement d'autres pays capitalistes et l'importance des changements techniques, l'Angleterre a perdu vers 1920 sa position de puissance mondiale. Comme pour Rome, Byzance ou la France, ce déclin s'accompagnait d'une perte d'influence monétaire.

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La bonne monnaie chasse la mauvaise : la loi de Gresham

Il faut pour qu’une monnaie existe qu’elle remplisse une double condition simultanée. Elle doit pouvoir circuler d’une part dans les transactions d’achats et de ventes tandis qu’en même temps, figurer d’autre part dans les encaisses, autrement dit en quoi on peut épargner sous formes variées : carnet, bons de caisse, obligations, SICAVs, actions, etc. En effet, dans un système qui remplit son rôle, une monnaie ne peut circuler - c'est-à-dire, servir d'intermédiaire dans les transactions - que si elle est susceptible d’être un instrument de réserves. Sinon, personne n'accepterait de la recevoir en se dessaisissant d'un bien réel.

Bien entendu, l'histoire est remplie de monnaies qui circulent, et même de plus en plus vite, tout en étant rejetées des réserves, par les encaisses : chacun cherche à s'en débarrasser aussitôt que reçues. C'est l'application de la loi de Gresham. Cette loi s'énonce par une double affirmation de signe inversé : dans la circulation, la mauvaise monnaie chasse la bonne alors que, dans les réserves, la bonne monnaie chasse la mauvaise. Mais une monnaie chassée des encaisses l'est définitivement et sans appel : elle n'y revient plus. L'inverse n'est pas vrai : la monnaie qui cesse de circuler pour se réfugier dans les encaisses, c'est la bonne monnaie. Elle ne perd, pour autant, aucune de ses qualités monétaires, elle est toujours susceptible de reprendre sa place dans la circulation quand la situation est assainie, par démonétisation de la mauvaise monnaie. Toute monnaie constituant une bonne réserve de valeur et susceptible de figurer dans les encaisses, dans les réserves est donc apte à circuler, alors que toute monnaie susceptible de circuler n'est pas, pour autant, apte à figurer dans les encaisses.

C'est un des aspects historiques les plus importants de la grande crise des années 1930: une monnaie, la livre sterling avec toutes les institutions qu'elle présuppose, perd son importance mondiale et elle est progressivement remplacée par un autre moyen de paiement et de réserve, le dollar. Dans l'histoire, ces passages d'une monnaie à usage universel à une autre se sont toujours faits à travers des crises plus ou moins longues et difficiles. Néanmoins, après les difficultés du début, l'établissement d'une nouvelle monnaie dominante et plus répandue que d'autres a, la plupart du temps, été de pair avec une évolution économique positive et la création de nouvelles institutions telles qu’aujourd’hui l’euro. Souvent, d'ailleurs, les institutions et le processus de progrès économique voient leur nature et leur contenu complètement modifiés à cette occasion.

Ainsi, le passage de la livre sterling au dollar et l'usage "mondialisé" de ce dernier, enfin son déclin, constituent en fait "l'histoire monétaire du monde capitaliste de 1920 jusqu’au début du XXIe siècle. La crise du dollar est en réalité ouverte depuis les années 1960. Ses étapes peuvent être sommairement décrites comme suit. Tablant sur la diffusion internationale du dollar et sur la complaisance de tous les pays capitalistes, les EUA obligent9, à partir d'environ 1960, leurs nombreux prêteurs étrangers à leur prêter encore davantage, autrement dit, ils accumulent les déficits des balances de paiement; en 1968, ils cessent d'honorer leurs engagements monétaires envers les particuliers et les banques centrales en suppriment la convertibilité plénière du dollar en or; en 1971, ils refusent le paiement de leurs dettes aux conditions préétablies en faveur des Etats étrangers, ce qui signifie que les Banques centrales étrangères détiennent des dollars dont elle ne savent que faire, sauf comportement courageux de gouvernements10.

Le passage d'un système de taux de changes fixes à celui de taux de changes fluctuants depuis le début des années 1970 n'exprime que le conflit de souveraineté monétaire entre les nouvelles et grandes entités économiques du monde : le Japon, les EUA et l’UE. Le système monétaire international actuel fonctionne désormais comme un tripode instable dont les produits sont progressivement quasi substituables mais portent des noms différents : yen, euro, dollar. Mais, on l’a compris, chaque monnaie-clef est l'émanation d'une souveraineté politique différente en termes de taille, d'implantation géopolitique et de degré d'élaboration institutionnelle. La maîtrise des mutations séculaires des monnaies-clefs dont le flottement des cours de change n'est que la partie visible de l'iceberg, s'inscrit, cela va de soi, dans les rapports de forces où s'enchevêtrent les pouvoirs publics et privés par leurs stratégies multiples de luttes et de coopérations.

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Les taux de change entre l’€ et le $

Comment peut-on alors comprendre les variations concrètes des taux de change entre différentes monnaies ou devises ? Dans l’économie marchande ne s'échangent pas seulement des biens et des services mais également les diverses formes du capital-argent à des durées variables de prêt ou d’emprunt (de quelques jours à 20 ou 30 ans, selon les opérations) et sous forme de diverses devises (selon les différentes sortes de monnaies nationales). La création et la gestion de la monnaie par l’Etat sont normalement indépendantes du marché privé et relèvent proprement de la souveraineté étatique.

En cas d'une seule monnaie dans l'économie, l'échange visant l'obtention ou l'octroi du capital-argent (appelé parfois les actifs financiers, les créances, les avances ou les prêts, etc.), pour une certaine durée, implique le paiement d'un prix qu'il convient d'appeler l'intérêt. En cas de multiplicité de monnaies (des devises), l'échange du capital-argent peut comporter non seulement le paiement de l'intérêt par l'emprunteur, mais également le rapport, le taux ou le cours de change (autant de dollars pour autant d’euros) et le coût de l’opération de change (une commission).

Pour saisir bien ce rapport et ce coût, il convient de faire un bref retour aux considérations théoriques ci-dessus. Comme on l’a déjà explicité, on peut considérer que l'espace économique est constitué de régions qui peuvent être des pays ou des entités plus petites, des groupes de pays ou des continents, etc. La pluralité des régions exprime celle des prix, coûts et revenus, et correspond à celle de structures économiques. Elle peut se traduire en une pluralité de monnaies, mais celle-ci n'est pas une nécessité. Chacune des monnaies constitue cependant un facteur de différenciation entre structures régionales et un facteur de cohésion au sein de structures régionales.

Répétons-nous, les régions fortes ont de la monnaie forte car les premières imposent la seconde. Les régions faibles ou soumises ont de la monnaie faible et doivent supporter la charge de l'adaptation aux fortes. Le rapport entre les monnaies ou les devises différentes suit les rapports de forces entre les Etats-Nations. Or, sans tenir compte des commissions de change prélevées par des banques, les taux de change peuvent être définis en termes de parité financière à court terme. A plus long terme, il convient de faire y intervenir le facteur de la parité de pouvoir d'achat. Et plus fondamentalement y est constamment sous-jacent le poids géopolitique, c’est-à-dire les poids économique, militaire et idéologique respectifs.

La parité financière n’est qu’une combinaison des taux d’intérêt prévalant dans les divers pays par rapport aux taux de change. Tandis que, la parité du pouvoir d'achat se calcule à partir des taux de change et sur base de la comparaison entre rapport de coûts et rapport de productivité des facteurs de production intervenant dans la fabrication des biens et services exportés ou importés. On sait que la parité financière est subordonnée - à moyen et à long terme - à la parité du pouvoir d'achat en raison du fait que la première est soumise aux fluctuations rapides des cours de change et des taux d'intérêt, et que la seconde est l'expression véritable des rapports de forces déterminés par l'inégal développement de chaque pays en termes, bien entendu, économique, militaire et idéologique.

La parité de pouvoir d’achat à son tour sera ainsi conditionnée par le poids de l’émetteur et le gestionnaire des monnaies en jeu. Les monnaies-clefs servent dans le monde comme encaisse, comme moyen d’épargne et de financement. Les pays puissants garantissent l’imposition de leurs monnaies, précisément par leurs puissance. Cette dernière leur donne la possibilité quasi infinie de créer la monnaie sans contrepartie, de forcer leur partenaires l’utiliser dans les transactions et de persuader les riches d’épargner dans la monnaie concernée L’Angleterre de jadis comme les EUA encore récemment n’a jamais accepté de payement, d’épargnes sous diverses formes, de cotation en bourses, de contrats d’assurances, etc. stipulés en une autre monnaie que respectivement la £ ou le $. C’est toujours dans leurs propres monnaies qu’ils se sont endettés afin de ne pas subir des aléas de variations de taux de changes.

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La désaméricanisation des institutions monétaires et financières

C’est dans ce contexte qu’il faut situer le caractère foncièrement américanisé des institutions monétaires et financières créées aux lendemains de la guerre 1939/45 à l’initiative des EUA et la nécessité de sa mise en question. Les attentats contre les EUA, ainsi que l’échec militaire de ces derniers en Irak et en Afghanistan notamment ont démontré à la puissance hégémonique - ou à celle qui se prend pour telle - les nécessaires alliances dans le monde sans lesquelles son pouvoir d’intervenir demeure limité. Ainsi, une certaine “désaméricanisation” des institutions internationales est-elle devenue inéluctable qu’il s’agisse du FMI, de la BM, de l’OMC ou de l’ONU elle-même. Tout s’y fait jusqu’ici sous contrôle des EUA. Avec une certaine complicité européenne, japonaise et de pays pétroliers, l’influence de Washington s’y est maintenue jusqu’aujourd’hui.

La désaméricanisation signifiera de réduire cette influence à la proportion du droit de vote et des cotisations effectivement payées du pays. Elle entraînera la modification des règles de fonctionnement, l’installation de leurs sièges dans les pays européens, au Japon ou en Inde par exemple, une nouvelle composition de leurs directions et l’introduction du multilinguisme effectif. Au plan mondial, et dans la perspective d’une réelle démocratisation, la réforme de l’ONU semble prioritaire afin de l’affranchir d’une tutelle américaine excessive. Tous ce qui viennent d’être argumentés s’applique, dans les relations plus limitées et transatlantiques, à l’OTAN et aurait un impact non négligeable sur les relations €-$ à long terme.

L’enjeu géopolitique par excellence, cette désaméricanisation est d’autant plus important que les EUA sont le pays le plus endetté du monde et vivent au dépens des pays plus pauvres qu’eux. C’est très souvent le cas des grandes puissances. Comment peut l’Amérique se le permettre ? D’une part, ils l’imposent par la voie du mécanisme suivant. Leurs balances des payements sont déficitaires depuis un demi siècle. Simplement, d’une façon constante, ils importent plus qu’ils n’exportent ou autrement dit ils consomment plus que ne produisent. Ils font rentrer davantage de biens et services qu’ils n’en sortent, autrement dit l’Amérique vit au crochet du monde, elle appauvrit le monde en termes réels.

D’autre part, les déficits sont financés par les rentrées massives des capitaux de quelques-uns en quête de placements intéressants. Les taux d’intérêts et de profit restent toujours légèrement plus hauts aux EUA qu’ailleurs grâce au taux d’exploitation plus élevée mais à conditions de risque égale11. Ces placements sont détenus par les non résidents et constituent l’endettement du pays « qui devra être réglé », comme souligne la BCE en 200612. Ces rentrées des capitaux manquent au reste du monde et y freinent les investissements au détriment du grand nombre. Pour le maintien du niveau de change du dollar, les besoins des capitaux des non-résidents13 doivent être satisfaits par l’afflux continu des capitaux étrangers, sinon c’est l’effondrement.

Enfin, sous contrôle américain, les institutions internationales n’en disent forcément rien, sauf la BCE. La dette faramineuse des EUA à l'égard des pays européens et du Japon ne pourra trouver autre solution que celle trouvée pour les "balances sterling" du Royaume Uni ces dernières décennies. Il faudrait ainsi que les EUA s'appliquent à rembourser, notamment en € et selon des modalités à négocier, les dettes nées grâce au système de dollar qui leur donnait l'illusion de pouvoir s'endetter sans devoir rembourser. Le cas de la Chine pourrait être différent. Depuis le début des années 1990, ce pays exporte nettement plus qu’il n’importe, surtout dans sa relation avec les EUA. Par conséquence, il détient un volume substantiel de dollar. Il semble vouloir l’utiliser dans une perspective géostratégique : faire le chantage aux EUA et acquérir des entreprises, notamment américaines.

Quelques événements récents renforcent le sentiment de voir poursuivre l’affaiblissement du dollar par rapport à l’euro. D’une part, il y a ce que l’on appelle le pétrodollar. Au début des années 1970, les EUA et l’Arabie Saoudite concluent un accord en vertu duquel les premiers apportent leurs soutiens technique et surtout militaire au second, en échange de quoi celui-ci s’engage à n’accepter que des payements en dollar pour le pétrole. Peu de temps après, les autres pays de l’OPEP décident de fonctionner sur base du même principe. De leurs côté, les pays consommateurs sont ainsi obligés de payer en dollar, autrement dit d’exporter leurs biens et services aux EUA afin d’obtenir le dollar nécessaire. En 2000, l’Irak est parmi le premier pays de l’OPEP de refuser le dollar pour son pétrole et exige l’euro. Le Vénézuéla, l’Iran et la Russie s’en suivent, ne fût-ce que partiellement.

De même, à fin 2006, quatrième pays exportateur de pétrole, l'Iran annonce que ses revenus extérieurs et ses avoirs à l'étranger seraient désormais libellés en euros plutôt qu'en dollars, pour répondre à l'embargo américain et le contourner. Selon un rapport de fin 2006, la Banque des règlements internationaux indique que la Russie et les pays membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) préfèrent désormais placer leurs liquidités en euros plutôt qu'en dollars. A ce moment, leurs avoirs en dollars ne représentent plus que 66 % du total, tandis que ceux en euros s’élèvent à 24 % en constante augmentation lente mais réelle. Le volume de billets en euros dépasse celui en dollars, encore qu’il faille tenir compte du fait que les payements se font davantage par cartes de crédits aux EUA qu’en UE.

D’autre part, les dépôts en devises sont le plus en plus en euros dans les banques multinationales et centrales14. Enfin, un grand nombre de pays instituent en commerce bilatéral l’usage d’une monnaie plus à leur convenance que celui du dollar. L’endettement extérieur des EUA qui est supérieure à la somme d’endettement de l’ensemble des pays du monde aggrave la position de la devise américaine. Il convient cependant de remarquer que la chute brutale et substantielle du dollar peut entraîner une crise mondiale non négligeable. Dès lors, elle n’est guère souhaitée par les banquiers ou les gouvernements, et n’est point souhaitable du point de vue des consommateurs ou des travailleurs. Elle est susceptible de mettre fondamentalement en question l’équilibre approximatif de force dans le monde et de provoquer même de guerres.

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Privatisation de la création monétaire

Depuis le début des années 1980, on observe en fait une véritable accélération de fusions, de rapprochements, d'alliances, d'acquisitions,... de banques, entre autres. Tout cela ne signifie évidemment pas une concurrence accrue, ni un meilleur service aux consommateurs. Il est plus que probable que le "marché intérieur européen" soit finalement plus concentré à l’heure actuelle que les économies nationales de jadis. Donc, il n'est guère certain que la concurrence s'accroisse véritablement et que la baisse des coûts entraîne celle des prix, notamment des tarifs bancaires.

Du plus, les ressources financières circulent, en toute liberté, dans le monde grâce aux maffias, aux terroristes et aux multinationales, entre lesquels la distinction n’est pas toujours évidente. Le contrôle n’en a pas moins non plus avec les Etats “néolibéraux libéralisés”.
Dans la grande poussée de libéralisation, on a paradoxalement réussi de rigoureusement et trop réglementer la Banque Centrale Européenne. D’une façon absurde, il lui est interdit de prêter aux pouvoirs publics et, d’une façon franchement anhistorique, de ne se préoccuper que d’évolutions des prix. Les politiques d’emplois, de revenus ou de change ne sont pas de ses compétences, ni même la politique de crédit. Ceci est d’autant plus étonnant que son correspondant américain, la Réserve Fédérale, se trouve totalement intégrée dans la politique économique du pays et même on lui attribua la forte croissance de l’économie des EUA de ces dernières années.

En UE, il s'agit donc d'empêcher "le Prince de frapper la monnaie" et le peuple d'en contrôler la politique. L'interdiction en question rend impossible le financement public par création monétaire et oblige ainsi l'Etat à couvrir constamment ses besoins mêmes conjoncturels par des impôts ou par des emprunts auprès des banques désormais exclusivement privées. Il est difficile de comprendre économiquement pourquoi les seules banques commerciales auraient le droit de créer de la monnaie par opérations de crédits tant en faveur de l'économie publique que privée. Ce n’est que purement et simplement de privatiser la création monétaire. Si l'on avait été logique dans l’anti-étatisme libéral, le traité de Maastricht aurait dû imposer la privatisation des banques centrales, de la Banque Centrale Européenne, elles-mêmes.

A présent, la fixation des taux de change et d'intérêt s'affranchit en grande partie des autorités monétaires. La raison en est complexe mais a principalement trait au fait que, d'un côté, les volumes d'intervention dont elles disposent s'avèrent modestes par rapport aux masses sur lesquelles travaillent les quelque 400 à 500 "gros acteurs" bancaires et financiers. Par ailleurs, l'absence d'un quelconque contrôle significatif permet le recours à un "marché des non-résidents". De ce fait, la création monétaire devient massivement privée et échappe à toute intervention publique de quelque importance. Même tout au contraire, les pouvoirs publics nationaux sont de plus en plus soumis aux diktats de quelques-uns sans être contrôlés en vertu de l'intérêt général. Une politique monétaire et financière ne se conçoit dès lors que par le (r)établissement d'une autorité publique idoine. Le caractère adéquat de celle-ci se mesure, d'une part, en termes d'exigences sociales de l'univers économique que l'on se donne et, de l'autre, compte tenu des contraintes d'organisation et d'aménagement spatial de cet univers.

Et, en ce qui concerne les prix, leur niveau général ne dépend évidemment pas de la Banque Centrale Européenne. Il se trouve entièrement déterminé par les entreprises qui fixent leurs prix en fonction de leurs positions de marchés. Comme on le sait, celles-ci n’est qu’exceptionnellement concurrentielles; d’où l’inflation, c’est-à-dire une hausse séculaire et quasi-constante des prix. L’inflation sera plus ou moins forte selon les variations de ces rapports de force sur lesquels agit également l’exigence du taux de profit formulé et imposé par des gros actionnaires. En matière des taux ou cours de change, les banques privées ne peuvent arbitrairement agir en fonction de la seule maximation de leur profit car elles sont soumises aux rapports de force avec d’autres acteurs de l’économie internationale, notamment des autres multinationales.

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Les fameux critères de Maastricht

Il faut bien constater que la surveillance des trois indicateurs de base de Maastricht n’est qu’un ersatz à une politique économique et monétaire. Les EUA ne subissent aucunement des contraintes aussi imbéciles. Ils mènent une politique économique, budgétaire et financière dynamique que possible dans une perspective de croissance au risque de quelques déséquilibres et d’endettement public et privé assez énormes. C’est ce que l’on appelle une “politique keynésienne”. Par rapport à cela, rappelons les indicateurs “européens” pour montrer leurs insuffisances foncières pour développer le “bien-être économique” au sein de l’Union. Le respect de ces indicateurs n’a guère de rapport avec l’euro. Voyons-les.

Primo, les Etats membres doivent éviter les déficits publics excessifs, en respectant des "valeurs de référence". La règle elle-même est d'une inanité rare. D'une part, un déficit budgétaire signifie qu'au lieu d'une couverture fiscale totale, l'Etat se finance par emprunts. Sans doute du point de vue démocratique mais sans lien avec une quelconque convergence économique, il vaut mieux que les citoyens payent d'une façon transparente tous les impôts nécessaires pour couvrir les dépenses publiques et que leur vision ne soit pas ainsi obscurcie par des opérations financières.

D'autre part, des charges d'intérêt et de remboursement se prêtent à des chantages politiques à l'instar des pratiques séculaires des gouvernements belges en évoquant des "assainissements nécessaires" et aux chantages des multinationales bancaires. Néanmoins, il n'existe aucune raison économique pour déconseiller à l'Etat de vouloir emprunter comme tout autre acteur économique. Enfin, l'équilibre budgétaire est un mauvais critère car il n'est que comptable. Seule l'évaluation de l'efficacité économico-politique des dépenses publiques présente un intérêt réel. Si un accroissement des dépenses publiques se traduit par des recettes supplémentaires, tant mieux! Mais, il est tout aussi possible qu'un effort supplémentaire des pouvoirs publics ne fasse qu'assumer un coût collectif qui peut être générateur d'effets positifs sur l'ensemble de la société, sans entraîner un accroissement immédiat des recettes. D’ailleurs, une rigueur budgétaire à l'échelle européenne risque d'entraîner une récession substantielle ce qui présentement pourrait bien être le cas.

Quant aux "valeurs de référence", les deux chiffres ont été fixés: un endettement public cumulé ne dépassant pas 60% du Produit Intérieur Brut annuel et un déficit annuel maximum de 3% de celui-ci. En termes économiques, ces indicateurs en tant que critères n'ont aucune signification pour des raisons déjà évoquées et aussi en raison du caractère totalement non fondé des chiffres eux-mêmes.

Secundo, pour l'Etat membre, la hausse annuelle des prix à la consommation ne devra pas excéder de plus de 1,5% la moyenne des trois pays les meilleurs. Ici comme ailleurs, le chiffre fixé n'a non plus aucun fondement rationnel. Mais, en outre, il convient de remarquer que la hausse globale des prix n'a pas une portée très précise par rapport aux autres variables de l'économie. On sait que les pays ou régions moins développés ont tendance à aligner leurs prix sur ceux plus élevés des pays ou régions riches. De plus, il y a le comportement non concurrentiels des entreprises qui génère la hausse générale des prix, autrement l’inflation.

Tertio, le taux d'intérêt à long terme ne devra pas excéder 2% de la moyenne des taux les plus bas pratiqués dans les trois pays de l'UE qui ont les taux d'inflation les plus faibles. D'aucuns avancent qu'il existe une certaine corrélation entre les évolutions des taux d'intérêt et les taux d'inflation. La différence absolue des taux d'intérêt s'expliquerait toutefois par l'exigence d'une "prime de risque" que devrait supporter toute devise faible par rapport à une forte. Cette prime s'exprimerait par le pourcentage de différence des taux entre les deux pays. Cette différence s'ajouterait, pour les pays à devise faible, aux taux d'intérêt du pays à devise forte. Or, partout où la concentration bancaire est élevée, un différentiel des taux semble devoir plutôt s'interpréter comme expression d'une situation oligopolistique à faible concurrence de taux. Du reste, comme précédemment, le chiffre fixé est totalement arbitraire!

En vérité, une véritable convergence exigerait des politiques foncièrement différentes d'un pays à l'autre, de manière à permettre aux plus faibles d'entre eux de rattraper les mieux armés et se positionner par rapport au dollar. La similitude des politiques ne pourrait que renforcer le statut quo. Les critères de convergences sont simplement et sélectivement monétaires alors qu'il en existe d'autres bien plus importants. Sans doute, les critères de balances des payements comme celui de l'endettement privé des entreprises seraient fort significatifs. Les critères écologiques comme ceux cernant les conditions de travail le seraient tout autant. Un taux de chômage "historiquement acceptable" de 2 à 3% serait aussi une référence prioritaire du point de vue bien-être et un facteur de puissance du point de vue géoéconomique. Complémentaire à ces premiers critères de convergence, la réduction du PIB devrait aussi être une référence bien plus intelligente que celles qui sont proposées par Maastricht. Il en serait de même des critères des différences salariales où un écart intra-européen de l'ordre de 1 à 2 paraît déjà intolérable tant du point de vie économique que socio-politique. Que dire des taux de profits ?

Le Conseil des ministres européens ne débat pas la question de fond : le taux de change d’euro par rapport au dollar ou au yen. D’ailleurs ni ce conseil, ni la Banque centrale européenne ne semble débattre les fluctuations fortes du dollar de ces dernières décennies ce qui, cependant, importent pour les citoyens européens. Il en est de même quant à la hausse insistante de cette devise depuis long temps. Il n’y a pas de politique européenne dans ce domaine et donc c’est le libre d’échange dominé par quelques-uns. Existera-t-il encore des différences sensibles du degré de libéralisation entre l'espace européen et l'espace mondial? La mondialisation des appareils productifs est en marche depuis la deuxième moitié du XXe siècle. Les systèmes productifs des pays européens n'y échappent guère, sauf mesures énergiques. Est-ce possible ?

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La question d’un système productif autonome

En résumé, ni la politique de la Banque centrale européenne, ni le respect des critères de Maastricht ne remplace une politique monétaire et de change jointe à une politique socio-économique. Leurs absences affaiblit la position de l’euro. La question se pose dès lors de savoir s'il reste une chance d'arriver à l'émergence d'un système productif européen global qui devrait constituer la base de l’euro. La généralisation à l'échelle mondiale du phénomène de concurrence oligopolistique, de peu nombreux en entente tacite, et les contraintes de valorisation du capital au sein des économies dominantes tendent à désarticuler l'ensemble productif européen. L’internationalisation du capital établit une hiérarchisation des divers éléments constitutifs d'un espace mais point une cohérence ou une rationalité supérieure. La mondialisation tend à l'emporter, pour le moment, sur l'européanisation.

Pour mieux maîtriser cette mondialisation, il convient que l’UE se donne rapidement des moyens juridiques pour "créer la monnaie publique par le crédit", comme le font toutes les banques centrales du monde, et pour instituer une politique de crédit qui permette de créer, entre autres, les conditions d'une politique économique globale à l'échelon européen. Cette phase institutionnelle s'imposera inéluctablement avec l'extension réelle du rôle de l'euro tant dans son usage public que dans son utilisation privée. L'espace productif et bancaire européen privé a été rapidement constitué, mais il ne prendra pleinement son sens qu'en étant complété par un espace fiscal commun. L’UE devra devenir un espace économique à haute productivité et à hauts salaires accompagnées d’un euro solide et fort15.

Les pouvoirs publics d’Europe peuvent-ils tolérer à la longue la mise en question de leur droit d'émettre et de gérer une monnaie publique ? Est-il possible de disposer, sur le plan multinational, d'un système bancaire complet sans que ce système ne soit organisé en référence extérieure à lui-même, garanti et réglementé par un “prêteur en dernier ressort” ? Comment peut-on mener une politique monétaire consistante lorsque les opérations échappent dans leur majorité aux autorités ? Par ailleurs, il n’existe une possibilité de mener des politiques monétaires qu’à condition que celles-ci s’appuient sur une politique économique élaborée et aussi complète que possible. Quand récupérera l’Europe les créances qu’elle détient sur les EUA ? A quel moment, occupera-t-elle la place qui lui est due dans les institutions internationales et obtiendra-t-elle une relance économique indispensable par la voie d’€ ? L’UE peut-elle éviter une substitution trop rapide de l’euro au dollar afin d’éviter l’éviction internationale de celui-ci et une crise économique majeure ?

Ces questions géoéconomiques nous renvoient à la question géopolitique de fond : au XXIe siècle, quelle Europe aurons-nous ? Une Europe restera-t-elle enfermée dans “l’Agenda Transatlantique” profondément asymétrique à son détriment, autrement dit une satellite soumise aux EUA, ou deviendra-t-elle une puissance autonome qui se tiendra à distance égale de Washington, de Moscou et Beijing ? La disparition de la position hégémonique des EUA peut-elle être acquise sans guerre, ni agression de leur part? Quelles que soient les réponses que l’on y donne, il reste que la création même privée de l’euro induit un dynamisme pouvant progressivement marginaliser le dollar à travers des crises dérégulées et chaotiques. Est-ce cela que l’on souhaite ?

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Bibliographie

Cette section s’appuie essentiellement sur mes travaux depuis le début des années 1980, voir ma site: www.bardosfeltoronyi.eu.

ANDREANI, Jacques, “Les Européens auront les Américains qu’ils mérites” & Nicole GNESOTTO, La longue marche vers le partenariat, in Commentaire, n° 94, été 2001.
COHEN, Daniel, L’Odyssée du dollar faible, in : Le Monde, 17.1.2007.
FERRY, Jean Pisani & Benoît COERE, Un regard européen sur la réforme du système financier international, in : Commentaire, n° 94, été 2001.
FT, Decline in the dollar, 18.8.2001.
GOKAY, Bülent, L’Irak, l’Iran et la fin du pétrodollar, in: Pravda, 15.5.2006 et également à l’adresse: b.gokay@intr.keele.ac.uk.
GUHA, Krishna, Paulson sets out new China strategy, in: FT, 19.9.2006.
TAGGART MURPHY, R., East Asia’s Dollars, in: New Left Review, Juillet-août, 2006.
WADE, Robert, Showdown at the World Bank, in: New Left Review, n°7, janvier-février, 2001.
idem, A New Global Financial Architecture, in : New Left Review, n° 46, juil-août, 2007.
WASSEIGE, Jean-Christophe de, Les 5 menaces qui planent sur l’économie mondiale, in: Trends, 15.6.2006.

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5.2 La rentrée du capital au centre de l’Europe16

A partir du début des années 1970, d’abord lentement, ensuite depuis la fin des années 1980, d’une façon accélérée, le capitalisme se redéploie sur le terrain perdu au centre de l’Europe avec l’avènement du communisme, en 1917 ou en 1945, selon les pays. Ce redéploiement se nourrit, autant des forces intérieures de chacun des pays que du capitalisme multinationalisé, avant tout européen. Des nouvelles alliances se sont nouées. La présence de Renault ou de FIAT, ou encore celle des banques occidentales ou la constructions usines chimiques “clef sur la porte” se multiplient dès les années de “détente” en 1960-70 et à travers la région, notamment en Pologne, en Hongrie et en Roumanie. Il s’agit donc d’un examen géoéconomique attentif de l’expansion de l’espace du capital dans des pays en voie de s’incorporer dans le processus de globalisation.

Précisons dès à présent que le “centre de l’Europe” pris en considération ici s’étend entre la Russie et l'UE à 15, donc avant les élargissements successifs. Ce centre de l’Europe représente quelque 200 millions de consommateurs de niveaux de vie évidemment très différenciés et au total un PIB d'ordre de 750 à 800 milliards d'euros, soit 10 à 20 % du PIB de l'ensemble de l'UE actuelle, en termes de parité de pouvoir d’achat. Sans doute, même seulement 10 ou 20% de ces consommateurs qui disposent d’un pouvoir d’achat significatifs, méritent-ils, d’une part, un toujours “détour” pour un capitalisme toujours assoiffé de nouveaux marchés. Tout le monde considère, d’autre part, que la qualification des travailleurs dans les PECO correspond à un niveau excellent de productivité.


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Carte 19. Les pays d’Europe centrale et orientale


Les pays candidats des PECO auraient une productivité moyenne de 41% par rapport à celle de l’UE, tandis que les salaires bruts représentent quelques 20% de ceux de l’UE. Il en résulte, en bonne logique, que les taux de plus-values seraient deux ou trois fois plus élevés dans les PECO que dans ceux de l’UE et que le taux de profit s’y avère exceptionnellement haut. Favorisant la délocalisation d’activités, ce dernier taux est en plus atteint à un coefficient de risque relativement modeste, puisque, dans la majorité des PECO, “l’ordre et la loi règnent”. Nous supposons, dès le début de nos réflexions, que sans sécurité suffisante du point de vue des propriétaires de capitaux, il n’y a guère de l’expansion du capital, quel qu’il soit.

La présence de l'armée ou celle de la police fédérale des EUA dès le départ des troupes soviétiques dans pratiquement tous ces pays, puis des programmes pour le Partenariat pour la Paix qui la légalisaient et enfin l’élargissement progressif de l'OTAN ont été considérés comme une garantie suffisante aux prises de contrôle effectuées ou à réaliser par le capital étranger. Le FMI, la BM, l’UE, la BEI ou la BERD ont soutenu l’offensive capitaliste et ont tenu des discours idéologiques sur la nécessité des “réformes” dont la libéralisation des échanges et, avant tout, la privatisation des moyens de production. Ils ont subventionné les groupes multinationaux et exercé la tutelle par la contrainte financière sur ces pays. La contrainte financière s’est justifiée par l’endettement extérieur des PECO dont l’existence dénotait une certaine complicité déjà ancienne entre élites locales et intérêts bancaires du capitalisme occidental.

L’enjeu principal de ces stratégies est la réaffirmation et la garantie du droit absolu de la propriété privée et la possibilité de dégager librement le profit. D’autres supposent enfin que le processus - peut-être trop lent - de l'adhésion des PECO à l'UE semble avoir de fait présupposé la présence forte des multinationales européennes dans ces pays. Ces évolutions étant bien connues et analysées, on se contentera ici d’élaborer l’une ou l’autre hypothèse et de vérifier empiriquement celles-ci sur le terrain. Cette vérification se fera par l’examen attentif, mais non exhaustif, des stratégies des groupes multinationaux en conjonction des Etats concernés. Le texte se divise en deux sections et se structure autour des deux questions suivantes : la rentrée du capital au centre de l’Europe était-ce une surprise ? était-ce une nécessité ?

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A. Etait-ce une surprise ?

Comme on a pu le voir dans l’introduction de cette Partie, l’élargissement géographique et surtout la privatisation apparaissent donc comme partie intégrante et indispensable de l’expansion actuelle du capital. La privatisation qui concerne les PECO n’en est qu’une des variantes à travers le monde. Le capital ne peut plus faire confiance à l’Etat-Nation classique pour extraire le profit à l’échelle mondiale, comme cela s’est fait notamment à l’époque coloniale. L’appropriation directe en est devenue primordiale. Dès lors, tout est pour le moment à privatiser. Ceci se déroule dans une ambiance de crises multiples.

Dans les pays du centre de l’Europe, quels phénomènes de crise observe-t-on ? Une désindustrialisation dramatique parfois faisant suite aux guerres civiles ou en les occasionnant, mais ayant surtout comme conséquence des privatisations. Des Etats rendus petits et inefficaces par le jeu des élites locales et en vertu du néolibéralisme et néoconservatisme ambiants. Une réduction sensible des naissances et celle de la population due à des mouvements migratoires, spontanés ou forcés. La détérioration des infrastructures faute d’investissement depuis des années 1980. Etc. Cet ensemble de facteurs ou d’évolution provoquent une méfiance aiguë à l’égard de ce que les institutions occidentales appellent “transition” et démobilisent politiquement une large proportion des populations. D’où l’abstentionnisme croissant lors des scrutins électoraux ou le succès des partis extrémistes de droite.

En termes juridiques, la privatisation des entreprises centre-européenne ne s’impose d’ailleurs pas par l’acquis communautaire. La législation de l’UE est en principe neutre sur la question de la propriété des firmes. Mais, cette attitude de principe est hypocrite. D’une part, l’UE en “libérant” tels ou tels secteurs économiques, force “au nom des règles de concurrence” la transformation des monopoles publics en monopoles privés. Les pouvoirs publics sont en principe toujours soupçonnés “d’aider leurs entreprises”, alors que la masse de subsides, directes ou indirectes, aux groupes privés reste tolérée en vertu d’une politique industrielle européenne, malgré l’administration occasionnelle des coups de bâtons de l’UE.

D’autre part, l’UE sait fort bien que d’autres institutions internationales telles le FMI ou la BM exigent des redressements budgétaires par ventes des propriétés publiques notamment. Dans la recherche de la “rente de situation” par le capital, le contrôle des entreprises tout au long des filières industrielles est complémentaires de la stratégie d’intégration de ces dernières, d’expansion géographique et de constante concentration. Avec des privatisations, le démantèlement des Etats se poursuit, perdant en effet des leviers directs de la politique économique. Dans le cadre de ce qu’on appelle des “investissements directs étrangers” dont l’essentiel est constitué par des achats d’entreprises déjà existantes, la BERD ou la BEI appuient la stratégie globale des grands groupes européens en contribuant à leurs financements pour leurs projets, notamment dans les pays adhérents au centre de l’Europe.

La plupart des PECO attirent par ailleurs les capitaux à la fois par une politique de hauts taux d’intérêts réels et l’abstention en matière de politique économique, sociale ou environnementale, ainsi que par une politique fiscale favorisant les placements financiers dont les participations aux entreprises privatisées, autrement qu’en les subsidiant. Les acquisitions se sont bien entendu effectuées soit pour mieux faire absorber la production existante des multinationales par élimination de concurrents locaux, soit pour étendre la production en vue des marchés nouveaux par voie de délocalisation des lieux de production. Le premier phénomène l’emporterait jusqu’ici sur le second. Ces politiques ont finalement abouti à une extraordinaire destruction du capital et partant de l’emploi.

En Hongrie, une étude estime que l’introduction massive du capitalisme dans le pays à partir de 1990 aurait détruit 35 % du stock du capital en quelques années. Les raisons en seraient la réorientation sauvage du commerce extérieur et l’effet de “désorganisation”. Cette estimation semble corroborer celle qui montre que l’emploi industriel a été réduit de près de la moitié depuis cette date-là. Dans les autres PECO, l’évolution ne devait fondamentalement pas être très différente. Connu pour son franc-parler, le président croate, Stripe Mesic reconnaît que la privatisation entreprise a conduit à enrichir deux cents familles. C’était le fait pour beaucoup des PECO.

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Les stratégies des groupes multinationaux

Dans ce contexte, la question empirique qui se pose est double : quels sont les objectifs possibles des groupes multinationaux et comment peuvent-ils, concrètement, les obtenir au centre de l’Europe ? Les rivalités entre les multinationales concernées ne sont, pour des raisons de « secrets d’affaires », que rarement révélées, mais évidemment renvoient vers le recours de la corruption directe ou indirecte comme moyens stratégiques. Comme à l’époque de la colonisation au XIX et XXe siècles, la coopération entre elles constitue aussi une stratégie, surtout dans le cas de la consolidation des acquis.

Quelles sont ces multinationales ?

En ce qui concerne l'action des multinationales d'Occident, un mouvement de prise de contrôle s'observe géographiquement d'Ouest en Est, puis du Nord au Sud, et des capitales vers les autres villes ou régions. Les multinationales ont d'abord plutôt visé les secteurs proches de la consommation courante, ensuite des secteurs qui en étaient de plus en plus éloignés. Elles se sont ainsi intéressées d'abord à l'alimentation, aux produits de nettoyage et cosmétiques, puis aux équipements domestiques et électriques; ensuite, au secteur de la construction, aux sociétés immobilières et aux grands magasins ou chaînes de distribution commerciale; enfin aux mines, aux centrales et aux sociétés de distribution électriques, à l'informatique et aux télécommunications. Simultanément et progressivement, le secteur des banques et assurances a été investi également, selon les besoins de payements, de crédits et de “blanchiments”, voir point 3 dans la partie B de cette analyse.

Les stratégies des groupes multinationaux de Russie sont concentrées sur les matières premières dont ils détiennent des positions monopolistiques dans le pays et qui, en outre, peuvent être vendues à l'étranger. Elle vise également les moyens de transports pour acheminer et distribuer ces produits vers l'Europe occidentale. En tout premier lieu, il faut mentionner les matières énergétiques telles que gaz et pétrole, ainsi que l'électricité. Puis, il y a l’aluminium et les métaux rares - l'or et l'argent, le diamant - qui font objet de l'exportation. En conséquence, ces stratégies visent essentiellement à assurer les voies de communications - les conduites, les ports, les chemins de fer, les routes, etc.- à contrôler quelques entreprises de première transformation, telles que des raffineries, et à garantir le transit vers les marchés d'absorption.

Les pays baltes, le Bélarus, l'Ukraine, la Pologne, la Slovaquie et même la Hongrie sont concernés par cet objectif de transit. En ce qui concerne plus spécifiquement l'Ukraine, des groupes multinationaux russes commencent à prendre le contrôle de plusieurs secteurs d'activité et notamment ceux liés à l’usage, le transport ou la distribution des hydrocarbures, en contrepartie des dettes ukrainiennes dont souvent les mêmes groupes russes, notamment fournisseurs énergétiques, sont les créanciers. Enfin, il conviendra de mentionner l'existence de quelques groupes multinationaux proprement centre-européens qui s'intéressent avant tout aux secteurs énergétiques et bancaires.

Comment privatiser, c’est la question !

Dans les différents PECO, les entreprises étatiques ont en fait connu une triple évolution dans le processus de privatisation.

Soit, s'ils disposaient des ressources financières et de capacité suffisante pour corrompre, les dirigeants ont privatisé, pour et par eux-mêmes, leurs propres entreprises. D’où sont nés les premiers groupes financiers centre-européens de faible dimension toutefois, comparés à leurs homologues occidentaux. Leur durée de vie s’est avérée souvent réduite face aux stratégies des plus grandes qui les obligeaient à nouer des alliances. Un bel exemple de succès peut cependant être donné de ce premier variant de privatisation. Approprié par dix fournisseurs du réseau de commerce de détail de l’Etat en 1992, le groupe hongrois CBA devient ainsi privé et entretient aujourd’hui des réseaux de 2200 de magasins. Il couvre actuellement 18% du marché de la Hongrie. Il s’est étendu déjà en Croatie, en Slovaquie, en Bulgarie et en Roumanie. Ses projets d’expansion portent sur la Slovénie, la Pologne, la Serbie et la Lituanie.

Soit, à défaut de ressources nécessaires, les “chefs d’entreprises” se laissaient privatiser en gardant leurs postes au bénéfice quasi toujours de groupes étrangers dont ils connaissaient souvent les dirigeants dès l'époque de " l'ouverture à l'Ouest " des PECO, encore sous contrôle soviétique. Le secteur d’assurance dominé par l’allemande Allianz en est un exemple classique. Soit enfin, les mêmes dirigeants d'entreprises nationales ont réussi à maintenir le contrôle étatique et par conséquent leurs propres positions, en attendant une solution plus favorable. Quant à ces différents variants, on découvre cependant que les institutions internationales distinguent, dans leurs discours, entre bonnes et mauvaises privatisations. Les unes étant réservées aux multinationales occidentales, tandis que les autres allaient aux groupes autochtones et centre-européens ou russes, en préférant bien entendu des bonnes aux mauvaises. Encore que, depuis quelques années, les groupes occidentaux, surtout américains, et russes tendent à rechercher et à trouver des solutions de coopérations locales dans le secteur énergétique.

Quoi qu’il en soit, la privatisation qui, d'évidence, n'entraîne aucune modification des structures industrielles et technologiques, implique seulement et uniquement un changement de propriétaire et donc de contrôle par élimination de concurrents : conquêtes de marchés ou « vassalisation », sur une phase de production intensive en travail. Dans les PECO, le plus souvent, un monopole privé, national ou international, se substitue au monopole public, sans garantie de contrôle parlementaire et démocratique. Tous les observateurs concernés considèrent que les prix d'acquisition ont été fort modestes, sinon ridiculement bas grâce à la complicité des dirigeants sur place. De plus, les paiements des prix convenus ont souvent été effectués en « nature » par des subterfuges plutôt qu'avec de l'argent comptant : apports de licence, de fonds de commerce ou de dettes factices dont la valeur réelle était quasi nulle ou simplement fictive.

Quels en sont les premiers résultats globaux ? Préparée dans la campagne de “l’ouverture à l’Occident” et de “l’Ostpolitik” dès la fin des années 1960, la poussée des multinationales est devenue massive vingt ans après. European Trade Union Institute met en évidence un certain nombre de faits ou d’évolutions :
• 80% des investissements directs hors de l’UE concernent trois pays: la Pologne, la Hongrie et la République tchèque;
• plus de la moitié des investissements sont réalisés par la RFA, tandis que ceux des EUA ne représentent que 5 à 15% selon les pays;
• l’essentiel de ces investissements bénéficie des privatisations et ne constitue ni créations d’entreprises, ni transferts technologiques. Ils correspondent davantage à une logique d’occupation ou de placements;
• ces investissements d’Europe reproduisent le modèle “centre-périphérie” et donc démolissent tout ce qui ne s’inscrit pas dans la logique de ce modèle;
• ils portent avant tout sur les entreprises de taille moyenne ou petite qui leur assurent un accès à des marchés d’absorption ou sur les entreprises disposant de matières premières ou énergétiques;
• leur taux de profit excède de 10 à 100% celui des entreprises locales;
• grâce à la croissance élevée de la productivité qui est principalement obtenue par des réductions drastiques d’emplois et par des processus de travail plus intensifs. Les deux voies classiques ont ainsi été utilisées pour relever le taux d’exploitation et dégager des plus-values. Les entreprises profitent de l’effet dégressif des salaires locaux faibles. Elles entretiennent des différences salariales plus importantes que dans les entreprises locales.

Un rapport en 2005 de WIIW concernant la stratégie des multinationales dans les PECO montre que “les investissements dits directs” n’ont prioritairement guère visé les salaires bas et ou les avantages de pouvoir d’exporter à partir de ces pays, mais recherchent avant tout des consommateurs, du moins une partie des consommateurs qui ont des moyens: selon mes estimations, quelque 10 à 20 millions de personnes. De plus, ces investissements ont peu rapporté en argent ou en technologie aux pays, car ils se contentaient d’acquérir des positions commerciales à coup “d’apports” complètement surévalués: brevets, fonds de commerce, licences, etc. Ils ont éliminé beaucoup d’emplois: entre 20 et 40% selon les pays.

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Chaque pays représente des intérêts spécifiques

Passons à présent des constations globales à des observations plus détaillées et locales. Pour cela, il faut cerner quels sont les intérêts stratégiques spécifiques que représentent chaque PECO. Ils se situent, bien entendu, en dehors des intérêts qu'incarnent les travailleurs et les consommateurs en tant que tels. Il s'agit autant des ressources naturelles ou énergétiques que des dispositions géographiques particulières, des filières commerciales ou des complexes industriels importants. Voyons cela de région à région, du Nord au Sud :

* Pays baltes

Estonie : schiste bitumeux, cellulose et activité portuaire.
Lettonie : centre sidérurgique pour les trois pays baltes, filière de bois, transit et importante activité portuaire (Riga).
Lituanie : centrale nucléaire, le plus grand gisement d'ambre dans le monde, produits du lin, raffinerie de pétrole, transit et activité portuaire (Ventspils).

Géopolitiquement comme géoéconomiquement, ces pays constituent un intérêt évident. Leurs accès directs à l’économie russe se joint à des considérations stratégiques. En outre, les trois offrent un transit aisé pour les exportations énergétiques russes. Pour le capital scandinave et surtout finlandais, ils correspondent enfin à un terrain de proximité évident. On estime que les économies des pays baltes sont désormais largement contrôlées par la Finlande dans le cas de l'Estonie, et par les autres pays scandinaves en ce qui concerne la Lituanie et la Lettonie. Dans le cadre géopolitique et dès 2002, les pays baltes ont mis à la disposition des EUA des couloirs aériens et des bases militaires aériennes, anciennement utilisées par l’Union soviétique (p.ex. Zoknia au nord de la Lituanie). Avec le Finlande, ils contrôlent par ailleurs le golf de Finlande en faveur de Washington. Aussi n’est-il guère étonnant que les EUA recherchent une liaison aérienne à partir de ces pays vers l’Afghanistan.

Depuis 2004, les pays baltes sont par ailleurs reliés par câbles, entre Talinn et Helsinki, au réseau électrique scandinave. Cet investissement vise évidemment à privatiser leurs entreprises du secteur et à les faire échapper à la Russie en terme de dépendance énergétique. En dehors de la centrale nucléaire Ignalina en Lituanie que l’UE veut voir fermée, beaucoup d’autres sources d’approvisionnement énergétique extérieur dépendent de la Russie. C’est aussi le cas de l’Estonie dont quelque 90% de la production d’électricité proviennent de l’exploitation du schiste bituminé, exploitation fort polluante en dioxine de souffre, semble-t-il. Les participations lituaniennes à l’économie de Kaliningrad, enclave russe entre la Lituanie et la Pologne, seraient déjà significatives. La plus importante entreprise de traitement de poissons en Lituanie, Viciunai vient d’ouvrir une usine dans la région de l’enclave russe qui traitera 12 mille tonnes de poissons par jours.

* Pays de Visegrád

Pologne : cuivre (deuxième producteur d'Europe), zinc et étain ; charbon et autres ressources énergétiques ; transit et activité portuaire (Gdansk, Szczecin).
République tchèque : industries mécaniques, automobile et armement, transit.
Slovaquie : métaux non ferreux, industrie du bois, complexe sidérurgique, transit.
Hongrie : uranium, automobile et télécommunications, tourisme, transit.

En termes de marchés de consommation, ces pays totalisent une population de quelque 65 millions dont 5 à 10 millions adoptent déjà le modèle de consommation “occidentalisé”. En tant que pays de passage, ils occupent une place de choix, puisque la majeure partie d’exportations énergétiques russes transite par eux par voies de gazoducs et oléoducs. Certains d’entre eux contrôlent le Danube. A l’exception de la République tchèque, les pays de Visegrád offre aux multinationales occidentales l’accès direct vers l’économie ukrainienne ou bélarusse, tout autant qu’à la Roumanie et à la mer Noire. A l’instar des pratiques dans les pays centre-européens et en préparation de sa privatisation, l’industrie minière polonaise continue à procéder à de réduction d’emploi massive. La Pologne privatise, dès 2003, en partie ou totalement son système de santé. Cette option survient, suivant un schéma bien connu dans tous les pays d’orientation néolibérale, après avoir depuis 15 ans refusé de soutenir le système par des réformes nécessaires et par les moyens budgétaires. C’est ce qui a provoqué à présent une crise majeure de ce service public.

Géré par des groupes privés, l’armement maritime de Szczecin, ville portuaire polonaise à la lisière entre la Pologne et l’Allemagne, dépose son bilan à fin 2002. Comme dans bien d’autres cas, ce “succès” de la privatisation provoque des ennuis sérieux au gouvernement socialiste polonais, puisque la disparition de cette compagnie impliquera une perte d’emploi directe et indirecte pour 60.000 personnes. Le gouvernement polonais a donc renationalisé l’entreprise. D’ailleurs, il a en même temps recapitalisé l’Agence publique qui gèrent l’important portefeuille d’avoirs étatiques: plus ou moins 1 700 entreprises. Voilà donc des techniques de subsidiations inattendues en faveurs des multinationales.

* Pays centre-européens de la Communauté des Etats indépendants (CEI)

Bélarus : potasse (le plus grand gisement d'Europe), transit, informatique, produits du lin, équipements militaires.
Ukraine : agriculture, charbon, filières de fer (un des plus importants gisements du monde), aluminium, aéronautique, manganèse, graphite et titane; complexe militaro-industriel; transit et activité portuaire (Odessa).
République moldave (Moldova) : agriculture, dont tabac et vin, et agro-industrie.

Parmi ces trois pays, le pays le plus significatif est évidemment l’Ukraine avec une population de près de 50 millions et une ouverture essentielle vers l’économie de la Russie. Elle est aussi un pays de transit pour les exportations énergétiques russes. Coincée entre les offensives des EUA et la pression russe, elle est un enjeu majeur du point de vue tant militaire qu’économique. Il en est de même pour le Bélarus et la République moldave, mais, bien entendu, dans une bien moindre mesure.

* Pays ex-yougoslaves

Slovénie : vin, activité portuaire (Koper), tourisme.
Croatie : production et raffinage du pétrole, construction navale, activité portuaire (Rijeka), tourisme.
Serbie : industries mécaniques et d'armement; cimenteries, agriculture, notamment en Voïvodine; complexe minier et industriel de Trepca au Kosovo (voir le cas ci-dessous).
Monténégro : transit pour la Serbie, aluminium, tourisme.
Bosnie-Herzégovine : automobile, mines de charbon et de fer de Zenica, centrales électriques, bois.
Macédoine : agro-industrie, mines de charbon, de fer et de cuivre.

Dans l’ensemble et avant 1990, les pays de l’ex-Yougoslavie ont connu un niveau de développement bien plus élevé que les autres PECO. En raison des guerres civiles, suivies du morcellement de la région, celle-ci s’est fort affaiblie à la fois militairement et économiquement. En dehors de telle ou telle industrie attirante, cette partie de la région balkanique est peu habitée et n’a avant tout qu’un intérêt stratégique de passage : de la Mer adriatique à la Mer noire.

La Serbie entame depuis quelques années une politique de privatisation et s’ouvre prioritairement, semble-t-il, aux EUA, car les organes politiques essentiels de la vie étatique seraient soumis à un contrôle direct ou indirect de Washington. Certes, cette implication américaine forte s’explique aisément. Il s’agit de contrôler et de garantir trois “corridors” dans la région :
• la voie fluviale de 850 km de Danube;
• l’axe nord-sud : Vienne-Budapest-Belgrad relié à celui de Niš-Sofia-Istambul et à celui de Skopje-Thessalonique/Athènes;
• le passage est-ouest : l’Albanie-Macédoine-Kosovo-Bulgarie, de la Mer noire à la Mer adriatique.
Il s’avère que les bases de l’armée américaine dont beaucoup sont déjà en place et quelques-uns sont encore à établir, tendent à épouser ces lignes de force. Dans le cadre des programmes de Partenariat pour la Paix, il est simultanément prévu de réduire radicalement l’armée serbe. Le capital russe conquiert peu à peu la Serbie dans quelques secteurs.

L’ancien président du Monténégro est souvent considéré comme étant au centre d’une gigantesque contrebande de cigarettes et d’autos ainsi que d’une maffia de drogues, d’armes et de femmes. Par ailleurs, il serait fort lié au personnage un peu douteux mais bien connu de la finance internationale de Marc Rich. A partir de la Suisse, celui-ci gérerait l’industrie aluminium du pays dont les exportations assurent la moitié du PIB monténégrin. La république de Monténégro a procédé à une série de privatisations ces dernières années par la vente de :
Telekom Monténégro à MATAV hongroise, filial de Deutsche Telekom ;
Podgorićka banka à Société Générale française ;
Le combinat d’aluminium KAP à Salamon Entreprise, filiale du groupe russe d’Oleg Deripaska qui contrôle RUSAL, la troisième compagnie d’aluminium du monde ;
Entreprise de bauxite à Nikŝić à la même Salamon ;
Entreprise d’acier également à Nikŝić à la même Salamon, mais cette dernière s’est soudainement retirée de l’enchère.
Dans l’hypothèse où cette dernière acquisition se réalisait, on estime que le groupe d’Oleg Deripaska contrôlerait 80% des exportations, 40% du PIB et 30% de l’emploi du pays devenu indépendant en 2006.

A ces opérations il convient d’ajouter les ventes projetées de la société d’électricité, du port de Bar (un groupe américano-hongrois Peter Munk s’y intéresse) et de l’entreprise de vins PLANTAŽA. Le Monténégro envisage la vente de la Fabrique des tabacs de Podgorica (DKP). Pour cela, il faudrait, semble-t-il, adopter une loi sur les tabacs, supprimer la vente au noir de cigarettes dans les rues et licencier un millier d’employés. Même si le Monténégro est devenu indépendant et dominé par des multinationales, la Serbie restera son principal partenaire commercial. Les relations économiques du Monténégro sont très faibles avec les autres pays de la région, même avec la Croatie.

La Slovénie serait, selon l’opinion des seuls milieux financiers internationaux, en retard de réformes, c’est-à-dire en matière de privatisation des banques. Sous la pression de l’UE, le pays s’est engagé à privatiser le secteur au plus tard pour les prochaines années. Quelle belle coopération entre le privé et le public! Comme la Croatie, la Slovénie connaît aussi un vrai débat quant à l’opportunité ou la nécessité de favoriser uniquement des groupes étrangers. Voulant sauvegarder un minimum d’autonomie d’ordre économique et refusant les résultats néfastes et peu populaires des ventes d’actifs aux multinationales, la Slovénie reste fort réservée devant les privatisations dans le pays. Fort endettée envers les banques privées occidentales et après avoir privatisé sa compagnie pétrolière, ses banques et ses entreprises bancaires, la Croatie envisage maintenant de vendre certaines de ses 1185 îles. Les prix varient de quelque centaines de milliers d’euros à de dizaines de millions. Le prix d’une île moyenne est équivalent à celui d’une maison à Londres, soit € 1,5 à 2 millions. Je ne serais guère étonné d’apprendre bientôt que l’une ou l’autre de ces îles soient louée à l’armée américaine, si ce n’est déjà fait. En Bosnie-Herzégovine, il ne serait pas question de privatiser des entreprises publiques afin de maintenir la paix sociale.

* Autres pays balkaniques

Roumanie : banques, automobile, agriculture, pétrole.
Bulgarie : industries mécaniques, tabac, tourisme.
Albanie : transit pour la Macédoine et le Kosovo, chrome (premier producteur d'Europe), pétrole.

Ces pays-ci représentent aussi un intérêt stratégique de passage de la Mer adriatique à la Mer noire, voire vers la Caucasie méridionale, puis l’Asie centrale.

En Roumanie et sans doute pour préparer la privatisation des terres agricoles en faveur des groupes étrangers, une nouvelle loi règle, depuis 2003, des restitutions des biens immobiliers qui ont été nationalisés entre 1945 et 1989. A remarquer cette législation ne s’applique pas sur des biens confisqués à des Juifs pendant la guerre 1939-1945. Son application annule la réforme agraire indispensable en 1945. Il suffit de songer ici à la famille royale, aux grands propriétaires terriens d’avant-guerre, aux boyards et aux Eglises qui ont si mal exploité leurs terres. Enfin, il y aura sans doute un chaos total dans le secteur agricole. Les privatisations bulgares qui, pour de raisons obscures, ne se réalisent pas encore, devraient concerner notamment Bulgartabak, Telecom bulgare, des chemins de fer et Balkancar.

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B. Etait-ce une nécessité ?

L’internationalisation capitaliste des PECO n’a donc pas été une surprise. Etait-ce une nécessité ? En examinant les agissements des grandes entreprises mondialisées dans l’Europe du centre, la réponse est probablement affirmative. Parmi les multinationales, comme nous le disions, il se justifie de distinguer celles d’Occident ou d’Orient, essentiellement Russes. Il existe également quelques groupes locaux, de faible taille, au centre de l’Europe. La stratégie des premières peut le concerner directement ou le considérer comme simple transit entre Est et Ouest. De plus, sous l’égide des banques “blanchissant ou non”, des mouvements migratoires, spontanés (travailleurs) ou forcés (prostitués), s’opèrent et mettent en place une circulation géographique des “facteurs de production”. Enfin, la stratégie de globalisation entraîne parfois des conséquences néfastes sur l’environnement physique. Nous en donnerons un exemple.

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Quelles sont les multinationales en jeu ?

Un voyageur au centre de l’Europe ne peut qu’être frappé par les signes visibles de la rentrée du capital dans cette partie de notre continent, par “la macdonaldisation” des rues et des bâtiments depuis les années 1980. Partout, les affiches et les enseignes lumineuses de Parasonic, Allianz, Coca-Cola, Samsung, Volkswagen ou Pizza Hut, ainsi que celles des banques, de téléphones mobiles et d’autres marques de margarine. Au-delà de ces apparences, les processus de privatisation s’établissent d’une façon plus complexe et plus différentiée. Ils varient forcément d'un pays à l'autre et d'un secteur à un autre. Ici on ne fera qu'esquisser une analyse des processus en jeu en présentant des exemples, les cas les plus significatifs, car l'importance des privatisations en faveur de l'étranger est difficile à cerner, pour plusieurs raisons.

D'abord, il y a des opérations déguisées grâce à différentes techniques financières. Ensuite, dans certains secteurs, les acquisitions se font en partenariat entre différents groupes et sous des formes juridiques très variées. En outre, le sort ou la stratégie des petites et moyennes entreprises échappe à la publicité qu’assure la presse. Par ailleurs, la transformation d’entreprises en sous-traitants exclusifs devient une privatisation de facto, sans un risque quelconque. Enfin, les achats à la bourse des actions sont voilés par le secret des transactions. Aujourd’hui, on estime que les groupes allemands représentent, au moins, la moitié des prises de participations dans les PECO et que, par rapport au Produit Intérieur Brut, le capital étranger contrôle entre 50 et 75% de ces économies. Il ne faut cependant pas oublier les multinationales russes telles que le groupe de Viktor Veksberg (aluminium et pétrole),

Voyons le processus de privatisations et les entreprises occidentales qui en profitent, de secteur en secteur !

Les secteurs agricoles et agro-alimentaires

La privatisation signifiait au début des années 1990 restitution de la terre à ceux qui en étaient antérieurement propriétaires. Le but n'en était pas économique mais bien sûr politique. Il s'agissait de gagner les votes des agriculteurs. Malheureusement, cette "réforme agraire régressive" s'est transformée en catastrophe du fait de l'éparpillement en petites parcelles peu productives, du manque d'équipements et du maintien d'une population agraire trop abondante à la campagne, ainsi que, de surcroît, du retour vers la terre d'une partie de la population urbaine mise en chômage. Le FAO a estimé que, dans la région centre-européenne, la chute de production agraire a été de l’ordre d’un tiers au début des années 1990.

A tout cela s'est ajouté le fait, encore plus grave, que les marchés traditionnels des PECO - la Russie et d'autres Etats ex-soviétiques - se sont effondrés. Il y avait à cet effondrement deux raisons : la dissolution du " marché commun soviétique " et " l'ouverture " absurdement hâtive des pays à la concurrence oligopolistique des firmes agro-alimentaires de l'UE. Celle-ci impose cette ouverture dans le cadre des accords d'association " libre-échangistes ", et les firmes occidentales de leur côté ne visaient évidemment qu'à acquéri, par tous les moyens, de nouvelles parts de marché, voire des terres agricoles. Mentionnons à titre d’exemple le fait que FIATagri italienne cultive, déjà depuis des années, à grande échelle du riz et du maïs au Nord de l’Albanie.

Dans les négociations terminées ou en cours, la Commission insiste encore pour que les terres agricoles fassent partie des biens que quiconque peut acquérir. Dans la crise agraire actuelle, marquée par une grande pauvreté des paysans, cela signifiera simplement pour ces terres une mainmise massive de groupes étrangers puissants. L'opposition des gouvernements des PECO à cette exigence ne serait, dans la plupart des cas, pas motivée par une quelconque volonté de défense de l'intérêt national, mais par la crainte de perdre des votes. C’est certainement en Pologne que la situation est la plus grave. En raison d'un compromis tacite conclu en 1956, entre le parti communiste de Gomulka et l'Eglise catholique dirigée par le cardinal Wyszynski, l'agriculture est restée privée. La campagne demeurait catholique mais le secteur agricole n'a jamais connu une quelconque rationalisation : l'exploitation moyenne fait quelques hectares, à sol médiocre et est peu mécanisée ; le secteur accueille près de 30% de la population active, chiffre qui explique évidemment l'enjeu électoral. Néanmoins, l’ensemble des pays de Visegrád connaissent dès à présent des achats massifs, mais peu visibles, du sol agricole de la part des multinationales agro-alimentaires.

Tournons nous maintenant vers ce secteur agro-alimentaire précisément. Un exemple significatif explique les opérations en jeu et les résultats qui en découlent. Le groupe Danone constitue en effet cet exemple idéal afin d’illustrer comment, dans le secteur de consommation, une stratégie s’élabore et se met en place. Pour débuter, le groupe crée dans les différents PECO des sociétés commerciales. Il poursuit ainsi plusieurs buts. D’une part, ces sociétés commerciales supportent une stratégie de vente à bas prix jusqu’à l’élimination des concurrents locaux. D’autre part, elles permettent, de contrôler petit à petit les fournisseurs et ainsi les filières directes. Enfin, elles sont suivies d’acquisitions des réseaux locaux ou des entreprises de productions, en l’occurrence de laiteries et de biscuiteries, toujours dans une perspective de maîtrise des filières. On remarquera qu’il ne s’agit d’aucune création d’entreprises ou de transferts de technologies, tout étant réalisé par des acquisitions.

Dans le secteur sucrier, les groupes français et italiens sont les plus actifs, tandis que dans le secteur des brasseries, le plus entreprenant serait le flamand Interbrew de la famille de Spoelberg francophone. Pratiquement, pour l'ensemble des PECO, ces deux secteurs sont entièrement contrôlés de l'étranger. Le danois Carlsberg occupe une place de choix dans l'industrie brassicole en Lituanie, mais il vise maintenant à acquérir, par achats successifs, une position monopolistique dans les trois pays baltes. Depuis des années, Pernod tente de s’approprier des entreprises importantes de vodka après s'être assuré en Pologne un quasi monopole d'exportation du même alcool. Les positions dominantes de quelques multinationales de brasseries s’avèrent évidentes dans les PECO en termes de parts de marché exprimées en % du total (FT, 3/4.5.2003):

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Cokoladovny tchèque est acquis depuis longtemps par BSN français, Nestlé de la famille suisse Richmond et l’inévitable BERD. De son côté, Sandoz devenu Novartis a acheté une série d’entreprises tchèques de betteraves sucrières au début des années 1990. Le français Carrefour est quasi partout présent dans les PECO.

Pour la République moldave, la situation socio-économique paraît désastreuse après une chute estimée de 60% du PIB. Malgré tout, les privatisations continuent. Le sol comme les services publics ont déjà été mis à la disposition des multinationales. Il reste encore des industries du vin et du tabac sous contrôle public. Mais les institutions internationales veillent au grain et "encouragent ", à coup de programmes d'ajustement et de prêts, le gouvernement à accélérer la privatisation. La Bulgarie a abandonné l’idée de la privatisation du monopole public du tabac Bulgartabak que devait dirigée la Deutsche Bank. Celle-ci a dénoncé le fait que, quelle horreur! , le gouvernement a voulu imposer au monopole devenu éventuellement privé des prix d’achats minima de tabac et l’actionnariat inchangé pour cinq ans. Parfaitement efficace depuis toujours, Bulgartabak dispose de 12 entreprises de transformation du tabac, de 9 usines de fabrications de cigarettes et 8 filiales à l’étranger: en Russie, en Roumanie, en Serbie et en Ukraine. D’ailleurs, le gouvernement roumain a aussi " osé " ne pas suivre, dans le cas de la société nationale des tabacs, l'avis des conseillers " indépendants " tels ABN Amro Corporate Finance. La société a finalement été attribuée à des " amis " locaux, mais l'affaire est devant les tribunaux à l’initiative des multinationales concernées.

Le groupe britannico-hollandais Unilever, premier de son secteur à l’échelle mondiale, vient d’acquérir l’entreprise bulgare Kaliakra qui contrôle 70% du secteur margarine du pays. Dans tous les PECO tels que l’Albanie, la Bosnie & Herzégovine, la Bulgarie, la Macédoine, la République moldave, la Roumanie et la Serbie & Monténégro, il dispose déjà des usines ou compte en acquérir. Trois groupes finnois contrôlant d’importantes d’entreprises dominent le secteur balte de viande. Le riche russe, Aleksej Raskazov, a acheté Carnex, l'une des plus grandes marques alimentaires serbes.

Banques et assurances

Au centre de l'Europe, de la Pologne jusqu'en Bulgarie, les bilans et les profits augmentent sans cesse dans le secteur bancaire depuis les années 1980. Comme on le verra, dans une proportion élevée, le secteur est contrôlé par les groupes bancaires internationaux, notamment flamand, autrichiens, allemands et italiens. Les résultats bénéficiaires substantiels sont dus à de multiples causes.
• Primo, il y a la privatisation de la création monétaire (voir chapitre 5.1 ci-dessus) et, donc, la bancarisation accélérée, ces quinze dernière années, des économies des PECO.
• Secundo, les opérations maffieuses et la corruption à grande échelle si répandue et encore croissante dans ces pays ne peuvent s'opérer sans l'intervention bancaire indispensable.
• Tertio, facteur peut-être décisif du point de vue bénéficiaire, les Etats ont été amenés à favoriser le secteur de deux façon différentes : d'une part, il fallait l'assainir, c'est-à-dire sauver les banques à coup de subsides et, d'autre part, mener une politique de hauts taux d'intérêts réels pour attirer des capitaux dont les flux restent en grande partie sous le contrôle des banques multinationales.

L'offensive des groupes bancaires européens se poursuit. Qu'est-ce qui les motive ? Les dirigeants bancaires évoquent les possibilités d'expansion de ces pays, la volonté de ne pas laisser d'autres y prendre pied et la possibilité de créer un réseau serré de filiales. A l'heure actuelle, la liste des premiers groupes bancaires dans les PECO se présenterait, en termes de nombre de clients et par ordre d'importance, comme suit :
Erste Bank, autrichienne;
Bank Austria/Creditanstalt/HypoVereinsbank (BA/CA/HV), austro-bavaroises;
KBC, flamande;
Unicredito, italienne;
Citibank, américaine.

La Erste étend son “empire” dans les PECO et a déjà investi un milliard d'euros environ en République tchèque, en Slovénie, en Hongrie et en Slovaquie, tous voisins de l'Autriche. Elle a acheté 88% du capital de la plus grande banque slovaque et vient d’acquérir la Postabank hongroise (113 agences, 1 600 employés et 480 000 clients) en Hongrie pour € 400 millions et la Central Profit Banka en Bosnie-Herzégovine. Elle a décidé de s’établir en Macédoine, après avoir acquis des intérêts dans les pays balkaniques tels que la Croatie, la Serbie, la Roumanie et la Bulgarie. Elle totalise aujourd’hui 11,1 millions clients dont la moitié dans les PECO et 30 000 employés dont deux tiers également dans les PECO. Sa clientèle actuelle dans ces pays représente 8 millions de personnes sur 36 millions possibles, soit 22%. Dans l'ensemble des PECO, le groupe souhaite également des parts de marchés qui se situent entre 20 et 25%, soit approximativement encore 8 millions de clients nouveaux.

Quant à la KBC, elle vient d'acheter une participation significative dans une banque slovène et a accru sa participation dans une banque polonaise. Ce groupe a déjà des intérêts en Hongrie, en République tchèque et en Slovaquie. Unicredito Italiano, la milanaise, s'intéresse à Komercni Banka à Prague et à Zagrebacka Banka en Croatie. Il contrôle déjà des banques importantes en Pologne, en Slovaquie et en Bulgarie. Dans les Balkans et en Hongrie, la banque coopérative autrichienne Raiffeisen Zentralbank (RZB) développe ses activités depuis trois décennies, donc bien avant de la chute du mur de Berlin. Elle y dispose aujourd’hui de 350 d’implantations, exploite 6200 employés et totalise un bilan de € 4 milliards. Sauf en Albanie et en Macédoine, elle est présente dans tous les pays balkaniques. En 2003, la RZB prendra une participation de 53% dans la troisième banque bélarusse Priorbank, dans un pays qui aurait, selon certains, une si mauvaise réputation politique ! De son côté, Deutsche Genossenschaftsbank prendra le contrôle total la Takarékbank, banque hongroise des coopératives avec 1 750 agences à travers la Hongrie.

De son côté, Citigroup acquière la totalité du capital de la Banque Handlowy, la banque polonaise la plus importante. De son côté, la Slovaquie “rattrape son retard” et privatise son secteur bancaire. L’Etat bulgare vend Bulbank à Unicredito et Biochim-Commercbank à l’agglomérat austro-bavarois BA/CA/HV. Ainsi 80% du secteur bancaire de ce pays est désormais contrôlé par l’étranger. Après RomTelecom, deux banques importantes et la compagnie nationale de tabac, la Roumanie poursuit des privatisations de plus en plus absurdes. La dernière en date est celle de la Banca Agricola en faveur de la RZB et du Romanian-American Entreprise Fund, pour 52 millions de dollars dont uniquement 15 en liquide et 32 par augmentation de capital qui restent acquis aux nouveaux actionnaires. Il faut savoir que l'Etat y a déjà mis 180 millions de dollars depuis le début de l'an 2000. La perte nette pour l'Etat s'élève donc à 165 millions.

Enfin, contrôlée par l'Etat à 68,88%, la banque roumaine la plus importante, la Banca Comerciala Romana, est actuellement à vendre sous la pression du FMI. La vente porterait sur une participation majoritaire, le personnel pouvant garder 8% du capital et la BERD ayant une autre position minoritaire. Les candidats à l'achat seraient le groupe hollandais ING et la banque bavaroise HV. Unicredito Italiano et Allianz souhaite acquérir Zagrebacka Banka. Après deux autres banques, la Slovaquie a été amenée à refinancer la banque Devín en quasi faillite et qui jusqu'ici avait été contrôlée par des intérêts russes.

La Pologne projette pour 2004 des nouvelles privatisations totales ou partielles dans le secteur de la banque PKO BP. Comme on le sait, le secteur bancaire balte est en grande partie dominé par les banques scandinaves. Pourtant, la Norddeutsche Landesbank vient encore d’acquérir 77 % du capital dans la banque agricole lituanienne de l’Etat, troisième de son secteur en Lituanie. D'importantes banques du Golfe soutiennent le lancement d'activités bancaires " islamiques " en Bosnie-Herzégovine, en Macédoine et en Albanie.

Enfin, la principale banque hongroise OTP a acquis 93% du capital de l’importante banque slovaque à large réseau d’agence, Investicna a Ruzvojova Banka (IRB). OTP s’intéresse également aux banques en Roumanie et en ex-Yougoslavie. Le groupe a pu récemment acquérir sans problème la deuxième banque bulgare, DSK. Il continue d’ailleurs son expansion. Il s’intéresse maintenant à la Novogorska Banka en Serbie. Il envisage de créer une banque toute nouvelle en Roumanie. Le groupe hongrois OTP achète Investsberbank russe pour € 400 millions, après avoir acquis, rien qu’en 2005-2006, le Raffeisenbank en Ukraine et DSK bulgare.

L’article sur « Le développement financier dans les pays d’Europe centrale, orientale et sud-orientale » du Bulletin de la BCE, novembre, 2006 met en évidence deux phénomènes ; d’une part, le haut endettement des particuliers en devises étrangères constitue un risque de change conséquent pour les personnes concernées qui le sous-estiment régulièrement ; d’autre part, il montre le haut degré de concentration (B) et d’emprise étrangère du secteur bancaire (A); les deux derniers indicateurs du secteur bancaire des PECO correspondent, en pourcents et en 2005, à:

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Comme le secteur bancaire, le secteur de l’assurance connaît un haut degré de concentration et une domination étrangère quasi hégémonique. Présent déjà en huit PECO tels que la Hongrie, la Bulgarie, la Slovaquie, la Croatie et la Pologne, le groupe d'assurance allemand Allianz a pris la majorité d'une compagnie d'assurance roumaine et compte acquérir maintenant une participation importante dans la compagnie tchèque d'assurance dont la part de marché s'élève à 43%. Dans les pays baltes, le groupe danois de bancassurance Hansabank l’emporte dans le secteur, excepté encore en Lettonie.

Services publics et entreprises d'électricité, de communications et d’eau

Dans les PECO, les groupes financiers occidentaux sont massivement présents dans le secteur des télécommunications au sens large du terme. Le groupe américain SBC avec France-Télécom a été le premier. Puis, Deutsche Telekom lui a succédé. Ce dernier a avancé prudemment pour ne pas éveiller des sentiments anti-germaniques. Aujourd'hui, le groupe allemand s'étend dans les pays suivants : Pologne, Russie, Ukraine, République tchèque, Croatie, Slovaquie et Hongrie. De leur côté, les groupes scandinaves ont fort investis dans les pays baltes. Ainsi, le secteur est réparti, sous forme oligopolistique, principalement entre des firmes multinationales essentiellement européennes : Deutsche Telekom, France Telekom et Tele Danmark, ainsi que Vodafone, Vivendi ou National Grid-Energis. D'évidence, ces firmes évitent soigneusement toute concurrence dommageable à leurs profits. Elles nouent fréquemment des alliances stratégiques entre elles. Les Etats sur place gardent par-ci par-là quelques positions, en général souvent minoritaires. Ces positions servent le plus souvent aux firmes étrangères comme relais vers des organes étatiques.

Les deux premières compagnies de télécommunications de leurs pays respectifs, Telia suédoise et Sonera finlandaise ont fusionné à la fin de 2002. Cette fusion entraîne la constitution d’une société dominante du nord de l’Europe. Elle contrôlera entre autres la quasi totalité du secteur dans les différents pays baltes. En Serbie, Telecom Italia avait acquis 49% de Telekom Srbija en 1998 en pleine guerre civile, mais a été disposé à revendre cette participation avec une plus-value certaine. La Serbie “libre” a procédé au rachat demandé. La République tchèque procède à la privatisation, partielle ou totale, de la société nationale de radio-communication et de la société pragoise de l'eau. Tous les grands groupes internationaux sont déjà sur ces affaires. Apparemment, il reste encore fort peu de " l'argenterie nationale ". C'est aussi le cas de la Hongrie qui à présent vend, complètement, la compagnie d'aviation MALEV et la société nationale de radiodiffusion. France-Télécom, associée un groupe financier polonais, accroît sa participation dans la société de télécommunication polonaise afin d'y disposer d'une position majoritaire. La Pologne projette pour 2004 la privatisation de l’entreprise énergétique PKE.

En République tchèque, Cesky Telecom contrôlé par KPN hollandais et Suisscom a procédé à des réformes tout à fait originales et fondamentales : augmenter sensiblement ses tarifs, réduire de moitié son personnel et lancer une campagne de réclame pour Internet. A la surprise générale, grâce au prétendu transfert technologique attribué à la glorieuse initiative privée, la rentabilité des capitaux investis par le génial capital étranger s’est redressée. Quel bonheur ! Contrôlée par Deutsche Telekom, la compagnie de téléphone hongroise MATAV poursuivra sa stratégie d’acquisition dans l’Europe de sud-est, après avoir acquis 50% du marché de téléphones mobiles en Hongrie et MAKTEJ en Macédoine il y a plus d’un an. Dès 2002, Deutsche Telekom s’intéresse à son correspondant en Croatie. Deutsche Telekom s’est déclaré prêt de prendre 51% du capital de la société polonaise de téléphone mobile PTC pour un prix de € 1 milliard. Il dispose déjà de 49% du capital.

Dans le secteur des chemins de fer, une tactique de base consiste actuellement à filialiser les diverses activités, puis à les sous-traiter, voire à les vendre une à une, sans se faire remarquer, en évitant des débats publics. A titre d’exemple, ce secteur en Pologne intéresserait beaucoup le Deutsche Bundesbahn et la SNCF. Grâce à des filialisations, les restructurations se font rapidement et facilite des réductions d’effectifs de la moitié, parfois des trois-quarts des chiffres antérieurs, puis on vend les filiales “assainies”, les unes après les autres. Certes, après des privatisations, on réengage, mais on le fait face à des travailleurs déjà “désorganisés”, c’est-à-dire à des conditions qui ne respectent plus aucune règle de l’OIT ou de législations nationales.

L'Estonie privatise aussi ses chemins de fer en faveur de Rail Estonia qui est la filiale commune de Kingsley Group et des groupes CSX Corp et Rail America. La capitale d'Estonie vend sa compagnie d'eau à International Water UU, groupe britannique multinational qui est déjà présent dans une dizaine de pays développés et sous-développés. Dans le même pays, on découvre avec stupeur que la privatisation de la société nationale de téléphone, en 1993 en faveur d'un groupe danois, s'est trouvée accompagnée d'un engagement étonnant. Il a consisté à garantir une position monopolistique au groupe en Estonie, alors qu'à présent, si le pays veut entrer à l'OMC, le gouvernement doit indemniser ce groupe. Avec d’autres entreprises européennes telles que E.ON/RWE allemand, AES américain et Electrabel franco-belge, l’EDF française intervient dans le secteur d’électricité centre-européen. Après avoir privatisé les chemins de fer estoniens en faveur du groupe US-Investment d’Edward Burkhart depuis bien des années déjà, l’Estonie envisage, en juillet 2006, de revenir sur la vente de la société estonienne d’électricité, Narva Elektrijaamad, à la société américaine NRG Energy en 2002. A l’époque, Tallinn argua de la nécessité de cette privatisation avec la candidature du pays à adhérer à l’OTAN.

Dans ce secteur, les pays baltes poursuivent la privatisation des entreprises et de s’inscrire dans une stratégie de coordination du secteur de ces trois pays. Parmi les éventuels acquéreurs, on cite l’allemand E.ON et le finnois Fortum. La stratégie cependant ne concerne pas seulement la coordination, mais également des “corridors” vers la Finland et la Pologne dans le cadre du réseau européen de distribution. En Lituanie, le problème concerne son unique centrale électrique qui est nucléaire. L'UE exige sa fermeture et la connexion du réseau national à celui de l'Europe occidentale. Le gouvernement lituanien s'est engagé à fermer la centrale en 2007. Or, primo, les aspects environnementaux ne peuvent plus être officiellement évoqués, puisque la centrale a été restaurée par des experts occidentaux, notamment suédois. Secundo, la fermeture soulève une question grave d'emploi pour 35.000 personnes et pour l’approvisionnement énergétique du pays. Tertio, la centrale exporte massivement vers la Russie et notamment vers Kaliningrad, enclave russe entre la Pologne et la Lituanie. Est-il possible que ce dernier élément explique l'attitude de l'UE ?

Prétextant le catastrophe de Tchernobyl en 1986, les gouvernements des pays de l'OCDE ont mené une campagne pour exiger la fermeture de toutes les centrales nucléaires de type soviétique construites dans les ex-pays socialistes, préconiser la privatisation du secteur électrique et confier son développement aux groupes financiers occidentaux. Lors des négociations d'adhésion des PECO, la Commission européenne a ainsi été menaçante envers la Lituanie et la Bulgarie si elles ne suivaient pas cette politique. Travaille-t-elle pour l'UE, ou pour Electrabel/Tractabel ou peut-être pour un groupe allemand ? La technologie américaine n'aurait-elle pas eu ses propres incidents ? Pourquoi ne s'attaque-t-on pas aux centrales construites ou reconstruites avec cette technologie en Ukraine même, à Krskó en Slovénie, à Bohunicé en Slovaquie ou à Tchernovoda en Roumanie ?

Le principal fabriquant tchèque d’électricité CEZ pourrait être privatisé prochainement. Les candidats pour l’acquérir seraient l’allemande E.ON ou l’autrichienne Austria Energie qui, conjointement, contrôlent déjà plusieurs distributeurs d’électricité du pays. De plus, CEZ se propose de développer un couloir ininterrompu de distributeurs d’électricité de la frontière occidentale de l’Allemagne jusqu’à la Slovaquie et les parties méridionales de la Pologne et de la Hongrie. Il lance une série d’opérations dans ce sens. Il agit ou réagit ainsi avec ou contre l’expansion du groupe allemand E.ON. En Roumanie, ENEL italien a acquis en 2003 deux sociétés de distribution.

Dans les prises de participations, on retrouve partout les mêmes noms, peu nombreux. La constitution des oligopoles apparaît d’une façon évidente dans le secteur énergétique. Les secteurs du gaz et du pétrole seront également étudiés un peu plus loin dans une autre perspective que la présente. Ce sera dans l’optique où la domination d’Est-Ouest parfois en compagnie du Centre s’avère principalement conjointe et là où localement le seul enjeu est celui des réseaux de distribution.

Sidérurgie, cimenteries et non ferreux

US Steel américaine et le groupe indo-britannique Ipsa/LNM deviennent les acteurs principaux du secteur sidérurgique des PECO. Contrôlant déjà une entreprise sidérurgique en Slovaquie (Kosice), US Steel a l’intention d’acquérir la Polskie Huty Stali, le plus important groupe sidérurgique de la Pologne. US Steel marque un intérêt évident pour Sartid, le groupe sidérurgique le plus important du centre de l’Europe en Serbie.

Le LNM, dont le propriétaire indien est Laksihimi Mittal, est le deuxième groupe sidérurgique mondial et a décidé de s'étendre au centre de l'Europe. C'est à son propos que a éclaté un début de scandale en Grand Bretagne au début de 2002. Il s'est avéré que Blair a soutenu Mittal pour acquérir la sidérurgie roumaine, après avoir bénéficié d'une contribution de £ 125.000 de Mittal à sa campagne électorale. Le gouvernement roumain a de fait procédé à une des plus considérables privatisations du pays au début des années 2000. Il s'agit de la vente de 74% du capital de la société sidérurgique SIDEX, l'aciérie la plus importante de l'Europe du Sud-est à Ipsa/LNM. Après avoir effectivement acquis l'entreprise sidérurgique en Roumanie, Ipsa/LMN a maintenant l'intention de racheter la Nova Huta tchèque. Elle s’intéresse à l’entreprise hongroise Dunafer et d’autres entreprises en Roumanie et en République tchèque du même secteur. Le groupe s'appuie constamment sur une coopération avec la BERD.

Depuis quelques années, la Pologne souhaite de procéder à la privatisation de son holding sidérurgique, PHS. Ce holding contrôle les quatre entreprises les plus importantes du secteur. Ipsa/LNM et US Steel. De son côté, le gouvernement tchèque a fusionné les cinq sociétés sidérurgiques du pays, en préparation à l'adhésion à l'UE et pour éviter leur faillite. Ces acquisitions ou projets d’achats doivent s’intégrer dans le système de planification de l’UE qui régit le secteur de l’union et qui implique un système de quota, autrement dit des réductions de production significatives.

La compagnie française Lafarge a marqué un fort intérêt pour la grande cimenterie yougoslave et notamment les installations au Kosovo. La seule cimenterie de Macédoine est déjà fermement contrôlée par la suisse Holcim (la famille Schmiedheiny) et le grec Titan Cement, qui s'intéressent d'ailleurs à d'autres cimenteries serbes. En Serbie, Lafarge acquiert des cimenteries, le groupe italien SFIR des sucreries, British-American-Tabaco (BAT) et Philippe Morris des entreprises de tabac, US Steel la sidérurgie, Stella Artois des brasseries, le groupe allemand WAZ le fameux journal Politika. Ce même groupe contrôle déjà une série de journaux régionaux dans la région. Rappelons que l’industrie du ciment roumaine est sous le contrôle de trois groupes d’Europe occidentale : la suisse Holcim, la française Lafarge et l’allemande Heidelberg Zement qui, chacun, dispose de cimenteries dans le pays. Les trois ont récemment été accusés d’entente illicite par le gouvernement roumain. N’a-t-on jamais vu une industrie nationale du ciment qui n’aurait pas vu opérer, par les actionnaires intéressés, une répartition tacite ou contractuelle de ses usines, ses productions et ses ventes ?

La Roumanie a récemment vendu Oltchim à la canadienne Exall Resources. Par ailleurs, Michelin marque un intérêt évident pour des fabricants de pneus roumains, fournisseurs de l'usine automobile Dacia, et pour le réseau unique de deux mille agences de vente de pneus en Roumanie. En Pologne, les groupes Pilkington et St Gobain ont conclu un accord pour construire, par une filiale commune, une usine moderne de “float glass”, afin d'éviter de se concurrencer. Quant à l’industrie des non ferreux, beaucoup de prises de contrôle notamment en Serbie, viseraient la fermeture des entreprises pour éliminer des concurrents et rétablir des prix européens actuellement fort faibles. Deux situations sont significatives dans la région : le cuivre en Pologne et le chrome en Albanie. Le premier, KGSM, est détenu encore par l’Etat polonais à 44,3 %, le restant des actionnaires sont inconnus, mais seraient britanniques. Le second, Albkrom, est quasi entièrement contrôlé par le groupe italien Darfo.

Au nord du Kosovo, il y a la mine de Trepca. Dans le voisinage immédiat de Kosovska Mitrovica, Trepca réunit la mine et l'usine de plomb et de zinc les plus importantes des Balkans, et cette usine fournit également de l'argent et de l'or en quantités substantielles. On n'a pas oublié que, depuis les bombardements américains, Kosovska Mitrovica est au Kosovo le lieu où surviennent le plus de conflits. Au début des années 1990, l'exploitation de la mine et de la fonderie avait été sous-traitée à des groupes français et grec. On a annoncé en août 2000 que l'OTAN - pourquoi elle ?- a occupé la mine tout comme la fonderie, en prétextant de la pollution que cette dernière provoquerait. Enfin, Mikhaïl Prokhorov est actionnaire de Norilsk Nickel, plus gros producteur mondial de Nickel. Il le contrôle avec Vladimir Potanine qui représente le groupe financier Interros. Norilsk procède à des achats partout dans le monde.

Automobiles et autres secteurs

Comme investissements directs réels dans PECO, il convient de mentionner le secteur automobile particulièrement dynamique : la création d’usines de montage ou l’élargissement de celles-ci par Peugeot-Citroën en Slovaquie et par Audi comme Suzuki en Hongrie. FIAT est installé en Pologne depuis des décennies par le biais de FSM qui fabrique ses marques. Il en est de même pour Renault/Dacia en Roumanie. Daewoo coréen a été fort actif jusqu’ici en Pologne. Outre quelques autres sociétés japonaises, les entreprises allemandes ou germano-américaines d'automobiles ont les intérêts suivants dans les PECO:

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Le gouvernement roumain a, en 2003, donné son feu vert pour la vente des sociétés ARO (fabriquant des voitures de terrain), Tractorul (producteur de machines agricoles), Roman (fabricant de camions) et Tepro (producteur de tubes). La porte-parole du gouvernement, a déclaré que l’acheteur de Tractorul, la société italienne Landini, s’était engagée à garder pendant deux ans un effectif de 3300 salariés et à investir 27 millions de dollars. ARO de Campulung sera repris par la société Crosslander du Brésil, et Roman par la société Pesaka Astana de Malaisie. L’acheteur de Tepro de Iasi est la société LNM Ispat. En Bosnie-Herzégovine, c’est VW qui domine le secteur automobile.

Un groupe autrichien Meriton Hotels Ltd. dont le propriétaire est Alexander Kofkin a acquis ou développé des hôtels dans les pays baltes. Swissair et AUA autrichienne ont acheté une participation de 22,5 % en Ukraine-Airlines et dont les deux tiers resteront entre les mains d’AUA. La compagnie maritime norvégienne Tschudi & Eitzen contrôle désormais l’unique firme de navigation estonienne Eesti Merelaevandus.

Le groupe de presse zurichois Ringier dispose aujourd’hui de 33 titres en République tchèque, Slovaquie, Hongrie et Roumanie, surtout dans les journaux populaires. Le groupe allemand Westdeutsche Allgemeine Zeitung, WAZ est présent dans les pays balkaniques: la Serbie, la Bulgarie, la Croatie et la Macédoine, différents pays où il dispose des “positions dominantes” certaines. Outre ces deux groupes, les allemands Springer et Gruner contrôlent des larges parts des médias écrits des PECO. Springer se positionne comme le second en importance en Pologne, la première place étant prise par Gazeta Wyborcza/Agora polonais.

L’importante société pharmaceutique suisse Novartis lance une offre publique d’achat à 100% du capital de la société slovène LEK, le seul fabricant de médicaments génériques de la Slovénie. LEK représente aux yeux de la population slovène comme la pièce la plus belle de “l’argenterie de la famille”. Cependant le gouvernement comme la haute direction de l’entreprise ont marqué leur accord à la proposition. Le coût de l’opération s’élève à près de € 800 millions. Les produits génériques bénéficieraient d’un marché particulièrement prometteur dans les années à venir dans l’UE bientôt élargie à 25. - Outre ce qui a déjà été mentionné, le gouvernement polonais envisage des nouvelles privatisations totales ou partielles, dont l’éditeur de livres scolaires WSiP. SAS suédoise marque intérêt manifeste pour la compagnie d’aviation polonaise LOT, mais elle-même serait dans le collimateur de Lufthansa. Dans les pays baltes, les entreprises suédoises, TeliaSonere voudraient contrôler Lattelekom et SAS a déjà acquis Estonian Air.

Le groupe énergétique autrichien OMW contrôle une part notable du secteur de vente des PECO et de la Turquie et développe désormais sa participation dans le secteur gazier :

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Après avoir acheté deux entreprises bulgares du secteur de distribution d’électricité, le groupe également autrichien EVN vient d’acquérir le groupe macédonien du même secteur, ESM qui évidemment bénéficie d’une position monopolistique. L’aéroport de Budapest est désormais privatisé et l’acquéreur en est la compagnie de gestion britannique BAA. Le prix s’en élèverait à € 1,2 milliard environ. BAA exploite déjà Heathrow en Grande Bretagne et a des projets d’expansion de l’aéroport hongrois pour le transformer en un pôle centre-européenne de transport aérien.

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Une étude de cas : la Serbie…

Privatisations au Kosovo

La vague de la privatisation atteint aussi un territoire qui se trouve sous la « tutelle » de l’ONU. A l’instar de l’UE et des institutions internationales sous contrôle capitaliste, l’astuce consiste à confondre abusivement une « économie de marché qui fonctionne » avec la privatisation, comme si cette dernière découlait de la première. Au Kosovo et dans ce cas, s’ajoute une aliénation de la propriété étatique de la Serbie. Il s’agit du grand complexe minier de Trepca au nord du Kosovo dont il est question ci-dessous.

La nomination d’un administrateur international pour dresser l’inventaire des actifs en vue de la vente de Trepca a provoqué une véritable tempête au Kosovo. Les Serbes s’opposent à toute privatisation, mais les Albanais sont également très critiques. Les créanciers internationaux veulent aussi faire valoir leurs droits. Autrefois, l’une des entreprises les plus importantes de cette région de la Yougoslavie, employant des dizaines de milliers de personnes, Trepca a cessé toute activité après les bombardement de l’OTAN en 1999, qui avaient mené au retrait du Kosovo de l’armée serbe et du gouvernement central de Belgrade.

Coincé dans les environs de Mitrovica, où le Kosovo sous contrôle albanophone se mêle aux enclaves serbes du nord, Trepca demeure une pomme de discorde. Mais la solution au problème de Trepca - à savoir à qui le complexe appartient-il et qui bénéficiera de son potentiel commercial - reste nébuleuse. Par ailleurs, dans les camps de déplacés situés à Mitrovica, aux alentours des mines de Trepca, la contamination au plomb et à l'oxyde de souffre génère de nombreuses maladies. En mai 2006, le Département légal de la Kosovo Trust Agency (KTA) - la division de la MINUK en charge du processus de privatisation sur le territoire du protectorat, en collaboration avec le gouvernement du Kosovo - a proposé une stratégie de liquidation et de vente des actifs de Trepca.

La KTA a un scénario clair en tête : les actifs reliés aux activités minières seront privatisés en tant qu’entité fonctionnelle d’opérations minières unique, alors que les actifs reliés à d’autres activités telles que les centres touristiques et les hôtels que l’entreprise a déjà possédés du temps de la Yougoslavie seront vendus séparément et à la pièce. Le plan a particulièrement suscité la hostilité de Belgrade, qui demeure inflexible sur le fait que le complexe entier est propriété serbe, ne serait-ce que parce que la Serbie y a investi des millions d’euros au cours des années 1990. Le complexe minier de Trepca jouait un rôle crucial dans l’économie du Kosovo avant que celui-ci ne perde son autonomie en faveur de la Serbie dans les années 1990. De loin le plus important employeur de la région, le complexe était à cette époque une source de fierté pour les Serbes comme pour les Albanais. Sa croissance dans la période d’après-guerre avait été spectaculaire : Trepca employait 8000 personnes en 1960 et 23 000 en 1989 - dont les deux tiers étaient albanais.

Autres privatisations exemplaires

Alors que la ville de Novi Pazar dans Sandjak serbe est toujours divisée par les conflits politiques entre les différents partis, la privatisation du groupe industriel et de services Uniprom provoque de nouvelles tensions. Le mufti défend les droits de la communauté islamique sur le terrain, que revendiquent également deux grandes familles bosniaques. Aucune privatisation à Novi Pazar n’a causé autant de conflits que celle de la société Uniprom qui, depuis le 22 juin 2006, a un nouveau propriétaire majoritaire. Pour € 1,5 million, 70 % du capital de cette société, autrefois renommée, a été acheté par un consortium d’entreprises privées représentées lors des enchères par le propriétaire du fameux TP Rekic, Dzemal Tahirbegovic. Selon les termes du contrat de vente, les nouveaux propriétaires sont tenus, dans les six prochaines années, de garder tous les employés ainsi qu’une trentaine de locaux qui se trouvent en général situés à des endroits attrayants.

À propos du bâtiment situé en plein centre de la ville et construit sur les fondations de la mosquée d’Isa-Beg, il cause de conflits. La communauté islamique veut faire annuler la vente. Entre les deux guerres mondiales il abritait les institutions islamiques, la Communauté islamique y avait son siège ainsi que la madrasa, l’école secondaire religieuse. Après la Deuxième guerre mondiale, en 1948, il fut confisqué à la Communauté islamique. Depuis cette date jusqu’à nos jours, il a plusieurs fois changé de propriétaires et d’utilisateurs.
L’histoire de la privatisation d’Uniprom a été surtout d’actualité l’automne 2005. L’attention a été portée en particulier sur le bâtiment de la direction, pour lequel les familles Cavic et Imamovic revendiquent un droit d’héritage.

Une autre privatisation a soulevé bien moins de sentiments. La compagnie norvégienne de télécommunication, TELENOR, a acquis la société serbe MOBI 63 pour un prix de € 1,5 milliard. MOBI 63 contrôle 15% du secteur de téléphonie mobile. Cette privatisation est la plus important jamais réalisée dans le pays, avant celle de Nis Tobacco cédée à Philippe Morris en 2003 pour € 400 millions environ. La plus grande firme des « génériques », Stada, décide d’acquérir la firme serbe du même secteur, Hemofarm, pour € 485 millions. En fin juillet 2006, Belgrade annonce son intention de privatiser Industrie Pétrolière de Serbie qui détient le monopole pour importer et raffiner le pétrole en Serbie et ainsi de simplement transformer un monopole public en monopole privé. Est-ce pour garantir une « économie de marché concurrentiel » qui est un des critères d’adhésion à l’UE ? Ou plutôt s’agit-il pour elle d’acheter son « ticket d’entrée » à l’UE ?

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La domination conjointe d’Est-Ouest parfois en compagnie du Centre

L’essentiel de l’analyse jusqu’ici est centré sur la stratégie des multinationales d’Occident qui occupent de fait des positions dominantes au centre de l’Europe. Or, dans l’un ou l’autre secteur significatif, le système de domination fait intervenir des multinationales de l’Ouest jointes à celles de l’Est. L'enjeu en est l'approvisionnement en ressources énergétiques de l'UE - et, dans le futur, des EUA - par la Russie. Cette dernière aurait aussi tout intérêt à vendre ses matières premières, puisqu’elle disposerait des réserves de pétrole comparables à celle de l'Arabie saoudite et de celles de gaz, premières en importance à l'échelle mondiale. L'enjeu pour les EUA est capital, car le pétrole russe diminuerait leur dépendance vis-à-vis des pays arabes. Aujourd'hui, les exportations russes en cette matière passent essentiellement par des conduites qui traversent l'Ukraine et le Bélarus. Outre leur importance militaire, ces pays semblent donc avoir actuellement une position de force relative par rapport aux pays occidentaux et à la Russie. Celle-ci recherche des nouvelles voies de dégagement par la mer Baltique et par mer Noire et les Balkans.

Entente cordiale? Entre la Russie et les EUA

Selon toutes les apparences, les choses tendent jusqu’ici à se passer selon l’hypothèse d’une entente entre Moscou et Washington au dessus de la tête de l’UE et du centre de l’Europe. La dépendance énergétique des EUA s’avère gigantesque en raison d’une utilisation spécifique double par rapport à l’UE17. Or, depuis quelques années, une stratégie européenne de l’énergie semble se dégager. Du fait qu’avec l’accord de Moscou, l’armée américaine s’est installée au centre de l’Asie au début des années 2000, l’équilibre de cette région centrale - et de haute importance - du continent eurasiatique se trouve en mutation, notamment en matière énergétique. Or, là aussi, des stratégies anti-américaines tendent à s’imposer dans le cadre du Groupe de coordination de Shanghai.

Sans entrer dans les détails, une part notable de l’approvisionnement énergétique de l’UE est désormais garantie - ou en partie contrôlée selon les points de vue - par la Russie et les EUA, seul ou conjointement, à travers leurs multinationales. La dépendance énergétique des PECO de la Russie est encore plus prononcée que celle de l’UE. Dans cette perspective, l’Ukraine continue à opérer un certain rapprochement avec la Russie et signe son adhésion à l’association économique qui réunit la Russie, le Bélarus et la Kazakhstan. La CEI reste une enceinte significative pour les pays de l’ex-URSS, sauf les pays baltes et même si plusieurs présidents ont exprimé leur appréhension quant à la volonté hégémonique de Moscou. Des groupes russes s’intéresseraient aux raffineries de pétrole en Ukraine et au Bélarus. La compagnie russe Gazprom a échangé 25% de sa participation dans les champs gaziers en Sibérie (Yuzhno-Russkoye) en faveur du groupe allemand E.ON contre 50% de deux sociétés gazières en Hongrie en vente par MOL depuis longtemps.

Dans le conflit russo-géorgien, pourquoi la Russie s'intéresse-t-elle tant à la Géorgie enclavée, misérable et dépourvue de richesses naturelles ? Pour les EAU, ce qui compte avant tout, c'est l'emplacement stratégique de la Géorgie. La Caucasie méridionale est le corridor par lequel les multinationales occidentales peuvent faire sortir les hydrocarbures de la mer Caspienne, et cela sans passer par la Russie. Or, qui tient la Géorgie contrôle cette région, donc l'accès direct aux réserves de la Caspienne. Cette voie de contournement de la Russie via la Géorgie est ouverte depuis 2006. Un oléoduc, le deuxième plus long du monde (1 760 kilomètres), relie désormais Bakou, en Azerbaïdjan, au port de Ceyhan, en Turquie, en passant par Tbilissi. Bientôt doublé par un gazoduc, cette conduite surnommée « BTC » est en service depuis juillet 2006. Et c'est justement depuis cette date que Moscou a accru sa pression sur la République du Caucase. Moscou tenterait de négocier une participation dans le contrôle de cet oléoduc, construit par Shell, Chevron et Unocal.

L'objectif des promoteurs du BTC est d'utiliser ce formidable tuyau pour pomper les réserves d'hydrocarbures non seulement d'Azerbaïdjan mais aussi de toute la Caspienne, jusqu'au Turkménistan en Asie centrale. Ce qui représenterait pour Moscou une perte considérable en droits de passage et en influence en Asie centrale. De plus, Washington répète que les EUA veulent faire de Tbilissi une tête de pont politico-militaire de l'Occident dans l'ex-URSS. En somme, une machine à rogner l'influence de l'autoritaire Russie dans l’Eurasie. Il n’est pas sans intérêt d’indiquer que l’important groupe pétrolier polonais PKN Orlen a acquis Mazeikiu Nafta pour le prix de quelque € 1,2 milliard. Mazikiu Nafta, la plus importante raffinerie des pays baltes, dépend de l’approvisionnement russe en pétrole qui ne lui est plus assuré. Cette situation s’expliquerait-elle par la déception d’avoir vu refuser l’offre des compagnies russes ?

A propos des sociétés pétrochimiques, certains auteurs avancent l’hypothèse selon laquelle se mettrait en place une sorte de compromis entre Est et Ouest. La Russie donnerait le gaz naturel et le pétrole à l’Europe de l’Ouest, alors que celle-ci lui laisserait les territoires à l’est de la ligne Oder-Neisse prolongée jusqu’au port de Rijeka en Croatie pour acheter ou contrôler l’industrie pétrochimique. On n’a pas l’impression que cet accord soit entièrement respecté. En octobre 2003, l’UES, groupe russe d’exploitants et de distributeurs d’électricité, a décidé de vouloir s’intégrer aux réseaux établis dans les pays baltes, en Ukraine et en République moldave lesquels intéressent aussi évidemment des groupes tels que E.ON, Fortum ou AES, déjà mentionnés.

Entente cordiale? Entre Russie et UE

Au lendemain de la rencontre officielle du sommet EU-Russie en mai 2006 se lance un certain rapprochement transeuropéen en matière énergétique, de gazoducs et oléoducs. Les liens économiques d’importance entre les deux entités politiques et entre leurs multinationales se multiplient. Pour les PECO devenus pays membres comme pour les PECO entre l’UE et la Russie, il est d’une portée considérable. A la fin mai 2006, Gazprom a cependant rejeté la demande de l’UE de rendre disponibles à d’autres fournisseurs de gaz les gazoducs de la société russe. Il est vraisemblable que si l’UE bloquait l’expansion, autrement dit des prises de participation dans les réseaux de distribution de la société russe au centre et à l’ouest de l’Europe, Gazprom se sentirait obligée de poursuivre son développement vers l’Asie, en particulier vers la Chine. Il s’agit évidemment des investissements pour les fournitures supplémentaires par rapport aux contrats actuels.

Déjà, au début 2006, l’Ukraine tentait de faire du chantage à l’UE en enlevant, pour son usage, du gaz russe destiné à cette dernière. Enfin, Gazprom ne croit guère que Washington réussirait à séduire les autorités kazakhes afin que celles-ci lui assurent des fournitures de gaz par des gazoducs contournant la Russie, par l’Azerbaïdjan, l’Arménie et les Balkans. La raison évoquée en est que le Kasakhastan n’a plus de gaz à vendre, puisqu’il livrait à Gazprom, par des contrats à long terme, tout ce qui était disponible. A titre de comparaison, il n’est pas inintéressant d’observer les prix de gaz annoncés et convenus entre la Russie et différents pays, par 1000 mètres cubes en dollar à la date du 1.1.2007 (comparé au prix18 prévalant en 2006):

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Le prix pour le Bélarus ne se fixe qu’au 30.12.2006 et le tarif de transit du gaz russe destiné à l'Europe est doublé. Au lieu de la prise de participation de Gazprom dans le transporteur bélarusse de gaz, Beltransgaz, qui devrait atteindre au moins 50% du capital de ce dernier, Gazprom paye € 2 milliards pour le contrôler d’ici quatre ans.

Les voies d'évacuation et la Russie

Les voies d'évacuation actuelles de grands volumes se font à travers l'Ukraine, la Slovaquie et la Hongrie, avec embranchements vers l'Autriche, la République tchèque, l'Allemagne et la Croatie, jusqu'à Trieste, d'une part, et les ports baltes, de l'autre. Pour contourner l'Ukraine, est à l'étude celle qui traverserait le Bélarus et la Pologne pour arriver en Allemagne. Déjà en construction, la voie venant du Caucase passera de la Mer Noire à la Méditerranée en passant par le détroit du Bosphore ou prendrait le chemin des pays balkaniques. D'où la revalorisation aux yeux de Washington les pays tels que la Bulgarie ou la Roumanie. D'où aussi, les pays baltes intéressent au plus haut point des groupes russes et américains (voir carte 6.).

La Pologne exige énergiquement d'être associée aux négociations menées entre l'UE et la Russie à propos d'une éventuelle nouvelle conduite gazière, qui traverserait le Bélarus et la Pologne mais contournerait l'Ukraine. Rappelons que l'on estime à 42 % la part des besoins gaziers de l'UE qui sont couverts par la Russie, et que ce pourcentage augmentera encore dans l'avenir. Le nouveau gazoduc sera évidemment en concurrence avec celui qui traverse déjà l'Ukraine et avec celui qui existe ou devrait exister à partir du Caucase. En automne 2003, la Russie dont Gazprom et l’Allemagne dont Ruhrgas et E.ON signent une lettre d’intention de construire un gazoduc transbaltique de 3 000 km, de Vyborg au nord-ouest de la Russie jusqu’en l’Allemagne, avec une extension possible jusqu’aux Pays-Bas et au Royaume Uni. Il faut remarquer que la Russie développe également son deuxième port pétrolier dans le Golfe de Finlande à Vysotsk et envisage la construction d’un port gazier à Mourmansk.

Toutes ces initiatives ne peuvent viser qu’à diminuer la dépendance des pays baltes, de l’Ukraine, de la Pologne et du Bélarus. En ce qui concerne d’ailleurs le port de Vysotsk, la Russie a obtenu la garantie de crédit d’une agence publique américaine, The Overseas Private Investments Corporation. Ce geste de Washington a choqué les milieux politiques baltes qui, de cette façon, commencent à apprendre la qualité de la solidarité américaine à leur égard. La construction du terminal pétrolier de Vysotsk est terminée en 2003. Ce terminal double la capacité d’exportation du pays. Le constructeur en est la compagnie pétrolière russe Lukoil qui souhaite approvisionner ses stations services américaines à partir de ce port. Ce terminal pétrolier fait suite à un autre qui a été ouvert en décembre 2001 à Primorks au nord-ouest de Saint-Petersburg.

La Lituanie bénéficie du transit du pétrole russe qui représenterait quelque 10% du PIB et le double des impôts du pays. La plus importante firme de Lituanie et l’unique raffinerie des pays baltes, la raffinerie lituanienne Mazeikiu Nafta est en train d’être acquise par le groupe polonais d’ PKN Orlen. Le même pays se lance par ailleurs dans la privatisation de sa compagnie de distribution de gaz, pour laquelle Ruhrgas et Gas de France ont déjà marqué leur intérêt. Par des prescriptions particulières, l'Etat lituanien veut éviter que des compagnies russes puissent y intervenir. Rappelons que les deux sociétés russes, Gazprom et Itera, ont récemment acquis une position dominante dans le service public de gaz lituanien.

MOL et encore Gazprom

Yukos en dissolution a une participation de 40% dans une entreprise slovaque d’oléoduc. Celle-ci assure le transit du pétrole russe vers l'Europe occidentale et vers en Croatie pour l'accès à la mer Adriatique. Yukos relie ainsi cette partie de l'Europe avec ses champs pétroliers caucasiens via Odessa, au sud de la Russie. La firme britannique Rotch Energy et la compagnie pétrolière russe Lukoil seraient prêtes à acquérir 75% de Rafineria Gdanska en Pologne pour un prix de € 1,2 milliards. Rotch aurait un actionnariat un peu douteux. La société polonaise occupe la deuxième place dans le secteur pétrolier du pays. La compagnie hongroise MOL a aussi fait une proposition d’achat mais n’a pas réussi l’acquisition.

Gazprom correspond au groupe financier le plus important en Russie. Il dispose d'un quasi monopole en matière de fourniture de gaz naturel dans le pays et vers l'Europe occidentale et centrale. L'objectif de Gazprom a été avant tout de se donner un client captif en Hongrie pour ses fournitures à travers l'Ukraine. Sans entrer dans le détail de l'opération, celle-ci n'a, semble-t-il, pas réussi ou seulement partiellement. Indirectement sous les auspices du gouvernement hongrois, fort anti-russe à l’époque, un compromis a été conclu entre les parties concernées. Jusqu'ici, le groupe hongrois MOL n'a que partiellement contrôlé le secteur du gaz en question. Maintenant, il renforce son contrôle, mais ne ferme pas la porte à la perspective éventuelle de s'approvisionner auprès de Gazprom et de constituer un centre de distribution gigantesque vers les pays d’Europe occidentale et balkanique.

Gazprom a construit un gazoduc sous la mer Baltique qui relie désormais la Russie à la RFA et le RU. L’expérience réussie sous la mer Noire entre la Russie et la Turquie l’incite à prolonger cette technique qui a l’avantage de réduire le risque de sabotage ou de chantage provenant de certains pays tels les Baltes, la Pologne ou ceux de la CIE. Le Kazakhstan souhaite s’associer à l’accord conclu entre la Croatie, la Hongrie, la Slovaquie, le Bélarus, l’Ukraine et la Russie en décembre 2002. Cet accord porte sur la connexion des oléoducs d’Adria et d’Amitiés. Ces derniers relient ainsi tout le territoire de la Russie à la mer Adriatique, ainsi que sur l’ouverture de ces conduites aux flux dans les deux sens.

Gazprom a acquis une centrale thermique en Lituanie qui, avec l’américain Clement Power, lui assure de nouvelles positions de contrôle dans l’économie du pays. Au début d’octobre 2002, l’Ukraine et la Russie ont aussi conclu un accord de coopération énergétique. Dans ce cadre, le russe Gazprom et l’ ukrainienne Naftagaz ont décidé de former un consortium gazier, sans préciser cependant la portée de cette décision. Gazprom souhaite également élargir ses intérêts dans les pays baltes, notamment en voulant acquérir Lietvous Dujos, société de distribution de gaz en Lituanie. Il contrôle déjà de sociétés du même secteur en Estonie et en Lettonie.

En 2002, la Slovaquie a vendu une participation de 49% de son entreprise de gaz à un consortium formé de GDF, Ruhrgas et Gazprom, alors qu’en 2001, la République tchèque en a fait autant en vendant 97% de la société nationale de gaz. Les gazoducs tchèques et slovaques constituent des actifs stratégiques et monopolistiques, par lesquels transite une grande partie du gaz importé en Europe de l’Ouest. La privatisation d’Unipetrol, société tchèque de pétrochimie et de raffinage, intéresse Agrofert, société tchèque privée d’agrochimie. Agrofert a déjà obtenu 63% du capital mais tient à renégocier le contrat d’achat pour pouvoir y associer PKN Orlen, société polonaise de raffinage, afin de mieux garantir l’approvisionnement de sa filiale Ceska Rafinerska. PKN Orlen est, en partie, contrôlé par Agip Petroli d’Italia, Conoco américaine et Shell.

Le partage des actifs en Estonie et en Lettonie s’est également effectué entre les deux principaux gaziers européens : Gazprom possède 25% de Latvijas Gaze et 37% de Eesti Gaas, alors que Ruhrgas détient respectivement 29% et 32%. Eesti Gaas est contrôlée comme suit : Gazprom 37, Ruhrgas 33, Fortum finnois 18 et Itera Latvija 10 %. Gazprom vient de conclure un contrat de fourniture de gaz naturel avec Esti Gaas de dix ans. Le même Gazprom souhaite acquérir Beltransgaz, l’entreprise bélarusse qui exploite le gazoduc qui fait le transport du gaz russe de la Russie à l’Europe de l’Ouest.

Les secteurs russes de l'énergie s'intéressent à la Bulgarie. Après l'approvisionnement en gaz russe et en combustible nucléaire, la livraison d'équipement pour le secteur énergétique bulgare et l'ambition de construire la nouvelle centrale nucléaire de Belene, la Russie aurait inclus dans ses plans d'expansion énergétique le rachat des sociétés de distribution électrique bulgares. Quoi qu’il en soit, l’entreprise pétrolière Lukoil arrive en Serbie en prenant le contrôle de Beopetrol et éventuellement d’une raffinerie à Novi Sad. L’acquisition vraisemblable de Beltransgaz (voir ci-dessus) fait partie d’un accord négocié entre Moscou et Minsk qui réglerait aussi le prix du gaz livré au Bélarus et l’unification monétaire future entre les deux pays.

En matière pétrolière, la stratégie de groupes financiers grecs dans les Balkans est menée par des acquisitions de raffineries en Macédoine et en Serbie, par la construction de conduites et par le développement de réseaux. Elle se fait de concert avec des entreprises russes, notamment Lukoil et avec le groupe grec Latsis (Hellenic Petrol). Le groupe russe contrôle déjà la raffinerie Neftochim à Burgas (port bulgare) et une autre raffinerie à Ploesti en Roumanie. L'idée essentiel que le pétrole de la mer Caspienne amené en bateau jusqu'à Burgas, arrive par conduite jusqu'au Alexandroupolis (port au nord de la Mer Egée), en contournant l'obstacle des Dardanelles, contrôlées par les Turcs. On ne voit pas encore comment les groupes occidentaux se situent par rapport à ces évolutions. La compagnie pétrolière autrichienne OMV a présenté, en janvier 2005, le projet Nabucco. Ce projet consiste à développer un gazoduc de grande envergure de l’Iran jusqu’à l’Autriche. Il concurrencerait le gaz fourni par la compagnie russe Gazprom. Il coûterait € 4,6 milliards et le montant serait couvert par les sociétés du secteur des pays que traversera le gazoduc: la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie, ainsi que par l’UE.

La compagnie pétrolière hongroise MOL signe, en 2002, un accord avec la compagnie russe Yukos en vue de l’exploitation commune des champs pétroliers en Territoire autonome des Hanti-Manysi en Sibérie. De cette façon, MOL améliore sensiblement son propre approvisionnement en pétrole. Signalons que MOL a récemment acquis l'entreprise slovaque Slovnaft dans le même secteur. MOL a 51% d'actionnaires étrangers, 23% de locaux et le reste appartient à l'Etat. En 2003, le gouvernement hongrois a pris la décision de vendre par tranches successives sa participation de 24% dans le capital de MOL d’ici deux ans.

La compagnie autrichienne OMV et MOL acquièrent, l’un après l’autre, des positions dominantes dans les PECO et plus particulièrement dans les pays de Visegrád. OMV dispose désormais 1 303 de pompes d’essence dont 638 dans les PECO. MOL a, en juillet 2002, acheté à Shell un réseau de 23 stations d’essence en Roumanie. Il contrôle à l’heure actuelle de quelque 1300 de pompes d’essence au centre de l’Europe. MOL s’intéresse à d’autres entreprises de son secteur, tantôt en coopération tantôt en concurrence avec OMV. Cette fois, conjointement avec cette dernière, MOL vient de faire une offre d’acquisition pour l’entreprise tchèque Unipetrol qui contrôle à 51% une société de raffinerie également tchèque: Ceska Rafinerska. Le reste, c’est-à-dire 49%, est détenu par un consortium de Shell, Conoco et Agip.

En 2003, MOL réussit de prendre le contrôle à 25% de l’INA croate et réalise ainsi la mise en place d’une continuité d’entreprises de pétrole et de distribution de la Slovaquie jusqu’à la Croatie, en passant par la Hongrie. INA correspond à une entreprise contrôlée par l'Etat croate, elle constitue le monopole du gaz et du pétrole du pays. C’est un moyen par excellence pour vendre en Bosnie, en Serbie et au Monténégro. La privatisation n'avait guère l'appui de la population, puisqu'il s'agit d'une compagne tout-à-fait bénéficiaire et bien gérée, un actionnaire étranger n'apportant strictement rien ni à la compagnie ni au pays, sauf quelques euros dans l'immédiat.

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Corruption, banque et pollution

Dans tout ce qui précède, le lecteur a pu avoir l’impression d’être devant des opérations qui ont l’apparence de la légalité. Sans doute même celles-ci impliquent dans la gestion dite stratégique des multinationales autant l’application des pratiques d’ingénieries financières et fiscales, que des comportements corrupteurs qui sont à l’origine de l’argent noir. La frontière entre des activités légales ou illégales s’avère ténue et fragile dans les opérations transfrontalières de toutes les multinationales. Parmi ces activités, il y a le mouvement migratoire non spontané que sont la traite des êtres humains et les cas d’effet polluant de l’entrée du capital au centre de l’Europe. Dans les deux cas, la corruption joue un rôle majeur et, dans le premier, la présence d’une banque multinationale s’avère en plus indispensable.

Les multinationales qui dirigent des opérations ordinaires ou des blanchiments font de nombreuses transactions financières, dont avant tout les payements qui permettent effectivement de dégager concrètement le profit, là et quand on veut. Dès que des sommes importantes sont en jeu, la banque également multinationale s’avère incontournable. Le secteur noir, gris ou rose qui correspond à l’ingénierie fiscale et financière de la majeure partie des multinationales, officielles ou clandestines, s’opère nécessairement à travers les banques multinationales en raisons des risques et de la rapidité des transferts (voir le chapitre 5.3 ci-dessous).

Dans la “transition” au capitalisme, des réglementations environnementales au centre de l’Europe ne sont pas mieux respectées qu’antérieurement. Le non respect en question réduit les coûts et augmente le profit. Typique est le cas du groupe suisse de cimenterie Holcim qui détruirait, en Azerbaïdjan, systématiquement l’environnement et vendrait du ciment qui contient du radon, dangereux pour les humains. De même, on lui reproche qu’en freinant ses investissements, il renforce l’effet de sa situation monopolistique en créant une rareté artificielle. Ce holding suisse comment agit-il ailleurs ? On n’en sait rien. Mais, à titre d’illustration du phénomène, il y a également un autre cas.

Dans la partie transylvaine de la Roumanie au nord-ouest du pays, les concessions minières continuent à être accordées à de sociétés bien douteuses qui ne garantissent guère la sécurité environnementale. Les concessions concernent des ressources de métaux précieux de premier plan en Europe et de seconde en importance dans le monde. On se rappellera qu’en 2000 et 2001, la société Transgold austral-roumaine a provoqué une pollution substantielle de Tisza, de la Roumanie jusqu’à la Serbie, en passant par la Hongrie. Pour leur exploitation, une technologie peu sûre est utilisée qui implique l’usage extensif du cyanure. Le nouveau cas est celui de la société roumano-canadienne Gabriel Resources/Gold Corporation qui a l’intention de créer une exploitation cinq fois plus importante que Transgold et en recourant à la même technologie. Le projet d'extraction des minerais aurifères concerne Rosia Montana/Verespatak.

La Banque Mondiale soutenait à l’époque le projet. Début de mars 2003, sous la pression des ONG, la Banque Mondiale a retiré son soutien financier à la société canadienne Gabriel Resources. Ce refus avait fait penser que les projets allaient s'arrêter. Il n'en est rien et même, pour arriver à leurs fins, la Rosia Montana Gold Corporation réussirait à “convaincre” les décideurs officiels et utiliserait maintenant des méthodes mafieuses mettant carrément en danger l'équilibre social et sanitaire des habitants. Le projet coûterait quelque € 400 millions et créerait la plus grande mine d’or d’Europe. Il impliquerait de déplacer 2 000 villageois et la destruction d’un paysage exceptionnel. Greenpeace conteste la technologie du cyanure à utiliser dans la mine en question et dont l’écoulement dans les fleuves constitue un gros risque environnemental.

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Conclusions

Que peut-on conclure de cette brève analyse ? Il s’agit de mettre simplement en évidence la dimension externe et interne du phénomène examiné.

Primo, quant à la dimension externe, la rentrée du capital au centre de l’Europe n’est, d’une part, pas une surprise, mais bien une nécessité. Elle répondait à un besoin historiquement bien marqué dans le processus d’internationalisation du capital qui s’essouffla dans les années 1960. Elle est devenue une nécessité dans la perspective de extension géographique continue du capitalisme et la pénétration de ce dernier dans les systèmes économiques qui ne l’étaient pas encore. Il s’agissait soit de l’accaparement des biens publics, soit de la marchandisation des biens et services non encore valorisés par le biais du marché. Par sa proximité et son contrôle sécuritaire aisé, le centre de l’Europe s’y prêtait admirablement.

Secundo, en fonction de la sécurisation croissante du droit de propriété, le capital pénètre au centre de l’Europe graduellement, en commençant par les pays de Visegrád et les pays baltes au Nord-nord-ouest et en poursuivant vers les pays balkaniques au Sud-sud-est. Ce mouvement ne s’embarrasse pas des distinctions secondaires : des Slaves et des autres; des chrétiens d’Occident et des chrétiens d’Orient; des balkaniques et des non balkaniques, etc. qui alimentent des proses douteuses de certains scientifiques récusables.

Tertio, il est frappant de constater le nombre assez restreint de sociétés impliquées où l’on retrouve, sans surprise, des “grands noms”. Il s’impose néanmoins une certaine prudence dans cette vision, puisque l’on manque souvent d’information sur l’action des moyennes et petites entreprises capitalistes dans les PECO. Dans les secteurs du gaz et du pétrole, ainsi que dans le secteur bancaire, voire celui de l’électricité, “lutte et coopération” alternent t entre les grands groupes occidentaux, russes et parfois locaux. Ces groupes proprement centre-européens brillent néanmoins par la modestie de leur taille, sauf l’un ou l’autre dans le secteur énergétique ou de la banque, notamment en Hongrie.

Quarto, en ce qui concerne la dimension interne du phénomène, la question de fond est posée sur l’opportunité des privatisations. Le cas de la Bosnie-Herzégovine et celui de la Slovénie sont là. Ces deux pays n’ont privatisé que peu ou pas du tout afin de maintenir la paix sociale et pour des raisons de principes. Sans commettre peut-être un sacrilège, on peut évidemment se demander pourquoi l’ont fait les autres PECO ? La toute première raison semble bien en être la stratégie des élites, des classes dominantes. Leur choix a été facilité par leurs agissements bien antérieurs à 1989.

Quinto, dans la plupart des PECO, la balance courante des paiements est négative depuis des années 1980. C’est imputable également aux décisions de ces élites qui de cette façon ont pu nouer des relations utiles avec leurs homologues occidentaux et endetter volontairement leurs pays respectifs. Et puis, le “cercle vicieux” s’est installé aisément. C’était la manière d’imposer des dites réformes en leur propre faveur.

D'une part, au fur et à mesure que l’endettement s’accroît, on emprunte de plus en plus pour payer les intérêts abusivement élevés et rembourser le principal. Les dettes dues à l'étranger sont telles que, quelle que soit la croissance économique réelle, la majorité des économies régressent sous le poids de la charge de la dette extérieure. D’autre part, avec les privatisations, les multinationales par des opérations sur " prix de transferts " internes et par des rapatriements de profits font massivement et de façon croissante sortir leurs bénéfices. En outre, même si elle est faite pour résoudre ce problème, une accélération des exportations diminue inéluctablement le volume des biens et services disponibles dans le pays. Par ailleurs, sous la pression de l'OTAN, le réarmement massif par commandes aux firmes multinationales occidentales accentue le déficit dans certains pays. S'y ajoutent enfin les effets de l'accroissement dramatique des différences des fortunes et des revenus, notamment l'augmentation sensible des importations de produits de luxe à hauts prix.

Les conséquences de ces évolutions ne s'atténueront pas pour des raisons de politique intérieure et internationale, sauf miracle. Depuis les années 1980, d'importantes ventes d'actifs ont eu lieu en faveur de l'étranger mais n’ont comme d’habitude pas permis de redresser les balances des paiements. Peu de pays ont réussi à ne plus s'endetter, voire même à rembourser ou à freiner l'accroissement de leur endettement. Les PECO arrivent au bout de leur capacité physique à privatiser : "les joyaux de famille " sont définitivement partis, il n'y a plus grand-chose à vendre. Leur territoire est littéralement occupé comme si les multinationales étaient des armées d’invasion.

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Bibliographique spécifique :

Beaucoup de mes publications ont traits à ce sujet, voir mon site: www.bardosfeltoronyi.eu.

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Courrier des pays de l’Est, Le (de la Documentation française) toutes les publications depuis le début des années 1990 dont récemment:
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 Europe centrale et orientale 2006-2007 (n.1062 juillet-août 2007) ; Bilan annuel de la vie politique, économique et sociale dans chacun des seize pays de l'Europe centrale et de l'Europe de l'Est, présentés par des analystes chevronnés ;
 In : n.1063 septembre-octobre, 2007 : Les clans en Azerbaïdjan (Viatcheslav Avioutskii) Cartes : L'Azerbaïdjan actuel - Les Khanats azéris au XIXe siècle ; Portrait : Quel avenir pour le culte de la personnalité au Turkménistan ? (Régis Genté) ; Repères : L'Est et l'Union européenne. Juillet-Août 2007 (Édith Lhomel) ;
 le numéro 1013, mars 2001, L. Toubal & F. Toubal, “Le capital étranger en Europe centrale et orientale”.
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5.3 La géopolitique des activités noires, roses et grises dans la mondialisation19

L’analyse qui suit concentre essentiellement sur les stratégies de certaines multinationales dont la particularité principale est de travailler plus discrètement que les autres et de traiter des opérations spécifiques. Certaines de leurs activités apparaissent comme étant tout à fait légales, tandis que d’autres beaucoup moins. Dans cette dernière hypothèse, elles se mettent éventuellement en conflit, mais pas nécessairement, avec les Etats ou de regroupements d’Etats. Parfois, elles bénéficient même de la complicité tacite ou indirecte de ces derniers. D’après certaines estimations, le chiffre d’affaires, c’est-à-dire les transactions de ces activités s’élèverait à € 2.300 milliards environ20. Ce montant représente quelque 8% du PIB mondial ou autrement dit 8 fois du PIB de la Belgique. La majeure partie de ce montant est appelée à être blanchie.

Dès le départ, il convient de préciser qu’il s’agit d’opérations dissimulées mais souvent liées entre elles pour pouvoir augmenter le profit. L’exemple typique est de vendre des armes dans les pays pauvres contre des femmes ou enfants bon marché. Chacune de ces activités porte une couleur différente dans le langage quotidien ou journalistique:
 le secteur rose, la traite humaine, principalement celle des femmes et des enfants ;
 le secteur gris, le commerce de drogues et le trafic d’armes ;
 le secteur noir, l’ingénierie fiscale et financière opérée à travers les banques ou d’autres officines, ainsi que la fraude de la sécurité sociale ou l’évitement de l’imposition fiscale.

Sauf le trafic d’armes qui ailleurs est déjà fort bien étudié, les trois secteurs seront abordés en montrant les stratégies qui seraient en jeu. Les rivalités entre les acteurs qui mènent ces stratégies seront également évoquées mais, en raison précisément de la clandestinité de ces activités, restent fréquemment rien que soupçonnées.

Cette géoéconomie à la frontière entre le licite et l’illicite correspond à une partie constitutive de la mondialisation, de l’internationalisation du capital financier (voir 5.0 ci-dessus) : production et consommation du grand nombre à marge bénéficiaire élevée; optimisation des activités des divers stades de production, de transports, de distribution et de consommation; rémunération maximum des actionnaires ou organisateurs et haute indemnisation des cadres supérieurs, armés ou non; blanchiments par des flux diversifiés à travers des banques ou assimilées à celles-ci; etc.. Sans doute, si les autorités publiques, nationales ou internationales, avaient investi autant dans le démantèlement de ces activités que dans la « lutte contre le terrorisme », les secteurs rose, gris et noir cesseraient d’exister.

Cette analyse n’est qu’une première tentative qui doit être poursuivie et surtout précisée. L’auteur n’est guère insensible devant les énormités et les horreurs des phénomènes ici étudiés. Aussi son attitude analytique souffrira-t-elle parfois de ses propos normatifs. Que le lecteur lui pardonne.

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A. De la traite humaine à l’argent rose

Dans ce qui suit, on fait abstraction du phénomène de l’immigration plus ou moins spontanée des travailleurs de l’Est à l’Ouest ou du Sud au Nord, la question étant amplement étudiée. Le phénomène est certes d’importance, puisque partout les recensements au centre de l’Europe indiquent beaucoup de réductions de populations. Les réductions varient de quelques millièmes jusqu’à de dizaines de pour cent pendant la période de 1990-2006. En Europe occidentale, il ne fait que nourrir “une armée industrielle de réserve”, permettant de peser sur les conditions de travail et les rémunérations.

La traite humaine qui porte principalement sur des femmes et des enfants est une affaire commerciale des plus anciennes et, sans doute, des plus secrètes. Le travail forcé d’esclaves et l’objet de l’appétence du masculin seraient les deux origines majeures du trafic des êtres humains21 : trafic d’organes, organisation de prostitutions variées, tourisme sexuel, travail clandestin ou forcé, etc. Limitons-en ici à l’examen de cette simonie, à celui de la moitié des êtres humains : des femmes ! Notre propos sera aussi fort concentré sur la situation de l’Europe, sans vouloir suggérer que le phénomène n’atteindrait pas des dimensions tragiques ailleurs : en Amérique ou en Asie22.

Selon la Commission européenne, le nombre des victimes de la traite en UE s’élèverait au total à 500.000 à 600.000 femmes. Elles sont essentiellement d’origine extérieure à l’UE à 15 et ce, depuis la chute du mur de Berlin fin 1989. De son côté, l’Organisation internationale des Migrations chiffre à 120.000 le nombre de femmes et d’enfants qui, chaque année, sont l’objet de trafics à destination de l’UE à 15 et dont la plupart sont originaires des Balkans et des pays de la CEI, ainsi que les pays baltes et de Visegrád23. Compte tenu des retours, des « renvois » et des « réexportations vers d’autres destinations », les chiffres sont convergents et montrent l’importance du problème. Ils tendent à désigner une rotation (entrées et sorties du système) élevée, d’un à cinq au « stock » constant à l’échelle européenne.

De l'histoire de la Mafia multinationale, en passant par une géographie et une organisation spécifique

Jusqu'au XXe siècle, l'évolution de la prostitution est marquée par des périodes de forte expansion suivies de mesures de prohibition et de répression non sans succès parfois24. Les échecs – volontaires ou non - par contre amènent les Etats à se résigner à une tolérance assortie d'une réglementation policière et sanitaire, ou plus fréquemment, à en découvrir les avantages pour le genre masculin et pour les finances publiques. Au XIXe siècle, dans presque tous les pays, la prostitution est, par les hommes, tenue pour un mal nécessaire. Au début du XXe siècle, des maisons de prostitution existent dans la plupart des pays et des milliers de femmes sont, souvent par la force, été envoyées, même au-delà des mers, pour être prostituées.

Non sans signification symbolique, ce trafic est appelé la «traite des blanches», en référence à celui des négriers d'antan. Il s'agit purement et simplement de ventes et achats de femmes, puis leur exploitation sous la contrainte physique ou psychique, autrement dit sous la forme de la prostitution25. En fait, il s'agit bien d'un commerce de nature spéciale dont des êtres humains sont la marchandise qui se vend et s'achète, puis qui se consomme, mais se reproduit en même temps et géographiquement se recycle. Dès lors apparaissent les lois du capitalisme classique avec le profit qui tend à sa continuelle expansion.

La traite des femmes est un scandale séculaire et le silence l'est tout autant. De son côté, la prostitution peut, à juste titre, être considérée comme un fléau social et une honte humaine. Elle est, à la fois, une source de corruption sociale et un facteur important de la hiérarchisation entre les sexes au détriment de la femme. Elle permet le financement de ce monde qui vit en marge de la loi et que l'on nomme le «milieu» ou la mafia26. Elle est aussi un vecteur important de contamination vénérienne.

La façon dont s'organise la prostitution varie avec les pays et souvent même à l'intérieur de ceux-ci. Les différences dépendent du niveau du développement économique, des structures sociales et politiques, de la législation en vigueur et des usages locaux. Sous cette diversité plus apparente que réelle, les mêmes procédés sont cependant employés et permettent de distinguer trois modes principaux d'exercice de la prostitution:
 la prostitution «extérieure», qui recherche ses clients dans la rue ou les lieux ouverts au public sous la surveillance stricte des proxénètes ou de leurs sbires;
 la prostitution en «établissements», qui se pratique à l'intérieur de maisons destinées à cet usage sous le contrôle des mêmes personnages;
 la prostitution «sur rendez-vous», qui s'exerce avec le concours d'entremetteurs.

Dans l'immense circuit commercial de la prostitution, dont le chiffre d'affaires est considérable, le proxénète intervient très activement, comme recruteur et comme organisateur, afin de prélever la plus large part sur les bénéfices. Le proxénète le plus proche de la prostituée est le souteneur. Il exerce une action directe sur elle, la recrute et maintient une pression constante pour l'inciter à une activité «soutenue». Il la défend contre les entreprises de ses concurrentes, la met en relation avec des tenanciers d'établissements et lui impose de se plier aux usages du milieu auquel il appartient. Il utilise, pour parvenir à ses fins, la séduction, le dol et, s'il le faut, la menace et les violences, qui peuvent, dans certains cas, aller jusqu'à la torture et au meurtre. Dans le système proxénète, les entremetteurs/entremetteuses ne sont que les contremaîtres-esses du secteur comme ceux et celles qui rabattent, procurent et expédient les personnes concernées.

La victime est contrainte, dans la majorité des cas, à remettre ses gains, directement ou par personne interposée, au souteneur dont elle dépend. Plus rarement, elle doit s'acquitter d'une somme forfaitaire, toujours très élevée, chaque semaine ou chaque quinzaine. Presque toutes les prostituées ont un souteneur. Il faut noter, dans la clientèle habituelle de la prostitution, la présence de nombreux truands. L'esprit de lucre, le désir de se procurer de l'argent sans effort peuvent amener un individu au proxénétisme à l'instar du capitaliste ordinaire. Comme pour les autres matières premières, le passage de la production à la consommation, ainsi que la reproduction et le recyclage de la marchandise passe par des filières qui, la plupart du temps, se trouvent sous le contrôle des multinationales des pays développés. Ce sont en effet quelques entreprises multinationales particulières - certes clandestines - qui organisent des filières géographiques et sectorielles. Il en résulte l'exportation des femmes de certains pays aux consommateurs surtout masculins en grand nombre et dispersés.

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L'acheminement de femmes présuppose des voies de communications plus ou moins assurées et garanties par les services des douanes et de polices complaisants, corrompus ou sous-équipés : d’où l'importance des Etats et leur plus ou moins grande efficacité qui peut empêcher, laisser-faire ou repousser des filières géographiques en jeu. Un exemple tragique parmi d’autres. Durant les années 1990, la République moldave a vu passer sa population de 4,2 à 3 millions suite à l’émigration. Une proportion élevée de celle-ci serait représentée par la traite humaine de femmes et d’enfants. Les trafiquants se chiffreraient à quelques dizaines de groupes et les banques n’en font pas plus. Tant pour les femmes que pour les enfants, les consommateurs sont essentiellement les hommes par centaines de milliers.

Femmes = marchandises et la globalisation du capitalisme

L'internationalisation du capital et la globalisation des économies investissent également le commerce des femmes et l'exploitation de ces dernières. La prostitution s'épanouit partout où la crise du capitalisme a pesé sur les économies depuis le début des années 1970, dans les pays développés comme sous développés. Même, le proxénétisme prend des formes nouvelles qui se rapprochent du "racket". A l'instar des multinationales ordinaires, il tend à devenir un des éléments d'un trafic plus vaste consistant à exploiter des chaînes d'établissements «de plaisir» où l'on vend «de la femme» au même titre que de l'alcool, de la drogue, des publications ou du matériel pornographiques et où l'on pratique le jeu. Le « client est roi », proclame-t-on au titre de promotion marchande. Le tourisme sexuel qui opère le rapprochement du consommateur à la productrice dans un environnement de villégiature et qui devient de masse dans certains pays, combine loisir, prostitution et drogue pour les nantis des pays développés27.

Ces multinationales se basent sur une organisation de "gestion stratégique" et, comme depuis toujours, s'organise quasi exclusivement pour et par les hommes. De telles entreprises, appelées à prendre une place importante dans la vie de la cité, constituent un très grave danger car elles sont à l'origine d'une «criminalité organisée» d'un type nouveau. La stratégie des acteurs change de fond en comble. La traite des femmes s’opère par tous les moyens de transports. Le choix en sera fonction du degré et de la nature de l'éloignement; des moyens de communications économiquement optimales; des modes variés de payements; des accès matériels à des ports, des chemins de fer ou des aéroports; etc. Le lieu idoine protège le prélèvement du profit. D'où le rôle majeur des banques.

Ainsi, parmi des nombreux acteurs, il faut distinguer: les rabatteurs dans les pays d'origine, les transporteurs vers les marchés consommateurs, les "éducateurs" aux lieux de l'exploitation, les surveillants pendant le "travail" des femmes et après, et les blanchisseurs de l'argent extorqué à ces femmes, etc. Tous ces acteurs peuvent être
 des réseaux - petits ou étendus - d'entreprises multinationales à multiples liaisons; des transporteurs; des assureurs; des fournisseurs; des logeurs; etc. ;
 des Etats et leurs organes variés dont la police, la douane et l'armée qui ne combattent pas le phénomène;
 d'intermédiaires financiers dont les banques multinationales qui garantissent la fluidité des payements, des blanchiments de l'argent, de localisations optimales des comptes, etc. ;
 d'institutions internationales dont la Banque mondiale ou le FMI qui encourage, indirectement, ce résultat des libéralisations, des privatisations et des dérégulations.

Chacun de ces acteurs peuvent fonctionner en toute légalité ou en cachette. Cela dépendra de l'action publique qui légalise, tolère ou interdit cette pratique. L'intervention étatique se présente en fait de façon très différente et selon des degrés variables. "Quand les Pays-Bas décriminalisent le proxénétisme, le corps humain est mis sur le marché", titre Le Monde Diplomatique de mars 1997. Et, de poursuivre, "alors que l'aggravation des disparités sociales et l'extension de la pauvreté entraînent une augmentation de la prostitution dans de nombreux pays, une offensive menée par les Pays-Bas vise, au nom de la liberté des femmes, à légaliser le "travail sexuel". A moins d'être forcée - et que la victime en apporte la preuve - la prostitution deviendrait un libre commerce et la mise en exploitation du corps, un droit reconnu sur le marché international du sexe, pour la plus grande satisfaction des consommateurs et des proxénètes". Le déploiement massif actuel de la prostitution est un effet, entre autres, de la présence de militaires engagés dans des guerres ou des occupations de territoire tel que dans les Balkans, en Asie centrale et du sud-est ou au Proche et Moyen Orients. Cet ensemble d’évolution met en évidence une industrialisation des corps humains et la marchandisation de la prostitution en masse.

Rôle de la « communauté internationale » et des Etats

Actuellement, l'Etat apparaît comme celui qui libéralise, privatise et globalise dans la plupart des questions socio-économiques et financières dont la traite des femmes, alors qu'il re-régule vigoureusement s'il s'agit de travailleurs, de bénéficiaires de la Sécurité sociale, de consommation de privilégiés ou d'immigration. Aussi l'Etat peut-il simplement être réduit â l'inaction par "manque de moyens" ou par conviction ultra-libérale ou s'abstenir en tolérant des illégalités sous la pression de groupes organisés. Ces groupes peuvent être des multinationales connues ou clandestines, des partis ou des gouvernements étrangers, groupes de pressions reconnus ou secrets, etc. Il faut cependant être attentif au fait que la traite des femmes n'est pas nécessairement liée aux questions de territoires au sens d'Etats juridiquement établis. Elle peut transcender d'une certaine façon les pays. Elles les ignorent par le fait qu'elles peuvent contourner les obstacles qu'ils pourraient révéler ou profiter des avantages qu'ils pourraient incarner. Ces transactions font suite aux stratégies variées des acteurs en jeu.

Certes, après quelques efforts dans le passé, la convention internationale pour «la répression de la traite des êtres humains et l'exploitation de la prostitution d'autrui» est adoptée le 2 décembre 1949 par l'Assemblée générale de l'ONU. Les Etats signataires de cette convention s’engagent à interdire le fonctionnement de tout établissement de prostitution, à instaurer une législation punissant tout mode d'exploitation de la prostitution d'autrui, même si la personne exploitée est majeure et consentante. Viennent ensuite des mesures destinées à la libération et au reclassement des prostituées: suppression de toutes mesures créant une ségrégation à leur égard et création d'organismes médico-sociaux destinés à faciliter leur réinsertion sociale. Les intentions sont bien plus fortes que les réalisations!

Il intervient bien d'autres facteurs dans ce commerce particulier. Par exemple, les pays d'origine en Europe ne sont pas n'importe lesquels. Le Parlement européenne a, en septembre 2001, critiqué les pays suivants: la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie et la Lituanie qui ne font pas d’efforts suffisants pour combattre la traite des femmes dans leurs pays. Sans doute, on peut ajouter à ces pays l'Ukraine, la République moldave, l'Albanie ou la Pologne également. La présence de l'OTAN, ou encore "la langue de bois du néo-libéralisme" ne serait-elle pas favorable à l'épanouissement des maffias et des trafics de toutes sortes, notamment dans et à travers les Balkans ?

La géopolitique de la traite des êtres humains, des femmes plus particulièrement, se modifie conformément au modèle séculaire. Par exemple, il y a encore quelques années la Croatie en aurait été un pays transit vers l'Europe occidentale. Aujourd'hui, ce pays est importateur net provenant de l'Ukraine, de la République Moldave, de la Russie et de la Roumanie. La situation a changé avec les accords de Dayton et plus spécifiquement grâce à la VIe flotte américaine dont le personnel est désormais "chaleureusement" accueilli en Croatie. Les femmes qui sont vendues entre € 500 et 1 000 dans leurs pays d'origine, se trouvent revendues à € 1 500-2 000, voire à 5 000 en Croatie28 mais le chiffre d’affaires « suggéré » s’élèvent à € 25 000 l’an. Les marges bénéficiaires pratiquées dépassent toutes les autres. Si une telle femme enfante, l'enfant lui est enlevé et vendu.

Parmi les pays d'arrivée, il faut mentionner le cheminement habituel des « marchandises de femmes ». Leur aboutissement habituel en Europe est nos pays occidentaux. Il faut évidemment être conscient que, par exemple, les femmes "dans les étalages" de Bruxelles ou d'Anvers sont en majeure partie de provenance des PECO29. Lors qu'elles deviennent inutilisables dans nos pays, elles sont réexpédiées vers des pays d'Europe "moins exigeants", puis "comme déchets recyclés" vers les pays d'Afrique30. En 2001, l'OCDE a sorti une étude selon laquelle la traite humaine, essentiellement féminine et enfantine, continue à croître à partir des PECO. Selon les années, entre 70 000 et 200,000 femmes et enfants en sont les victimes et font objet de l'exploitation sexuelle. Une des sources majeures de ce commerce serait l'Ukraine. Comme nous le savons, une autre en est les Balkans, sous l'égide des maffias albanais et à partir de la Turquie, notamment. On sait aussi que la traite humaine est, la plupart du temps, liée aux trafics d'armes et de drogues.

En ce qui concerne la traite, on organise des enchères en Europe occidentale. Le prix d'une femme blonde "bien faite" est de l'ordre de € 5 000, alors que le prix d'acquisition ne serait que € 1500 par exemple en République moldave ou en Ukraine. Dans certains cas, un commerce d'organes humains serait lié à la traite humaine, notamment en République moldave. Ces activités marchandes s'organisent à partir des pays albanophones tels l'Albanie, la Macédoine et le Kosovo, et s'étendent aux pays balkaniques et au reste de l'Europe31. Dans les Balkans, les groupes locaux semblent avoir totalement éliminer les réseaux russes et ukrainiens. Ils se reposent désormais sur l'aide apportée par des groupes italiens. Ces derniers jouent les intermédiaires, contrôleurs et surtout blanchisseurs d'argent car ils sont beaucoup d'expérience. La Hongrie constituerait un lieu de transit tant pour les femmes que pour la drogue, ainsi que l'endroit où d'importantes négociations ont lieu. Parfois, la presse fait état des bagarres fort violentes entre ces diverses bandes maffieuses.

Les ministres de l'intérieur et de la justice de l'UE à 15 ont adopté en 2001 un accord-cadre pour combattre la traite des êtres humains. Les ministres de l’intérieur de treize pays du sud-est-européen se sont réunis en mai 2002 à Bucarest dans le but d'entreprendre ensemble la lutte contre la traite humaine. La réunion a bénéficié de l'assistance de la FBI américaine ce qui, hélas, n'est guère une garantie de réussite comme on peut le voir en Amérique latine ou en Afrique.

Dimensions économico-démographiques et adhésion à l'Union européenne

Comme on le sait, les régimes communistes ont sans doute amélioré la situation culturelle et socio-économique des femmes, malgré l'accroissement sensible de la "double charge" (travail salarié et travail domestique) qui pesait sur elles. Jusque dans les années 1970, la prostitution y a été efficacement supprimée. Depuis la crise enclenchée par la "transition au capitalisme" entamée dès les années 1980, le niveau de vie a, en moyenne, diminué de moitié pour la population et d'une façon encore plus accentuée pour la majorité des femmes. De plus, en matière d'inégalité de traitement entre homme et femme, les femmes gagnent, actuellement, 40% de moins que les hommes si elles sont ouvrières et 30% si elles sont employées. Le chômage en est inversement proportionnel. Visible et caché, le chômage féminin ou les "renvois au foyer familial" renforcent des discriminations à leur détriment.

L'UE a estimé que 70% d'héroïne arrivant sur son territoire vient de l'ex-Yougoslavie et qu'il en est de même pour 200 à 700 000 "esclaves de sexe"32. Le groupe qui se nomme "Armée populaire albanais", de création récente et de caractère transbalkanique, serait particulièrement présent dans les activités criminelles dont la traite humaine. Il tenterait même de contrôler la Macédoine, petit Etat et montagneuse, comme quartier général de ses activités. Enfin, en Albanie, le recensement récent a révélé que sa population n'atteint que 3,06 millions â fin. 2002, après l'émigration de quelques 600 000 personnes, soit un cinquième de la population depuis 1990, surtout jeunes et hommes, encore que la traite humaine concerne avant tout des femmes. Des diminutions démographiques de proportion et de type analogue sont signalées en Ukraine, en République Moldave, en Macédoine, en Bulgarie, etc.

A 1'UE, on est conscient, que l'un ou l'autre pays futurs membres ou déjà adhérés n'avancerait pas assez vite dans ses préparatifs, notamment dans son combat contre la corruption et les multinationales de traites d’êtres humains33, de drogues34 et d'armes. Dans un rapport commun, l'UNICEF, l'ONU et l'OSCE estiment que chaque année 120.000 femmes et enfants sont enlevés dans les Balkans et exportés vers les pays de l'UE35.

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B. Du trafic de drogues à l'argent gris

Comme déjà souligné, le commerce des drogues et le trafic des armes sont fort souvent étroitement liés avec la traite des femmes. En effet, l'un finance l'autre, alors que la troisième ne sert que comme complément aux deux autres. Pour simplifier notre propos, limitons-nous à proposer des éléments les plus marquants dont est fait le commerce des drogues, à l'exclusion des questions telles que la dépendance ou la législation en cette matière.

Quelles drogues, pour quels usages ?

La relativité des classifications et des distinctions (drogue dure ou douce) s' impose lorsque l'on sait que, outre les stupéfiants proprement dits, les hallucinogènes et les amphétamines, plus de deux cents produits pharmaceutiques sont utilisés à des fins toxicomaniaques. On peut en distinguer:
 les euphorisants, qui comprennent l'opium et ses dérivés (morphine, codéine, héroïne...), la coca et la cocaïne dont les effets : l'accoutumance rapide, la cherté, de risques d'hygiène, etc.;
 les hallucinogènes qui regroupent le mescaline, le chanvre indien et ses dérivés, l'amanite muscarine, les solanacées à alcaloïdes dont les effets : d'accidents fréquents, de relations humaines amoindries, le risque accru de cancer de poumon, etc.;
 les enivrants tels que alcools, éther, chloroforme, benzène et dérivés; les excitants, parmi lesquels les drogues à caféine (café, thé, cola, maté, etc.), le camphre, le cat, le tabac et le bétel.

À cette classification il convient d'ajouter de nombreuses autres substances synthétiques, en particulier parmi les hallucinogènes: on citera le L.S.D. et l'Ectasy, dont la fabrication peut se situer pratiquement n'importe où. Un laboratoire relativement simple suffit. Cela pose la question de substitution de certains drogues à d'autres, selon les circonstances et les lieux. Les effets en sont l'accoutumance rapide, d'accidents de toutes sortes, de risques d'hygiène, etc.

Il convient ici de se demander pourquoi la société poursuit avec acharnement certains drogués et en tolère, avec une relative tranquillité, d'autres, qui, pourtant, sont infiniment plus nombreux et lui reviennent très cher. Ce serait également le cas de certaines passions dont le degré de risque s'avère élevé pour l'individu concerné et pour la société. Citons l'alcoolisme, les excès de vitesse en automobile ou le tabagisme. Il faut bien citer également un précédent historique. Il s'agit de la fameuse "guerre de l'opium" qui a eu lieu entre 1839 et 1942. Par cette guerre, les Anglais imposèrent à l'Empire chinois l'ouverture d'un certain nombre de ports de façon à ce qu'il puisse écouler notamment de l'opium produit en Inde sous leur contrôle.

Depuis des années 1960-1970, les pays touchés par la vague toxicomaniaque étaient nombreux. Les EUA faisaient figure de précurseurs et l'Europe les a suivi. Dans ce dernier cas, les conflits militaires dans les Balkans ont accéléré le développement du trafic et donc la consommation des drogues. Plusieurs facteurs auraient joué un rôle certain: la libéralisation débridée des Etats diminuant des contrôles douaniers, les stratégies des trafiquants, les guerres locales dont le financement est facilité par la drogues, la «faiblesse» des clients et, peut-être, la «dégradation générale des normes et des valeurs sociales». Le trafic des petits intoxiqués revendeurs n'est toujours que le prolongement local du trafic des grandes filières «maffieuses» ; mais les petits se déplacent plus aisément qu'il y a quelques décennies et démultiplient le grand trafic dans des vastes régions telle l'Union européenne. Il suffit donc que soient approvisionnés des centres de distribution dans des Etats qui sont soit tolérants, soit incapables de lutter, et la distribution peut alors s'organiser d'elle-même. La toxicomanie contemporaine concerne avant tout les jeunes et fait de celle-ci un phénomène radicalement différent des flambées de cocaïnomanie ou d'héroïnomanie du début du XXe siècle.

Faisant suite aux bombardements, puis à l'occupation américaine en 2002, l'Afghanistan a recommencé la production de l'opium à un rythme spectaculaire que les talibans avaient stoppé antérieurement. Contrôlant parfois des territoires comme la Belgique, les chefs des tribus locaux se sont emparés du pouvoir abandonné par les talibans dans les provinces et se financent désormais avec l'argent de la drogue. Dans les Balkans, les groupes locaux semblent avoir totalement éliminé les réseaux russes et ukrainiens. Ils se reposent désormais sur l'aide apportée par des groupes italiens. Ces derniers jouent les intermédiaires, contrôleurs et surtout blanchisseurs d'argent car ils sont beaucoup d'expérience. La Hongrie constituerait un lieu de transit tant pour les femmes que pour la drogue, ainsi que l'endroit où d'importantes négociations ont lieu.

Quelques indications sur la complexité de l’économie de drogues

Conformément au mandat qui lui est dévolu en vertu des traités internationaux relatifs au contrôle des drogues, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, l’ONUDC sélectionne régulièrement plusieurs pays afin d’examiner la manière dont ils appliquent l’ensemble des dispositions des dits traités. Cet examen porte sur différents aspects du contrôle des drogues. L’Office rappelle « aux gouvernements que les stupéfiants et les matières premières opiacées ne sont pas des produits ordinaires et que, dès lors, les considérations liées à l’économie de marché ne devraient pas être des facteurs déterminants pour décider d’autoriser ou non la culture du pavot à opium ». L’expression « les considérations liées à l’économie de marché » vise évidemment la libéralisation des Etats en faveur des groupes financiers et industriels dans le cadre de la globalisation néolibérale. Citons quelques informations fournies par les rapports annuels de l’ONUDC.

En 2005, l’ONUDC a examiné par exemple la situation en matière de contrôle des drogues dans un certain nombre de pays, notamment l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine et la Roumanie. Ces trois pays se trouvent sur la route des Balkans, principal itinéraire utilisé pour passer de l’héroïne en contrebande d’Afghanistan en Europe, et ils font face depuis des années à de graves problèmes de trafic de drogues. Toutefois, les ressources attribuées par les gouvernements aux activités de contrôle des drogues sont insuffisantes. Il n’y a aucune législation à l’échelle nationale pour garantir l’application des dispositions des traités internationaux relatifs au contrôle des drogues, ni aucune entité nationale responsable de la coordination des activités de contrôle des drogues. Si, dans l’un ou autre pays, des progrès ont été réalisés en matière de réduction de la production ou de la vente de drogue, les fonds alloués aux activités de réduction de la consommations ainsi que de prévention et de traitement de l’abus de drogue restent insuffisants.

Pour renforcer la coopération internationale dans la lutte contre les cyberpharmacies illicites, l’ONUDC a entre autre informé tous les gouvernements des dangers que présentaient ces activités illicites. La contrebande de drogues par voie postale, qu’il s’agisse de drogues illicites ou de drogues fabriquées licitement puis détournées, représente une menace majeure pour les services de détection et de répression. Selon l’Organisation mondiale des douanes, ces cinq dernières années, toutes les régions du monde ont connu un accroissement de cette activité illicite. Selon l’ONUDC, l’abus de préparations pharmaceutiques contenant des analgésiques opioïdes a progressé ces dernières années aux EUA. Selon les conclusions de l’enquête nationale sur l’usage de médicaments et la santé, 4,4 millions de personnes ont régulièrement fait abus d’antalgiques à base de stupéfiants en 2004. Ces préparations pharmaceutiques sont au nombre des stupéfiants qui continuent d’être détournés et consommés aux États-Unis. Les méthodes de détournement vont de la production de fausses ordonnances au vol chez des fabricants, des grossistes ou des détaillants. L’abus de ces médicaments est également facilité par les mauvaises pratiques de certains médecins et pharmaciens.

Dans les Amériques, les EUA sont non seulement le premier pays où il est fait appel aux cyberpharmacies, c’est également celui où sont installées nombre de pharmacies illicites de ce type. Les Caraïbes ou le Mexique sont souvent des fournisseurs de ces substances. En Asie, la Chine, l’Inde, le Pakistan et la Thaïlande sont les pays les plus cités comme lieux d’implantation de cyberpharmacies illicites. Il est apparu que la Chine était également un pays à partir duquel des matières premières utilisées pour la contrefaçon de substances placées sous contrôle international étaient vendues illicitement par Internet. En Europe, on désigne souvent les Pays-Bas comme le pays à partir duquel opèrent des cyberpharmacies illicites. Si les cyberpharmacies illicites desservent tous les pays, la majorité de leurs clients sont toutefois des habitants des EUA ou de pays européens. D’après les chiffres relatifs aux saisies, une cyberpharmacie illicite réaliserait bien plus d’opérations qu’une pharmacie traditionnelle ayant des activités licites.

L’ONUDC d’insister, les préparations pharmaceutiques contenant des substances psychotropes que l’on trouve dans diverses économies ne sont pas toujours nécessairement détournées de la fabrication ou du commerce licites. Dans certains cas, l’accroissement de la consommation d’un produit pharmaceutique donné contenant une substance psychotrope a donné lieu à la fabrication illicite de préparations de contrefaçon. Etant donné que les détournements de la fabrication et du commerce international ne représentent plus un apport important pour l’approvisionnement, la fabrication illégale, y compris la contrefaçon de produits de marque, est désormais une source majeure d’approvisionnement pour le commerce illicite. Outre la très forte consommation de ces produits, les connaissances spécialisées de ceux qui exploitent des laboratoires clandestins se sont développées. Dans certains pays, cette évolution est attribuée à des problèmes économiques qui ont fait que des spécialistes de l’industrie chimique ou pharmaceutique ont perdu leur emploi. Des matières premières servant à la fabrication de substances psychotropes peuvent être obtenues à partir de pays où les contrôles sont insuffisants, où peuvent même être commandées sur Internet et être ensuite transformées par des professionnels qui travaillent pour les trafiquants.

Une autre source de production illicite est, selon l’ONUDC, assurée par les opérations clandestines que mènent des sociétés chimiques et pharmaceutiques reconnues, parallèlement à leurs activités légitimes de fabrication. Cette pratique qui consiste, pour une entreprise commerciale, à exercer des activités légales et illégales n’est pas seulement le fait des entreprises manufacturières et se retrouve également au niveau de la vente de détail, à savoir dans les pharmacies. Les narcotrafiquants ont recours à différents moyens, notamment: vol dans les usines et chez les grossistes; prétendues exportations; falsification d’ordonnances; et délivrance de substances par des pharmacies sans les ordonnances requises. Les drogues détournées ne sont pas uniquement destinées à un usage personnel; elles peuvent aussi faire l’objet d’un trafic dans le pays de détournement ou être passées en contrebande dans d’autres pays. La demande illicite de produits pharmaceutiques contenant des substances placées sous contrôle est en progression. Dans un certain nombre de pays, l’abus de ces produits arrive tout juste après l’abus de cannabis.

Comme le montre l’expérience, les pays qui sont des centres de commerce international mais dans lesquels les contrôles n’existent pas sont particulièrement susceptibles d’être visés par les trafiquants. L’ONUDC demande instamment à tous les autres pays concernés comme Andorre, les Bahamas, le Bhoutan, le Brunei Darussalam, le Burkina Faso, le Congo, le Gabon, la Guinée-Bissau, la Guinée équatoriale, la Jamahiriya arabe libyenne, l’Irlande, le Lesotho, le Myanmar, le Niger, Singapour et le Zimbabwe d’adopter également les mesures voulues. Compte tenu de l’évolution des tendances du commerce licite et du trafic de permanganate de potassium, il faut veiller à empêcher les détournements de cette substance qui est un précurseur de la cocaïne, et à endiguer la fabrication illicite de cocaïne. Étant donné que les principaux objectifs de l’ONUDC consistent à détecter et à intercepter les tentatives de détournement de permanganate de potassium et à identifier les sociétés écrans et les personnes suspectes, il faut que les gouvernements mènent des enquêtes approfondies sur les envois de cette substance qui ont été stoppés.

La corruption a freiné les efforts visant à combattre la culture et la production d'opium en Afghanistan où le commerce de la drogue est aux mains d'une poignée de personnes soutenues par les milieux politiques, affirme un rapport de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) publié aujourd'hui. Les riches producteurs paient des pots-de-vin pour éviter que leurs cultures ne soient détruites, réduisant ainsi l'efficacité des mesures anti-narcotiques et la crédibilité du gouvernement et de ses représentants locaux, affirme le rapport. Les efforts pour combattre l'opium n'ont produit que de maigres succès. Les mesures prises pour aider les fermiers qui vivent dans des zones reculées et qui disposent de ressources limitées sont le plus souvent inefficaces. La politique d'éradication des cultures d'opium affecte généralement les paysans les plus pauvres. La culture et la production d’opium ont atteint des niveaux records en 2006, avec une hausse de la production de 49%.

L’organisation du secteur à échelle mondiale

Comme pour la plupart des matières premières, le passage de la production à la consommation passe donc par des filières qui se trouvent sous le contrôle des multinationales, licites ou non, spécialisées des pays développés. Ce sont en effet quelques entreprises multinationales qui organisent des filières géographiques et sectorielles depuis des nombreux producteurs aux consommateurs fréquemment en grand nombre et dispersés. Des producteurs peuvent être des paysans des pays pauvres ou des chimistes travaillants dans des laboratoires clandestins et forcément petits dans nos pays riches ou encore des multinationales pharmaceutiques.

On peut très bien représenter cette situation aussi par deux entonnoirs dont les becs étroits se touchent:

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Ce schéma représente assez bien la manière dont fonctionne le système international de la drogue. Ainsi se définit la problématique proprement géopolitique qui porte sur la production et sur l'acheminement de telle ou telle matière d'un lieu du globe à un autre, ainsi que sur son financement par quelques acteurs et sur les rivalités nombreuses de divers acteurs. La production en est soumise à des règles précises et habituelles de la gestion capitaliste: l’accaparement du domaine des concurrents ou la simple absorption de ceux-ci; l’accroissement constant de la productivité par des innovations et la gestion maximale du taux d’exploitation. Les conflits inter-entreprises sont fréquents qui mobilisent parfois des pouvoirs publics afin d’éliminer tel ou tel rival.

L’acheminement présuppose des voies de communications plus ou moins assurées et garanties par des moyens militaires: d'où l'importance ici et ailleurs des Etats ou des multinationales de merceraniat. Il fait intervenir des facteurs tels que le degré et la nature de l'éloignement; des moyens de communications économiquement optimaux : de l’estomac des transporteurs jusqu’à la Poste ordinaire en passant par les moyens plus classiques; des modes variés de payements et de couvertures d’assurance; des accès matériels à des ports, chemins de fer ou aéroports; des voies maritimes ou terrestres militairement à l'abris d'un adversaire quelconque etc. Le lieu idoine protège le prélèvement du profit en "euros et cents", en le blanchissant. D'où le rôle essentiel des banques.

Citons quelques chiffres parlants de l’ONUDC. En 2005, l’exportation afghane de production de l'opium et ses dérives s’élève à € 2,2 milliards qui correspond à 52% du PIB du pays. Les trafiquants s’approprient 80% du montant, alors que le reste revient à de dizaines de milliers d’agriculteurs. Quant aux très nombreux consommateurs ils déboursent le quintuple de la somme.

De nombreux acteurs interviennent donc:
o les exportateurs et les importateurs dont
o des "bandes ou clans", des entreprises multinationales spécialisés;
o des intermédiaires commerciaux, des « trafiquants » et d’armées privées;
o des Etats et leurs organes variés dont la police et l'armée;
o des intermédiaires financiers dont les banques multinationales;
o des institutions internationales dont l'OMC ou le FMI;
o des transporteurs; des assureurs; des fournisseurs locaux; des chercheurs; etc.

Chacun de ces acteurs peut fonctionner en toute légalité ou en cachette. Cela dépendra de l'action publique qui légalise, tolère ou interdit. Selon les matières, les Etats jouent un rôle d'une importance variable. En principe, ils s'avèrent détenteurs du monopole de la contrainte. L'intervention étatique se présente en fait de façon très différente et selon des degrés variables. En cette période présente, l'Etat apparaît comme celui qui libéralise, privatise et globalise dans la plupart des questions économiques et financières, alors qu'il re-régule vigoureusement s'ils s'agit de travailleurs, de bénéficiaires de la Sécurité sociale, de consommateurs privilégiés ou d'immigrés. Aussi l'Etat peut-il simplement être réduit à l'inaction par "manque de moyens" ou par conviction ultra-libérale ou s'abstenir en tolérant d'illégalités sous la pression de groupes organisés. Ces groupes peuvent être des multinationales connues ou clandestines, des partis ou de gouvernements étrangers, groupes de pressions reconnus ou secrets, etc.

Il faut cependant être attentif au fait que la géoéconomie de la drogue n'est pas nécessairement liée aux questions de territoires au sens d'Etats juridiquement établis. Comme dans d'autres domaines, elle peut se reposer sur le concept de déterritorialisation qui désigne le phénomène suivant. Par leur grande mobilité et flexibilité, les transactions commerciales et financières transcendent d'une certaine façon les pays. Elles les ignorent par le fait qu'elles peuvent contourner les obstacles qu'ils pourraient révéler ou profiter des avantages qu'ils pourraient incarner. Ces transactions font suite aux stratégies variées des entreprises et banques multinationales.

Géohistoire de la drogue: voies d'acheminement de la drogue, blanchiment des capitaux et conflits régionaux

La production et le trafic des drogues sont devenus depuis 1945 un problème géopolitique pour les pays développés capitalistes. Tantôt, les Etats tels les EUA exercent des pressions sur les pays producteurs. Ces pressions constituent des prétextes commodes afin de pouvoir encore mieux dominer les pays comme en l’Amérique latine, notamment la Colombie et dans les Caraïbes. Tantôt, ils sont parfaitement tolérants s'agissant du Pakistan, de Afghanistan ou d'autres pays d'Asie, notamment centrale.

Par exemple, la production d'opium du Triangle d'Or, - aux frontières de la Chine, de la Birmanie, de la Thaïlande et du Laos fut, dès le lendemain de la guerre l939-1945, commercialisée et transformée par des officiers nationalistes chinois qui bénéficiaient du soutien des EUA, puis par les services spéciaux de l'armée française et enfin ceux de l'armée américaine au Vietnam afin de couvrir financièrement des opérations dites spéciales. Les intermédiaires locaux qui ensuite sont devenus internationaux ont repris et ont continué à développer les opérations jusqu'aujourd'hui. Les groupes de guérillas en ont fait de même dans ces régions, puis en Afghanistan et au Moyen-Orient jusqu'à l'époque contemporaine. En Amérique latine, la production comme le trafic de la cocaïne s'inscrit dans une évolution analogue, mais les réseaux des narcotrafiquants sont bien plus étendus, dû probablement à la relative proximité du marché nord-américain. Les filières y sont relativement connues : le multiple micro-Etats antillais, le Panama, le Mexique et le Brésil.

Le trafic de drogues en provenance de Turquie ou surtout d'Afghanistan s'est rapidement propagé depuis les années 1980, notamment en Russie, par l'intermédiaire de divers réseaux ethniques venus du Caucase ou par la Caucasie Méridionale. C'est aussi le prétexte pour Moscou à fin d’écraser la Tchétchénie et de vouloir contrôler la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan. L'acheminement alternatif des Balkans passe par train de Turquie, via Sofia et via l'Ukraine, et aboutit par exemple en Belgique... Depuis 2002, la production d’opium-héroïne en Afghanistan est fort relancée et assure désormais le 9/10e de la production mondiale. Budapest occuperait une place prééminente comme lieu de négociations et de transactions.

A mesure que les effets de la crise mondiale se font sentir, que les conditions des échanges entre le Nord et le Sud sont plus inégales, que le poids de la dette extérieure s'accroît, l'importance de l'argent provenant d'activités illicites comme la contrebande et le trafic de drogue augmente entre les pays pauvres ou riches tout autant qu’entre l’Est et l’Ouest. Les gouvernements ne peuvent plus dissimuler que les revenus de la drogue soient devenus le soutien essentiel de leur économie. Tel est le cas en Amérique latine, ainsi qu'en Asie centrale ou du sud-est. Toutefois, la plus grande partie des profits sur les stupéfiants est générée dans les pays consommateurs, c'est-à-dire développés. Loin d'enrichir la population des pays producteurs et en particulier les paysans qui cultivent et récoltent des plantes qui transformées deviennent l'opium et le cocaïne. Pour 1 euro gagné par les producteurs en grand nombre, les peu nombreux trafiquants en font 3 dans les pays développés.

L'argent de la drogue représente dans le monde des sommes colossales, bien plus que les secteurs d'industries les plus importantes. Il s'agit d'une économie parallèle mais dont les gains finissent le plus souvent par être réinjectés dans les circuits économiques légaux après avoir été blanchis par des banques ou des institutions financières honorables: casinos, fonds de pension, etc. Cet argent est également utilisé pour financer, dans les différentes parties du monde, rébellions, guerres civiles ou conflits régionaux. Enfin, une politique anti-drogue telle qu'elle est organisée par les EUA contre le trafic en Amérique latine peut être également utilisée pour contrôler les Etats de la région.

Paradoxalement, la chute des régimes politiques communistes et la fin de l'antagonisme des blocs sont à l'origine d'une recrudescence du recours à l'argent de la drogue et de l'ouverture des voies de transit de cette dernière. D'une part, on assiste à une multiplication des conflits nationaux et ethniques et, d'autre part, les protagonistes de ces affrontements, ne pouvant plus compter sur l'aide économique et financière d'un protecteur puissant, doivent avoir recours à des sources de financement parallèles. Il en est de même s'agissant des républiques d'Asie centrale de la CEI, traversées par les crises ethniques, sociales et économiques et dont le territoire recèle un immense potentiel pour les productions de cannabis et de pavot, qui représentent la plus grande menace en matière de drogue pour les pays occidentaux. De son côté, une des drogues synthétiques est l'ecstasy dont le producteur mondialement le plus important serait les Pays-Bas, puis le Canada. Les deux alimentent en produit les EUA avant tout. Aux Pays-Bas, la fabrication et la commercialisation de l'ecstasy seraient dominées par les Israéliens et les Chinois. La matière première en serait surtout importée de la Chine.

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C. Le blanchiment l'argent et rôle des banques multinationales

Les doubles entonnoirs dont il a été souvent question ci-dessus se touchent à leurs becs. Là se situent la direction générale des multinationales qui dirigent les opérations et le lieu où la transaction financière, le payement des opérations se réalise et le profit concret peut être dégagé. Dès que des sommes importantes sont en jeu, ce lieu est la banque également multinationale. Le secteur noir qui correspond à l'ingénierie fiscale et financière de la majeure partie des multinationales, officielles ou clandestines, s'opère nécessairement à travers les banques, elles aussi multinationales. Essayons le (dé) montrer !

Une banque, c'est une usine pour payer

La banque est une entreprise spécialisée dans le payement. Elle est en effet appelée à payer selon les ordres qu'on lui donne à l'endroit, au moment et dans la monnaie ou devise voulue. A défaut d'argent liquide, elle paye en faisant de crédit, en créant la monnaie. Outre le fait de payer et de prêter, la banque tient les comptes de ses clients et grâce à cela gère la trésorerie de ces derniers. Elle procède également au change d'une monnaie en une autre et collecte des dépôts pour pouvoir rester toujours liquide. Par ailleurs, elle effectue des opérations dites financières en émettant des actions, des obligations ou tout autre titre de créance en faveur des tiers et parfois d'ordre de tiers. D’activités d’émissions qui sont factices se prêtent fort bien à des opérations de blanchiments. Enfin, la banque gère la trésorerie et les titres de ses clients. Cette gestion crée aussi la possibilité de procéder à de pareilles opérations.

Les esprits non initiés voient avant tout dans la banque un distributeur plus ou moins capricieux de crédits qui lui assurent un pouvoir. Or, tout banquier qui connaît son métier dira que son souci principal est de pouvoir payer sans risque et à tout moment en son nom propre et au nom de ses clients. Le pouvoir y est sans doute en vertu de la position centrale de la banque dans les transferts d'argent et le financement du capitalisme. Peu importe d'ailleurs que ce dernier soit de nature ouverte ou dissimulée, licite ou illicite. La banque a donc une fonction exclusive qui est de gérer les paiements de masse et surtout de montants substantiels que personne d'autres n'a réussi à organiser en-dehors d'elle. La fonction est selon nous exclusive en vertu du principe de la division du travail et de la spécialisation exigeant de la haute technicité et des investissements extrêmement lourds. Cette fonction se réduit à la passation et à la transmission d'écritures ainsi qu'à la tenue des comptes chez elle et dans d'autres banques.

Toutefois, comme une transaction bancaire implique généralement d'autres transferts d'actifs (escompte, opérations fiduciaires, achats ou ventes de devises, encaissements ou remboursements de chèques, etc..), la banque est amenée à exercer d'autres fonctions comme prêteur, émetteur de titres, escompteur, changeur, etc.. Elle a pratiquement toujours informé sur - ce que l'on appelle dans le secteur - "la nature" du payement, c'est-à-dire la contrepartie de ce dernier, ce à quoi correspond ce dernier. L'accroissement du commerce extérieur mondial, en moyenne deux fois plus rapide que celui de la production à la même échelle, pouvait dans un premier stade se contenter de règlements ou payements et des opérations de change opérées de banques à banques alors que l'internationalisation de la production et des actionnariats nécessite désormais de nouvelles modalités à une échelle élargie. Dès lors, le système de payements ou de transmissions d'ordres s'est extraordinairement développé depuis la deuxième moitié du XXe siècle.

En ce qui concerne les payements internationaux, le système le plus connu est le SWIFT, installé en Belgique. Echappant au contrôle des pouvoirs publics36, celui-ci est une coopérative mondiale créée à l'initiative des banquiers européens et qui centralise les payements des banques membres. Les banques devenues internationales acquièrent, à partir de cette base, un caractère international par la mondialisation de leurs opérations et par leurs structures. Elles fournissent aux firmes - n'importe lesquelles! - les fonds nécessaires à leurs activités. Elles contribuent à rendre mobiles d'un point à l'autre du monde ces fonds que les firmes multinationales souhaitent déplacer pour des raisons de gestion de trésorerie et de transferts, de placement ou d'investissement. Pour le faire, elles se transforment en mégabanques ou doivent passer entre elles des accords en vue de payements et d'autres règlements.

Depuis les années 1960, on distingue en fait entre mégabanques, banques régionales à échelle continentale et banques locales spécialisées vis-à-vis d'une certaine clientèle. La mégabanque correspond à un acteur à l'échelle mondiale, intègre toutes les activités bancaires et dispose d'un réseau de filiales et d'agences à travers des continents. Multinationales, les mégabanques seraient celles qui figurent parmi les quelques dizaines premières de banques du monde. Ce sont elles qui, en connaissance de cause ou non, ouvrent des comptes multiples dans de banques liées à de trafics variés et à de trafiquants et effectuent des opérations sur ces derniers. Ce sont elles qui, de pays à pays, exécutent de successions d'opérations blanchissant l'argent noir, gris ou rose en recourant notamment aux mécanismes informatiques de SWIFT.

Quelles sont les techniques du blanchiment ?

L’importance actuelle du blanchiment de l’argent apparaît comme proprement énorme. Rappelons-le, selon les estimations les plus récentes, il porte annuellement à € 2.300 milliards environ37 ce qui représente quelque 8% du PIB mondial ou 8 fois le PIB de la Belgique. De tels volumes ne peuvent pas être traités en dehors du système bancaire pour des raisons à la fois techniques et matérielles. Il faut en effet tenir compte en plus qu’un même avoir rose, gris ou noir peut et doit impliquer plusieurs transferts avant d’être convenablement blanchis.

Quelques exemples de blanchiment parlent mieux que des longues considérations théoriques. Le blanchiment peut faire intervenir différentes techniques dont la multiplicité, la complexité ou la répétition successive accroît les chances de réussites. L'aspect le plus indispensable s'avère l'ouverture de comptes très nombreux sous différents noms, dans divers pays et auprès de multiples établissements. Le recours varié à ces comptes tend à camoufler la raison véritable des transferts opérés mais se gèrent sans difficulté grâce à l’informatique. La technique peut porter sur un transfert bancaire vers des pays où la visibilité publique est modeste, par exemple des lieux dits hors-zone OCDE, suivi un nouveau transfert vers le pays ou les bénéficiaires des opérations résident. Elle pourrait aussi avoir recours à des opérations de crédits fictives dont le remboursement blanchit l'argent. Elle peut consister à racheter des billets de loteries, puis à les encaisser et à verser l'argent ainsi gagné sur le compte de l'opérateur; achat de valeurs mobilières avec des fonds transférés de l'étranger et établissement d'un prêt garanti par ces valeurs mobilières; achat ou vente de chèques de voyage de montants élevés; exportation fictive et/ou fortement majorée donnant lieu à un paiement; etc.

Le blanchiment bancaire se servira des techniques encore plus raffinées où le profit obtenu seul doit être blanchi. Ces techniques passeront par des compensations par exemple entre achats de femmes et ventes d'armes ou de drogues, des doubles opérations de crédits ou de changes croisées dans différents pays, des activités peu contrôlées par les autorités telles que le tournage de films, l'achat ou la vente de licences ou de fonds de commerce fictifs, etc. Au cours des années écoulées se sont multipliées des opérations qui ont fait intervenir des services financiers proposés sur l'Internet. Une des méthodes de blanchiment via l'Internet consisterait à créer une société proposant des services payables par l'Internet. Le blanchisseur utilise ensuite ces services et les règle en utilisant des cartes de crédit ou de débit liées à des comptes dont il a le contrôle (éventuellement localisés dans une zone extraterritoriale) et sur lesquels sont déposés le produit d'activités criminelles et le solde bénéficiaire de ces dernières.

L’OCDE anime un Groupe d'Action Financière sur le Blanchiment de Capitaux (GAFI) qui publie des rapports annuels. Ces derniers décrivent les différentes sortes de tactiques et de mécanismes, ainsi que les mesures que l'on devrait prendre pour empêcher le blanchiment. Comme source d'informations, le GAFI n'est pas dépourvu d'intérêt. Cependant, il convient de savoir que les pays membres de l'OCDE sont précisément des pays riches qui ont le plus de multinationales de toutes sortes, dont les banques, et ne font que peu pour les réguler au nom de la liberté de marché. Cette complicité d’Etat revêt ainsi une importance primordiale dans la gestion des flux d’argent noir, gris et rose dans le monde.

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Une première conclusion

Une première conclusion

Dans les activités dont une première analyse est tentée ici, on peut observer le phénomène suivant. Le principe du libre-échange dont bénéficient avant tout les multinationales s’oppose au principe de la souveraineté étatique dont celles-ci continuent néanmoins à avoir besoin. Toute réglementation du commerce au sens large du terme soulève des problèmes de fonds depuis la victoire du libéralisme radical dans le monde. Ainsi, les discussions autours de l’ONU ou de l’OMC, qu’il s’agisse de la drogue, de la traite humaine, des armes, des clauses environnementielles ou sociales, des blanchiments des fonds, de la fraude fiscale ou sociale, posent véritablement le problème du conflit entre les deux principes.

Il en résulte une contradiction qui dans la pratique s’avère quasi insurmontable. Jusqu’ici, dans le climat du libéralisme américain depuis la guerre 1939-45, le monde penche constamment en faveur du premier principe au détriment du second. Cette évolution privilégie des grands (Etats et entreprises) alors qu’elle défavorise les autres (Etats et entreprises). Les privilégier semble comporter des limites : le chaos éventuel qui implique plus de risques que de profits et qui provoquerait probablement le succès de l’altermondialisme.

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Organisation des Nations Unies, Tendances globales de drogues illicites, 2002, n° de réf.: 9211 4815 03 & Rapport du contrôle international des narcotiques, 2001, n° de réf.: 9211 4814 57.
Parlement Européen, Pour de nouvelles actions dans le domaine de la lutte contre la traite des femmes, COM (1998)0726-C5-0123/1999.
PETERSOHN, Ulrich, Boomender Markt privater Militärfirmen, Die Auslagerung militärischer Aufgaben wirft heikle völkerrechtliche Fragen auf, in: NZZ, 7.6.2006.
Petit Robert - Des noms propres, L’Atlas géopolitique & culturelle, Paris, 1999.
SCHNEIDER, F., Elisabeth DREER & W. RIEGLER, Geldwäsche. Formen. Akteure, Grössenordnung – und warum die Politik machtlos ist, Gabler, Wiesbaden, 2006.
Sénat de Belgique, Traite des êtres humains et prostitution - Une volonté d'agir, Journée d'étude, 29,6.2001, Bruxelles.
SÜMEGI, Noémi, Hongrie – l’Etat maquereau, in : Heti Válasz, novembre, 2007.
VAZ CABRAL, Georgina, La traite des êtres humains – Réalités de l’esclavage contemporain, La Découverte, Paris, 2006.
VENTI, Sergio Mario, Le marché des drogues et son contrôle international –l’Europe dans la tourmente, entre sécurité et libre circulation, mémoire de fin d’études, Département des sciences politiques et sociales/UCL, Louvains-la-Neuve, septembre 1999.
VICTOR, Jean-Christophe, Virginie RAISSON & Frank TETART, Les dessous des cartes – Atlas géopolitique, ARTE-Tallandier, Paris, 2005.

Site Internet :
www.strategic-road.com/dossiers/paradis.htm comporte des nombreuses indications bibliographiques ;
L’OICS est l’ Organe international de contrôle des stupéfiants de l’ONU. L'OICS est un organe de contrôle indépendant et quasi judiciare qui est chargé de surveiller l'application des traites internationaux relatifs au contrôle des drogues; d’autres sites de l’OICS: www.incb.org,
www.incb.org/incb/en/sitemap.html; www.incb.org/incb/annual_report_2005.html;
Le site du Groupe GAFI: www.fatf-gafi.org/ index fr.htm.
UNNews@un.org, 28, Novembre, 2006, ainsi que www.unodc.org/unodc/index.html.

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Footnote list:

1 Cette introduction comme le point 5.0 s’appuie sur mon livre Géoconomie mis à jours. up

2 Voir Chapitre introductif. up

3 L’exemple significatif à ce propos comment en 2007-2008 les banques centrales du « centre capitaliste » aident financièrement et massivement les sociétés financières et bancaires de sortir de leur crise liée à leurs crédits « foireux » dont elles ont fait beaucoup de profits mais dont les charges/pertes financières sont transférées aux épargnants bernés et, surtout, aux contribuables. up

4 Voir une première version de ce renouvellement théorique in Bárdos-Féltoronyi, 1991. up

5 Un discours idéologique s’exprime à travers la parole, l’écrit et l’image. Il propose une représentation collective de la manière de comprendre ou d’expliquer. C’est par quoi un objet, un phénomène est présent à l’esprit. Une telle représentation fonde les aspirations et les comportements. Elle légitime l’action des groupes sociaux. Elle ne présuppose aucun fondement rationnel ou factuel. Tel est le discours néo-libéral qui est la langue de bois d’une pensée unique du capitalisme (voir Partie 6). up

6 Une première version de ce texte est parue in : Cahiers marxistes, n° 223, octobre-novembre, 2002. Pour la présente publication, elle est révisée et abrégée. up

7 Wirtschaftliche Folgen des Terrors, in Neue Zürcher Zeitung, des 15/16.9.2001. up

8 Voir La dimension géopolitique d’une Europe du XXIe siècle, in La Revue Nouvelle, Juin 2001. up

9 Par exemple, par le chantage à la sécurité, face au “danger communiste”. up

10 Sans doute, le fait que le général de Gaulle et la Banque Nationale de Suisse aient exigé le remboursement de leurs avoirs en dollars sous forme de lingots d’or, a précipité des décisions des gouvernements américains. up

11 Ces conditions peuvent bien avoir été ébranlées suite aux nombreux échecs en termes militaires et de services de renseignement depuis le dernier quart du XXe siècle sur le plan international (Vietnam, Liban, Nicaragua, Irak, Serbie, etc) et désormais à l’intérieur de leurs frontières (attaques contre New York et Washington). Il faut se garder d’interpréter ces échecs comme des insuccès diplomatiques. Tout au contraire. Comme toute grande puissance en déclin, la diplomatie américaine est assez brillante, même pour camoufler les échecs en question. up

12 Déséquilibres internationaux de paiements courants : évolutions récentes et ajustements nécessaires en matière de politique économique, in : Bulletin mensuel, novembre 2006. up

13 Fiscalement, les résidents américains correspondent à ceux ou celles qui payent leurs impôts aux EUU. up

14 La banque centrale de Chine augmente progressivement ses réserves en euro au détriment du dollar, tandis que la banque centrale de la Russie fixe la part de l’euro dans le panier d’ancrage du rouble à 40% contre 60% pour le dollar. La hausse progressive du cours de l’euro par rapport à celui du dollar tend à indiquer que l’euro voit grandir son rôle de valeur de refuge à l’échelle mondiale, son usage dans l’épargne mondiale. up

15 A l’instar de la Belgique aux lendemains de la guerre 1939-45 et de la Suisse depuis cette guerre jusqu’aujourd’hui. up

16 Il convient de considérer que les matériaux publiés ici s’avèrent loin d’être exhaustifs ou achevés et qu’une version en a été publié in : Bárdos-Féltoronyi 2005. up

17 Pour chaque € de production, la consommation énergétique des EUA correspond au double de celle de l’UE. up

18 Ces prix sont annoncés en dollar mais probablement payables en une autre monnaie à un taux de change fixe, vue la fluctuation erratique du dollar. De plus, on ne sait pas à quels endroits sont fixés ces prix : au point d’exploitation, à la frontière ou encore quelque part entre les deux ou à toute autre condition. Quid de l’assurance et d’autres frais, à charge de qui ? up

19 Cet exercice n’est qu’une première tentative d’écriture ! up

20 Ces estimations se basent sur l’analyse des balances des paiements, la circulation des billets et les statistiques douanières, voir SCHNEIDER & autres 2006. up

21 Voir VAZ CABRAL 2006 et la bibliographie étendue de cet ouvrage excellent. up

22 Le Département d’Etat des EUA estime, en 2004, le trafic d’êtres humains annuel à 600 à 700 000 dont 70% de femmes et 50% d’enfants. L’Atlas du Monde diplomatique fait état du fait que l’Asie est de loin le continent le plus touché : 2 millions de prostituées rien qu’en Thaïlande, dont près de 300 000 mineurs pour quelque 800 000 visiteurs, par exemple. up

23 Pologne, Slovaquie, République tchèque et Hongrie. up

24 Les pays ex-communistes obtinrent des résultats d’autant plus spectaculaires que la prostitution y sévissait antérieurement à l’état endémique. Un système économique qui supprimait toute forme de commerce ayant pour but la recherche du profit capitaliste et une forme de société qui, socialement, prenait en partie en charge l'individu, ne laissait guère de place pour une activité de traite des femmes et de prostitution. Seul l'Etat aurait pu l'organiser; or, celui-ci s'y opposait en raison même des principes socialistes. De plus, il disposait de moyens de coercition et de rééducation parfaitement efficaces. Une prostitution clandestine s'adressant surtout aux étrangers y subsista néanmoins, soutenue en catimini par les autorités publiques. up

25 Toute prostitution n'est pas traite humaine, car il existe des indépendantes, encore qu'elles soient statistiquement peu nombreuses. On ne peut passer sous silence l'existence d'une prostitution homosexuelle, surtout masculine, peu répandue dans les pays latins, mais relativement importante dans les pays nordiques et anglo-saxons. Nous excluons cependant de nos considérations la prostitution des hommes et des enfants. up

26 C’est le proxénétisme qui consiste à favoriser la traite comme la prostitution en l'organisant et en le développant, pour en augmenter les profits et les accaparer. Il en aggrave considérablement les effets. up

27 Les cinq raisons que l’on cite actuellement à l’essor du tourisme sexuel : la paupérisation croissante dans la majorité des pays ; la libéralisation de l’économie sexuelle encourageant la traite aux fins de prostitution ; la persistance de sociétés patriarchales et sexistes ; la chosification de l’image de la femme par publicité et sur fond de violence sexuelle ; le développement capitaliste du tourisme international et des flux des migratoires. up

28 On signale depuis peu que la traite se développe de plus en plus à partir des pays baltes et vers l'Allemagne. Heureusement, il existe aussi des recrutements libres des Roumaines et des Polonaises pour le secteur horticole en Andalousie ! Elles remplacent des Marocaines. Une Roumaine gagnerait € 70 par mois, tandis qu'une Marocaine en demanderait € 30 par jour. up

29 Certaines émissions récentes de la RTBF et d'ARTE en ont montré l'importance et la nature. up

30 Que me soit pardonné ce langage atroce, mais c’est bien celui-là qui est de l’usage dans les milieux concernés. up

31 Gjeloshaj, Kolë & Philippe Chassagne, L’émergence de la criminalité organisée albanophone, in Cahiers d'études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, n° 32, juillet-décembre 2001; une importante contribution à la compréhension de cette criminalité qui porte sur le commerce des drogues et des armes, ainsi que sur la traite des blanches. up

32 Comme on peut le constater, les chiffres mentionnés sont fort variables selon les sources d’informations mais ce fait n’affecte en rien le caractère substantiel du phénomène. up

33 Voir Magdeleine Willame, Traite des êtres humains - L'ampleur du problème, in: L'entreprise l'homme, n° 4, 2002, ainsi que Traite des femmes, Document de la Commission européenne (Justice et Affaires intérieures), Mars 2002. up

34 Voir le dernier rapport de l'Observatoire de drogues de l'UE qui a été publié en octobre 2002. up

35 Pour une personne, on paye en Roumanie encore € 50 à 200, alors qu’au Kosovo, le prix en est déjà € 700 à 2 500 et, supposé-je, le double ou le triple à Anvers. Telle marge bénéficiaire permet de développer beaucoup de « sens entrepreneurial » agressif. up

36 SWIFT est une coopérative de banques privées. Dans le cadre de la transmission de données sur les donneurs d’ordre et les bénéficiaires de transferts par SWIFT aux autorités américaines (CIA) depuis 2001, le gouvernement comme le parlement belge n’a manifestement guère fait respecter le secret bancaire, alors que, dans la lutte contre les flux d’argent noir, gris ou rose, il l’évoque constamment pour la rendre quasi impossible. up

37 Ces estimations se basent sur l’analyse des balances des paiements, la circulation des billets et les statistiques douanières, voir SCHNEIDER & autres 2006. up