Nicolas Bárdos-Féltoronyi:


Exercices géopolitiques pour l’Union européenne

- Les puissances et leurs différends –

Partie 3 doc Imprimerie Correspondance

Table des matières

down  Objets des „grands jeux” différenciés
down  3.1 La Turquie dans le contexte géopolitique du 21e siècle:
            fragilité interne, force et soumission extérieures

down    *  A. Dimension intérieure
down        **  A.1. Géographie, histoire et démographie
down        **  A.2. Le développement inégal
down        **  A.3. Les questions kurde et alévie, ainsi que la séparation de l’Etat et
                des mouvements religieux

down        **  A.4. Les questions de structures et de fonctionnement politique
down    *  B. Dimension extérieure
down        **  B.1. De la “question d’Orient” jusqu’à la stratégie de l’eau et des hydrocarbures
down        **  B.2. Une puissance régionale: force centrale ou centralité géostratégique?
down        **  B.3. Nouvelles donnes et rapprochement de l’UE
down        **  B.4. L’adhésion à l’UE en question
down    *  Annexes
down        **  1. Respect des droits de l’homme
down        **  2. La séparation Eglises-Etat encore à réaliser
down        **  3. La drogue et la Turquie
down    *  Bibliographie spécifique
down  3.2 La Caucasie méridionale:
            entre les grandes puissances mondiales et régionales et les enjeux des “trois mers”

down    *  A. Dimension intérieure
down        **  A.1. Région des “trois mers” et multiplicité de peuple
down        **  A.2. L’économie locale fort dépendante encore du relief et des richesses du sous-sol
down        **  A.3. Conflits militaires et organisations politiques depuis 1988/91
down        **  A.4. Géorgie: un triumvirat sous la protection des EUA
down        **  A.5. Azerbaïdjan
down        **  A.6. Arménie
down    *  B. Dimension extérieure
down        **  B.1. Interventionnisme étranger
down        **  B.2. La Géorgie américanisée, l’Arménie russifiée ou l’Azerbaïdjan turquisé?
down        **  B.3. Fortune actuelle de la Caucasie méridionale
down    *  Une première conclusion et ses implications éventuelles
down        **  1. L’espace caspien-caucasien comme axe pétro-gazier et corridor eurasien
down        **  2. Domination extérieure et fragilité intérieure
down        **  3. Peuvent-ils, doivent-ils devenir membres de l’UE ?
down    *  Bibliographie spécifique
down  3.3 L’Asie centrale:
            sans accès à la mer mais puissants voisins ou « protecteurs » lointains

down    *  Frontières sans fin et dépendance extérieure
down    *  Quelques autres données et leurs commentaires
down    *  Un nouveau centre de force eurasiatique en cours de création?
down    *  L’ Organisation de Coopération de Shanghai
down    *  Stratégie de l’UE
down    *  Iran et ses aspirations centre-asiatiques
down    *  Comment exploiter la centralité de la région ?
down    *  Le cas de « l’invincible Afghanistan »
down    *  Le cas de la Mongolie à la recherche d’une autonomie
down    *  En guise de premières conclusions et quelques propositions
down    *  Bibliographie spécifique

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Objets des „grands jeux” différenciés

L’expression traditionnelle du „grand jeu” géostratégique a trait à ces rapports de force très particuliers qui se développèrent entre le RU et la Russie dans le contexte d’Asie centrale du 19e siècle. On peut, selon moi, l’appliquer aux trois cas qui composent cette troisième partie. La raison en est que les „jeux” en question mobilisent les grandes puissances directement sur le terrain et dans un contexte guerrier. Méthodologiquement parlant, ces « jeux » touchent, en termes géo-démographiques, un grand pays et deux ensembles de pays, ce qui donne un aspect particulier à cet exercice-ci et qui le distingue des pays spécifiques analysés à la partie 2. Leur intérêt est géopolitiquement triple.


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Carte 9. De la Turquie jusqu’à l’Asie centrale
Source : inconnue !

Primo, entre une situation de pays satellite américain ou celle de futur pays membre de l’UE, la Turquie est concernée par tous les conflits militaires au Proche et au Moyen Orient. Secundo, les trois pays de la Caucasie méridionale se trouvent dans une situation analogue, mais à titre de pays de transit des hydrocarbures et de localisation stratégique. Enfin, tertio, un „grand jeu” se déroule à nouveau en Asie centrale entre la Chine, la Russie et les EUA en termes à la fois géopolitique et géoéconomique. Les trois entités géographiques s’appuient sur les « trois mers » : les mers Caspienne, Noire et Méditerranée. Ces dernières relient ces entités dont plus particulièrement la Turquie.

Aucun de ces cas ne peut laisser indifférent l’UE. Il s’agit dans le premier cas pour elle d’un éventuel et important futur pays membre si les négociations d’adhésion réussissent. Il s’agit aussi d’un ensemble de trois petits pays caucasiens où la Russie et les EUA sont impliqués de façon variée, mais qui se trouvent non loin de ses frontières. Il s’agit enfin de la domination d’une immense région eurasiatique dont le destin importe l’ensemble du continent eurasiatique dont bien entendu l’UE!

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3.1 La Turquie dans le contexte géopolitique du 21e siècle : fragilité interne, force et soumission extérieures1

Synthèse, conclusions et propositions

Pour l’UE, la Turquie serait trop grande, trop pauvre, trop islamique, avec des frontières trop dangereuses, trop américaine, trop contrôlée par les militaires, etc. ! Contre ces affirmations, il n’existe pas de répliques définitives. Il y a des défis précis et il y a des réponses à ces défis. La politique reste un appel à faire des choix qui ne sont jamais sans risque, mais préparent et construisent l’avenir. Or, le “pouvoir dur” de Washington détruit l’Irak et le Proche-Orient, “l’exercice du pouvoir doux” européen transforme la Turquie et l’ouvre à terme à l’UE.

Historiquement, géographiquement et en partie culturellement, le pays se trouve, depuis des siècles, en contact direct et en interpénétration réciproque avec l’Europe au sens large du terme tout autant qu’avec les pays du Moyen-Orient, la Caucasie méridionale et l’Iran, ainsi qu’indirectement avec l’Asie centrale. C’est ce qui donne au pays une spécificité réelle et durable en termes de localisation, non sans risque d’ordre géopolitique. Les inégalités sociales, ethniques et régionales constituent un frein au développement économique et créent des tensions entre les classes sociales et certains blocages dans le système politique. La grande diversité que caractérise l’Islam turque ne se prête cependant guère à un islamisme militant de masse, alors que la question kurde donne l’occasion aux pays avoisinants d’intervenir en Turquie et vice-versa.

La société turque reste divisée et donc éclatée. Elle est fragilisée sur les problèmes de fond conflictuels, sans un quelconque contrat social acceptable par tous. Les coups d’état militaires successifs en 1960, 1971 et 1980 ainsi que les interventions musclées, notamment en 1997, témoignent, à mon sens, de cette instabilité politique constante et reproduite, due aux phénomènes fondamentaux mentionnés. Sous la dictature militaire répétée, l’insertion du pays au capitalisme international s’est opérée et, depuis lors, entraîne des déséquilibres socio-régionaux accrus. Néanmoins, les résultats électoraux de novembre 2002, de mars 2004 et de juillet 2007, comme la politique poursuivie en conséquence, tendraient à changer assez profondément les tendances observées dans le passé. Faire partie de l’UE stabiliserait sans doute le pays. Il n’empêche que les partis dominants du pays pourraient subir des pressions, dans un sens ou un autre, de certains milieux militaires ou musulmans qui combattent le processus de démocratisation en cours ou celles d’événements de politiques internationales.

Le principe de bon voisinage avec les pays arabes a été difficilement établi ces dernières années. Par contre, des manifestations anti-guerre se sont avérées fortes. De plus, la crainte de la constitution d’un Etat kurde et de l’occupation par ce dernier des champs pétroliers irakiens hante depuis toujours Ankara. L’ensemble de ces éléments l’emporterait sur toute autre considération face avec les EUA et a provoqué une tension certaine avec Washington depuis 2003. Il en résulte que la Turquie dans sa vision de puissance régionale se trouve sans appui extérieur. C’est ce qui l’incite d’ailleurs à être fort prudente avec ses voisins et à s’approcher davantage de l’UE.

Dans ce contexte, la Turquie joue un rôle capital comme base, sphère d’influence et élément de liaison, qu’il s’agisse de l’Irak, de la Palestine, de la Caucasie méridionale ou de l’Asie centrale, ou encore de voies de dégagement de produits énergétiques vers la Méditerranée, la Bulgarie ou la Roumanie. En même temps, ses multiples fragilités internes comme ses ambitions géopolitiques se prêtent parfaitement à des manoeuvres d’intimidation et de corruption. A l’heure actuelle, le risque est le renforcement à l’initiative de Washington du Kurdistan irakien autonome et dont le but serait évidemment de fragiliser tous les pays de la région, voire même l’UE.

Selon moi, il devient également plausible que la solution à la question chypriote, les réformes déjà effectuées et appliquées et la mise en place d’une armée européenne ouvrent à la Turquie la possibilité d’accélérer les négociations avec l’UE. La volonté “d’approfondir l’UE avant de l’élargir” a échoué; alors il ne reste comme J. Fischer l’explique “qu’à obliger l’union à renforcer ses institutions, ses compétences et ses capacités de décisions par la nécessité stratégique”. Néanmoins, en ce qui concerne la Turquie, il importe dans cette perspective que toutes les conditions d’adhésion soient remplies. De prime abord, il convient avant tout que la Charte européenne des droits de l’homme soit pleinement appliquée dans le pays.

Outre la démocratisation judiciaire, la liberté assurée de médias pluralistes et la séparation des pouvoirs (judiciaire, législatif et exécutif), ainsi que la séparation indiscutable de l’Etat et des mouvements religieux, et l’élimination complète des tortures, un test significatif en cette matière serait le respect total et effectif du principe de l’égalité des sexes dans tous les domaines de la vie quotidienne. Il ne s’agit évidemment pas d’interdire ou de contrôler le port de foulards en Turquie, mais beaucoup plus de surveiller, strictement et à l'aide notamment des organisations féminines locales, la question de l'égalité homme-femme effective dans l’ensemble de la vie en société, y compris dans le couple, au-delà du processus d'adhésion.

Il existe beaucoup d’autres objections qu’il ne faut certes pas minimiser et qui se nomment entre autres : le chaos au Moyen-Orient, la question des Kurdes et d’autres minorités, l’influence et la présence américaines, le niveau de développement insuffisant, le problème budgétaires, etc. Les analyses qui suivent abordent systématiquement chacune d’elles et plus particulièrement les sections b.3 et b.4. Par ailleurs, certains milieux turcs seraient particulièrement favorables à faire coïncider l’UE avec l’OTAN et, de cette façon, d’américaniser davantage l’Europe. Toutefois, d’autres milieux notamment militaires et dont les conviction sont partagées par beaucoup d’Américains craignent de renforcer, par l’adhésion de la Turquie à l’UE, l’autonomie de cette dernière en termes géostratégiques face à Washington.

Certains soulèvent l’objection que le monde ottoman est ennemie héréditaire de l’Europe chrétienne. A quoi on peur répondre que ce sont précisément deux ennemis historiquement héréditaires, la France et l’Allemagne qui sont à l’origine di processus d’intégration européenne : la réconciliation est condition de paix durable, mais cette réconciliation n’est aussi possible que sur la base d’initiatives modestes au départ, mais capables de rejoindre les intérêts communs.

Favorable à l’adhésion, la majorité du peuple turc a plus à en gagner qu’à en perdre, ne fût-ce qu’en diminuant la “sauvagerie” du capitalisme grâce à l’introduction de l’acquis communautaire et à l’élimination de l’arbitraire de “l’occupation” américaine par la PESD. L’adhésion turque pourrait puissamment contribuer à la réalisation de la PESD mais bien sûr dans le cadre de la géostratégie propre du pays. D’aucuns soulignent même que l’adhésion de la Turquie serait une occasion de faire entrer, de facto, un pays où l’Islam s’avérerait modéré et démocratique, et de cette manière, de favoriser le pluralisme et la tolérance en Europe. Ce serait une manière d’augmenter l’influence de l’UE dans les Proche- et Moyen-Orients et notamment en Israël avec qui la Turquie s’entend bien. Depuis l’été 2006, on évoque la faible probabilité d’un coup d’Etat militaire sous la direction éventuelle du nouveau chef d’état major Yasar Büyükanit qui a une réputation anti-islamique et anti-européenne.

Il n’est pas non plus négligeable que l’adhésion pourrait constituer une sorte de stabilisateur de la Turquie et même pour l’ensemble de la région si troublée par l’interventionnisme répété des EUA. Pour l’UE, une Turquie à l’intérieur constitue, à mon sens, un moindre risque géopolitique qu’à l’extérieur. De plus, le pays constitue une pièce maîtresse dans le cadre du “processus de Barcelone” de l’UE et de la PESD qui se mettent actuellement en place avec quelques difficultés dans l’UE, face à la problématique des Balkans et de la Caucasie méridionale, voire tout le Moyen-Orient et par rapport au projet américain du “Grand Moyen-Orient”.

L’opinion selon laquelle, en cas d’adhésion, les pays actuels de l’UE risquent d’être envahis par les travailleurs turcs me paraît douteuse, car ceux qui voulaient venir sont déjà là, à l’instar des travailleurs des pays d’Europe centrale et orientale. En outre, en raison de l’amélioration économique du pays et de la conjoncture moins favorable en Europe occidentale, les retours vers la Turquie se remarqueraient depuis 2002. L’argument de la délocalisation serait plus sérieux, car la perspective d’adhésion renforce la sécurité géopolitique et juridique dans le pays. Elle pourrait bien inciter progressivement les multinationales à s’intéresser davantage à l’économie turque, mais en même temps et heureusement la différence salariale se réduira par l’introduction de l’acquis communautaire et, peut-être, par le renforcement de l’action syndicale.

Néanmoins, un examen un peu attentif des négociations et les conditions dans lesquelles celles-ci se déroulent, montrera que la situation est bien plus complexe. D’une part, le cadre de négociation établit que « de longues périodes transitoires, des dérogations, des arrangements spécifiques ou des clauses de sauvegarde permanentes », c'est-à-dire des clauses pouvant être invoquées en permanence comme base pour des mesures de sauvegarde, pourront être envisagées. La Commission inclura de telles dispositions, le cas échéant, dans les propositions qu'elle élaborera pour chaque cadre, dans des domaines tels que la libre circulation des personnes, les politiques structurelles ou l'agriculture. En outre, les différents États membres devraient pouvoir intervenir un maximum dans le processus de décision concernant l'instauration, à terme, de la libre circulation des personnes. Les dispositions transitoires ou les clauses de sauvegarde devraient faire l'objet d'un réexamen sous l'angle de leur incidence sur la concurrence ou sur le fonctionnement du marché intérieur".

D’autre part, la Turquie s'est également engagée à accepter les résultats de toute autre négociation d'adhésion entre l'UE et un autre pays candidat tels qu'ils seront lors de sa propre adhésion. Par ailleurs, la conformité de la législation turque avec l'acquis communautaire sera vérifiée pour 35 chapitres et l'état d'avancement des négociations sera évalué selon les deux séries de critères suivants:

= les critères de Copenhague, qui établissent les conditions suivantes pour l'adhésion à l'UE:
o la stabilité d'institutions garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l'homme ainsi que le respect et la protection des minorités;
o l'existence d'une économie de marché viable et la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union;
o la capacité d'assumer les obligations résultant de l'adhésion, notamment de souscrire aux objectifs de l'union politique, économique et monétaire, et
o la capacité administrative d'appliquer et de mettre effectivement en œuvre l'acquis communautaire;

= l'engagement sans équivoque de la Turquie à entretenir des relations de bon voisinage et son respect du principe de résolution pacifique des conflits selon la Charte des Nations Unies pour résoudre tout conflit frontalier, y compris, si nécessaire, la juridiction de la Cour internationale de Justice; la volonté de la Turquie de trouver une solution globale au problème chypriote dans le cadre des Nations Unies et conformément aux principes sur lesquels est fondée l'Union européenne, y compris les étapes pour contribuer à un climat favorable à une solution globale, et les progrès effectués dans la normalisation des relations bilatérales entre la Turquie et tous les Etats membres de l'UE, y compris la République de Chypre ; le respect des obligations de la Turquie dans le cadre de l'accord d'association et de son protocole qui étend le champ d'application de l'accord d'association à tous les nouveaux Etats membres, notamment ceux qui font partie de l'union douanière entre l'UE et la Turquie, ainsi que la mise en oeuvre du partenariat pour l'adhésion.

Selon les dispositions du cadre de négociation, les négociations d'adhésion de la Turquie "ne sauraient être conclues qu'après l'établissement du cadre financier pour la période débutant en 2014 et les réformes financières qui pourraient en découler". Enfin, si la Turquie enfreignait de façon "grave et persistante" les "principes de liberté, de démocratie, d'État de droit et de respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales sur lesquels est fondée l'Union européenne", la Commission (de sa propre initiative ou sur demande d'un tiers des Etats membres) pourra recommander la suspension des négociations et fixer les conditions de leur reprise éventuelle.

Compte tenu de l’ensemble des considérations ci-dessus et quel que soit le gouvernement en place, je me prononce en faveur de la poursuite des négociations d’adhésion, même si celles-ci devaient être, de temps à autre, suspendues. En sachant qu’à Ankara la continuité des négociations paraît plus importante que la durée. Le calendrier pourrait dès lors se présenter comme suit:

• mener les négociations en fonction de l’application en cours des engagements pris quant au respect des critères de Copenhague; sensibiliser l’opinion publique tant au sein de l’UE actuelle qu’en Turquie aux enjeux de l’adhésion afin de réduire les craintes ou réticences réelles, notamment au Parlement européen et d’éviter des boulversements politiques éventuels en Turquie;
• toujours au rythme de la réalisation des engagements pris, examiner des chapitres de l’acquis communautaire, ainsi qu’arrêter des clauses de sauvegarde et des périodes de transition en vigueur jusqu’à 2020, à l’instar de ce qui s’était pratiqué pour l’Espagne ou ce qui s’est imposé dans le cas des huit pays d’Europe centrale et orientale;
• se donner comme objectif de terminer les négociations en 2010/12 et, après processus de ratification dans les 27 pays, choisir la date d’adhésion formelle de 2016/18 sur base de l’application à la fois de l’acquis communautaire et les engagements pris ;
• viser l’adhésion de plein droit vers 2020/22.

Certes, ces propositions doivent s’inscrire, dans les années à venir, dans un débat à mener à propos des critères précis qui permettraient de délimiter, provisoirement ou définitivement, l’extension de l’UE parmi lesquels il convient de citer : la cohérence structurelle nécessaire, la défense de souveraineté suffisante, le maintien de l’ordre vital et le fonctionnement optimal (voir Partie 1), sans retarder cependant l’adhésion à terme de la Turquie. Cet avis est formulé compte dûment tenu des réticences évidentes de beaucoup de pays membres dont la RFA et la France plus particulièrement. Avant 2020/22 et à titre transitoire, est imaginable un statut de « partenariat privilégié » pour la Turquie. Vers 2020-22, le nom même de Sarkozy sera simplement oublié ! Les intérêts réciproques en jeu favorisent et favoriseront cette adhésion. Certes, pour le faire convenablement, il faut augmenter les exigences de l’UE et ne pas diminuer comme celle-ci l’a fait pour la Bulgarie et la Roumanie par un simple alignement sur la position de Washington.


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Carte 10. La Turquie

Superficie : 780 580 km², soit une fois et demie la France et le double de la RFA.
Frontières terrestres : 2 648 km dont avec l’Arménie: 268, l’Azerbaïdjan: 9, la Bulgarie: 240, la Géorgie: 252, la Grèce 206, l’Iran: 499, l’Irak: 352
    et la Syrie: 822 soit plus de 2000 km à risques variés à l’est et au sud.
Frontières maritimes : 7 200 km.

Population : 69 millions (est. juillet 2004) à comparer à celle de la France (59) ou de la RFA (82 millions). br>Emploi agricole : 40% br>Degré d’urbanisation : 74% dont l’importance est récente et due à l’immigration intérieure massive.

Effectif des forces armées, en 2000 et selon l’OTAN, en milliers: 515;
    France: 421; RFA: 334; UE à 15: 1 950; EUA: 1 490. Le pays possède en terme d’effectifs la plus grande armée en Europe (sans la Russie) et la deuxième de l’OTAN après des EUA.
Bases militaires américaines : Izmir, Erzurum, près d’Adena, Batman, Muş, Inçirlik, Pirinçlik, Konya, etc.

Minorités multiples/u> :
• 15 à 20 % de la population, soit 10 à 15 millions de personnes, seraient des Kurdes qui sont concentrés à moitié au sud-est et à moitié à l’ouest, surtout à Istanbul, auxquels s’ajoutent ceux de l’étranger (p.ex. en RFA où résident quelque 2 million de Turcs et 1 million de Kurdes);
• 2/3 des citoyens sont sunnites de différentes écoles ou obédiences;
• 20 à 30% seraient d’origine chiite dont la majeure partie correspond aux “Alévis”; un tiers des Kurdes dont beaucoup à Istanbul adhérerait à l’Islam chiite;
• des adhérents à des confréries d’origine chiite ou sunnite (naqchibendi, bektachis, halvetis, autres soufis, fethullahci, nurcu, süleymanci, etc.) correspondraient à plus de la moitié de la population.

Produit intérieur brut (PIB) à PPA de 2003 et en € :
    400 milliards dont agriculture 12% et industrie 30%.
PIB 2003 à PPA en €, par habitant : 6 700 (Belgique: 27 000;
    Slovénie
: 18 000; Hongrie: 13 000; Roumanie: 7 000)2.
Dettes extérieures en milliards de € : 112 à fin 2003; EUA: € 6 à 7 000 !
Principal pays d’exportations-d’importations : la RFA.

L’analyse proposée ci-dessous met en évidence les dimensions interne et externe de la position géopolitique de la Turquie. Elle se focalise sur le débat relatif à, l’opportunité de l’élargissement de l’UE à ce pays. Elle se termine par des propositions concrètes en vue de la fixation d’un calendrier des négociations et de l’adhésion définitive éventuelle.


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A. Dimension intérieure

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a.1. Géographie, histoire et démographie

La vie de la Turquie est dominée par le contraste entre le haut plateau d’Anatolie et d’Arménie, quasi-aride et presque complètement déboisé, et les bourrelets montagneux périphériques (Taurus au sud, chaînes Pontiques au nord). Le sommet montagneux du pays est le mont Ararat qui domine l’Arménie et l’Iran. Rien que depuis 1945, une douzaine de séisme graves se sont produits dans le pays, suite aux glissements des plaques tectoniques. Le relief constitue depuis toujours une situation particulièrement favorable à diverses sortes de guérillas (arménienne, kurde, alévis, etc.). Les frontières terrestres s’avèrent longues et difficilement défendables dans un contexte de conflit permanent de la région. Par ailleurs, le plateau anatolien détient la clé du réseau hydraulique du Proche- et du Moyen-Orient et concentre les sources de plusieurs fleuves au cours international dont l’Euphrate et le Tigre. L’usage de cette eau attise la convoitise dans une région qui en est peu dotée.

En terme de localisation, la Turquie dispose de deux caractéristiques géopolitiques. Entre l’Orient et l’Occident, la Turquie contrôle, d’une part, le passage par les détroits du Bosphore et des Dardanelles, entre les mer Noire et Méditerranée. Elle constitue, d’autre part, une sorte d’intersection entre le Sud-est de l’Europe, le Proche et le Moyen Orient, les Balkans et la Caucasie méridionale, ainsi qu’un pont jeté de l’Europe vers l’Asie centrale et vice-versa3.
Historiquement et en partie culturellement, le pays se trouve, depuis des siècles, en contact direct et en interpénétration réciproque avec les pays du Moyen-Orient, la Caucasie méridionale et l’Iran, ainsi qu’indirectement avec l’Asie centrale. C’est ce qui confère au pays une spécificité réelle et durable. Jadis, ce contact parut risqué en terme d’invasions multiples, alors qu’aujourd’hui il serait plutôt un avantage. Il reste néanmoins sur la principale route du trafic de drogues et de la traite humaine de l’est vers l’ouest et le nord.

La population a triplé en un demi-siècle et continue de s’accroître à un rythme d’environ 2,5% par an ce qui lui donne une structure démographique caractérisée par la forte présence des jeunes.

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a.2. Le développement inégal

L’industrialisation de la Turquie reste encore modeste, mais se développe régulièrement depuis un demi-siècle dans le cadre d’un capitalisme assez “sauvage” sous le regard bienveillant de l’armée qui y participe et du capital américain. Outre l’armée qui fait fonctionner des grandes fondations de caractère d’entreprises multinationales, quelques familles oligarchiques y tiennent le haut du pavé: Sabancí, Karamehmet, Cem & Kemal Uzun, Tuncay Özilhan, Ahmet Nazif Zorlu, Koç, Bekó, Aldo Kaslowski, Dogan, etc.

Dans ce contexte, deux questions se posent. Comment s’articule ce capitalisme entre
• l’Etat et l’Armée,
• les fondations/holdings islamiques,
• les groupes oligarchiques et les multinationales, ainsi que
• l’UE et les EUA et sous la férule des programmes d’ajustements du FMI ?
Et comment cette articulation trouve-t-elle son expression dans le politique et dans le positionnement géopolitique du pays. La suite devra précisément apporter, pas à pas, des réponses à ces interrogations de fond.

Sous la dictature militaire répétée, l’insertion du pays au capitalisme international s’est opérée et, depuis lors, entraîne des déséquilibres socio-régionaux accrus. Le contraste régional majeur, dans le développement du pays, entre les provinces de l’Ouest, beaucoup plus évoluées, et celles de l’Est (à l’est d’une ligne tracée du fond du golfe de Cilicie à la mer Noire), beaucoup plus archaïques4. Cette opposition, qui domine toute la structure humaine du pays, se retrouve plus ou moins dans tous les domaines de la vie économique et sociale (alphabétisation, niveau sanitaire, etc.). Ce «problème de l’Est», qu’on a pu comparer à celui du Sud en Italie, constitue un lourd handicap pour un développement harmonieux, et ce déséquilibre ne fait que s’accentuer jusqu’ici. D’où le projet des barrages en Anatolie (voir ci-après).

Les ressources énergétiques du pays ne sont pas négligeables. Un gisement charbonnier est exploité dans la région de Zonguldak sur la côte occidentale de la mer Noire et il existe de nombreux petits gisements de lignite. La production de pétrole, en revanche, est désormais très insuffisante par rapport à la consommation domestique. Un élément positif est constitué par une infrastructure ferroviaire relativement dense et le réseau routier, longtemps très médiocre, s’est beaucoup amélioré depuis deux décennies. Parmi les ressources minières, de nombreux gisements de chrome et de cuivre alimentent l’exportation. Le bilan économique des échanges reste dominé par la production agricole. Le tourisme et les envois de fonds des travailleurs à l’étranger, surtout en Allemagne, constituent des éléments importants de la balance des comptes extérieurs, encore qu’en diminution pour les seconds.

La dépendance financière et politique dans laquelle se trouvait, jusqu’il y a peu, la Turquie vis-à-vis des EUA ne lui permettait pas de mener une politique autocentrée. L’endettement extérieur du pays s’avère écrasant et est surtout dû aux efforts d’armement poursuivis depuis des décennies. Les inégalités sociales constituent un frein au développement économique et créent des tensions entre les classes sociales et de certains blocages dans le système politique. Les institutions politiques n’ont pas toujours pu s’adapter à l’évolution de la société civile, à l’essor du secteur privé, parallèlement à l’économie étatisée, à l’éclosion de mouvements sociaux et au pluralisme idéologique. Cet ensemble de facteurs donnait à la Turquie une configuration structurellement, fonctionnellement et idéologiquement éclatée et différenciée.

Ainsi, les déséquilibres économiques, politiques, sociaux et culturels débouchèrent-ils périodiquement sur des crises profondes et l’interruption du processus démocratique. De plus, l’économie turque subit depuis des années une crise économique profonde, faisant suite à l’internationalisation accélérée du capital du pays et à un endettement extérieur particulièrement élevé. Cet endettement se fait en faveur des groupes “rentiers” locaux et internationaux. Le signe évident était le fait que le taux d’intérêt réel pratiqué dans le pays était proche de 40% il y a encore peu de temps et qu’il dépasse encore 10% ! Des privatisations s’accélèrent ces derniers temps5.
La situation économique du pays reste inquiétante pour le « grand nombre » des gens. Le chômage à haut niveau persiste, voire croit lentement malgré la croissance réelle. Or, la population augmente annuellement de plus d’un million dont une partie notoire cherchera tôt ou tard un emploi.

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a.3. Les questions kurde et alévie, ainsi que la séparation de l’Etat et des mouvements religieux

La grande diversité qui caractérise l’Islam turc ne se prête guère à un islamisme militant de masse. Quoique fort important, l’Islam constitue un vecteur parmi d’autres d’une reformulation du politique, exprime un militantisme culturel et signifie une aspiration à la modernité, après des années de kémalisme devenu conservateur. Minoritaires, sur la défensive et de réputation progressiste et démocrate, des alévis représentant 20 à 30% de la population subissent des tracasseries policières, voire des massacres perpétrés par des extrémistes sunnites. Leur situation est à l’origine d’émeutes qui ont ainsi éclaté ces dernières décennies à Istanbul (quartier Gazi), Sivas, Ankara, Kahramanmaras, Çorum, etc.

C’est dans une synthèse douteuse “turco-islamique” que la constitution a été réécrite par des militaires en 1982. Elle garantit la liberté religieuse individuelle en ce qui concerne la pratique, mais concrètement seul l’Islam sunnite bénéficie des droits collectifs. L’idée des militaires putschistes en était de vouloir combattre ainsi à la fois la Gauche politique et le nationalisme kurde. En réalité, l’Islam sunnite est devenu une sorte de religion d’Etat depuis cette date. C’est ce qui explique entre autres que le nombre des mosquées a doublé, que l’enseignement sunnite dans les écoles primaires et secondaires a été rendu obligatoire, même pour les enfants qui font partie d’une minorité religieuse, et que l’organe étatique du contrôle des religions dispose d’une administration de 90 à 120 000 employés (voir Annexe 3).

La question kurde constitue évidemment le défi par excellence. La guerre entre le Parti des travailleurs du Kurdistan dans le Sud-est anatolien et l’armée turque a fait quarante mille morts ces dernières décennies. Quelque trois mille villages ont été vidés de leurs habitants et détruits pour la plupart. Environ deux millions de personnes ont été obligées de fuir cette région, pour se réfugier dans les villes de l’ouest et du sud de la Turquie. A l’instar de l’Irak, la Turquie a également eu recours à l’utilisation d’armes chimiques au Kurdistan le 11 mai 1999. Les droits de l’homme continuent à ne pas être respectés, notamment dans ces régions kurdes (voir Annexe 1).

La question kurde donne l’occasion aux pays avoisinant d’intervenir en Turquie et vice-versa. L’Iran et l’Irak comme la Syrie disposent elles-mêmes des minorités kurdes sur leurs territoires qui leur facilitent l’interventionnisme (voir dimension extérieure ci-dessous). Il faut néanmoins remarquer que l’armée turque est déjà fort présente au nord de l’Irak qui, parfois, est revendiqué par la Turquie, mais qui constituerait une sorte de garantie contre certains projets de partition fédéraliste de l’Irak.

Aucun Etat arabe, turc ou iranien n’accepterait de céder Kirkouk, Mossoul et des zones pétrolières irakiennes à un Etat kurde. Il existe néanmoins certains courants politiques turcs qui admettraient l’existence d’un Kurdistan mais bien sûr sous le contrôle de la Turquie. Faisant suite aux bombardements américains constants, les deux forces kurdes en Irak se sont apparemment réconciliées depuis les années 1990. Il est à craindre que si l’armée turque accentuait sa présence en Irak, cela pourrait provoquer une réaction iranienne. Cette présence militaire reste relativement discrète depuis l’occupation américaine de l’Irak, malgré les incursions répétitives de l’armée turque en Kurdistan irakien.

La question kurde correspond sans doute aussi à un problème de sous-développement : les écarts entre le revenu par habitant dans le Sud-est et les parties les plus riches de l’Ouest d’un à sept en sont la preuve. Certes, la Turquie met en œuvre dans cette région un projet gigantesque consistant à construire vingt et un barrages sur l’Euphrate et le Tigre, dont certains sont déjà opérationnels (le projet G.A.P.). Lorsque les travaux seront achevés, vers 2010, une superficie équivalente à la Belgique sera irriguée et la production d’électricité du pays aura plus que doublé. Les écarts de développement entre l’est et l’ouest de l’Anatolie se réduiront peut-être. Mais, la future prospérité de cette région ne fera pas taire pour autant les revendications kurdes.

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a.4. Les questions de structures et de fonctionnement politique

Il est vrai que, depuis 1925, les femmes votent en Turquie, alors qu'à cette date peu de pays européens ont pu se targuer d’un même sens de la démocratie. Néanmoins, la société turque reste encore aujourd’hui divisée et donc éclatée et fragilisée sur les problèmes de fond conflictuels, sans un quelconque contrat social acceptable par tous. Dans cette optique, les questions se (re)posent (i) comment s’articulent les différentes composantes du capitalisme turc et (ii) comment cette articulation trouve-t-elle son expression dans le politique et dans le positionnement géopolitique du pays. Dans le contexte analytique présent, on peut simplement supposer que cette articulation est profondément instable, sauf un miracle politique qui n’est peut-être plus à exclure depuis le début des années 2000.

Les coups d’état militaires successifs en 1960, 1971 et 1980 ainsi que les interventions musclées, notamment en 1997, témoignent, à mon sens, de cette instabilité politique constante et reproduite, due aux phénomènes fondamentaux mentionnés: relief et localisation, contraste géoéconomique croissant, questions kurde et alévie, gestion de l’eau, dépendance extérieure aiguë, crise du capitalisme turc et international, etc. Le développement inégal entre régions, ethnies, classes et religions persiste. La séparation de l’Etat et de l’armée et de l’Islam n’est pas encore réalisée d’une façon satisfaisante. Cette insuffisance pose le problème de l’Etat de droit dans ce pays. Certains milieux judiciaire subissent l’influence majeure de l’armée et sont utilisés par cette dernière comme “bras séculier” de ses mécontentements.

Les élections du 3 novembre 2002 s’inscrivaient dans cette perspective et étaient susceptibles de la changer assez profondément. Il a bien semblé que la fragmentation des partis de traditions libéro-socialistes, mais tout autant l’action efficace et la présence politique de partis d’inspiration islamique augmentaient sensiblement les chances du Parti de la Justice et du Développement (AKP), dirigé par Recep Tayyip Erdogan6. C’était d’autant plus le cas que l’Islam même fort divisé apparaît, semble-t-il, à beaucoup comme une sorte de protection contre les effets du capitalisme turc international envahissant. Il faut noter que le système électoral turc prévoit une barrière d’entrée à 10% des votes. Les candidats de l’AKP et du Parti du Peuple Républicain (CHP, ancien parti de Mustafa Kemal Atatürk dirigé par Deniz Baykal) ont dès lors été les seuls élus et ont obtenu respectivement deux tiers et un tiers des places au Parlement en novembre 2002.

A propos de ces élections, on peut faire quelques commentaires. Un, ces élections indiquaient un changement de génération radical dans le système politique, mais n’ont pas permis d’assurer une représentation kurde au Parlement. Deux, le parti gagnant dispose d’une majorité franche qui lui permettait de modifier la constitution, de mettre en pratique des lois de réformes déjà votées et d’en voter des nouvelles en vue de la poursuite de la démocratisation. Trois, les deux partis au Parlement sont unanimes à accorder la priorité à l’adhésion du pays à l’UE mais, ensemble, ne représentent que 60% de l’électorat.

Les élections municipales de fin mars 2004 en Turquie ont conforté l'assise politique de l’AKP. L'AKP remporte 42,2 % des suffrages contre 34% aux élections législatives de 2002, très loin devant son plus proche rival, le “kémaliste” CHP, qui n'obtient que 17,8 % contre 19% en 2002. Ce qui s’avère plus inquiétant est que le Parti d’Action nationale (MHP) fascisant et le Parti de la Voie Juste (DYP) d’extrême droite obtiennent ensemble de 20,7 %. Le parti des Kurdes est le grand perdant de ces élections.

Les élections de juillet 2007 et ses suites

Alors que le Parti de la justice et du développement (AKP) du Premier ministre Erdogan recueille tout seul 46,49% des voix des bulletins7 et obtient la majorité absolue au Parlement (340 députés), le principal parti nationaliste, le Parti républicain du peuple (CHP) ne recueille que 20,89% des suffrages (112 députés). L'autre parti nationaliste, le Parti de l'action nationaliste (MHP) arrive en troisième position avec 14,28% des voix (71 députés).
Un autre évènement significatif de ces élections est sans aucun doute l'entrée des députés kurdes au Parlement, malgré toutes les obstructions érigées à l'unanimité par les partis politiques non-kurdes représentés à l'Assemblée nationale précédente et ce, avec 5,26% des suffrages (27 députés).

Le taux de participation a été fort élevé : 84,2 %. Le nombre de femmes députées se double à 52. Le seuil minimum permet aux partis dont le résultat dépasse les 10% des voix, d’en profiter. Ainsi par exemple l’AKP obtient-il la majorité en sièges. Malgré son succès augmenté depuis 2002, ce parti n’a cependant pas obtenu la majorité de deux tiers. Voici la répartition en sièges :
AKP                 340
CHP                 112
MPH                  71
Indépendants    27
Total               550 dont deux tiers 367
Malgré ses résultats remarquables, l’AKP ne peut guère être certain de se maintenir durablement au pouvoir face à l’armée et ses acolytes. Les conflits politiques continuent dans le pays. Erdogan faira-t-il preuve d’un sens de compromis particulièrement aigu, peut-être encore plus que dans le passé ? Les « kémalistes » semblent être en perte de vitesse. La candidature de Gül au poste de la présidence m’apparaît comme un nouveau défi à Erdogan. Le succès de Gül est acquis à fin août 2007. Aucun des généraux n’a assisté à la prestation de serments du nouveau président.

Il ne faut pas oublier que depuis Atatürk, 6 présidents sur 10 sont venus de l’état-major de l’armée. Certains officiers supérieurs continueront d’avoir des « états d’âme » dangereux. Il ne faut cependant pas oublier que le président turc est d’office le commandant en chef de l’armée. Il nomme les généraux, les présidents de tribunaux et les professeurs d’universités. Hélas, jusqu’ici, la légitimité ou le caractère démocratique du régime n’a pas empêché l’armée de fomenter des coups d’état. Cependant, ses déclarations tonitruantes depuis le printemps 2007 seraient, pour moi, des reculades. Quoi qu’il en soit, la Commission de l’UE estime qu'un "nouvel élan" aux négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne pourrait être impulsé.

Des droits humains

Nonobstant, on continue encore à torturer en Turquie. L’émission en langue kurde existe désormais pour la première fois alors qu’il y a entre 12 et 20 millions de Kurdes en Turquie. La dose en reste homéopathique. Les émissions doivent être sous-titrées en turc ce qui retarde et rend coûteuse la transmission. En réalité, elles arrivent trop tard car depuis le Danemark et le nord de l’Irak, il existe des émissions multiples en langue kurde. Vers le mi février 2006 et pour la première fois depuis des longues décennies, un officier supérieur, un amiral en l’occurrence est condamné à deux ans et demi prison et dégrader pour corruption et abus de pouvoir. Il reste cependant que le budget militaire et l’utilisation de celui-ci demeurent la prérogative exclusive de cette hiérarchie, sans contrôle démocratique véritable. Il est évident que la répression des manifestants kurdes ne soulève pas autant d’émotions dans nos pays que celle au Bélarus ces dernières années. La répression « musclée » des autorités turques dans le sud-est et l’est du pays entraînent des morts et beaucoup de blessés, ainsi que des arrestations nombreuses ce dont il n’est pas question au Bélarus par exemple (voir l’annexe n° 1 ci-dessous).

La Cours européenne des droits de l’homme a rejeté l’accusation d’une étudiante turque en médecine à fin 2005. Elle avançait que ces droits ne sont pas respectés si l’université turque lui refuse de pouvoir se voiler. La Cours a jugé que l’université l’a légitimement refusé en défendant les droits et la liberté des « autres » et en voulant maintenir ainsi l’ordre public. Le ministère de la Justice annonce en 2005 que 2 788 personnes se trouvent dans les prisons turques en tant que condamnées ou inculpées en vertu de la Loi anti-terreur. Cette loi avait été adoptée par le Parlement en 1991 et a été modifiée treize fois depuis son entrée en vigueur. Selon les données du ministère de la Justice, jusqu'à la fin de 2004, 27.274 personnes (23.027 hommes et 4.247 femmes) ont été traduites devant les cours de la sûreté de l'Etat ou les cours pénales. Une partie des accusés ou condamnés ont été mis en liberté suivant la modification de la Loi anti-terreur ainsi que du Code pénal turc.

En janvier 2008, une vaste opération de police menée a été menée dans toute la Turquie. Elle visait une société secrète politico-mafieuse proche de l'extrême droite ultranationaliste dont dépend une organisation militaire camouflée sous diverses fondations ou associations nationalistes. Cette opération constitue, sans doute, un message du gouvernement d’Erdogan. Il veut en finir avec ces bandes militaro-nationalistes plus ou moins tolérées, voire couvertes par l’armée et une partie de la haute bureaucratie qui mettraient en question sa position politique. Cela ne signifie pas une augmentation quelconque du risque de la création éventuelle d’une « république islamique ».

Le directoire turc des affaires religieuses (“Diyanet”) a lancé, en juillet 2005, un texte destiné aux “prêches” de vendredi dans les 75 000 mosquées sunnites officiellement reconnues du pays. Ce texte s’attaque aux missionnaires chrétiens qui mèneraient un “croisade” contre les Musulmans. Constatons qu’en 1927, la Turquie a connu 900 mille chrétiens dans une population totale de quelque 13 millions et qu’en 2001, le nombre des chrétiens ne s’élève qu’à 150 mille pour un total de plus de 70 millions. Le problème est assez analogue pour la minorité Alévis qui représenterait quelque 10 à 20 millions de citoyens turcs et qui subit la répression des autorités et des Sunnites depuis toujours (voir l’annexe n° 2 ci-dessous).

Le risque des tendances islamistes ou la question de « foulard » ou de barbe

Un important ouvrage vient de connaître sa seconde édition en Allemagne de Bassam TIBI. L’auteur en est d’origine syrienne et musulmane sunnite, vivant en Allemagne depuis 1962 et un bon connaisseur de l’Islam et de la Turquie. Il est résolument opposé à la rentrée de la Turquie à l’UE. Son étude tente de répondre à une double question : quelle Turquie rentrera en UE et quel Islam est déjà présent et sera admis à l’UE ? La réponse d’abord à la deuxième question est la suivante : en distinguant entre deux sortes d’Islam dont l’un progressivement l’emporte actuellement sur l’autre dans le monde islamique, selon l’auteur. L’un est « l’Islam politique » d’origine relativement récente, alors que le second correspond à un Islam classiquement conservateur. Cet Islam que le pouvoir étatique peut assez aisément « dépolitiser », pourrait être assez facile à intégrer à l’UE. Remarquons que cette distinction ne tient évidemment pas compte de l’Islam radical et djihadiste qui ne représente qu’une toute petite minorité relevant des activités de la police.

« L’Islam politique » est né dès la fin du 19e siècle et son théoricien est Sayyid Qutb. Mais c’est seulement ces 30 à 40 dernières années qu’il se mettrait vigoureusement en place du bas vers le haut au sein des sociétés de culture musulmane. Il propose une vision d’un ordre islamique à construire dans le monde : Pax Islamica. Il veut s’imposer comme alternative aux « régimes pourris ». Il organise des services sociaux, construit des écoles et des dispensaires, et édifie des mosquées. Face à la colonisation ou néo-colonisation et en opposition à des régimes plus ou moins autoritaires, il s’avère fort populaire. Parfois, il se comporte d’une manière populiste. D’une façon variable, il surgit partout à travers le monde islamique, du Maroc à l’Indonésie, de la Bosnie jusqu’à l’Egypte, même en Europe occidentale.

Quant à la Turquie, la thèse de l’auteur consiste à démontrer que cet Islam politique l’emporte à la fois sur l’Islam traditionnel et sur le régime kémaliste dans ce pays. D’où l’expression métaphorique de l’auteur : « eine Kopftuch-Türkei » ! La Turquie subit une sorte de « désécularisation », voire une « dés-occidentalisation » depuis des décennies. Popularisé par l’AKP d’Erdogan et par ses prédécesseurs, l’Islam politique turquisé se présente comme « modéré et démocrate » à l’encontre du kémalisme étatiste, autoritaire, corrupteur et socialement insensible. Il est soutenu par des structures religieuses de « fraternités » soufis8 qui sont pénétrées par les idées de l’Islam politique. Ces structures accèdent aussi aux milieux d’affaires et leurs multinationales et font figure d’un capitalisme non étatique. Cet Islam a compris qu’il faille jouer, en apparence, le jeu de la démocratie.

Il en découle et s’y ajoute la perte croissante de légitimité du kémalisme. Avec succès, l’Islam politique s’incruste donc d’abord à la campagne, puis dans les quartiers pauvres des villes. Il force les femmes à se voiler afin de se démarquer politiquement mais point pour suivre les usages traditionnels de la campagne ou de la piété musulmane. Son programme de politique extérieure correspond à un mélange de néo-osmanisme, de nostalgie de l’empire ottoman et du panturquisme, voire à un anti-américanisme véhément. Le renforcement de l’Islam politique comme toute tentation impérialiste est étranger aux valeurs des droits humains et de la démocratie de l’UE. Il faut donc écarter, d’après l’auteur, l’idée de l’adhésion d’une Turquie politiquement islamisée à l’UE dans les décennies à venir. Pour que ces valeurs s’imposent éventuellement en Turquie, il faudra des dizaines de dizaines d’années.

Pour l’UE, l’auteur reconnaît l’avantage géopolitique de l’intégration de la Turquie à l’union, encore qu’il ne faille pas l’exagérer selon lui. Il est vrai que dans les questions proche-orientales et centre-asiatiques, la Turquie peut se présenter comme un « pont » entre ces régions et l’union. Du point de vue de la solidarité et de transit énergétique, elle remplit en plus un rôle proprement européen et non américain. Il en est de même face à l’Iran et Israël. Mais ses relations avec les républiques centre-asiatiques ne sont pas si importantes que l’on croit. Il s’y trouve d’importants concurrents : les EUA, l’Iran, l’Arabie saoudite et la Chine. Par rapport à l’Islam balkanique où l’islamisation politique, surtout wahhabite, fait des ravages et ses succès restent mitigés.

Je partage l’idée de l’auteur selon laquelle
 la question du foulard ou de la barbe est, en termes politique, décisive et symbolise la ligne de partage entre deux élites : kémaliste et néo-islamique, en lutte de pouvoir acharnée ;
 comme le kémalisme, l’Islam politique risque finalement de devenir autoritaire, voire dictatorial, car ses intentions sont totalitaires; en ce qui concerne le kémalisme, il suffit de se rappeler ses coups d’Etat successifs : 1960, 1970, 1980 et 1997, de plus en plus favorable à l’islamisme afin de se dédouaner ;
 cet Islam constitue un danger indéniable pour des minorités tels que les Kurdes ou les alévites qui représentent non loin de la moitié de la population ;
 les intérêts de l’UE ne sont guère identiques à ceux des EUA quant à l’intégration de la Turquie à l’union ;
 géopolitiquement, l’armée turque est d’une première importance.

Mes objections ou remarques sont de plusieurs ordres :
1. précisément, l’auteur montre que la modernité est solidement présente dans le pays et la religion a toujours eu des difficultés à la combattre. Or, cette modernité sous la forme du capitalisme internationalisé envahit littéralement le pays depuis15 à 20 ans et restructure la société entière. Cette restructuration peut provisoirement s’accompagner d’une islamisation mais, probablement, pas définitivement;
2. l’importance des minorités constitue également un obstacle à une islamisation que l’auteur considère comme un peu trop irrévocable ;
3. l’auteur néglige de voir que les régimes dictatoriaux ont largement instrumentalisé une partie notable de l’Islam en l’encourageant à s’étendre et ce, afin de rétablir leur autorité mise en branle par leur inefficacité socio-économique et leur perte de légitimité. C’était le cas en Turquie dès les années 1960 faisant suite à des coups d’Etat dont question ci-dessus et dont l’auteur ne fait pas état ;
4. l’auteur oublie que la Turquie est économiquement déjà intégrée à l’UE étant devenue membre de l’union douanière de l’UE ;
5. l’expansion de l’Islam politique n’est selon moi pas inexorable. En Turquie, elle peut être entre autres contrebalancé par les pressions de l’UE. Dans l’hypothèse de son entrée dans l’UE et le refus d’appliquer la Charte européenne, l’union peut quasi l’exclure de ses organes à l’instar de ce qu’a subi la « Grèce des colonels » ;
6. il reste que les négociations d’adhésion doivent durer longtemps jusqu’à ce que l’application de la Charte devienne satisfaisante, prioritairement en matière de l’égalité des sexes et de la portée politiquement symbolique du foulard ou de la barbe.

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B. Dimension extérieure

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b.1. De la “question d’Orient” jusqu’à la stratégie de l’eau et des hydrocarbures

Le destin historique de la Turquie a toujours été influencé par sa situation géographique. Aux XIXe et XXe siècles, son importance stratégique a constamment attiré sur elle l’attention encombrante des grandes puissances qui en faisaient “la question d’Orient”9. La Russie aspirait à l’accès aux mers chaudes, la Grande Bretagne voulait garantir ses liaisons avec l’Inde et, plus tard, les EUA souhaitaient coller au flanc sud de l’Union soviétique et s’assurer des bases militaires au Moyen-Orient. Cette question d’Orient n’a pas été sans lien avec la “balkanisation des Balkans” qui débuta avec les guerres balkaniques au début du XXe siècle, se poursuivit avec le traité de Versailles en 1919-22 et dont l’ultime avatar réside dans les conflits d’ex-Yougoslavie depuis les années 1990.

Après avoir supprimé l’empire ottoman, puis obtenu la reconnaissance du fait national turc par les puissances mondiales, grâce au traité de Lausanne, conclu en 1923, Atatürk visa à consolider l’indépendance nationale et la sécurité ainsi que le développement économique de son pays. Dans le cadre d’un régime autoritaire, sa devise était «Paix dans la patrie, paix dans le monde», et il veilla à avoir de bonnes relations avec tous les pays, sans distinction de régime. Il en a ainsi été, bien sûr, avec l’Angleterre et la France, mais aussi avec l’Union soviétique: un traité d’amitié fut signé avec Moscou en 1925. Il instaura une politique d’amitié avec la Grèce et fut le promoteur d’une entente régionale balkanique dans les années 1930. Il veilla aussi à avoir de bonnes relations avec l’Iran.

Après la guerre 1939-45, la Turquie est devenue membre de l’Alliance atlantique, qui la considère comme une pièce stratégique importante située aux marches orientales de l’Europe10. En effet, le développement de la guerre froide entre l’Est et l’Ouest rendit la Turquie intéressante pour les EUA, qui décidèrent de lui accorder, ainsi qu’à la Grèce, une assistance militaire, dans le cadre de la «doctrine Truman», proclamée le 12 mars 1947 et destinée à écarter la menace du «communisme international». Cette doctrine revenait à substituer les EUA, dans le rôle de protecteur de la Grèce et de la Turquie, aux Britanniques.

De plus, un véritable réseau d’accords bilatéraux lie Ankara et Washington et de très nombreuses bases militaires américaines s’y installent. L’accord bilatéral signé en 1959 étend à la Turquie la fameuse «doctrine Eisenhower» selon laquelle Washington viendrait au secours de la Turquie en cas d’«agression directe ou indirecte», c’est-à-dire instaurant un quasi-protectorat. A contrario, tout rapprochement entre les EUA et la Russie l’inquiète car il pourrait renforcer la seconde dans la Caucasie méridionale. La Turquie entretient d’excellentes relations avec la Géorgie et surtout avec l’Azerbaïdjan, ne fût-ce qu’en fonction de l’oléoduc qui traverse les trois pays, de la mer Caspienne à la mer Noire (Annexe 2).

Entre la Turquie et l’Arménie, la fermeture de la frontière est imposée par le premier de ces pays. Sa levée pourrait constituer un préalable à l’adhésion éventuelle de la Turquie à l’UE. De son côté, l’Iran considère aussi l’Arménie comme un tronçon essentiel dans un axe de communication vers la Caucasie méridionale, la Russie et l’Asie centrale. Il faut également rappeler la stratégie conjointe de l’UE et de l’OTAN concernant les projets TRACECA et INOGATE financés par la première. Il s’agit pour TRACECA de la création d’un corridor de transport routier et ferroviaire entre l’Europe, le Caucase et l’Asie, et pour INOGATE de mise en place de conduites de pétrole de la Mer Caspienne jusqu’à l’Europe. Les deux liaisons impliquent la coopération directe ou indirecte de la Turquie comme de la Russie. Le programme TRACECA prévoit d’ailleurs explicitement l’ouverture de la frontière turco-arménienne, notamment pour le réseau ferroviaire unique de la région traversant l’Arménie (voir Annexe 2).

Le conflit chypriote et le contentieux avec la Grèce au sujet de la mer Egée (le partage du plateau continental et de l’espace aérien) sont depuis les années 1960 au centre des préoccupations de la diplomatie turque et donnent l’occasion aux EUA d’interférer dans les affaires européennes. Nonobstant, les relations turco-grecques se sont sensiblement améliorées depuis 1999 et la Grèce constitue aujourd’hui un des partisans de l’adhésion de la Turquie à l’UE.

Dans la partie turque du “Kurdistan”, la série de barrages en construction sur l’Euphrate et le Tigre pourrait apporter une certaine prospérité et contribuer au développement économique de cette région délaissée. Mais, en même temps, ces constructions inquiètent les deux pays en aval de ces fleuves: l’Irak et la Syrie11 qui craignent pour leur approvisionnement en eau mais pourraient favoriser d’autres pays du Proche-Orient (voir aussi plus loin). En juillet 2003, le chef du gouvernement syrien rend visite à son homologue turc. Cela étonne après 40 ans de tensions parfois intenses entre les deux pays et la coopération militaire entre la Turquie et Israël depuis 1996. Apparemment, c’est l’invasion américaine de l’Irak qui aurait rapproché les deux pays.

Y. Lacoste évoque la situation israélo-palestinienne pour considérer comme non invraisemblable l’hypothèse de l’envoi d’une importante force terrestre de l’OTAN, en grande partie fournie par la Turquie, pour tenir les choses en main au Proche-Orient, du moins sur une centaine de kilomètres de profondeur à partir des côtes méditerranéennes. Cette intervention éventuelle de la Turquie ne lui serait sans doute pas inutile car elle permettrait de participer au contrôle de ce couloir nord-sud. Or, ce contrôle est indispensable pour mettre en chantier la grande canalisation lui permettant de vendre de l’eau à Israël principalement, mais aussi aux Etats voisins et même à l’Arabie Saoudite.

L’hypothèse apparaît aujourd’hui encore plus vraisemblable depuis que l’armée turque a débarqué en Afghanistan au printemps 2002 et y dirige les opérations. Au Liban en 2006, Ankara envoie ses troupes faisant suite à l’agression d’Israël contre ce pays. Cette dernière décision heurte la population turque qui considère que cette intervention favorise Israël et les EUA. Il n’empêche que le gouvernement et le parlement turcs ont opté dans ce sens pour trois raisons au moins, semble-t-il : réapparaître aux territoires qui avaient fait partie de l’empire ottoman ; se réaffirmer comme puissance régionale ; égaler l’UE en termes d’appuis militaires.

Géostratégie énergétique turque

En matière énergétique et face à la Turquie, la Russie cherche en tous cas à conforter ses positions. Mais les rapports russo-turcs dans la sphère de la coopération gazière ne sont aucunement mis en question. L'augmentation des achats russes de gaz centrasiatique pourrait ouvrir de nouvelles possibilités pour les fournitures de gaz à l'Europe en provenance de Russie, notamment par le territoire turc, dans le cadre du projet Flux Bleu et ses prolongements vers le centre de l’Europe. Cet itinéraire devrait doubler le gazoduc existant, mais du port de Samsun, par un embranchement, le gaz "coulera" vers le sud du pays puis vers Israël et, par un autre, vers l'ouest, en direction de l'Europe.

Et même si les intérêts de la Turquie en tant que pays transitaire de gaz naturel ne seront pas lésés en l'occurrence, elle ne pourra de toute évidence éviter une montée des tensions dans ses rapports avec l'UE. Car la question la plus importante pour elle, celle de la diversification de ses sources d'approvisionnement en gaz naturel, restera ainsi sans solution. Il se peut que ce compromis satisfasse la Turquie. Si la coopération des deux pays a une suite, cela aura un effet positif sur le projet d'oléoduc Samsun-Ceyhan qui a pour vocation de lever les tensions dans les rapports russo-turcs au sujet du goulet d'étranglement des détroits turcs. Rappelons que la Turquie qui avait imposé des restrictions au passage de pétroliers par le Bosphore et les Dardanelles, propose de construire cet oléoduc en tant que solution de rechange pour les exportations pétrolières russes.

Jusque-là, Moscou était enclin à considérer en qualité d'alternative uniquement l'oléoduc qui devra passer par les territoires de la Bulgarie et de la Grèce (oléoduc Bourgas-Alexandroupolis). Mais, dans un contexte marqué par l'élargissement général de la coopération économique russo-turque, l'intensification du dialogue avec la Turquie sur la question du transport de pétrole russe devient possible. Il s'ensuit que les rapports russo-turcs ne souffriront pas et même pourront recevoir une nouvelle impulsion. La question est de savoir comment se développera le dialogue entre la Turquie et l'Europe. La pratique montre en effet que ce dialogue n'échappe pas à l'influence d'autres acteurs, au nombre desquels on trouve non seulement la Russie mais aussi les EUA. Il se peut que les intérêts régionaux de Washington s'appuient à terme uniquement sur l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan. Dans le même temps, cela signifie la nécessité d'accepter une présence russe plus importante dans la région caspienne et en Asie centrale, de même que dans le commerce mondial de ressources énergétiques dans son ensemble (voir aussi dans la deuxième partie de cet exercice).

Se saisissant de l’opportunité que crée la transition politique au Turkménistan, la Turquie tente de développer la part de ses importations de gaz naturel à travers la mer Caspienne, afin de réduire sa propre dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie (voir ci-dessus). La stratégie d’importation de gaz naturel de la Turquie repose sur deux fronts d’offensives diplomatiques visant à développer ses relations à la fois avec le Turkménistan et l’Iran. L’intérêt de la Turquie pour le Turkménistan, comme pour les autres pays, vient évidemment du fait que les nations d’Asie centrale possèdent d’énormes réserves de gaz naturel. Dépendant de la Russie, à hauteur d’environ 65 %, pour ses fournitures de gaz, Ankara voit dans le renforcement de ses relations avec Ashgabat le moyen de réduire la dépendance énergétique de la Turquie par rapport à Moscou. Plus important, il considère le Turkménistan comme crucial dans sa stratégie élargie en vue de s’intégrer à un corridor énergétique, cette « quatrième voie » pour une Europe dépendant de la Russie.

L’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), encouragé par les EUA, a été ouvert en juillet 2006, canalisant le pétrole de la mer Caspienne vers la Méditerranée. A présent, la Commission Européenne envisage la réalisation du projet Nabucco, une route du gaz qui relierait l’Europe centrale au gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzérum. Comme au sujet de l’oléoduc BTC, des questions se posent sur la viabilité de ce projet de gazoduc transcaspien. En effet, des volumes significatifs ont déjà été attribués par l’engagement du Turkménistan en 2003 d’alimenter la Russie à hauteur de 80 milliards de m3 de gaz chaque année, pendant 25 ans. La Chine s’est vu attribuer 30 milliards de m3 à partir de 2009. Basés sur la même source turkmène, des projets pour un gazoduc transafghan vers l’Inde et le Pakistan se développeraient également, avec le soutien de la Banque asiatique pour le Développement.

Quoi qu’il en soit, la Turquie semble protéger son projet axé sur le gazoduc transcaspien, en s’efforçant d’améliorer ses relations avec l’Iran. L’Iran, qui se trouve sous une pression internationale croissante à cause de son programme nucléaire controversé, s’efforce actuellement de faire échouer les efforts des EUA visant à isoler Téhéran. Celui-ci aurait déjà accordé à la Compagnie turque des Pétroles (TPAO) l’autorisation - qu’elle souhaitait de longue date – d’explorer de nouvelles sources d’énergie en Iran. Ankara et Téhéran se seraient en outre mis d’accord sur le principe d’un accord sur les exportations de gaz turkmène qui serait pompé autour de la mer Caspienne, via les gazoducs iraniens, vers la Turquie et, si possible, plus loin encore. Le dialogue turco-iranien s’est encore renforcé au début de mars 2007, lorsque Erdogan s’entretient avec le premier ministre iranien Ahmadinejad, au sujet de diverses questions politiques et économiques.

La Turquie n’est pas le seul pays qui tente de pousser le Turkménistan à s’engager dans ce projet de gazoduc transcaspien. L’Azerbaïdjan, proche allié d’Ankara dans ce domaine, déploie tous ses efforts pour entamer « prochainement » des discussions sur la route du gazoduc transcaspien. On se rappellera qu’une telle entente confirmerait une sorte de fraternité turcophone entre le Turkménistan, l’Azerbaïdjan et la Turquie qui reste toujours à l’ordre de jours diplomatique d’Ankara.

Enfin, il convient de prendre connaissance de quelques faits marquants. Il s’agit de l’achèvement en 2002 de la construction du gazoduc Russie-Turquie de 1 393 km de long et passant sous la mer Noire. Cette construction diminue à terme la dépendance énergétique du pays vis-à-vis des ressources arabes, caucasiennes ou centre-asiatiques. En juillet 2004 on a annoncé que le groupe turc Caspian Trans Co (groupe Okan Tapan) et la compagnie étatique russe Transneft ont conclu un accord pour étudier l’opportunité de construire un oléoduc entre la mer Noire et la mer Méditerranée, c’est-à-dire entre les ports turcs de Klyköy et Ibrikbaba, afin de désengorger le passage maritime du Bosphore.

Fin février 2003, BP britannique, TotalFinaElf français, Statoil norvégien et la compagnie étatique d’Azerbaïdjan ont signé l’accord définitif pour la construction d’un gazoduc du champ de Shaz Deniz, passant par Bakou et Tbilissi en Caucasie méridionale, jusqu’à Erzurum en Turquie. La capacité de cette conduite est de 8,4 milliards de m³ de gaz. Le gazoduc coûte € 3 milliards et est achevé en 2006. Ce projet n’est pas à confondre avec deux autres réalisations: l’achèvement prochain de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, à travers la Géorgie et l’Azerbaïdjan vers la Turquie, et la construction terminée du gazoduc Russie-Turquie dont il est question ci-dessus. L’indépendance énergétique de la Turquie s’est ainsi nettement accrue.

Au début de juillet 2005, Athènes et Ankara annoncent le lancement de la construction d’un nouveau gazoduc entre Kracabey turc au bord de la mer de Marmara et Stavrolimena au bord de la mer Ionique, en passant par les villes grecques Komotini et Saloniki. La conduite devra être achevée en 2007 et transporter le gaz caspien vers l’Europe du centre et occidentale. Un oléoduc envisagé depuis longtemps reliera par ailleurs Burgas (bulgare à la mer Noire) à Alexandroupolis (grec à la mer Egée). Le pétrole caspien proviendra de la Russie, de Novorossisk à la mer Noire, par bateau jusqu’au port bulgare de Burgas. Ces décisions représentent des éléments géopolitiques non négligeables. La première construction contourne la Russie, alors que la seconde fait pareille, mais à l’égard de la Turquie. Les deux semblent renforcer la position de plaque tournante balkanique de la Grèce.

Au début de février 2006, la Russie négocie un gazoduc déposé sur le fond de la mer de Marmara qui relierait l’Anatolie turque à la Thrace grecque. Deux entreprises étatiques y seraient impliquées : Depa (Grèce) et Botas (Turquie). La Grèce jouerait le rôle du point d’éclatement de distribution du pétrole vers les autres pays d’Europe et prioritairement vers l’Italie avec laquelle elle a déjà signé un accord dans ce sens. Le gouvernement d’Ankara vient de décider de reprendre son plan de construire trois centrales nucléaires avant 2015. Des débats en Turquie ressort que la raison n’en est pas seulement économique, mais stratégique eu égard au risque de voir l’Iran « se nucléariser ».

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b.2. Une puissance régionale: force centrale ou centralité géostratégique?

Par rapport à ses voisins immédiats, la Turquie vit dans une sorte de “paranoïa” de l’encerclement12. L’origine de ce sentiment géopolitique remonte aux débuts du mouvement national arabe qui contribua au démantèlement de l’empire ottoman et à la revendication grecque et arménienne sur les territoires anatoliens. Ce sentiment est apparu au commencement du XXe siècle. Il perdure jusqu’aujourd’hui et est rendu plus aiguë par la question kurde. En terme de politique étrangère, il s’exprime sous forme fluctuante entre l’hostilité franche et la coopération intense à l’égard des pays environnants.

Cela peut signifier une certaine solidarité envers le monde arabe, tout en marquant la singularité turque et l’alliance avec Israël. La solidarité à l’égard de l’Islam est davantage tue pour ne pas apparaître intégriste, mais elle peut être plus réelle que l’on ne le pense. L’Iran est considéré comme détenteur d’une “culture supérieure”, due au surcroît non arabe, mais il est craint à cause de son éventuelle puissance nucléaire. La Grèce est l’adversaire séculaire, mais un allié incontournable dans l’OTAN et par la volonté du pays d’adhérer à l’UE. Avec les EUA, il y avait un grand danger pour la Turquie d’être entraînée dans des aventures au service d’intérêts totalement contradictoires avec les siens et susceptibles de porter atteinte à ses bonnes relations actuelles avec l’U.R.S.S., puis la Russie et le monde islamique.

Quant au conflit avec la Grèce, il faut mentionner avant tout la question chypriote. En février 1975, l’armée turque occupe le nord de l’île, au lendemain de la guerre de Chypre, dans laquelle les EUA jouèrent un rôle capital en encourageant, du moins implicitement, la dictature militaire grecque à renverser Makarios. C’est ce qui expliquerait d’ailleurs qu’à l’époque l’Iran ait pu momentanément supplanter la Turquie dans la région comme le principal Etat-gendarme proaméricain, jusqu’à ce que la révolution y bouleverse la situation. Il semble bien que le conflit soit en voie de règlement.

En vue de créer une puissance hégémonique régionale, la Turquie était tentée de mener une politique panturque. Une telle politique impliquait un recours aux critères ethnique, historique ou linguistique dans le but d’établir une zone d’influence en Azerbaïdjan ou en Asie centrale, de nouer des relations privilégiées avec par exemple le Pakistan13 et de maintenir de liens avec les pays musulmans des Balkans tels que l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo ou la Macédoine. Devenue une puissance régionale économique et militaire, la Turquie a de fait vu son rôle stratégique se renforcer. Avec la décomposition de l’Union Soviétique et la fin de la guerre froide, ce pays périphérique, gardien des marches sud-orientales de l’Alliance atlantique, s’est mué en une force centrale, entre l’Europe occidentale et du centre, la Russie, les Balkans, le Moyen-Orient, la Caucasie méridionale et l’Asie centrale. Moscou se méfie de plus en plus de la Turquie et en donne parfois une expression vigoureuse. L’exemple récent en est l’avertissement envoyé en 2002 à Ankara concernant le soutien de ce dernier aux terroristes Tchétchènes.

Certes Ankara pourrait préférer cultiver une centralité géopolitique passive. Le résultat serait de laisser la Turquie en tête-à-tête avec les EUA, qui se servent de ce pays - à l’instar d’Israël - comme pilier d’une politique moyen-orientale, entièrement vouée à la défense de leurs propres intérêts pétroliers et militaires. Quoi qu’il en soit, Ankara a conclu avec Israël un accord de coopération militaire dès février 1996 et d’autres conventions de fournitures d’eau, notamment celle fort importante de 2004. Depuis 2003, la Turquie a à ses frontières un Irak occupé par les EUA et les relations avec Israël tendraient à se refroidir en raison des critiques turques contre la politique israélienne en Palestine dans une optique de rapprochement du monde arabe.

L’invasion américaine de l’Irak en 2003 fait craindre à la Turquie trois conséquences: le coût fort élevé pour son économie, la mise en question des liens économiques avec Bagdad et l’inquiétude de voir se constituer une certaine autonomie kurde en Irak14. Il pourrait en résulter que les relations triangulaires EUA-Israël-Turquie s’affaiblissent structurellement. Enfin, l’opinion publique turque est profondément opposée à l’intervention militaire américaine au Moyen-Orient, alors que l’usage des bases militaires américaines dans le pays reste indispensable pour de telles opérations.

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b.3. Nouvelles donnes et rapprochement de l’UE

Dès mars 2003, l’armée comme le gouvernement turcs apparaissent profondément réticents, voire opposés à l’invasion américaine en l’Irak, malgré les avantages économiques promis. C’est ce qui explique le vote du Parlement à l’époque, rejetant la proposition gouvernementale de laisser passer des troupes américaines à travers le territoire turc vers l’Irak et d’utiliser les bases militaires des EUA dans le pays. Le principe de bon voisinage, difficilement établi ces dernières années, des manifestations anti-guerre autant que la crainte de la constitution d’un Etat kurde et de l’occupation par ce dernier les champs pétroliers irakiens l’avaient emporté sur les milliards de dollars offerts par Washington. Il n‘empêche qu’en septembre 2003, les EUA octroient un crédit de € 8 milliards à la Turquie. En toute indépendance (sic!), le FMI débloque soudainement ses crédits et leur emboîte ainsi le pas par miracle ! Pour les EUA, il est cependant exclu que les soldats turcs puissent s’implanter en Kurdistan irakien ou en territoires dominés par les chiites. Depuis lors, la répression d’Ankara à l’égard de ses citoyens kurdes s’est renforcée.

Par rapport à l’Europe et la Russie comme aux EUA, la Turquie développe, depuis un certain temps, un rapport de forces non négligeable, en prenant des mesures de restriction contre le passage de pétroliers et d’autres bateaux par le Bosphore. Certes, des considérations environnementales et de sécurité physique ont joué un certain rôle. Mais le moment choisi pour relancer la question n’est cependant guère dû au hasard. Les mesures prises tendent à renforcer la position géopolitique du pays. Ce passage est primordial pour les exportations pétrolières de la Russie. Les mesures visent sans doute à encourager Washington et les compagnies pétrolières américaines à accélérer la construction des oléoducs, notamment de l’Azerbaïdjan et de l’Asie centrale vers et à travers la Turquie. Il en est de même par rapport à la Russie (voir ci-dessus).

En ce qui concerne les EUA, leurs manoeuvres diplomatico-militaires correspondent à de multiples objectifs : stratégies proprement militaires dont celles à l’égard de l’Irak ou d’Israël; approvisionnement énergétique; encerclement de l’UE et de la Russie ainsi que surtout de la Chine; entretien des foyers de tensions: Asie centrale, Tchétchénie, Palestine, Taiwan, Corée, Balkans, Caucase, Amérique centrale, etc. Le projet américain à propos d’un “Grand Moyen-Orient” vise, ainsi, à englober le territoire qui se situe entre la Méditerranée et l’Asie centrale, y compris la Caucasie méridionale et la Turquie, et à contrer le Partenariat Méditerranée de l’UE (“le processus de Barcelone”).

Il n’est pas exclu non plus que les EUA tentent d’établir un Kurdistan aussi bien indépendant que reconnaissant et fidèle à Washington. Une telle création d’Etat déstabiliserait complètement au moins quatre pays : la Turquie, l’Irak, l’Iran et la Syrie, mais également d’autres, de l’Afghanistan jusque dans les Balkans, en passant par la Caucasie méridionale. Dans le cas de la réalisation de cette hypothèse, l’UE ne pourrait qu’être fort concernée et la Russie devrait faire face à un Moyen-Orient encore plus troublé qu’aujourd’hui. La pratique israélo-palestinienne de guerre continue à basse intensité s’étendrait ainsi à l’ensemble de la région ce dont les EUA ne pourraient que profiter. Seule une coopération solide entre l’UE et la Russie pourrait les en empêcher mais, les dernières informations venant du Conseil de l’OTAN d’avril 2008 ne semble donner des indications dans ce sens.

Le conflit turco-américain du printemps 2003 est en train de s’apaiser et la Turquie a évité de participer officiellement à l’occupation de l’Irak. Pour les deux questions, l’opinion publique est devenue anti-américaine et s’est imposée face au gouvernement qui hésitait néanmoins afin de ne pas se couper de Washington. L’attitude devenue ferme du premier ministre Erdogan est largement soutenue par la population et il améliore sensiblement sa popularité. Il en résulte cependant que, pour un moment, la Turquie qui se voit comme une puissance régionale se trouve sans appui extérieur. C’est ce qui l’incite d’ailleurs à être fort prudente avec ses voisins et à s’approcher davantage de l’UE. La Turquie autorise en 2005 la Grande-Bretagne et la Corée du Sud à utiliser la base aérienne turque d'Incirlik pour mener des activités liées à l'Irak et les Etats-Unis à utiliser la même base à des fins logistiques pour leurs troupes déployées en Irak et en Afghanistan. Les avions américains ne seront pas autorisés à transporter des armes, des munitions et des troupes Washington devra demander une autorisation un mois avant les vols.

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b.4. L’adhésion à l’UE en question

Rappelons les dates qui concernent la relation entre la Turquie et l’UE : 1963 l’accord d’association; 1996 la mise en place d’une union douanière, mais le rejet de la candidature; 1999 la reconnaissance de la candidature; 2002 le “rendez-vous” à une décision à prendre par le Conseil des ministres à fin 2004 en vue d’“ouvrir sans délai des négociations d’adhésion”. Depuis quarante ans, la Turquie voulait donc devenir le treizième, puis le quinzième et enfin, peut-être, 28 ou 30e membre de l’UE aussi tôt que possible. L’adhésion à l’UE est devenue pour la Turquie la priorité des priorités avec le dépôt d’une demande formelle en avril 1987.

A l’heure actuelle, le pays fait partie de l’union douanière formée de lui-même et de l’UE, du moins en très grande partie. Jusqu’il y a peu, Ankara tenait la dragée haute à l’UE à propos de la conclusion des “arrangements permanents” entre l’UE et l’OTAN, qui seraient indispensables à la défense européenne. La Turquie a signé en juillet 2005 le protocole dit d'Ankara qui étend son union douanière avec l'UE aux dix Etats membres entrés dans l'UE en 2004, dont la partie grecque de l'île divisée de Chypre. Par contre, le conflit gréco-turc n’est pas encore réglé à propos du partage de la souveraineté sur la mer d’Egée.

En octobre 2004, l’avis de la Commission avance les idées suivantes : d’une part, il ne faut pas nuire au processus de réformes turques dont le succès sera favorable à l’UE; d’autre part, l’UE a un intérêt stratégique dans l’adhésion, puisque l’armée turque représente une force et une localisation d’importance; enfin, la Turquie doit encore renforcer ses efforts pour qu’elle puisse devenir de plein droit membre de l’UE. Il reste des objections qu’il ne faut certes pas minimiser et qui se nomment entre autres : le chaos au Moyen-Orient, la question des Kurdes et des autres minorités, l’influence et la présence américaines, le niveau de développement insuffisant et le problème budgétaire, etc. Voyons-les l’une après l’autre !

Depuis 2002, Ankara s’est franchement métamorphosée en une agglomération de forces favorables à l’entrée à l’UE. Les traditionalistes de l’Etat-major comme les hauts fonctionnaires kémalistes y voient subitement une voie pour renforcer la laïcité de leur pays. Les forces de l’Islam moderniste au gouvernement considèrent que l’UE consolide, dans le pays, des garanties des droits de l’homme et de la citoyenneté qui s’avéreront indispensables pour adhérer à l’UE. Enfin, toutes les minorités, qu’elles soient religieuses ou ethniques, espèrent de leur côté que l’UE leur apportera des droits dont ils ont fort besoin et que celle-ci restreindra le caractère trop unitaire du pays.

Les milieux économiques et surtout des grandes entreprises escomptent que, grâce à l’UE, la stabilité judiciaire, l’ordre intérieur et la diminution de la corruption soient mieux assurés. Ils espèrent que l’UE apportera une relance structurelle de l’économie dont évidemment les mêmes milieux européens bénéficieront également. Les organisations syndicales démocratiques découvrent aussi les avantages de l’adhésion éventuelle qui devrait leur apporter une régulation du travail et des conditions de travail améliorées par rapport à la situation actuelle. Il semblerait que la majorité des travailleurs salariés et de la petite bourgeoisie escompte, avec l’adhésion éventuelle, une amélioration de leur situation socio-économique, une démocratisation de l’Etat turc et un pluralisme politique accru, notamment du côté de la gauche. Cependant, depuis le début des négociations avec l’UE qui, à d’aucuns, apparaissent de plus en plus longues et du renforcement du risque au Moyen Orient, l’opinion publique en Turquie semble ressentir une déception à l’égard de l’UE et devient franchement hostile aux EUA15.

Les manifestations contre l’intégration européenne à la sauce islamique

Près de 300 000 personnes se rassemblent à mi avril 2007 à Ankara, en provenance de toute la Turquie, à l'appel d'ONG défendant la laïcité pour dénoncer les ambitions du premier ministre Erdogan, dirigeant du Parti de la justice et du développement. Les organisateurs, des associations menées par l'Association de la pensée d'Atatürk, affirment qu'un million de citoyens de tout le pays avaient rallié leur "marche pour la République", une des plus vastes manifestations que la Turquie ait connues. Deniz Baykal, le chef du principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP, centre-gauche), et Zeki Sezer, le président du Parti de la gauche démocratique (DSP), participent à la manifestation. Une pareille manifestation a eu lieu une semaine plus tard à Istanbul.

Il me semble bien que les manifestants ou du moins ceux qui les organisent se composent de cinq adhérences assez différentes :
1. une partie de la gauche, des alévis, des kurdes et des libéraux qui craignent de l’islamisation de la société,
2. certains partis d’opposition qui simplement désirent de retourner au pouvoir, à l’aide même de l’armée le cas échéant,
3. des nationalistes qualifiés par d’aucuns comme « kémalistes », mais parfois d’extrême droite,
4. une fraction significative des officiers supérieurs à la tête des affaires bien profitables,
5. une part notable de la bureaucratie étatique fort costaude,
les trois derniers risquant de perdre leurs avantages par la démocratisation et l’européanisation de la société turque.

L’administration de Bush II se méfie de l’armée turque qui serait tout prête d’occuper l’Irak du nord appartenant aux Kurdes irakiens afin de mieux contrôler les Kurdes de la Turquie. Les coups d'Etat de l'armée sont intervenus en 1960, 1971, 1980 et, d’une certaine manière, en 1997. Chacun s’est attaqué à la démocratie sous l’égide ou du moins avec l’assentiment de l’armée américaine très présente sur le sol turc. Les coups d’Etat de 1971 et 1980 ont amené une certaine islamisation du pays par l’armée puisque celle-ci manquait de plus en de légitimité. L’opposition de Erdogan à de certains milieux militaires, anti-minoritaires et kémalistes, peu enclins de démocratie, serait par contre garantie en raison de la forte hostilité politique et économique de ces milieux à son égard. La stratégie et l’intérêt des groupes industriels et financiers en jeu seraient fort différents par rapport aux politiques variés mais restent majoritairement favorable à l’intégration à l’UE et souhaitent participer, plus largement, à la globalisation capitaliste.

Dans les milieux capitalistes (hors du domaine de l’armée), l’opinion semble se prévaloir qu’il vaille mieux d’avoir un coup d’Etat militaire qu’une invasion turque en Irak, encore que l’intervention militaire ne soit pas souhaitée en général. Ces milieux désirent cependant maintenir des bonnes relations à la fois avec l’UE et les EUA. L’UE n’aimerait pas cette sorte d’aventures. Par contre, à mon sens et à moyen terme, les EUA pourraient être tentés de susciter un coup afin d’empêcher que l’adhésion de la Turquie renforce l’UE mais, grâce à leur affaiblissement géopolitique, cette hypothèse me paraît peu vraisemblable.

Les Kurdes et la proximité moyen-orientale

La question turque à propos des Kurdes devra trouver une solution définitive et démocratiquement acceptable et l'égalité entre femmes et hommes se traduire en une réalité quotidienne. Du côté kurde, les usages laissent à désirer, lorsque l'on apprend qu'en vertu des traditions, la "mort d'honneur" continue à être pratiquée, notamment contre les femmes. Pour ces dernières, cela signifie la lapidation camouflée en suicide, encore tout récemment. Ces cas semblent devenir même plus nombreux à la suite à la répression brutale d'Ankara, puis à la fuite des Kurdes dans les villes. Les deux phénomènes ont déstabilisé la société kurde, mais ont fait découvrir aux femmes une autre manière de vivre. En tout cas, le législateur turc a supprimé du code pénal l'article qui prévoit des circonstances atténuantes en cas des assassinats appelés "morts d'honneur".

Depuis la fin de la première « guerre froide », la Turquie néanmoins se sentirait, selon moi, plutôt handicapée par le poids de Washington en fonction de
 ses craintes à propos de la création d’un Kurdistan indépendant,
 l’interventionnisme américain peu démocratique depuis des décennies qui l’a empêché de se joindre à l’UE plus tôt,
 sa politique de bon voisinage avec tous les pays qui l’entourent et plus particulièrement avec la Russie qu’elle ne souhaite pas isoler sur le plan eurasiatique et qui est pour elle un important fournisseur énergétique,
 peu d’intérêt de voir les EUA dominer le centre de l’Europe et la mer Noire (la Crimée), rien que pour contrôler, encercler la Russie et les autres pays concernés,
 ses propres ambitions dans la Caucasie méridionale et en Asie centrale où un certain « panturquisme » pouvait se prévaloir dans années 1980-90.

A mon avis, il est peu vraisemblable que la Turquie envahisse le territoire irakien, c’est-à-dire qu’elle y intervienne plus qu’aujourd’hui :
 les réactions du parlement, du premier ministre et du président turcs seraient des manœuvres de politique intérieur face à l’armée toujours menaçante ;
 comme l’Iran ou la Syrie, la Turquie tend à instrumentaliser depuis des décennies la question dite kurde et les Kurdes tentent en faire autant ; il ne faut pas oublier qu’ importantes minorités de ces pays, les Kurdes jouent un rôle non négligeable sur le plan de la politique nationale ;
 une invasion turque indisposerait le gouvernement irakien qui s’inquièterait à propos de la souveraineté déjà fragile du pays ;
 l’affaire compliquerait fort la position déjà affaiblie des EUA en Irak mais n’empêche pas ces derniers d’exciter les Kurdes contre Téhéran, Bagdad ou Damas, voire même contre Ankara ;
 un acte trop agressif sans approbation du Conseil de Sécurité margilnaliserait le pays, notamment face à l’UE,
à moins que les EUA s’allient, en Turquie, à des milieux anti-UE, notamment dans l’armée, et de cette façon ils empêcheraient le détachement du territoire kurde en Irak grâce à l’appui de l’armée turque et affaibliraient l’UE.

Encore des objections

Certes, du côté de l’UE, il reste aussi des réserves importantes. En cas d’adhésion, comment l’UE peut-elle financer celle-ci et comment peut-elle gérer sa proximité du chaos américanisé au Moyen-Orient : en Irak, en Palestine, en Syrie ou en Arabie Saoudite ? En fait, si toutes choses restent égales, le poids de la Turquie pourrait devenir écrasant pour le budget européen16. Cependant, comme on le sait, les “choses budgétaires bougent” et l’avantage à en tirer diminue comme cela a été déjà le cas pour les PECO adhérés. L’immigration venant de la Turquie est également fort crainte, mais paraît exagérée17. A court terme, il y avait la question chypriote, bien entendu, qui correspondait en fait à un conflit entre le gouvernement et l’armée, celle-ci ayant été à l’origine de l’invasion de la partie septentrionale de l’île. Provisoirement, elle a trouvé une solution à l’avantage du premier ministre turc.

“La Turquie est attirée par l’UE, modèle de paix, de sécurité et de prospérité tandis que l’UE est attirée par la Turquie, son immense marché et son potentiel économique, mais la question de l’identité de la Turquie et celle de la libre circulation de ses citoyens dans l’UE suscitent la méfiance de chacune d’elles” (Triantaphyllou). Il reste cependant que beaucoup considèrent en UE que la Turquie pose un problème - non pas de développement économique ou de religion - mais simplement d’une économie fort rurale et, surtout, de poids démographique énorme. Le niveau de développement politique, social et économique de la Turquie pourrait constituer un facteur de déséquilibre considérable. D’aucuns songent dès lors à une union à plusieurs vitesses en préparation du cas délicat de l’admission de la Turquie ou d’autres pays.

D’autres évoqueraient encore des limites à fixer au territoire de l’union, voire de l’Europe en tant que telle (voir Partie 2 ci-dessus). Quoi qu’il en soit, la Turquie est déjà membre du Conseil de l’Europe, de l’Organisation de l’Europe de l’Ouest et de l’OSCE depuis des décennies. De plus, elle pourrait constituer une sorte de mur de l’union face aux risques stratégiques du Proche et Moyen Orient dont on sait que le responsable principal n’est autre que les EUA. Ses frontières asiatiques ont 2 200 km de long. Triantaphyllou met aussi en évidence que l’affaire irakienne a fort bouleversé les relations entre la Turquie et les EUA. Elle remet en “question simultanément la dépendance stratégique de la première aux seconds et vice-versa” et souligne “la nécessité pour l’Europe d’approfondir sa réflexion stratégique”.

Paradoxalement, la candidature du pays fut de plus en plus soutenue par les EUA18. Il n’est cependant guère certain que ce soutien soit particulièrement apprécié par les pays membres19. Ces derniers peuvent craindre que l’élargissement de l’union vers la Turquie ne renforce puissamment l’influence américaine au sein de l’UE et que la corruption étendue dans le pays contamine l’Europe. Il est parfaitement possible qu’à l’instar de la Grande-Bretagne, la Turquie impose sa propre vision sur l’Europe. Elle pourrait le faire grâce notamment à la coalition avec les nombreux philo-américains en Europe et au poids quasi équivalent à l’Allemagne qu’elle aurait en terme de droits de vote dans les diverses instances de l’UE.

Néanmoins, non seulement le gouvernement actuel, mais surtout les “milieux d’affaires” de la Turquie aspirent énergiquement à l’adhésion afin de surmonter les difficultés économiques du pays, notamment le chômage énorme et le déficit commercial, mais surtout de le faire sortir de la corruption généralisée qui lierait les élites militaires et bureaucratiques. La question kurde est triplement concernée. D’une part, le risque de sécession tellement craint par certains kémalistes diminue au fur et à mesure que la démocratie se renforce grâce à l’application des critères de Copenhague. D’autre part, la volonté kurde de créer un Kurdistan indépendant s’affaiblit en fonction des mêmes évolutions. Enfin, sa solution réduirait la charge financière de la lutte contre la guérilla kurde.

La perspective éventuelle de l’admission de la Turquie à l’UE ne provoque guère d’enthousiasme dans le PECO qui ont adhérés en 2004 et 2007. A ces derniers, l’élargissement vers leurs voisins de l’Est dont l’Ukraine avant tout ou du Sud paraît bien plus urgent afin de sécuriser leurs frontières. De plus, les sentiments nationalo-religieux y auraient davantage de prégnance qu’en Europe occidentale, compte tenu de l’appréhension du “danger ottoman” inscrit dans leur histoire ou de la crainte de l’Islam comme tel. Par contre, de ce côté-là de l’Europe, l’opinion publique “avertie” a bien pu observer que la Turquie n’a pas participé à l’invasion de l’Irak et que, pour l’affaire du Chypre, le gouvernement turc a agi conformément à la volonté de l’UE.

Dans ce contexte, la Turquie joue un rôle capital comme base, sphère d’influence et élément de liaisons, qu’il s’agisse de l’Irak, de la Palestine, de la Caucasie méridionale ou de l’Asie centrale, ou encore de voie de dégagements de produits énergétiques vers la Méditerranée, la Bulgarie ou la Roumanie. En même temps, ses multiples fragilités internes comme ses ambitions géopolitiques se prêtent parfaitement à des manoeuvres d’intimidation et de corruption. Comme chaque pays de l’UE et des PECO, la Turquie se trouve à la croisée des chemins. En cas d’adhésion, elle sera, pour les décennies à venir, devant le choix de vouloir une solution de sécurité pour l’Europe parmi d’autres solutions. Quelles sont les solutions qu’elle pourrait envisager? Que choisira la Turquie ?

En décembre 2007, les négociations de la Turquie avec l’UE se poursuivent et entament deux nouveaux chapitres. Il est possible que lorsqu’elles aboutissent d’ici une décennie ou davantage la Turquie pourra véritablement honorer ses engagements, même dans la pratique. Que le parti au pouvoir soit celui qui y règne aujourd’hui ou un autre, cela me paraît avoir peu d’imprtance.

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Annexes

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1. Respect des droits de l’homme

Peu de progrès pratique en est encore constaté dans cette période récente en Turquie, y compris la question de prisons et l’isolement. L’Association des droits de l’Homme de Turquie admet cependant que la Turquie se trouve dans un processus de changement vers la démocratie. Malgré les amendements apportés à plusieurs lois concernant la torture, cette pratique ne peut toujours pas être empêchée. Depuis que la période de détention a été réduite à quatre jours, on a observé une diminution considérable dans l'utilisation de la méthode de torture nommée la "suspension palestinienne" et la torture à l’électricité. Toutefois, la torture est toujours répandue et s'applique sans cesse de façon systématique. Mais il y a des changements dans les méthodes de torture. De plus, la torture en dehors des centres de détention a augmenté. Comme il est rapporté par des médias, les policiers en uniforme ou en civil pratiquent la torture aux sous-sols des appartements, des magasins ou dans les zones à l'extérieur des villes où les gens sont transférés manu militari en voitures de police…

Quant aux condamnations pour l'expression des idées, elles diminuent mais l'expression de certaines idées est toujours considérée comme un crime. Il y a peu de changement dans les attitudes, si on tient compte des chiffres de la période de cinq années. En mars 2003, la cour constitutionnelle a interdit le parti kurde Hadep et intimé l’ordre à ses dirigeants de cesser toute activité politique. N’atteignant pas les 10% des votes aux dernières élections, le parti n’est pas représenté au parlement, mais dispose de nombreux maires à travers le pays. On ne voit pas clairement ce qui pourrait leur arriver suite à ce jugement. L’autre parti kurde Dehap risque aussi d’être interdit et, si cela arrive, la population kurde n’aura plus aucun parti pour la représenter… Même le parti AKP d’Erdogan risque d’être interdit, faisant suite au dépôt d’un acte d’accusation auprès de la Cours suprême en 2008.

L'armée turque ne contrôle plus le Conseil National de Sécurité

En dépit des réformes récentes qui visent à réduire l'influence politique de l'armée turque afin de faciliter l'entrée du pays dans l'UE, le Conseil National de Sécurité (MGK) correspond à un organe civil et militaire à travers lequel l'armée peut encore peser dans la gestion des affaires publiques. Précisons que ce conseil réunit mensuellement le Président, le Premier ministre, les ministres de la Défense, de l'Intérieur, des Affaires étrangères, de la Justice et celui chargé des Communications ainsi que les cinq plus hauts responsables de l'armée pour “édicter des recommandations prioritaires au gouvernement”. Plusieurs journaux rapportent que le Premier ministre Erdogan a, en 2003, de laisser provisoirement un militaire à la tête du secrétariat du MGK. Peut-être une pression américaine n’est-elle pas étrangère à cette décision. Ce pourrait être d’autant plus le cas que, dans sa lutte pour la démocratie dite libérale, Washington n’a jamais éprouvé la nécessité de voir diminuer le rôle de ce conseil et de condamner les pratiques douteuses de l’armée turque pendant des décennies.

Rappelons que le parlement turc a adopté plusieurs réformes pro-démocratiques dont une des mesures prévoit que ce secrétaire puisse désormais être un civil nommé par le chef du gouvernement, et également que le MGK ne se réunisse plus qu'une fois tous les deux mois. Cette réduction du rôle des militaires dans la vie politique turque est une exigence de l'UE pour ouvrir avec Ankara les négociations pour son adhésion. Elle a dû cependant encore attendre l'approbation du président Sezer pour entrer en vigueur, laissant techniquement le temps à l'armée de procéder à une dernière nomination. En août 2004, le premier secrétaire non militaire fut finalement désigné.

De plus, le chef adjoint militaire du Conseil déclara que “l’adhésion de la Turquie à l’UE est devenue une nécessité géopolitique et géostratégique”. Certes, l’armée craint de perdre le soutien traditionnel des EUA. Ces derniers ont été toujours à ses côtés même dans ses “sales boulots” contre les Kurdes et les forces démocratiques en fomentant une série de coups d’Etat depuis 1960. J’ajouterais que l’armée turque peut aussi appréhender que ses intérêts économiques importants et fort confidentiels soient entamés. Cependant, d’autres officiers supérieurs verraient avec sympathie l’idée de l’adhésion comme la réalisation du rêve kémaliste d’une Turquie moderne et prospère. L’armée veut avant tout que l’UE lui garantisse ses « avoirs » et qu’elle puisse mener à bien sa lutte contre le “fondamentalisme” et le “séparatisme”. Elle craint enfin de ne plus pouvoir protéger la population turque à Chypre.

Parmi les « avoirs », il convient de citer le holding OYAK appartenant entièrement à l'Armée turque. Le groupe français Renault renforce sa coopération économique avec ce holding ces dernières années. OYAK est un des piliers de la domination de l'Armée turque sur la vie politique et socio-économique de la Turquie. Il a été lancé dans les années 60 comme un entraide modeste des officiers et sous-officiers turcs. Mais en quelques décennies, avec ses investissements dans les secteurs industriels et des services, OYAK est devenu une des multinationales du pays. Il emploie 30 000 personnes dans une trentaine d'entreprises de tous secteurs: cimenterie, automobile (OYAK-Renault), chimie, agro-alimentaire, immobilier, banque et assurances (avec AXA)… jusqu'aux supermarchés et au tourisme.

Il faut rappeler qu'un autre holding sous le même contrôle de l'Armée turque, la Fondation pour le renforcement des forces armées turques (TSKGV) se consacre à l'industrie de l'armement et emploie directement 20 000 personnes…

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2. La séparation Eglises-Etat encore à réaliser

Laïcité, positivisme, ataturquisme, unité nationale, etc.

La nature de la laïcité en Turquie est une laïcité de contrôle, non de séparation de l’Etat et de l’Eglise. Ce contrôle s’exerce par l’Etat, entre autres à l’égard de l’Islam sunnite : nominations, rémunérations, censure des homélies prononcées dans les mosquées, etc. Les non sunnites fort nombreux, notamment les alévis de tendance chiite, sont simplement ignorés ou réprimés. Dans les milieux intellectuels ou universitaires, l’esprit positiviste reste encore fort répandu, ce qui explique que, pour ces milieux, être scientifique et en même temps musulman apparaît comme incompatible et inacceptable. De là proviennent des tensions politiques au sein de la société.

L’ataturquisme se prononce en faveur de l’Europe, parce qu’il se vante d’être européen, alors que les autres milieux le sont pour des raisons des plus variables: complicité capitaliste, attirance culturelle, laïcité au sens français du terme, etc. Les militaires sont eux aussi divisés. Certains d’entre eux craignent trop de démocratie, d’autres y aspirent. Pour freiner l’intégration, d’aucuns provoqueraient même des incidents qui révèlent aux observateurs d’Europe occidentale des abus contraires aux droit de l’homme dans les prisons ou ailleurs. Beaucoup d’entre eux considèrent que l’adhésion serait l’accomplissement de “l’européanisation de la Turquie” entamée au lendemain de la 1ère guerre Mondiale.

Pas mal d’officiers seraient devenus fort anti-américains, tout en étant frappés par la robustesse de l’armée américaine, encore que les échecs de cette dernière en Irak les fassent réfléchir. Toutes sortes de supputations ont été faites à propos des attentats au début de 2004 à Istanbul. D’aucuns y voient une complicité entre certains services de l’armée turque, quelques milieux fondamentalistes de l’Islam et la CIA qui tous pourraient, indéniablement, avoir intérêt à empêcher l’adhésion du pays à l’UE. Les liens entre la CIA, les forces armées turques et les groupes terroristes sont bien connus depuis des décennies.

Quels qu’ils soient, les dirigeants turcs ont toujours eu peur d’une Turquie diversifiée, voire divisée au nom de l’unité nationale. C’est cette peur qui expliquerait qu’ils soient prêts à accepter l’Islam dans la mesure où celui-ci s’identifie à la Turquie et donc renforce l’unité. D’où par contre des difficultés pour, par exemple, les Alévis ou les Kurdes de se faire reconnaître, puisqu’ils s’avèrent constamment être des facteurs de division. Dans les années 1980-1990, l’armée a imprudemment utilisé des Hizbollah kurdes contre le PKK des Kurdes. Tout à fait de caractère local et installés dans la région orientale du pays, ce sont ces Hizbollah-là qui maintenant organiseraient des attentats comme ceux qui ont eu lieu à Istanbul. C’était déjà le scénario classique de la CIA avec les Talibans et d’autres groupes islamiques en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo ou en Afghanistan.

Situation des religions ou confessions minoritaires

Suite à une visite du patriarche oecuménique de Constantinople (Istanbul) au premier ministre Erdogan en 2004, on apprend que les minorités religieuses (orthodoxe, juive, arménienne, etc.) ne sont pas autorisées à établir leurs propres clergés, ni à disposer de facultés de théologie, ni d’enseigner en Turquie. L’association Human Rights fait aussi état du non respect des droits fondamentaux, malgré les réformes successives, mais non appliquées en cette matière. Par contre, en juin 2004, le parlement turc ouvre la porte des universités d’Etat aux élèves qui proviennent des écoles sunnites privées.

La Turquie ne respecte en fait ni l’exigence de la séparation de l’Etat et de l’Eglise, ni celle de la liberté religieuse et de la pratique religieuse. Le laïcisme de l’Etat turc paraît douteux, lorsque l’on observe qu’un organisme auprès du premier ministre administre proprement dit l’Islam sunnite dans le pays: formation des responsables, nominations, vérification des livres religieux, censure des prédications, etc. Avec l’abolition du califat en 1919, les droits étaient préservés au sein de cet organisme. Il s’appuie sur environ 90.000 employés (fonctionnaires, imams, muezzins, mouftis, etc.). Rien qu’en 2003, le parlement turc a décidé d’en augmenter le nombre de 15.000. Jadis, il contrôlait l’Islam sunnite et en même temps le tenait à distance de l’Etat. Est-ce encore le cas aujourd’hui. N’y a-t-il pas plutôt un phénomène de symbiose ?

Depuis le coup d’Etat militaire de 1980, l’enseignement religieux islamique est devenu obligatoire, même dans les écoles d’Etat non religieuses ou celles des minorités religieuses. Interdites par la constitution, les confréries se développent en toute impunité et les fondations religieuses ont pu maintenir leur fortune. L’exemple en est le mouvement Fethullahci qui n’est que l’émanation de la confrérie nurcu. Le premier ministre Erdogan en est membre. Ce mouvement a néanmoins la réputation d’être moderniste et de vouloir réussir la réconciliation de la démocratie et de l’Islam.

En dehors des sunnites, les Alévis qui sont des musulmans hétérodoxes et représenteraient entre 15 et 30% de la population, n’ont aucun droit et subissent des moments de répression répétés depuis des siècles. Très récemment, des décisions judiciaires en leur faveur sont devenues un peu plus favorables, mais on ne peut pas encore évaluer leurs effets. Soumis constamment à des exactions, les orthodoxes arméniens et grecs, ainsi que les Juifs et les chrétiens syriens, en petit nombre, mais reconnus officiellement, ne peuvent se constituer en personne morale, ce qui les empêche d’avoir ou de garder des églises, des séminaires ou des écoles.

Le premier ministre actuel, Erdogan comme beaucoup de membres de son parti, provient des milieux proches d’un courant néo-confrérique: fethullahci. Ce courant s’est développé de façon importante dans les années 1990, inspiré par le penseur turc contemporain Fethullah Gülen. Celui-ci a réactualisé la pensée de Said-i Nursi, lui même fondateur d’une autre confrérie des nurcu. Les deux se revendiquent d’un Islam moderne et occidental. Grâce à ces caractéristiques, leur pénétration dans la société turque, notamment universitaire, ainsi qu’en Asie centrale, en Caucasie méridionale et dans les Balkans s’est assez aisément réalisée par le biais d’un réseau d’écoles réputées, d’entreprises et de médias.

En mars 2008, le parlement turc vote une loi de restitution des avoirs des Eglises ou des mouvements religieux minoritaires du pays. Ecoles, maisons de repos ou églises, les biens en question ont été confisqués en 1974.

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3. La drogue et la Turquie
(selon et d’après La Tribune de Genève, le 15-11-2006)

Associer la Turquie à sa Mafia serait aussi injuste que de réduire la Sicile à sa Cosa Nostra et la Russie à son Organizatsya. Il n’empêche que le phénomène mafieux reste bien implanté en Turquie dont les organisations criminelles figurent parmi les principaux clans de la planète. Un paramètre qui est rarement évoqué lorsqu’on aborde les relations entre Ankara et l’Europe. Or, « le crime organisé turc affiche une belle santé grâce, notamment, au « boum » du trafic d’héroïne. La plus grande partie de l’opium afghan est traitée et transformée par les laboratoires clandestins installés en Turquie… En outre, les groupes turcs contrôlent les routes du trafic de stupéfiant de l’Asie vers l’Europe, même si les clans albanais et albano-kosovars sont en train de leur contester, parfois avec succès, cette domination. Citant un rapport émis en juillet 2004 par la Chambre de commerce d’Ankara, le criminologue français Xavier Raufer estimait le chiffre d’affaires de la mafia turque à environ € 50 milliards par an, ce qui représente la moitié du budget de l’Etat en Turquie ! Comme pour les autres organisations criminelles, les implications de la mafia turque dans l’appareil politique et administratif se révèlent massives.

Les liens entre la mafia et nombre de partis laïques constituent d’ailleurs l’une des causes majeures de la réussite de l’AKP, le parti musulman actuellement au pouvoir à Ankara, qui a fait campagne contre l’alliance du crime et de la politique. Dès lors, cette activité mafieuse peut-elle servir de prétexte pour ne pas accepter l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne ? S’il existe des écueils politiques à cette adhésion la non-reconnaissance de Chypre par la Turquie et la négation du génocide arménien, par exemple, l’argument antimafia ne résiste pas à l’examen. Sur ce sujet, les pays européens paraissent tentés par deux attitudes aussi néfastes l’une que l’autre : refuser de prendre conscience du phénomène mafieux en Turquie ou sauter sur cet aspect pour rejeter Ankara.

Tout d’abord, la Mafia est surtout présente dans les secteurs traditionnels et fermés de l’économie. Or, une entrée de la Turquie dans l’Europe fortifierait avant tout ses secteurs modernes et ouverts qui résistent mieux aux tentacules de la « Pieuvre ». En outre, la société turque a développé des anticorps dans son affrontement avec le crime organisé. Car si l’on en sait autant sur la Maffya, on le doit surtout à la presse turque dont de nombreux médias ont fait preuve de courage en dénonçant l’emprise des clans criminels sur la justice, la politique et le sport. Sous la pression médiatique, de nombreux dossiers impliquant des « parrains » n’ont pas pu être enterrés. Enfin, la mafia turque est implantée dans les pays européens, dont la Suisse, depuis belle lurette. Un rejet de la Turquie hors de l’Union ne changerait rien à cet égard. Pire : il risquerait plutôt d’aggraver la situation. Il est préférable de profiter de cette période où la Turquie doit faire ses preuves pour exiger qu’elle poursuive ses efforts visant à débarrasser la justice et la police de leurs influences mafieuses. Une bonne politique criminelle serait d’inclure les autorités turques dans le combat contre le crime organisé et non pas de les exclure… ».

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3.2 La Caucasie méridionale : entre les grandes puissances mondiales et régionales et les enjeux des “trois mers”

Au versant sud du Caucase, la région examinée ici correspond à celle qu’occupent actuellement trois pays : la Géorgie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Les trois ont une caractéristique historico-politique commune à savoir d’avoir fait partie de l’ex-URSS20. Le versant nord fait partie de la Fédération de Russie et constitue donc une problématique géopolitique en soi telle qu’il en ressort de l’affaire tchétchène. Avec la Turquie, ces trois pays se présentent comme des bandes terrestres qui relient “trois mers” : la Caspienne, la mer Noire et la Méditerranée et s’ouvrent vers l’Asie centrale.


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Carte 11. La Caucasie Méridionale

En soi déjà, le nom de la région n’est guère dépourvu de signification. Le dictionnaire la fait figurer sous les vocable Transcaucasie ou pays du Caucase, alors qu’il s’agit spécifiquement et géographiquement de la versant méridional du Caucase. La première appellation fait évidemment référence au point de vue de Moscou, ville par rapport à laquelle la région se trouve au-delà de la chaîne de montagne du Caucase. La seconde dénomination fait d’une façon ambiguë allusion à “des pays”, alors qu’il en a bien plus que les trois déjà nommés et ce, au nord et au sud de la chaîne. La troisième manière d’appeler cette région est la nôtre: la Caucasie méridionale qui, à mes yeux, paraît la plus neutre.


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La région dispose donc d’un territoire de dimension semblable à celui des trois pays baltes, mais a une population totale qui est le double de celle de ces derniers pays. Des frontières infiniment trop longues par rapport à des populations faibles. Comme les pays baltes dans le Golf de Finlande, les pays de la Caucasie méridionale se présentent comme une région géopolitiquement fragmentée, localisée près de la Russie et, plus ou moins, contrôlée par des grandes puissances proches ou éloignées.

Par rapport aux données géographiques et géopolitiques, les forces armées sont peu significatives, sauf pour l’Arménie et encore. Fort modeste, le PIB par habitant de la région à parité de pouvoir d’achat est de quelque € 2.500 à 4.000. Il peut être, à titre indicatif, comparé à celui de la Turquie (6 600), de la Hongrie (12 400) ou de la Belgique (25 000)21. L’Arménie et la Géorgie souffrent d’une dépendance énergétique sérieuse. L’affiliation religieuse dans les trois pays s’avère nettement diversifiée.


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Carte 12. La Géorgie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie

Leur étude géopolitique s’inscrit à la suite de celle de la Turquie. Comme d’habitude, elle fait l’hypothèse de la multiplicité géographico-historique, mais de l’unicité géopolitique. Elle s’organise en une analyse d’abord de la dimension intérieure, puis de la dimension extérieure de nature fort variée. La forte détermination de l’extérieur accentue le fait que ces deux dimensions se conjuguent comme deux facettes de la même réalité. Mon point de vue reste l’interrogation sur l’opportunité de voir élargir l’UE vers ces pays et comment un éventuel élargissement pourrait être conçu ? Dans l’hypothèse d’une réponse négative à la première partie de la question, il faudra se demander comment l’UE à 27 situera ces pays par rapport à sa propre géostratégie ?

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A. Dimension intérieure

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Région des “trois mers” et multiplicité de peuples

Asiatique ou européenne selon les auteurs, la région est historiquement considérée comme
• un lieu de refuge des peuples devant la pression d’empires divers : perse/iranien, ottoman/turc et russe/soviétique/russe;
• un des lieux de rencontre entre l’Europe et l’Asie, notamment centrale.

En tout cas, elle constitue géographiquement un passage de la mer Méditerranée jusqu’à la mer Caspienne, en passant par la mer Noire. Entre la chaîne du Caucase et le mont Ararat22 se situent les trois pays indépendants de la région. Avec des frontières incertaines, ces pays forment une sorte de coussin de sécurité entre les puissances actuelles et voisines : la Russie, l’Iran et la Turquie. Pour celles-ci comme pour les autres puissances dont avant tout les EUA, les trois sont ipso facto des terrains de chasse à buts multiples

On y distingue des dizaines et des dizaines de langues et d’ethnies différentes. L’Islam comme la Chrétienté y sont présents sous de multiples dénominations23. L’histoire du Caucase explique l’hétérogénéité de sa population actuelle. Des empires multiples l’entouraient ou dominaient tels que les empires mongol, perse, arabe, ottoman, russe et soviétique. Autochtones réfugiés dans la montagne, envahisseurs de toutes origines, tour à tour fixés dans le pays et refoulés par les vagues suivantes, fugitifs échappés à de plus lointaines convulsions politiques ont constitué cette toile bigarrée de races et de langues

Obstacle aux communications nord-sud, la chaîne, peu découpée, difficilement pénétrable, a longtemps été isolée des pays russes. Historiquement, la seule route gardée militairement était la route stratégique de Vladicaucase (Ordjonikidze) à Tbilissi, à mi-chemin entre les mers Noire et Caspienne. La colonisation russe avait fait venir dans les régions caucasiennes plus de trois millions d’Européens en majorité slaves qui les ont quittées depuis l’éclatement de l’URSS, à l’exception des villes. Les liaisons ferroviaires vers la Russie longent soit la mer Caspienne, soit la mer Noire. Elles sont actuellement bloquées par les conflits locaux, dans lesquels les guérillas diverses, - islamistes ou maffieux -, et la Russie, voire les EUA se trouvent chaque fois impliquées.

La montagne caucasienne se dépeuple, historiquement, au-dessus de 1000 m au profit des plaines ou des hauts plateaux: il ne resterait que quelques centaines de milliers de pasteurs transhumants. La sédentarisation s’opère dans les zones d’irrigation, autour des ports (Bakou, Batoum et les centres balnéaires de la mer Noire), autour des centres miniers. Plus récemment, l’exode massif frappe l’Arménie et la Géorgie devant la crise socio-économique. Il est difficile d’évaluer, en termes numériques, l’importance exacte de ces pays méridionaux en ce qui concerne la population et l’économie. Elles rassembleraient plus de 16 millions d’habitants. Certains estiment le chiffre bien plus réduit, faisant suite à l’émigration importante à tous azimuts. Le contraste entre les grosses agglomérations, villes nouvelles et villes-champignons, rappelle celui qui existe dans les pays neufs de Sibérie et d’Asie centrale: Bakou et Tbilissi dépassent chacun le million d’habitants.

Les “trois mers” et leurs implications

L’insertion de la Caucasie méridionale dans le contexte du “système des trois mers” constitue en soi un enjeu non négligeable. D’une part, l’enjeu consiste à passer ou à ne pas passer par le territoire de la Russie pour l’évacuation d’hydrocarbures par des multinationales américaines et subsidiairement européennes. D’autre part, la mer Caspienne est entourée de cinq pays24 qui, chacun, souhaite en contrôler le maximum en raison de ses richesses énergétiques. Il en va de même des EUA avant tout, ainsi que de la Russie et de l’UE. D’où la contestation de son statut juridique, c’est-à-dire le problème du partage des fonds sous-marins entre les Etats riverains; d’où aussi des alliances naturelles et contre-nature; d’où enfin des incidents fréquents, même militaires. Outre les acteurs Etats, les grandes compagnies pétrolières y jouent un rôle encore plus importants pour le partage des ressources énergétiques, en suivant ou en précédant leurs Etats protecteurs.

De son côté, la mer Noire est une voie maritime et bon marché de transit pour l’évacuation du pétrole par bateaux. Cependant, pour atteindre la mer Méditerranée, le passage par le Bosphore et les Dardanelles, tous deux contrôlés par la Turquie, peut représenter des difficultés. Reliée sur le réseau existant de bases centre-européennes entre la Baltique et les Balkans, l’installation des bases militaires de Washington tant en Bulgarie qu’en Roumanie renforce la présence américaine sur la mer Noire. Le caractère international de celle-ci permet cependant le passage sous-marin. A ce propos, il est intéressant de signaler l’achèvement de la construction du gazoduc Russie-Turquie long de 1 393 km et passant sous la mer Noire. Cette construction diminue évidemment la dépendance énergétique de la Turquie par rapport aux ressources arabes, caucasiennes ou centre-asiatiques.

La mer Méditerranée dont surtout la mer Adriatico-égéenne demeure centrale pour les forces armées américaines en raison de la présence de la VIe flotte et le dense réseau de bases militaires, de l’Espagne jusqu’à la Turquie, aussi bien que de la coopération militaire avec Israël, la Jordanie et l’Egypte. Elle est une voie maritime prioritaire vers les champs d’hydrocarbures et pour l’évacuation du pétrole. Par la force de “projection militaire”, elle permet d’atteindre aisément tous les pays de la partie méridionale du centre de l’Europe et de la Russie, autant que du Moyen-Orient et de la Caucasie méridionale. Elle offre une pénétration économique concurrente à celle de l’UE sur les rives nord-est, est et sud.

Un tracé alternatif pour acheminer des hydrocarbures traverserait, vers le port de Bourgas en Bulgarie, la mer Noire pour arriver en Grèce ou en Albanie, du côté de la mer Adriatique. Cette voie contournerait le parcours terrestre en Turquie, mais le passage par la mer Egée serait susceptible de créer des tensions entre la Grèce et la Turquie. Quoi qu’il en soit, Moscou signe en 2006 un accord avec la Bulgarie et la Grèce pour résoudre ces problèmes.

Une nouvelle zone de tensions géopolitique : la mer Noire25

Après la Méditerranée et la Baltique, ainsi qu’après l'élargissement de l'UE à la Roumanie et à la Bulgarie, la mer Noire devient donc la troisième mer de l'Europe, avec son lot d’enjeux variés : les futures routes des hydrocarbures, de divers conflits territoriaux, la stabilité des Balkans et de la Caucasie, les migrations clandestines, les trafics d'armes et de drogues... Pendant la guerre froide, elle n'était qu'une zone figée, partagée entre le bloc communiste - qui, de la Géorgie à la Bulgarie, détenait le plus long rivage - et, au sud, la Turquie, membre de l'OTAN depuis 1951. La portion contrôlée aujourd'hui par Moscou se limite à une bande allant de la ville balnéaire de la mer Azov jusqu’à la Géorgie, c’est-à-dire jusqu’à la région sécessionniste géorgienne d’Abkhazie. La flotte russe mouillant à Sébastopol a en principe le droit d'y rester jusqu'en 2017. Membres de l'OTAN, la Roumanie et la Bulgarie accueillent déjà des bases militaires américaines depuis le début des années 1990.

La mer Noire est un espace constellé de conflits dans la résolution desquels l'UE joue un certain rôle. Ils concernent des régions « séparatistes » soutenues par Moscou, qui y maintient des troupes. En Abkhazie, l'ONU a déployé, en 1994, une force de maintien de la paix, cas unique dans la zone de l'ancienne URSS. En Ossétie du Sud et en Transnistrie, l'OSCE tente, en vain, depuis des années de jouer les médiateurs. L'espace de la mer Noire est en réalité devenu une zone de confrontation entre deux orientations : l'une euro-atlantiste et l’autre euro-asiatique.

Depuis 1993, le projet européen TRACECA vise à développer une nouvelle "route de la soie", dotée d'une dimension énergétique, reliant Asie centrale, Transcaucasie, mer Noire et Europe centrale. Le projet de gazoduc Nabucco relierait l'énorme champ de Shah Deniz, en Azerbaïdjan, à la Hongrie et l’Autriche, en passant par la Géorgie, la Turquie, la Bulgarie et la Roumanie, en évitant la Russie. La société russe Gazprom aimerait soit y coopérer, soit neutraliser cette concurrence potentielle en obtenant que le gazoduc Flux bleu se prolonge vers le centre de l’Europe. Entre la Russie et la Turquie ce gazoduc est déjà réalisé sous la mer Noire et qui, à terme, pourrait se brancher sur Nabucco.

Long de quelques 1 760 kilomètres, l’oléoduc entre Bakou azéri sur la mer Caspienne, Tbilissi et Batoumi géorgiens et Ceyhan, port turc dans la Méditerranée, se réalise désormais avec le soutien de la Russie, mais à des coûts élevés. La tête du consortium est British Petroleum. La Russie même conclut en 2002 un accord préliminaire avec la Géorgie portant sur la construction d’un oléoduc de raccordement entre le terminal russe de Novorossisk et l’oléoduc mentionné ci-dessus. Cet accord marquerait un rapprochement euro-russo-américain en ce qui concerne le contrôle de la Caucasie méridionale. Mais rien de définitif n’existe dans cette perspective. Achevé également en 2005, le gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzerum (au centre de la Turquie) s’organise parfois en conflit, parfois en coopération avec le grand groupe gazier russe Gazprom, notamment en Géorgie. Derrière le projet se trouve la multinationale pétrolière BP. A plus long terme, le projet permettrait de transporter le gaz naturel de Turkménistan par une liaison à encore à définir. Toutefois, les rapports entre l’Azerbaïdjan et le Turkménistan sont tendus pour pouvoir négocier rapidement un tel prolongement du gazoduc projeté. De leur côté, les EUA tentent, par tous les moyens, de décourager la Géorgie de coopérer avec la Russie avec laquelle elle serait tentée de signer un accord à long terme pour son approvisionnement en gaz. Cet accord permettrait à Gazprom de fournir du gaz à la Turquie et à l’Arménie.

La promotion de la vision atlantiste a débouché, ces dernières années, sur l'apparition de plusieurs organisations régionales, parrainées à des degrés divers par les EUA : le GUAM (Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan, Moldova, en 1997), la Communauté de choix démocratique (2005), enfin le Forum de la mer Noire pour le partenariat et le dialogue, né, en juin 2006, sous l'égide du président roumain Basescu, proche de Washington. La Russie, qui ne fait partie d'aucune de ces structures, a, en particulier, mal pris la création du Forum, financé par des fondations américaines. Les EUA ont mis tout leur poids dans la balance, dès le début des années 1990, pour faire de la mer Noire une zone importante d'évacuation des hydrocarbures d'Asie centrale, contournant la Russie. L'oléoduc BTC, qui relie l'Azerbaïdjan à la Turquie, ainsi que le gazoduc entre Bakou et Erzerum (Turquie) résultent de cette politique. En accédant aux rivages de la mer Noire, l'UE se trouvera obligée de regarder de plus près les tensions qui parcourent cette zone, après y avoir laissé le plus souvent les EUA occuper le terrain. Non sans raison, la Russie est convaincue de faire l'objet d'un vaste plan « d'endiguement ».

En novembre 2006, aux termes de l’accord signé à Busan en Corée du Sud, le « Transasiatique » reliera 28 pays le long de ses 81.000 km de voies. L’Azerbaïdjan, l’Arménie, le Cambodge, la Chine, l’Indonésie, l’Iran, le Kazakhstan, le Laos, la Mongolie, le Népal, la Corée, la Russie, le Sri-Lanka, le Tadjikistan, la Thaïlande, la Turquie, l’Ouzbékistan et le Vietnam ont signé le document. La Corée du Nord, le Kirghizstan, la Géorgie, la Malaisie, Singapour, le Pakistan et le Turkménistan le signeront prochainement.

La Transasiatique sera composée de quatre sections, selon les modalités acceptées pour ce projet qui date d’une quarantaine d’années. Il y aura
= un couloir du Nord qui couvrira la Péninsule de Corée, la Russie, la Chine, la Mongolie et le Kazakhstan,
= un couloir du Sud qui reliera la Chine du Sud à la Caucasie méridionale et à la Turquie, ainsi que vers la Birmanie, l’Inde et l’Iran,
= un couloir Indochine-ASEAN qui reliera Brunei, le Cambodge, l’Indonésie, le Laos, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam.
= le couloir Nord-Sud qui assurera la connexion entre les hautes et basses régions de Russie, ainsi que celle entre l’Asie Centrale et l’Iran.
Ces indications géographiques montrent le caractère un peu approximatif de ce projet. Il révèle néanmoins le rôle croisant de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) dans l’aire eurasiatique et s’avère donc d’une grande importance géopolitique.

En avril 2008 à Bakou, les représentants des structures du transport de l’Asie Centrale, la Chine, la Corée, les Pays Baltes et les membres de l’UE réunissent en vue du développement des corridors du transport au GUAM, les projets fondamentaux dans le secteur de transport, le développement du secteur et autres questions figurent au menu de la conférence. Il faut noter que, l’Azerbaïdjan préside le Conseil de transport de GUAM.

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L’économie locale fort dépendante encore du relief et des richesses du sous-sol

La région appartient manifestement au domaine alpin, caractérisé par des plateaux et vallées. Elle constitue une défense naturelle contre les envahisseurs, tandis qu’elle se prête évidemment à des guérillas de type tribal par vallée. Aujourd’hui, elle comporte cependant plus d’inconvénients que d’avantages en termes de fragmentation des peuples, d’obstacles naturels et d’organisation administrative. La mise en valeur des ressources énergétiques hydrauliques de la haute montagne n’intéresse jusqu’à présent que le « piémont ». Les grands systèmes sont actuellement en fonction, notamment à Mingetchaur, en Azerbaïdjan, où un immense lac artificiel retient les eaux des rivières Alazani, Iouri et Koura qui descendent des plus hauts sommets du Caucase oriental, et autour de Tbilissi géorgien, où plusieurs réservoirs retiennent des eaux utilisées pour l’irrigation, pour le ravitaillement de la capitale et du centre industriel de Roustavi.

Des gisements d’hydrocarbures sont localisés dans les bassins sublittoraux sur la Caspienne. Ces bassins assurent chacun des productions annuelles de plusieurs millions de tonnes pour l’Azerbaïdjan. Ici, évidemment, il ne faut pas oublier des gisements d’hydrocarbures qui se trouvent sur les territoires de Kazakhstan ou de Turkménistan et dont l’évacuation se fait par la Russie et en partie à travers la Caucasie méridionale. - Le secteur de la cimenterie azérie est entièrement contrôlé par la suisse Holcim et représente la prise de contrôle étrangère la plus importante en dehors du secteur pétrolier. Sur le plan agricole, c’est en millions d’hectares irrigués qu’il faudra évaluer les progrès réalisés à l’époque soviétique: comme l’Asie centrale, ces régions ravitaillaient en vin, en fruits tropicaux, en textiles les zones plus peuplées, et au niveau de vie plus élevé, de l’Ukraine et de la Russie.

La partie occidentale appartient au bassin de la mer Noire, drainé par le Rion et ses affluents: c’est la Géorgie des plaines, la plus fertile et la plus peuplée. Sur les terrasses et les flancs de la montagne se concentre une population groupée en gros villages qui connaissent la culture industrielle du thé et les cultures vivrières, oléagineux et maïs. Ici, le secteur de l’électricité est dominé par l’américaine AES. L’Abkhazi est habité par les turcophones. Cette circonstance explique une forte présence de la Turquie et du capital turc.

La partie centrale et orientale se compose du bassin plus vaste de la Koura qui réunit une population sur les bas plateaux et les collines du pays de Tbilissi. C’est la seule grande ville, née au carrefour des deux routes nord-sud et ouest-est, cœur de la Géorgie, ancien marché qui devient ville administrative et industrielle (textile d’abord, puis industrie métallurgique: fer et métaux non ferreux). Elle a été rénovée par la proximité du combinat sidérurgique de Roustavi. Vallée moyenne et basse vallée de la même Koura sont couvertes de steppes: les cultures sèches forment des oasis au milieu de vastes étendues pastorales. La construction du barrage-réservoir de Mingetchaur a permis un certain développement de ces cultures. Le littoral caspien forme une région sublittorale originale et est favorisé par des précipitations plus abondantes.

Les pays arméniens restent peuplés, du moins dans les zones de cultures et de ressources. Le relief se compose encore de quelques chaînes plissées. Les épanchements volcaniques y atteignent des dimensions énormes et des chaînes de cônes dominent le bassin du fleuve Araxe. Enfin, les bassins profonds, enfoncés dans la masse montagneuse, les uns remplis par les eaux (lac Sevan), les autres remblayés de dépôts récents (Leninakan et surtout Erevan) contribuent à découper en grandes masses un relief qui évoque celui des hauts plateaux d’Asie Mineure. L’irrigation de type traditionnel a permis le développement de l’agriculture au fond des bassins de l’Araxe.

Concentrant la majeure partie de la population, les villes sud-caucasiennes sont entourées de banlieues maraîchères et de vergers, de l’implantation de combinats textiles et des industries de métaux non ferreux, cuivre, plomb et zinc. Rien qu’à Erevan, la capitale, vivent plus d’un million d’habitants sur une population totale de 2,5 à 3 millions.

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Conflits militaires et organisations politiques depuis 1988/91

A côté des trois républiques indépendantes: Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie, il existe trois républiques autonomes en Caucasie méridionale : une rattachée formellement à l’Azerbaïdjan: le Nakhitchevan (300 000 hab.)26, ainsi qu’une à la Géorgie: l’Abkhazie (538 000 hab.)27. De plus, il y existe deux régions autonomes, dont une rattachée en principe à l’Azerbaïdjan: le Nagorny Karabakh (192 000 hab.); une autre à la Géorgie: l’Ossétie du Sud (99 000 hab.). Chacune de ces entités comporte des minorités importantes28.

Cet assemblage de peuples, sauf pour les plus grandes unités, ne correspond à aucune réalité historique. Il fut le fruit de la combinaison de trois facteurs: les dépeçages de type colonial opérés par l’Empire russe; ceux pratiqués à son tour par l’Union soviétique en formation; enfin, les manipulations, déplacements et massacres de populations dus aux conquêtes tsaristes du XIXe siècle et aux soubresauts de la politique soviétique depuis les années 1940. Par exemple, l’Ossétie est rattachée pour les deux tiers à la Russie, pour un tiers à la Géorgie. Le Nagorny Karabakh, peuplé avant occupation de 80% d’Arméniens, dépend en principe de l’Azerbaïdjan, mais aujourd’hui se trouve occupé par l’Arménie et habité exclusivement par des Arméniens.

En fait, les frontières actuelles représentent historiquement des limites imposées aux républiques par les rapports de force de l’époque de la soviétisation de la région au début des années 192029. Aussitôt que la possibilité s’est présentée en 1989/1991, les trois jeunes pays devenus indépendants ont été marqués par une série de conflits internes, de nature irrédentiste ou sécessionniste, auxquels se sont ajoutés, en Géorgie et en Azerbaïdjan, divers coups d’Etats, des mutineries et des rébellions, l’Arménie restant plus consolidée sous le contrôle de la Russie. Ce dernier cas peut apparaître paradoxal, puisqu’en 1989/1991 l’Arménie parut le pays le plus antisoviétique de la région. En réalité, l’intérêt croissant des grandes puissances y ont constamment modifié, entièrement ou seulement partiellement, les zones d’influence.

Depuis l’indépendance, la région connaît une série de tentatives de déclarations d’indépendance unilatérales par rapport à des républiques ou régions autonomes. C’est le cas en Géorgie pour les districts d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. C’est aussi le cas en Azerbaïdjan pour Nagorny Karabakh dont la population est arménienne et en Arménie pour Nakhitchevan, enclave appartenant à l’Azerbaïdjan. L’ensemble de la région souffre des conséquences de ces nombreux conflits, ce qui entraîne des mouvements migratoires et des modifications ethniques, ainsi que des crises socio-économiques persistantes. Parmi les conflits, le plus important s’inscrit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, et a un caractère géoéconomique classique. Certes, il constituait un facteur de rivalité entre la Russie et la Turquie, l’Iran gardant une position plus neutre. Mais il correspondait également à une lutte entre grandes compagnies pétrolières, notamment américaines, européennes et russes.

Globalement, on peut considérer qu’en raison d’instabilités socio-économiques parfois aiguës, le régime politique de chacun des trois pays est aussi empreint de déséquilibres multiples : quelle que soit la grande puissance qui y exerce son influence, l’élite ex-soviétique garde la haute main sur les leviers du pouvoir; de graves luttes ethniques ou de classes; de corruption et terrorisme internes, mais surtout d’origine étrangère; la baisse du niveau de vie de moitié environ par rapport aux années 1970 ou 1980; de chômage et déplacements de populations etc. Une certaine amélioration ne s’observe qu’en Azerbaïdjan grâce à l’exploitation et à l’exportation du pétrole. Mais une répartition inégalitaire croissante entraîne la pauvreté qui augmente encore plus rapidement. Les trois pays, à régime présidentiel et bénéficiant d’élections plus ou moins libres, ne sont guère considérés comme des exemples de démocratie, comme par exemple les événements de 2003 à 2008 en Géorgie le montrent.

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Géorgie: un triumvirat sous la protection des EUA

La Géorgie a connu un changement entre les ex-membres du parti communiste soviétique et leurs descendants plus jeunes. Il n’y avait pas de « révolution », mais plutôt un changement de clans et de générations, les uns plus corrompus que d’autres en novembre 200330. A l’instar des pratiques latino-américaines, Washington soutient, comme d’habitude, les dirigeants aussi autoritaires que possibles et dont le passé n’est guère sans tache. Le déroulement du “quasi coup d’Etat” de Tbilissi m’apparaît tout à fait similaire à ce que l’on vit réussir à Belgrade en 2000 ou à ce qui, jusqu’ici, n’a pas été couronné de succès partiel en Ukraine. Il semble bien que les droits humains soient modérément respectés dans le pays et où, entre autres, on déplore le fait que dans les prisons la torture soit toujours pratiquée par la police et que l’information s’avère de moins en moins libre.

On se rappellera que la prise de pouvoir Géorgie est menée à bien sous la direction de trois amis, les “jeunes poulains” du président déchu et membres éminents du “nomenklatura” soviétique: l’actuel président (Saakashvili), le premier ministre (Zvania) et la présidente du Parlement (Bourdzanadze). Au début de février 2005, le premier ministre s’est empoisonné au monoxyde émanant d’un chauffage défectueux, semble-t-il. Désormais, le triumvirat se réduit à un duumvirat. Peu de jours après, le ministre de défense a démis un grand nombre d’officiers supérieurs qui sont à la tête de l’armée. Leurs renvois sont contestés par les intéressés qui considèrent que seul le président de la république y est habilité. Or, ce dernier déclare de son côté qu’il n’a pas signé le décret ministériel en question. A ce propos, il convient de se rappeler que l’armée se trouve sous le contrôle de Washington au travers d’une série « d’officiers conseillers » américains. La Géorgie reste sous la “surveillance” du Conseil de l’Europe en matière du processus de démocratisation du pays.

G. Bezhuashvili a été nommé ministre des Affaires étrangères géorgien en 2005, à la suite de la démission contrainte de Salome Zourabichvili qui antérieurement a fait partie de la diplomatie française et a été “donnée” à ce pays par le président Chirac. Le nouveau chef de la diplomatie géorgienne passe pour un fidèle du Président Saakashvili et de sa ligne proaméricaine. Les partisans de Salome Zourabichvili expliquent cependant qu'elle aurait été sacrifiée pour plaire au Kremlin.

Les nouveaux dirigeants géorgiens ne sont pas encore parvenus à régler les problèmes économiques et sociaux, dont la corruption, hérités des autorités précédentes, ni à améliorer les conditions de vie de la majorité de la population, comme ils l'avaient proclamé initialement. De nouveaux problèmes se sont ajoutés à ceux qui n'ont pas été résolus. Il s'agit en premier lieu de la croissance du chômage, qui résulte de la libéralisation et des privatisations entamées dans le pays et de la réduction de l'appareil d'Etat. Les actions de protestation de la population, les plus massives jamais organisées depuis l'arrivée au pouvoir des nouvelles autorités, qui ont eu lieu en mars 2005, puis en 2007 dans différentes régions de Géorgie, témoignent de la croissance de la tension sociale dans le pays mais fait apparaître la capacité répressive du pouvoir en place. Ces protestations sont de prime abord d’ordre politique mais peuvent aussi être provoquées par les coupures d'électricité dues à une panne et par l'introduction d'un calendrier rigoureux prévoyant l'alimentation en électricité pendant seulement quelques heures par jour.

Comme l’Ukraine, la Géorgie est également en négociation avec la Russie à propos du gaz naturel qui lui est fourni. Washington lui fait aussi le chantage pour qu’elle fournisse des soldats entraînés déjà par l’armée américaine pour l’Irak et l’Afghanistan au lieu de laisser développer un conflit avec la Russie à propos du prix du gaz ou des régions géorgiennes sous contrôle russe. Jusqu’ici, la Géorgie reçoit des fonds américains substantiels et si l’on les évalue les plus importants sur base du nombre par habitant. En novembre 2005, le président a fêté son avènement en présence des chefs d’Etat d’Ukraine, d’Estonie et de Roumanie. Cette représentation reflète sans doute une certaine configuration d’alliance.

La réputation « pro-occidental » du président Saakachvili cache mal le mécontentement populaire dont les manifestations du début de novembre 2007 à Tbilissi ont montré l'ampleur et la profondeur. Le malaise a plusieurs causes dans un contexte de tutelle américaine du pays. Le président annonce des élections législatives et présidentielles pour janvier 2008. L'opposition est faible et divisée. Elle a trouvé un semblant d'unité en passant très vite de l'exigence d'élections législatives rapides - pour lesquelles elle n'est d'ailleurs pas prête - à la revendication de la démission du président. Le président lui-même a usé et abusé de la carte antirusse et Moscou l'a bien aidé en multipliant les provocations. Mais cette carte fait d'autant moins recette que la privatisation a livré une grande partie de l'économie géorgienne à des financiers russes ou kazakhs.

Le soi-disant nouveau régime géorgien n’est guère convaincant ni du point de vue socio-économique, ni des droits humains31. Le mécontentement comme les manifestation anti-gouvernementales croîtrait rapidement dans le pays et ce, d’autant plus, que le régime ne parvient pas s’entendre avec sa puissante voisine du nord. C’est ce qui signifie que la Géorgie a de plus grandes difficultés d’exporter vers ses marchés traditionnels et ne réussit pas à réintégrer les territoires seccessionistes, même si l’on peut avoir des doutes sur sa faisabilité et son opportunité.

Rappelons que les jeunes dirigeants géorgiens ont été formés aux EUA et Washington les entoure de « conseillers » nombreux. Il boucle les fins de mois de l'Etat géorgien, forme ses militaires et investit massivement dans la reconstruction d'une armée à ses soldes. En mai 2006, Tbilissi inaugure sa première base militaire aux normes de l'OTAN. Une seconde, elle aussi largement financée par les EUA est mise en chantier. Du coup, la Géorgie a, en octobre 2006, amorcé un « dialogue intensif » avec l'OTAN qui ne serait que le premier pas vers l'adhésion. Certes, Moscou redoute un effet domino. Si la Géorgie entre dans l'OTAN, l'Arménie voisine pourrait envisager de faire de même. L'Azerbaïdjan suivrait, et toute la Caucasie méridionale ex-soviétique serait définitivement contrôlé par les EUA. Puis, de proche en proche, c'est l'Asie centrale qui risquera de basculer.

Il convient enfin de rappeler que la Géorgie applique une législation qui limite fort des “libertés démocratiques” face à l’introduction d’une politique de libéralisation et de privatisations. Les différents dirigeants géorgiens prétendent que tantôt 90%, tantôt 80% des Géorgiens soient partisans de l’adhésion à l’OTAN, alors qu’aucune preuve n’en existe (Die Welt, 22.9.2006 & Frankfurter Allgemeine, 23.9.2006).

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Azerbaïdjan

En automne 2003 s’institue une “dynastie républicaine” des Aliev en Azerbaïdjan par les élections du fils du président en fonction en nouveau président du pays, alors que le père régna dans le pays depuis plus des années 1970. On peut faire des observations qui suivent:
• le pays se trouve en zones d’influence contestées entre la Russie et les EUA, ces derniers y étant largement impliqués en termes militaires et pétroliers, ainsi que dans le soutien à la « dynastie » Aliev;
• il est en conflit avec l’Arménie et donc indirectement avec la Russie qui maintient des bases militaires dans la précédente;
• les dirigeants actuels poursuivent des consultations ou des négociations avec la Russie autant qu’avec l’Iran qui ont l’art d’énerver les EUA;
• le clan du président et ses alliés locaux et riches, l’ambassadeur américain bien sûr, mais surtout le directeur britannique de la compagnie pétrolière BP responsable du oléoduc de la mer Caspienne jusqu’à la mer Noire, et de l’exploitation pétrolière, ainsi que les représentants de la compagnie pétrolière américaine Chevron gèrent, ensemble, ce pays en constant appauvrissement pour la majorité de la population.

La présidence héréditaire des Alievs fonctionne et constitue une garantie aux EUA. Le président actuel arrête simplement ses adversaires, sinon opère des arbitrages entre les groupes ou clans qui ont des stratégies peu convergentes pour profiter de la manne pétrolière. Les droits humains n’y sont évidemment guère respectés, en tous cas bien moins qu’au Bélarus par exemple. La question se pose comment la classe dominante utilisera-t-elle les recettes pétrolières actuelles et futures, ainsi que les redevances de transit? Dans les dix prochaines années, ces recettes d’Azerbaïdjan seraient de l’ordre de € 80 milliards pour une population d’environ 8 millions. La coopération militaire intense se poursuit entre Washington et Bakou. Faisant suite aux élections au début de novembre 2004, il a paru intéressant d’observer que les Américains et les Russes d’une seule voix ont considéré que ces élections s’étaient déroulées selon les normes internationales ce que les représentants de l’OSCE niaient. Quelles normes ont-elles été choisies par ces grandes puissances, ces champions incontestables de la démocratie ?

Le gazoduc transcaspien devrait transporter le gaz d'Asie Centrale en Azerbaïdjan à travers le fond de la mer Caspienne, puis vers la Géorgie et la Turquie et enfin jusqu'en Europe. Les partenaires en seraient la Commission européenne, l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan, la Géorgie et le Turkménistan. En novembre 2007, la Commission européenne déclare que l'enquête de faisabilité économique du gazoduc transcaspien donne un résultat positif. Les questions sur l'impact écologique du projet, sa compétitivité face aux propositions alternatives et d'autres questions ont été traitées. Une fois cette nouvelle conduite achevée, elle devrait être connectée au gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzeroum (BTE). L'UE prévoit que la région de la Caspienne fournira quelque 15% du gaz européen (non russe) d'ici 13 ans. Il faut encore en convaincre Moscou... La zone restera donc instable durant les prochaines années. Il n'y a qu'une seule question qui n'aura pas été abordée : c'est le statut de la mer Caspienne ! La Russie considère qu'en l'absence d'accord sur la délimitation et la répartition des fonds sous-marins, de tels projets sont impossibles à mettre en œuvre.

A la mi décembre 2007, les services de sécurité d'Azerbaïdjan ont arrêté 15 personnes pour actes de trahison et de sédition envers l'Iran. Les 15 suspects auraient transmis des informations particulièrement sensibles, concernant les intérêts américains, britanniques et israéliens dans le pays, à des agents iraniens. Ces récentes arrestations auraient deux implications distinctes. D'une part, et de manière négative, ces arrestations démontreraient que l'Iran reste actif dans la recherche d'informations sensibles. Et, d’autre part, l'Azerbaïdjan démontre ainsi sa volonté de coopérer de manière active avec les EUA et Israël. Déjà en 2001, sous la présidence de Heyar Aliev, le régime de Bakou déclare que sa position dans le combat contre le « terrorisme international » est en accord avec les positions israéliennes. En effet, l'Azerbaïdjan et Israël coopèrent de manière ininterrompue depuis une dizaine d'années. Israël aide régulièrement en équipements militaire et en renseignements le régime de Bakou. Les arrestations survenues la semaine dernière démontreraient encore une fois l'efficacité et l'importance de cette coopération.

La course aux armements devient une réalité en Azerbaïdjan. Sur un plan purement militaire, les armées azerbaïdjanaises et arméniennes sont sensiblement équivalentes en termes de volumes. De nombreux experts cependant font valoir un meilleur entraînement et équipement côté arménien, mais le rapide développement azerbaïdjanais pourrait remettre en cause l’équilibre actuel. Non seulement les autorités militaires azerbaïdjanaises procèdent à des achats massifs d’armements modernes et sophistiqués, mais elles se sont lancées dans un rapprochement à marche forcée vers les standards de l’OTAN. C’est ainsi que cette année, un général turc - la Turquie constitue le pion le plus avancé de l’OTAN en direction du Caucase et de l’Asie centrale - devrait être nommé auprès du ministre azerbaïdjanais de la défense pour mener à bien, d’ici 2011, l’ambitieux programme de développement des forces armées.

Les autorités du territoire sécessionniste ou indépendantiste de la Transnistrie moldave se joignant à celles de l’Abkhazie et de l’Ossétie du sud dans la Caucasie ont en 2006 décidé de constituer de « troupes de paix » afin de sauvegarder leur indépendance et, en 2008, de s’affirmer comme des territoires souverains. Elles considèrent en outre que l’indépendance déjà obtenue par le Monténégro et par le Kosovo constituent des précédents significatifs pour chacun d’elles.

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Arménie

A l’initiative du président fort autoritaire Robert Kocharian, l’Arménie organise un référendum en novembre 2005. Le but de la votation est de faire ratifier par le peuple des modifications constitutionnelles proposées en s’alignant, semble-t-il sur les “exigences européennes”. Ces modifications visent à élargir le pouvoir du gouvernement et du parlement afin d’éviter des “scénarios ukrainien ou géorgien”.

Entre la Turquie et l’Arménie, le dialogue s’est ouvert à fin avril 2005 grâce à un échange de lettres entre les deux capitales. Rappelons que la Turquie a reconnu l’Arménie comme pays indépendant, mais depuis 1993 a fermé ses frontières avec ce pays. La fermeture a été motivée par la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, allié de la Turquie. L’échange de lettres pourrait simultanément préparer la reprise des relations diplomatiques et éclairer le rôle de la Turquie dans les événements en 1915 aboutissant aux massacres de centaines de milliers d’Arméniens.

Des hommes d’affaires arméniens et turcs se sont prononcés en janvier 2007 pour l’ouverture de la frontière entre les deux pays, fermée en 1993, dans le cadre d’une conférence internationale organisée à Erevan par les EUA. Le ministre des affaires étrangères d’Arménie a rendu une visite privée à Istanbul. Actuellement, les Arméniens utilisent les voies de communication géorgiennes et iraniennes chères. Si la frontière est ouverte, ils utiliseront les ports de la Méditerranée pour sortir sur les marchés internationaux ce qui leur coûtera moins cher. La Turquie a fermé la frontière avec l’Arménie en 1993 à la suite du conflit au Nagorny Karabakh, enclave séparatiste en Azerbaïdjan contrôlée par ses habitants arméniens soutenus par Erevan. Des produits turcs arrivent en Arménie via la Géorgie voisine et de nombreux Arméniens passent leurs vacances en Turquie. L’importation des produits arméniens est interdite en Turquie.

Menées secrètement depuis 2004 et officiellement au début de l’année 2006, les négociations continuent entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan à propos du territoire de Nagorno-Karabakh grâce à la médiation de l’OSCE. S’étendant sur 31 000 mètres carrés (comme la Belgique), ce territoire considéré en droit international comme azer, mais habité principalement par des Arméniens, est occupé par l’Arménie depuis 1994. L’Arménie prétexte à juste titre que Nagorny Karabakh est majoritairement habitée d’Arméniens et dès lors revendique son rattachement. En décembre 2006, 98,6% des électeurs ont approuvé le projet de Constitution du Nagorny Karabakh lors d'un référendum.

Depuis quelques années, les EUA s’intéressent beaucoup à l’Arménie face à la Russie qui la “protège” et l’Iran. C’est dans ce cadre que l’on comprend l’importance de la construction d’une des ambassades américaines de plus importantes à Erevan en Arménie. Cependant, l’Azerbaïdjan ne peut se permettre de mal se positionner par rapport à l’Iran car il n’a, suite à ses mauvaises relations avec l’Arménie, accès à son enclave Natchivan que par le territoire iranien.

Des élections législatives ont eu lieu en mai 2007. Le taux de participation a été de 59,9 %. Le Parti républicain du Premier ministre, Serge Sarkissian, arrive largement en tête, avec 32,9 %, suivi de Arménie prospère, 14,7 % et de la Fédération révolutionnaire, 12,7 %. Selon les observateurs de l’OSCE et de l’UE, le scrutin s’est « en général » déroulé dans de bonnes conditions, ce qui n’avait pas été le cas en 2003, fraudes et irrégularités ayant été nombreuses. L’opposition a néanmoins dénoncé certains faits, comme la disparition de bulletins de vote et la distribution de pots-de-vin devant les bureaux de vote.

En mars 2008, Serge Sarkissian, dont l’élection en tant que président du pays a précipité la violence politique à Erevan, espère que des liens plus étroits avec la Russie pourront hâter un retour à la stabilité dans ce pays du Caucase sud. M. Sarkissian a exprimé sa gratitude à Moscou pour son soutien au gouvernement arménien dans sa gestion de la crise politique à Erevan. La Russie indique clairement que les actuelles difficultés intérieures de l’Arménie n’affecteraient pas la coopération avec l’Arménie. Ces dernières années, les deux pays ont conclu de nombreuses affaires. Le commerce entre la Russie et l’Arménie a atteint € 500-600 millions en 2007, augmentant de 60 % par rapport à l’année précédente. Moscou a exprimé l’espoir que le commerce bilatéral augmentera dans un proche avenir.

Le commerce entre la Russie et l’Arménie est entravé par des goulets d’étranglement au niveau des transports. Depuis un an, Erevan défend auprès des autorités russes l’accélération de l’ouverture d’un service de ferry reliant les ports russes en mer Noire et la ville géorgienne de Poti, une évolution qui faciliterait les contraintes de l’Arménie au niveau des transports. La décision récente de Moscou d’alléger les restrictions de transport avec la Géorgie laisse espérer que ce service de ferry pourrait débuter sous peu. Un développement notable du commerce bilatéral est intervenu en février 2008, lorsque Atomredmetzoloto, une filiale minière en uranium du monopole nucléaire russe Rosatom, a conclu un accord de partenariat afin de développer ses réserves d’uranium estimées entre 30 000 et 60 000 tonnes.

La Russie s’engagerait à participer à un consortium pour bâtir une nouvelle centrale nucléaire en Arménie. Les deux pays envisagent un accord couvrant la participation de l’Arménie au Centre international d’enrichissement d’Angarsk, dans la région d’Irkoutsk en Russie. Mais une source potentielle de complication concerne les fournitures énergétiques. Les officiels arméniens espèrent s’assurer que la multinationale énergétique Gazprom, contrôlé par le Kremlin, accorde à l’Arménie un prix du gaz préférentiel. L’Arménie paie actuellement 110 dollars pour 1 000 m3 et cet accord tarifaire restera en vigueur jusqu’au 1er janvier 2009. Ce tarif est bien inférieur à celui que payent à Gazprom d’autres anciens Etats soviétiques. Néanmoins, même si Gazprom est enclin à maintenir un taux favorable à l’Arménie, l’actualité semble indiquer qu’Erevan devra faire face à une augmentation tarifaire substantielle en 2009.

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B. Dimension extérieure

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Interventionnisme étranger

La décomposition de l’URSS entraîne l’apparition de nouveaux Etats dont les trois de la Caucasie méridionale. Chaque puissance concernée a dû inventer une nouvelle stratégie. Avec l’encouragement de Washington, la Turquie a choisi dès les années 1980 d’axer sa politique sur l’espace turcophone dont l’Azerbaïdjan. Elle se voyait devenir la porte d’accès et le médiateur entre les EUA et l’Asie centrale. L’Azerbaïdjan continue encore aujourd’hui à renforcer ses liens avec Ankara et fournit un accès facile à la mer Caspienne et vers ses voisins d’Asie centrale. L’Arménie bénéficie du soutien russe et de la bienveillance de l’Iran. La Géorgie de son côté est constamment soumise aux aléas des relations entre Washington et Moscou, alors que ses classes dirigeantes se sont métamorphosées en proaméricains.

Certes et quelque souhaitable que cela puisse paraître, un système de sécurité ou une fédération entre les trois pays sud-caucasiens n’est guère probable dans les conditions politiques actuelles. Il n’est pas favorisé par les grandes puissances qui ne visent qu’à “diviser pour régner”. Les conflits militaires des années 1990 sont fort locaux, mais entachés de l’interventionnisme étranger croissant. Cet interventionnisme profite de l’évanescence de l’URSS, puis de celle de la Russie des années 1990. Néanmoins, cette dernière gardait des positions militaires en Arménie et en Nagorny Karabakh azéri sous contrôle arménien, ainsi qu’en Abkhazie et en Ossétie du Sud. Cette présence militaire s’est avérée totalement insuffisante pour empêcher l’intervention d’autres puissances dans la région et rendre la position géopolitique de la région extrêmement mouvante32.

La pénétration américaine et russe

Depuis 2003, quand le renversement du pouvoir géorgien est acquis, les conflits russo-géorgiens deviennent continuels : affaires espionnages, avions abattues, embargos divers, suspensions des liaisons de communications, expulsions ou rappels de diplomates, etc. Rappelons que l'armée russe dispose encore en Géorgie de deux bases militaires (Batoumi et Akhalkalaki), mais elles doivent être en principe évacuées en 2008. Néanmoins, la Russie suspend parfois le retrait de ses soldats de Géorgie. A remarquer par contre que de nombreux Géorgiens vivant en Russie envoient régulièrement de l'argent vers leur pays d’origine ce qui tend à indiquer que les relations ne peuvent pas complètement rompues.

On peut affirmer que les EUA - et, par leur intermédiaire, les wahhabites saoudiens et les Talibans afghans -, la Turquie et plus tardivement la Russie y sont impliqués :
• les premiers (i) dans un but d’encerclement de la Russie et de sa coupure géographique par rapport aux pays du Moyen-Orient, aussi bien que (ii) pour des raisons d’approvisionnement en ressources énergétiques caspiennes et centre-asiatiques et de contrôle de voies d’évacuation des ressources d’hydrocarbures et enfin (iii) dans l’optique de constituer une tête de pont face à l’Iran dans la perspective d’une invasion éventuelle;
• la Turquie dans une stratégie d’expansion vers l’Est, notamment vers l’Asie centrale, (i) par la volonté de s’ériger en puissance régionale, (ii) par le désir de maintenir l’entente avec la Russie et (iii) pour des intérêts économiques;
• enfin, la Russie plutôt d’une façon défensive, puis plus offensive, pour sauvegarder une certaine influence dans la région et pour y introduire les grandes compagnies pétrolières et gazières russes.

Ce qui est dès sous-jacent aux relations russo-géorgiennes ce sont à la fois
 l’incorporation tentée du pays dans la zone d’influence américaine par l’intégration de la Géorgie à l’OTAN et
 le contrôle russe des deux régions autonomes de Géorgie : l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud. Dans ces régions, les autonomistes jouissent du soutien de Moscou. Celui-ci s'abstient néanmoins d'encourager ouvertement leur sécession, mais accorde aisément la citoyenneté russe aux habitants de ces régions. L’indépendance du Monténégro et celle de Kosovo incitent les dirigeants de ces deux régions géorgiennes à réfléchir par analogie et à demander l’indépendance.

Au sommet de Bucarest en avril 2008, il est déclaré ce qui suit : « L’OTAN se félicite des aspirations euro-atlantiques de l’Ukraine et de la Géorgie, qui souhaitent adhérer à l’Alliance. Aujourd’hui, nous avons décidé que ces pays deviendraient membres de l’OTAN33, 34 … Nous avons demandé aux ministres des Affaires étrangères de faire, à leur réunion de décembre 2008, une première évaluation des progrès accomplis. Les ministres des Affaires étrangères sont habilités à prendre une décision sur la candidature au MAP de l'Ukraine et de la Géorgie.» (c’est moi qui souligne).

Les relations entre la Russie et la Géorgie sont soumises à la douche écossaise. D’une part, Moscou resserre les liens avec les régions contestées : l’Abkhazie et l’Ossétie du sud qui ont des velléités indépendantistes et ce qui énerve Tbilissi. D’autre part, il offre des consultations en vue de la suppression de l’embargo imposé depuis 2006 contre certaines marchandises géorgiennes telles que le vin et l’eau minérale, ce qui sans doute favorisera grandement le commerce extérieur du pays. Les liaisons aériennes ont déjà été rétablies entre les deux pays. Les tensions diplomatiques entre la Russie et la Géorgie, très vives depuis l'arrestation d'espions russes présumés et la mise en place d'un embargo sur les produits géorgiens par Moscou en 2006. A présent, Moscou propose également le rétablissement des liaisons de transport et des relations postales.

Les autorités géorgiennes ont immédiatement fait appel aux membres du Conseil de sécurité de l’ONU à débattre le cas, avant de participer à des consultations d'urgence avec l'OTAN pour augmenter la pression internationale sur Moscou. C’est cette dernière façon qui signifie l’implication de Washington. Le différend entre ces deux pays intervient deux semaines après que l'Alliance atlantique a promis une adhésion à l'ancienne république soviétique sans toutefois proposer de calendrier, une décision décriée par Moscou. A Washington, l'initiative russe a suscité une grande inquiétude (sic !)

Les activités iraniennes

Quid de l’Iran qui a des frontières communes avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan? Avant la prise du contrôle progressif par la Russie à partir du XVIIIe siècle, l’empire perse contrôla une bonne partie de la Caucasie méridionale. Son éviction de la région est devenue une réalité pendant la première moitié du XIXe siècle. Simultanément, il se sentait constamment menacé par l’empire ottoman et ce qui expliqua sa neutralité pendant la deuxième guerre mondiale. Occupé par les Alliés, le pays subit l’occupation soviétique de l’Azerbaïdjan iranien de 1941 à 1946 et cette occupation ne fut abandonnée qu’en contrepartie d’importantes concessions pétrolières. Les puissances anglo-américaines gardent leur emprise sur l’Iran jusqu’à la Révolution de 1989.

Grâce à la décomposition de l’URSS, les pays sud-caucasiens désormais indépendants constituent un coussin de sécurité géopolitique par rapport à la Russie. Pour la première fois depuis cinq siècles, ce pays n’est non plus le voisin immédiat de l’Iran, successeur de la Perse35. Il reste que, de son côté, l’Azerbaïdjan “rêve” de sa grandeur et considère que 20 millions d’Iraniens septentrionaux sont des Azéris.

L’Iran vise donc à consolider et à stabiliser cette situation qui lui est devenue favorable, tout en sachant que la stratégie russe considère la région comme faisant partie de “l’étranger proche de la Russie”, notamment l’Arménie. Allié assez fidèle de la Russie, ce pays ne semble pas avoir beaucoup de choix, puisqu’il est littéralement coincés entre deux pays sud-caucasiens, d’une part, et la Turquie et l’Iran, de l’autre. Les frontières arméniennes sont depuis plus d’une décennie bloquées du côté azéri et turc. Les relations irano-arméniennes sont satisfaisantes, du moins en termes économiques. Par l’intermédiaire et par le soutien de la diaspora arménienne fort nombreuse aux EUA, l’influence américaine semble y croître.

Pendant les négociations répétées avec Gazprom, le gouvernement géorgien approvisionne le pays grâce aux fournitures du gaz de l’Iran et voudrait conclure des accord de fournitures du même produit avec la Turquie et l’Azerbaïdjan. Sinon, aujourd’hui, l’Iran est quasi absent de la région et ses interventions se limitent à sauvegarder le statu quo. Ses relations avec les pays sud-caucasiens se réduisent par conséquent à des rapports normaux d’Etat à Etat. Son concurrent véritable est la Turquie, ainsi que l’Arabie Séoudite et les EUA eux-mêmes.

Les défis de la nouvelle „Ostpolitik“ de l’UE dans le Caucase du Sud et l’Asie Centrale

Les défis de la nouvelle „Ostpolitik“ de l’UE dans le Caucase du Sud et l’Asie Centrale

La question de fond se présente comme suit : l’engagement de l’UE dans la région du Caucase du Sud et de l’Asie Centrale, c’est-à-dire la nouvelle “Ostpolitik” permettra-t-elle d’ancrer l’UE dans la région comme un acteur à part entière aux côtés de la Russie et des Etats-Unis? Comment l’UE négociera-t-elle sa nouvelle présence sans heurter les sensibilités de la Russie, déjà aiguisées par une présence américaine plus agressive à ses portes? L’UE parviendra-t-elle à développer un modèle alternatif pour la région, basé sur l’intégration, le commerce et les valeurs démocratiques, et tranchant avec la logique de rivalités géopolitiques et militaires, tout en assurant ses propres intérêts sécuritaires et énergétiques? La réponse à ces questions ne peut que refléter les ambiguïtés de la politique de l’UE.

A la suite de l’indépendance de la Géorgie, de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, les relations entre l’UE et les pays du sud-Caucase se sont consolidées dans le cadre de programmes de coopération technique et humanitaire à la portée politique très limitée, mais loin d’être insignifiants sur le plan financier. La région a toutefois gagné une dimension stratégique aux yeux de l’UE ces dernières années. La raison en est évidemment son importance économique et géopolitique, en tant qu’espace de transit et d’approvisionnement en gaz et en pétrole, ainsi que du point de vue de ses conflits intérieurs et interétatiques. L’inclusion des trois pays dans la politique européenne de voisinage (PEV) représente une étape importante et un saut qualitatif dans les relations de ces pays avec l’UE. En outre, la PEV a également pour objectif de soutenir et d’intensifier la coopération dans la région de la Mer Noire, dont les pays limitrophes sont devenus des voisins directs de l’Union depuis l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie.

Le concept de PEV est toutefois ambigu. La PEV veut d’une part consolider la démocratie par le transfert de normes et règles démocratiques. Elle veut par ailleurs créer un “cercle de pays amis” stables d’un point de vue sécuritaire. En même temps, la PEV entend satisfaire les pays partenaires par ses offres et exclure autant que possible la perspective d’adhésion à l’UE. En se limitant à une possibilité d’adhésion vague et axée sur le long terme, l’Union se défait toutefois de son levier le plus élémentaire. Sur un plan politique, le concept d’une PEV escompte de s’élargir dans le contexte de l’initiative Asie Centrale. Le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et, dans cette perspective également, le Turkménistan, sont perçus comme des partenaires dans le combat contre le trafic de drogue, la criminalité organisée, la migration illégale et le terrorisme. Certaines parties de la région jouent parallèlement un rôle essentiel en tant que fournisseurs d’énergie et dans le rôle de corridors de transport.

La pénétration à long terme des Etats-Unis et de leurs alliés en Caucasie méridionale contrarie l’UE mais ne s’explique pas uniquement par le besoin d’exploiter les réserves énergétiques du bassin de la Caspienne et d’Asie centrale. Elle est aussi liée au besoin de contrôler ces régions importantes et leurs moyens de communication, de faire pression sur l’Iran et ses réserves de pétrole, ainsi que d’évincer la Russie des zones où elle était traditionnellement présente. La Géorgie se transformer en zone de transit stratégique pour les initiatives. Dans ce contexte, l’Arménie apparaît comme un point d’appui essentiel pour contrôler la Transcaucasie et pouvoir exercer une certaine pression sur l’Asie mineure.

La Turquie y est aussi présente

La signature d’un accord turco-azer-géorgien sur le lancement de la construction de la ligne ferroviaire Bakou-Akhalkalaki-Kars a lieu en février 2007. Malgré la portée géopolitique du projet, nombre d’observateurs s’interrogent toutefois sur les réels bénéfices à long terme de cette ligne ferroviaire pour la Géorgie. La construction de la nouvelle ligne ferroviaire serait un pas supplémentaire dans la consolidation de l’alliance stratégique entre les trois pays après l’inauguration de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) en juillet 2006 et le début de l’exploitation du gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzurum (BTE). Ces trois projets ont en commun le potentiel de lier l’Europe à l’Asie, qui va au-delà du bénéfice immédiat de l’intégration régionale. Le Kazakhstan a déjà fait part de son intérêt à se joindre aux trois projets, ce qui ouvrirait ainsi à l’Europe une porte vers la Chine.

Mais les similitudes s’arrêtent là. Les acteurs occidentaux présents dans la région sont loin de témoigner le même enthousiasme pour le projet Bakou-Akhalkalaki-Kars que pour les projets énergétiques. Les EUA et l’UE considèrent en effet l’isolement de l’Arménie problématique. A la suite de pressions de groupes de pression arméniens, une loi a été votée par le congrès américain pour opposer le financement de la construction de la voie ferroviaire par des compagnies américaines. L’Arménie a exprimé son opposition au projet Bakou-Akhalkalaki-Kars en invoquant l’existence de la voie ferroviaire Kars-Giumri (Arménie)–Tbilissi. Celle-ci a cessé de fonctionner en 1993 à la suite de la fermeture de la frontière turco-arménienne. L’Arménie affirme qu’elle peut être facilement rénovée, mais l’Azerbaïdjan s’y oppose en posant comme condition préalable à son utilisation que l’Arménie cesse “l’occupation illégale des territoires azéris”.

Les trois pays financeront finalement la voie ferroviaire sans soutien extérieur. Bakou et Tbilissi ont signé un accord en janvier 2007 sur un prêt de € 150 million, octroyé par l’Azerbaïdjan à la Géorgie. Le prêt est remboursable sur une durée de 25 ans et avec un taux d’intérêt annuel de 1%. La Géorgie utilisera les revenus de transit apportés par la ligne ferroviaire pour rembourser ce prêt. Le coût général du projet Bakou-Akhalkalaki-Kars est estimé à € 300 millions. La ligne entre Bakou et Tbilissi existe déjà, mais la Géorgie construira une nouvelle ligne de 29 kilomètres entre la frontière turque et la ville d’Akhalkalaki dans la région de Djavakhétie. De son côté, la Turquie construira une ligne de 76 kilomètres entre Kars et la frontière géorgienne. La section Akhalkalaki-Tbilissi sera par ailleurs rénovée.

Le gouvernement géorgien espère promouvoir le développement économique de la région de Djavakhétie, dont la situation économique risque de se détériorer après la fermeture d’une base militaire russe. Le but est aussi de favoriser l’intégration de la région, peuplée à majorité par des Arméniens, à la Géorgie. En outre, la Géorgie veut consolider son alliance stratégique avec la Turquie et l’Azerbaïdjan, en particulier au regard de l’objectif géorgien de réduire sa dépendance énergétique envers la Russie. L’Azerbaïdjan a, quant à lui, approvisionné la Géorgie en gaz en janvier 2006, en réaction à la dispute énergétique entre la Russie et la Géorgie. Un certain nombre d’observateurs contestent en effet les avantages de la nouvelle voie ferroviaire pour la Géorgie en avançant l’argument de son impact négatif sur le potentiel des ports géorgiens de Batoumi et Poti.

Les ports géorgiens, qui sont en cours de modernisation, et leur future liaison avec les ports de la mer Noire, représentent une source de concurrence sérieuse pour la Turquie. Malgré une apparente convergence d’intérêts entre les deux pays, les ports turcs et géorgiens pourraient bien entrer en compétition dans le futur dans leur position de fenêtres sur l’Europe. En outre, l’UE est elle-même plus favorable à l’utilisation de la Géorgie et de ses ports comme moyens de transit vers les Balkans et l’Europe centrale, en particulier à la vue de l’adhésion récente de la Bulgarie et de la Roumanie à l’UE. L’objectif initial du projet européen Transport Corridor Europe Caucasus Asia (TRACECA) est de relier l’Asie centrale à l’Europe par la mer Noire et les Balkans, plutôt que par la Turquie. L’UE a refusé d’inclure le projet ferroviaire dans les plans d’actions de la « politique européenne de voisinage » avec l’Azerbaïdjan et la Géorgie malgré les demandes exprimées par Bakou et Tbilissi. Le port de Poti a par contre reçu un soutien financier à sa modernisation dans le cadre de TRACECA.

Le problème majeur est finalement le manque d’une stratégie gouvernementale à long terme qui viserait à exploiter le potentiel de la Géorgie comme pays de transit. Le rythme rapide de la privatisation dans le pays fait aussi craindre à certains que le gouvernement pourrait être amené à céder les atouts les plus précieux et stratégiques de la Géorgie.

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La Géorgie américanisée, l’Arménie russifiée ou l’Azerbaïdjan turquisé?

Répétons-le, les trois pays examinés ici sont littéralement soumis aux aléas des forces extérieures à leur région. Leurs marges de liberté s’avèrent réduite. L’idée de Washington vise clairement le contrôle des Balkans, la Turquie et l’Irak, ainsi que la Caucasie méridionale vers l’Asie centrale. C’est le “corridor eurasiatique” rêvé par Washington. Est-ce possible, est-ce réaliste ? Dieu sait. Sans doute, la Syrie et l’Arménie, mais surtout l’Iran constituent-ils des obstacles à la belle continuité territoriale.

L’OTAN, autrement dit les EUA, marque officiellement sa présence dans la région par des programmes du “Partenariat pour la Paix”. Il existe en outre des liens directs entre l’armée des EUA et ces pays. Cela leur donne accès à des contacts avec les forces armées, à des exercices militaires variés, à des aéroports et ports maritimes, etc.., ainsi qu’à diverses formes de coopération militaire ou de renseignements, y compris l’envoi de conseillers et d’agents de police, d’espionnage et de contre-espionnage. Ces liens se présentent ouvertement pour la Géorgie et l’Azerbaïdjan, mais certes ne sont pas étrangers à l’évolution du conflit russo-tchétchène. Le commandement américain en Europe couvre toute la région et fixe, pour ainsi dire, les limites nouvelles pour l’Europe.

Déjà l’administration de Clinton déclarait la Caucasie méridionale “intérêt vital” pour les EUA, en suivant les conseils de Z. Brzezinski. Elle y a envoyé des agents du Corps des Paix et du Partenariat pour la Liberté. Les représentants des universités américaines sont apparus soudain. Ces agents “culturels” préparaient, dès le début des années 1990, l’arrivée des compagnies et de l’armée américaines, en introduisant la seule langue étrangère qui mérite d’être apprise: l’américain. Les ambassades américaines étaient renforcées, y compris avec les agents du FBI et de la CIA. En Géorgie et Azerbaïdjan, les diplomates américains, comme d’habitude, préféraient avant tout coopérer avec les ex-hauts fonctionnaires soviétiques, devenus politiciens autoritaires, aussi peu démocratiques que possible. En Azerbaïdjan, une base militaire de Washington est déjà installée sur presqu’île d’Apsheron sur la côte caspienne.

L’UE par le biais de l’OTAN souhaitait dès 1995, mais en vain, que celle-ci donne certaines garanties de sécurité aux pays autour de la mer Caspienne. Les trois pays sud-caucasiens sont membres du Conseil de l’Europe36 et de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE)37. L’UE renforce aussi sa présence dans la région sud-caucasienne et a établi son ambassade à Tbilissi. Elle lance les projets IRONGATE, PETRA, TRACECA et DANBLAS38 dans les années 1990 qui visent à établir des liaisons méridionales de l’Ukraine jusqu’à la Mongolie, en contournant la Russie et en évitant l’Iran, mais en passant par la Caucasie méridionale. Or des telles liaisons n’ont guère de chance de fonctionner avec un minimum de sécurité sans coopération russe, américaine et, éventuellement, iranienne.

D’aucuns considèrent que “l’aire turque” s’étendrait des Balkans aux confins de la Chine et rassemblerait quelque deux cents millions de turcophones. Cette prétention s’inscrit inéluctablement dans la rivalité turco-iranienne et face à la Russie. Par rapport à un axe est-ouest établi dans les années 1980 et 1990, une opposition s’installerait sous la forme d’un axe nord-sud. Le premier correspondrait à celui de l’Asie centrale-Azerbaïdjan-Géorgie-Turquie-EUA et le second à celui d’Iran-Arménie-Russie, par rapport auquel l’UE marque des sympathies par le biais de coopération avec l’Iran et la Russie. Aujourd’hui, la stratégie de chacune des puissances semble plutôt viser à intégrer ces deux axes et à renoncer à exclure l’un des acteurs en faveur d’un autre.

La Géorgie est concernée, au même titre que l’Albanie, la Croatie et la Macédoine, par une loi adoptée à l’unanimité par le Sénat américain à fin novembre 2006, intitulée «Acte 2006 pour la consolidation de la liberté dans l’OTAN», mentionnant la nécessité de leur adhésion «en temps voulu». Les quatre pays se voient accorder par le budget américain une importante somme d’argent, destinée à les assister dans le domaine de la sécurité. Quoi qu’il en soit, le prix du gaz naturel au mètre cube et livré par Gazprom au pays passe à $ 235 en 2007, alors qu’au même moment le prix en est fixé de $ 130 à l’Ukraine. Par ailleurs, Gazprom annonce qu’il construira un gazoduc jusqu’en Ossétie du Sud avant l’hiver 2007/8.

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Fortune actuelle de la Caucasie méridionale

Un accord est signé en mars 2005 à Bruxelles, entre l’OTAN et la ministre géorgienne des Affaires étrangères, qui autorise le transit via la Géorgie par route, chemin de fer et voies aériennes, du matériel et des troupes placées sous commandement de l’Alliance. Selon l’OTAN, cet accord apporte un soutien important aux opérations de l’Alliance. Il devrait s’avérer très utile pour la mission de sécurité menée depuis août 2003 en Afghanistan… Le porte-parole de l’OTAN a précisé que cet accord s’ajoutait à une foule d’autres arrangements convenus avec la Géorgie. Le texte règle également les dispositions légales et financières du transit de troupes et de matériel39. En avril 2005, Washington négocie la création d’un centre opérationnel pour une “force de réaction rapide” impliquant les pays riverains de la mer Caspienne dont Azerbaïdjan.

Au même moment, les EUA tentent aussi de persuader la Géorgie de ne pas privatiser son réseau de gazoducs au profit de la société russe Gazprom. Soutenue activement par les EUA, l’alliance géographiquement bizarre se développe aussi entre les trois pays baltes et ceux de la Caucasie méridionale. Par ailleurs, toute la presse européenne a remarqué que, pendant la visite du président Saakachwili de Géorgie en Europe occidentale en 2006, son accompagnateur est un citoyen américain qui ne parle pas le géorgien, mais assiste à tous les entretiens. Etait-il un garde du corps, un garde-chiourme, un interprète (sic !) … ? On est en pleine conjecture. En Géorgie, le mécontentement croît et des « manifestations régulières » ont lieu contre le président Saakachvili et son régime depuis 2004. Les critiques lui reprochent son autoritarisme croissant, notamment contre les médias parlés et écrits. Enfin, la corruption et le banditisme mafieux n’ont aucunement diminué dans le pays et les relations avec la Russie se détériorent au détriment du niveau de vie de la population.

La Russie lance l’idée d’une force mixte de protection pour créer une sécurité collective multinationale pour la mer Caspienne40. C’est la CASFOR. Amènera-t-elle l’Azerbaïdjan à devoir choisir comment aligner ses intérêts stratégiques : avec la Russie, ou bien avec les EUA ? L’Azerbaïdjan sert déjà de plate-forme pour des activités de surveillance pour la Russie, qui loue une station radar dans la région de Gabala, et pour les EUA qui ont récemment mis en place deux stations mobiles de radar dans le nord et le sud du pays pour surveiller la mer Caspienne. La CASFOR n’est pas l’unique proposition russe. Un entraînement en Russie pour le personnel militaire fait aussi partie des discussions. La dernière base militaire terrestre russe en Azerbaïdjan, est la station radio Daryal dans la région montagneuse de Gabala. Construite au temps de l’Union soviétique et aujourd’hui louée par la Russie, la station permet à Moscou de suivre la trace des missiles balistiques lancés depuis la région du Golfe persique. Les installations de la station sont situées à 360 kilomètres d’une station radar à la frontière de l’Iran, qui doit être modernisée par les EUA et à 130 kilomètres d’une station semblable située à Agstafa à la frontière de la Géorgie.

Les relations russo-azères servent à vendre des armes à l’Azerbaïdjan, mais aussi à assurer la sécurité du corridor pour le transport des livraisons d’armes à l’Iran via l’Azerbaïdjan. La tension croissante entre Washington et Téhéran augmenterait sans doute le volume des cargaisons d’armes destinées à l’Iran. D’un côté, cette situation donnera plus d’importance à la route maritime de la mer Caspienne, mais les radars américains détecteront tous les mouvements en direction de l’Iran. C’est pourquoi la Russie cherche à utiliser la route terrestre à travers l’Azerbaïdjan. La visite du président russe Poutine à mi février 2006 n’a dû que confirmer l’orientation russe. Quant aux relations russo-géorgiennes assez mouvementés, il y a la question des bases militaires russes en Ossétie du Sud et Abkhazie, les ventes de produits agricoles géorgiens (l’eau minérale et le vin !), l’approvisionnement énergétique assuré par la Russie, des infiltrations organisées par les pays du Moyen-Orient et les EUA à travers le pays vers la Caucasie septentrionale, des exercices militaires russes aux frontières, etc.

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Une première conclusion et ses implications éventuelles

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L’espace caspien-caucasien comme axe pétro-gazier et corridor eurasien

Avec la déconfiture de l’URSS, la Caucasie méridionale devient, pour un temps, un espace géopolitique à remplir. Or, la géopolitique ne connaît pas de vide. Il se remplit immédiatement et les grandes puissances s’y appliquent comme les compagnies pétrolières multinationales41. Cette “conquête” des espaces pétroliers et gaziers ne laisse pas indifférentes d’autres multinationales à la recherche d’autres ressources stratégiques, celles de la Chine par exemple. Les premières tentatives des multinationales datent de la fin des années 1980. Il s’agissait de négociations avec l’américaine Chevron afin de favoriser l’exploitation du gisement de pétrole de Tenguiz au Kazakhstan. De plus, il existait des dissensions croissantes entre l’UE et les EUA concernant l’exploitation des ressources de la Caspienne. L’UE reproche notamment aux EUA de vouloir constamment exclure l’Iran et la Russie.

Le problème de fond géopolitique réside dans l’impossibilité diplomatico-militaire de choisir un trajet d’oléoduc ou de gazoduc garantissant à 100% l’accès direct et contrôlé aux eaux internationales, bien entendu en faveur des multinationales. Tantôt l’instabilité politique locale, tantôt le veto de l’un ou l’autre pays constitue l’obstacle ou manifeste le manque de coopération entre multinationales concernées. C’est ce qui explique qu’en Asie centrale, puis en Caucasie méridionale et enfin au centre de l’Europe, les accords militaires entre une série de pays de ces contrées et les EUA assurent la coopération en matière de gazoducs et oléoducs. Cela explique aussi le choix d’options peu respectueuses des droits humains.

Le corridor pour la construction et l’exploitation de l’oléoduc et du gazoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan bénéficie désormais d’une extraterritorialité en Turquie, en Géorgie et en Azerbaïdjan ce qui l’exempte de l’application de toutes les lois nationales ou internationales. Les accords conclus permettent aux entreprises de faire appel aux forces de sécurité turques pour protéger la partie turque de l’oléoduc de “menaces terroristes” ou de troubles sociaux, sans que ces deux termes soient bien définis. Il en va probablement de même concernant du gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzerum.

Pour évacuer son pétrole et son gaz, la Russie dispose des voies nordiques (mer Baltique et Mourmansk) et des gazoducs à travers des pays du centre de l’Europe, ainsi que celles traditionnelles de la mer Noire. Si le rapprochement russo-américain se vérifie, elle pourra désormais intervenir par le biais de la Caucasie méridionale, voire en Asie centrale et en Afghanistan. Tout ceci correspondrait à un approvisionnement énergétique meilleur de l’UE et les EUA, ainsi qu’à des rentrées financières significatives pour la Russie. En ce qui concerne les pays du sud-caucase, leur sort se résumerait au transit, aussi sûr que possible, ni plus ni moins.

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Domination extérieure et fragilité intérieure

Toute la Caucasie méridionale possède des caractéristiques fondamentales du centre de l’Europe et plus particulièrement dans la partie balkanique ou balte. Certes, comparaison n’est pas raison, mais il est néanmoins frappant que, géopolitiquement et depuis un millénaire, les facteurs suivants sont biens présents dans la région: la détermination plus importante par l’extérieur que par les données intérieures; la fragmentation qui, par elle-même, renforce les puissances environnantes; le contexte géographique qui cache et accueille, enclave et marginalise plus que n’ouvre vers le “grand large”, sauf les littoraux géorgiens ou azéri; enfin, ce qui semble être décisif, ce sont des activités de passage, de transit à multiples facettes, de l’Est vers l’Ouest et vice-versa.

Toutefois, la Caucasie méridionale se distingue du centre de l’Europe par un fait géoéconomique majeur, puisqu’elle correspond à un espace de proximité, riche en ressources énergétiques. Cependant, elle ne représente guère un marché d’absorption intéressant en raison de son faible poids démographique et de son médiocre niveau de vie, comparé au centre de l’Europe ou à la Turquie. Les conflits militaires des années 1990 se sont avérés fort locaux, mais entachés de l’interventionnisme étranger de caractère à la fois militaire et géoéconomique.

De plus, les frontières héritées comme les limites infra-étatiques soulèvent de multiples questions au sein même de la région, car elles ne correspondent guère à des limites naturelles, s’il en existe, ni à des limites ethniques ou linguistiques. C’est cette fragilité historico-géographique qui peut être exploitée à n’importe quel moment par les puissances étrangères, - privées et publiques -, comme cela arrive fréquemment.

Certaines évolutions laissent entrevoir un rapprochement russo-américain en ce qui concerne le contrôle de la Caucasie méridionale, certes sans tenir compte de la volonté des populations locales ou de leurs dirigeants. Cependant, ce rapprochement tendrait à évincer l’UE, la Chine et la Turquie qui semblent poursuivre des stratégies propres dans la région. Il indispose sans doute l’Iran, également. Si tout ceci s’avère exact, l’UE aurait tout intérêt de s’allier avec la Chine prioritairement et bien entendu avec la Turquie et l’Iran afin de pouvoir s’affirmer dans la région et de cette façon de s’assurer une part des ressources énergétiques de la région. Des rencontres de haut niveau en 2008 entre Washington et Moscou tendraient-elles à aller dans ce sens ?

Il reste que le sort de la région se résumerait à être de simple transit, aussi sûr et aussi peu coûteux que possible, sauf si l’UE joue l’alliance de soutien avec les trois pays concernés et se préoccupe du développement de la région.

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Peuvent-ils, doivent-ils devenir membres de l’UE ?

Déjà membres d’institutions européennes majeures qui les classent parmi d’autres pays européens, les trois pays sud-caucasiens sont susceptibles d’introduire une demande d’adhésion à l’UE vers le début des années 2010-12. La majorité des peuples en jeu ont plus à gagner qu’à perdre de l’adhésion, ne fût-ce qu’en diminuant la “sauvagerie” du capitalisme et l’arbitraire des jeux des grandes puissances. D’aucuns soulignent même que le processus de leur adhésion favoriserait la démocratie et, de cette manière, le pluralisme et la tolérance, notamment celle des minorités multiples. Néanmoins, il faut qu’avant cette date, tous les problèmes territoriaux et de frontières soient réglés entre les pays concernés. L’adhésion pure et simple de la Géorgie à l’OTAN n’est guère acquise en raison des réticences manifestes de Berlin et de Paris mais ne doit pas nécessairement constituer un préalable à celle à l’UE.

Tous les gouvernements concernés affichent leur volonté d'intégration européenne. Les pays reconnaissent que l'adhésion ne peut être qu'un objectif lointain, mais ils attendent de l’UE des engagements. Certes, désormais, une plus grande attention est portée à la Caucasie méridionale, non seulement parce que les enjeux énergétiques accroissent son poids international, mais parce que l'élargissement rend nécessaire la stabilisation des Etats situés aux nouvelles frontières de l'Union. L'UE ne veut pas que les conflits ethniques du Haut-Karabakh, de l'Abkhazie ou de l'Ossétie du Sud, à l'image de ceux du Kosovo, entraînent des flambées de violence. En même temps, en matière de « valeurs européennes », les pays de la Caucasie mérididionale doivent encore faire des progrès notables. Il suffit de songer à des élections plus ou moins truquées en Géorgie ou en Azerbaïdjan, des droits humains élémentaires partout, etc.

Certes, du côté de l’UE, le risque de dilution du projet européen ne peut non plus pas être sous-estimé. Encore qu’il faille se rappeler que les EUA se composent de plus de 50 Etats dont la composition ethnique ou religieuse, ainsi que les langues (américaine et espagnole) s’avèrent particulièrement variées. Certains milieux seraient particulièrement favorables à la coïncidence de l’UE avec les frontières “floues” de l’OTAN et, de cette façon, à l’américanisation accrue de l’Europe. Toutefois, d’autres milieux, notamment militaires et dont les convictions sont partagées par beaucoup d’Américains, craignent de renforcer, par l’élargissement de l’UE, l’autonomie de cette dernière en termes géostratégiques face à Washington.

Compte tenu de l’ensemble des considérations ci-dessus, réfléchir à la fixation d’un calendrier des négociations d’adhésion me paraît tout à fait prématuré. Ce qui me semble par contre plus urgent, c’est d’imaginer des formules d’association qui marqueraient franchement les étapes d’une intégration progressive à très long terme de ces pays à l’UE. Entre l’adhésion pure et simple, et des accords d’association comme entre ceux-ci et de simples accords commerciaux, l’UE se doit de proposer des modalités d’intégration politique et militaire à géométrie variable, donc dans l’optique d’une bonne « politique de voisinage ».

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3.3 L’Asie centrale : sans accès à la mer mais puissants voisins ou « protecteurs » lointains

L'expérience historique tend à montrer que plus un pays issu d'un empire éclaté renonce à son passé et plus vite il se développe de manière autonome. Dans ce contexte, les anciennes républiques soviétiques ne sauraient faire exception. De plus, rien ne dit que la désintégration de l'URSS soit chose faite? Si en 1991 l'Union soviétique a été déchirée en quinze morceaux, cela ne signifie aucunement que le découpage ne peut plus se poursuivre ou qu’une réintégration ne soit entreprise. En effet, jusqu'ici aucun processus géopolitique définitif n'a été observé sur le territoire de l'ex-Union soviétique. Nous nous trouvons à l'étape d'un nouveau repartage du monde, à l'étape d'un nouveau redécoupage de la carte géopolitique du monde, y compris en Eurasie. Où cependant, il faut tenir compte du renforcement géopolitique significatif de la Russie depuis l’avènement de Poutine et des hauts des produits d’hydrocarbures.

Or, au moment de l'effondrement de l'empire c'étaient des élites fortuites qui s'étaient trouvées à la tête des nouveaux Etats indépendants. Ces nouveaux dirigeants avaient été à la tête d'organisations communistes, ils avaient dirigé des comités de région et de ville, notamment dans les pays centre-asiatiques. Aussi lorsque l'on aborde la question de la sécurité de cette région, il s'avère que la sécurité doit être assurée par des méthodes adaptées. La politique de refoulement réciproque à laquelle les EUA et la Russie se livrent n’est pas sans danger car en cas de tension importante peut s’éclater un conflit armé. Les choses se passent dans des régions situées à proximité immédiate, une zone historiquement, géographiquement et, chose essentielle, humainement proche à la Russie. Ce qui signifie que la Russie s’applique une géostratégie pour chaque pays. En cas du décès d’un de ces dirigeants ex-soviétiques, l’équilibre du pouvoir peut être mis en question.

Outre l’Ukraine, les sept pays de l’Asie centrale constituent géopolitiquement la région dont l’enjeu est substantiel pour le continent eurasiatique42. D’une certaine manière, ils constituent une sorte de prolongement vers l’Est de l’axe Turquie - Caucasie méridionale ou du celui des « trois mers », mais du point de vue chinois il faut voir le prolongement vers l’Ouest, dans l’axe d’Asie centrale jusqu’à la mer Méditerranée. Comme le sous-titre le suggère ci-dessus, aucun de ces pays n’a accès à la mer43, mais plusieurs d’entre eux recèlent des richesses naturelles considérables. Toute la région est couverte de toutes sortes de réseaux de conduites et de chemins de fer dont l’usage et le contrôle s’avèrent primordiaux.


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Carte 12. L’Asie centrale
Source : inconnue !

Outre cet aspect, l’immense région qu’ils constituent se trouve coincée entre la Russie, la Chine et, d’une façon plus lointaine, l’Inde, sous contrôle britannique avant 1945. De plus, depuis des années 1980, les EUA ont marqué leurs intérêts pour cette région faisant suite à l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS. Ni la Turquie ni l’Iran ou le Pakistan ne s’en sont finalement non plus désintéressés depuis cette période. Dès lors, la région se prête à des rapports de force séculaires entre ces puissances. Ils ne font que s’accentuer depuis la disparition de l’URSS en 1991 et la « montée en puissance » de la Chine (voir Partie 4).

Les convoitises des grandes puissances et celles des multinationales pourraient à terme
o soit contribuer, par une sorte de neutralisation de la région44, au désenclavement de la région, à sa stabilisation politique et à son développement socio-économique,
o soit susciter des guerres civiles ou intra-régionales et/ou des interventions militaires à haute ou à basse intensité de ces puissances par un « processus d’instabilités constructives ».

Il n’est pas question ici de fournir une analyse complète de cette situation enchevêtrée à la fois au sein des pays concernés et en fonction du développement des rapports de force évolutifs et instables déterminés de l’extérieur à la région. La grande étendue du territoire, la diversité ethnique et religieuse, et des évolutions politiques propres de chaque Etat exigeraient des études longues et approfondies. Néanmoins, la position unique des pays sur le continent eurasiatique justifie de les aborder brièvement ici.

Dans le contexte de cette partie, il convient ainsi d’esquisser le cadre dans lequel la région peut être géopolitiquement saisie dans un but analytique. Avant d’y procéder, rappelons que, sauf l’Afghanistan et la Mongolie, les pays concernés ont tous une caractéristique historico-politique commune à savoir d’avoir fait partie de l’ex-URSS45 ou d’avoir été un des pays « satellites » de cette dernière avant 1989. La Mongolie se distingue cependant de la région mongole de la République populaire de Chine46 et l’Afghanistan n’en a été que dans les années 1980.

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Frontières sans fin et dépendance extérieure


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La partie occidentale du « Turkestan » dit russe, longtemps dénommé Asie centrale soviétique, comprend, depuis 1991, cinq États indépendants qui ont succédé aux Républiques socialistes soviétiques. Elles portent le nom : au nord, le vaste Kazakhstan; au sud, imbriqués d'ouest en est, le Turkménistan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kirghizstan. S’y ajoute la Mongolie qui n’a jamais été une république soviétique, mais une « satellite soviétique » comme les pays au centre de l’Europe. Enfin, il existe historiquement un Turkestan afghan situé au nord de l'Hindou-Kouch avec ses prolongements montagneux au beau milieu de Afghanistan. Au sud de ces chaînes se trouve le territoire afghan de la région frontière du Pakistan. Nous retenons l’Afghanistan comme un pays centre-asiatique qui depuis deux siècles est l’objet du « grand jeu » de la région.

Les frontières de la région sont longues et parfaitement arbitraires, quels que soient les critères généralement utilisés. Le caractère arbitraire s’explique par les politiques de la colonisation et par des diverses invasions depuis des siècles. Il s’agit en plus d’un immense territoire avec une population clairsemée, mais avec des frontières quasi uniquement terrestres, d’un dessin parfois absurde. La Mongolie y est le seul qui n’a pas de contact terrestre avec les autres pays centre-asiatique et n’a des frontières qu’avec la Chine et la Russie. Militairement, la région comme telle et chaque pays en particulier se défendent fort mal.

Au sud-est, la vallée de Fergana en fournit un exemple parfait. Elle est la plus grande oasis d'Asie centrale (22.000 km²) qui traverse le Kirghizistan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan. Elle est riche de coton, de vergers et du pétrole. Elle fut partagée entre ces trois pays à l’époque de l’URSS. Ce partage sème, encore aujourd’hui, la zizanie entre les peuples de la région qui sont séparés par des frontières désormais internationales; il a fracturé son développement économique et empêche toute exploitation rationnelle de ce territoire politiquement déchiqueté. Ces circonstances facilitent évidemment l’intervention des puissances extérieures et la transformation de la région en terrain des rapports de force pacifiques ou armés47.

De l’est à l’ouest, la région s’étend sur quelque 4 000 kilomètres et, du nord au sud, à peu près sur la moitié de cette distance. La partie nord - nord-ouest est presqu’entièrement une gigantesque plaine48 difficilement défendable, tandis que, plus au sud-est, les différents pays sont montagneux se prêtant à de guérillas ou des guerres civiles, voire à de guerres de libérations ou de défense intenses. Les occupations variées durant les millénaires s’expliquent par la première position géographique. Les invasions de l’Afghanistan en 1979 et 2002 illustrent parfaitement la seconde. Les forces militaires des pays concernés témoignent d’une insuffisance face à ce relief de la région et ne suffisent qu’à des escarmouches locales et au maintien de l’ordre établi.

Le climat est continental et fort sec avec des étés très chauds. Deux déserts s’étendent dans la zone : en Ouzbékistan, au désert noir (KaraKoum) se joint le désert rouge (Kyzyl-Koum) et le Gobi sur cheval à la frontière sino-mongole. La région est partiellement alimentée par deux fleuves importantes : l’Amou-Daria de 1400 kilomètres de long partant du Pamir et aboutissant dans la mer d’Aral et le Syr-Daria de 3 020 kilomètres de long, traversant l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et surtout les steppes du Kazakhstan. La région du grand lac Balkhach est riche en eau, mais de façon géographiquement limitée. Dans le sud-est, par rapport aux besoins considérables, les possibilités d’arrosages restent tout à fait déficientes. D’où en général la question de l’eau est primordiale dans la région centre-asiatique.


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L’importance du seul Kazakhastan l’emporte sur l’ensemble des autres pays centre-asiatique, son PIB dépassant la somme des PIB des autres. Le PIB par habitant correspond à un niveau bien plus élevé pour les deux pays fournisseurs d’hydrocarbures : Kazakhastan et Turkménistan. L’Ouzbékistan est autosuffisant en hydrocarbures et exporte l’or et le coton. Dans ces trois pays, les réserves actuelles prouvées de pétrole atteignent un niveau trois fois supérieur à celui de la mer du Nord. Les réserves de gaz naturel y sont aussi considérables, notamment en Turkménistan.

Ces pays producteurs d’hydrocarbures sans accès à la mer doivent également faire face au développement nécessaire des réseaux d’oléoducs et de gazoducs. Toutefois, ce développement coûte fort cher et exige une technicité élevée. L’évacuation et la vente des produits demandent une coopération internationale et une entente avec des multinationales pétrolières. Leur réalisation implique un financement et un endettement, ce qui également signifie dépendance. Cette dépendance s’accentue par celle de pays clients dont, à terme, les multinationales peuvent toujours diversifier leurs sources d’approvisionnement. L’exploitation des champs d’hydrocarbures au bord de la mer Caspienne rencontre enfin des difficultés juridiques et de transports.

Les économies non pétrolière (Kirghizistan, Afghanistan et Tadjikistan) s’enrichissent des exportations de certaines matières premières dont les prix sont en hausse. De son côté, la Mongolie surtout exporte à présent beaucoup de cuivre. Le commerce à l’intérieur des pays de l’ex-URSS garde toutefois toute sa portée, excepté pour les cas de la Mongolie et l’Afghanistan. En ce qui concerne la première, sa proximité et son niveau de développement par rapport à la Chine explique les données, alors que pour le dernier l’exportation massive mais clandestine de l’opium doit affecter les données statistiques et est orientée vers l’Europe et les EUA.

Globalement, le niveau de vie des citoyens n’a pas encore atteint aujourd’hui celui des années 1980. L’enrichissement des cercles dirigeants serait partout spectaculaire. Les inégalités de revenus et des fortunes, ainsi que les disparités régionales se creusent ainsi depuis l’indépendance des pays d’Asie centrale. S’y ajoute enfin la dégradation des infrastructures publiques qui est attribuable aux dotations budgétaires insuffisantes. Une nette baisse de l’espérance de vie en résulte. Cette situation socio-économique n’est certes pas un facteur de stabilité pour les pays concernés.

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Quelques autres données et leurs commentaires


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Au Sud-est, les trois capitales Tachkent, Bichkek et Douchambe se trouvent à une distance l’une à l’autre ne dépassant guère le millier de kilomètres ce qui est peu dans la région centre-asiatique, alors que les autres capitales se situent à fort grandes distances. Cette proximité relative les incitent à des stratégies où varient rapidement des moments de conflits et de coopération, notamment face à des opposants entre autres musulmans.

La significative présence russe au Kazakhastan et les minorités ouzbèks au Kirghizstan et au Tadjikistan alimentent des tensions dans les pays concernés et surtout à la vallée Fergana. Le multiethnisme et la diversité religieuse en Afghanistan expliquent sans doute les difficultés au niveau de la dimension politique proprement interne. La présence chiite en Afghanistan occidental commande ainsi un impact réel d’Iran majoritairement chiite dans le pays. On sait par ailleurs que les Pashtouns se trouvent massivement sur la frontière pakistano-afghanes de part et d’autre. D’où, dès les années 1980, la possibilité d’intervention du Pakistan dans les affaires afghanes avec le soutien – ou en dépit de celui-ci - de Washington. Il en était de même, mais dans une moindre mesure, pour les Soviétiques grâce aux Tadjiks et Ouzbeks avant la décomposition de l’URSS.


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Aucune corrélation ne se tient devant ces indications. L’adhésion à l’Islam souvent évoquée comme source de terrorisme n’est souvent qu’une des modalités d’exprimer une opposition aux régimes autoritaires. Les grandes puissances font preuve d’une attitude « prudentielle » devant le non respect des droits humains de leurs alliés. La situation en Asie centrale en matière de droits humains se détériore en réalité ce qui pourrait à terme devenir aussi une source d’instabilités. Les gouvernements profitent de la « guerre contre le terrorisme » pour s'attaquer aux libertés et aux droits humains. C’est le cas des mesures prises par certains gouvernements d'Asie centrale en réaction à des menaces pesant sur la sécurité régionale ou nationale, notamment en Ouzbékistan. A l’instar d’autres pays dits démocratiques, ces mesures s’avèrent souvent disproportionnées et discriminatoires.

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Un nouveau centre de force eurasiatique en cours de création?

Jadis, les pères de la géopolitique disaient: quiconque possédera la Méditerranée possédera le monde entier. Sentence qu'on pourrait périphraser: quiconque contrôle le robinet d'un oléoduc ou d'un gazoduc a toutes les chances de devenir un nouveau pôle du monde. C'est la raison pour laquelle la décennie à venir sera marquée par une lutte pour le contrôle des ressources énergétiques de l'Asie centrale. Et les problèmes de la sécurité dépendront du rapport de forces entre les principaux acteurs géopolitiques.

Il ne fait pas de doutes que la lutte pour l'accès aux réserves d'hydrocarbures de l'Asie centrale et de la Transcaucasie est l'un des éléments importants de la sécurité, ou de l'insécurité dans la région. C'est aussi ce qui explique les rivalités économiques et les guerres du transit, mais également les "révolutions colorées". Au fur et à mesure qu'augmenteront les besoins en hydrocarbures centrasiatiques changeront le ton et la rhétorique des déclarations de l’UE, d'autres organisations internationales ou d'Etats isolés à l'égard des pays d'Asie centrale. Elle n'aurait aucun intérêt à rechigner à défendre leurs intérêts économiques même au détriment de ses "valeurs morales". Sinon, comment expliquer le fait qu'ils importent du pétrole en provenance des pays du Golfe sans pour autant subordonner cette coopération aux droits de l'homme ou à d'autres choses.

Comme on le sait, l’UE fond ainsi beaucoup d'espoirs sur la construction du gazoduc Nabucco traversant la Turquie. Naturellement, l'UE ne s'attend pas à un revirement radical de la situation, ni à l'apparition d'un nouveau pôle d'influence, pour la bonne et simple raison que les leviers avec lesquels elle pourrait faire pression sur les autorités locales lui font défaut. Dans cette optique, la prudence des dirigeants ouzbeks et azerbaïdjanais semble tout à fait logique. Par ailleurs, l'Iran voisin souhaiterait éviter d'être entièrement cerné de pays proaméricains.

Deux ans avant les attentats « terroristes » aux EUA de 2001, le Congrès américain approuve, de son côté, une stratégie que l’on appelle celle « de la route de la soie ». Cette stratégie prévoit un déploiement américain de la Caspienne à la chaîne Tien Shan (entre le Kazakhastan et la Chine) pour défendre les trois intérêts américains dans la région : la sécurité et la présence militaires ; les ressources naturelles dont notamment les hydrocarbures ; la démocratie à la manière américaine49. En préparation de l’invasion américaine de l’Afghanistan en 2002, trois pays accueillent les Américains (forces armées et multinationales) : le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan et les multinationales deviennent actives dans région. Cette intrusion de Washington provoque fort logiquement le rapprochement accru entre Moscou et Beijing. Aujourd’hui, il ne reste de bases américaines qu’au Kirghizistan et encore : le gouvernement kirghiz n’autorise désormais pas l’utilisation de la base de Manas pour des avions AWACS qui, jusqu’à 2005, effectuèrent des vols de reconnaissances dirigés contre la Chine et d’autres pays de la région.

Le triangle Russie-Chine-Inde deviendrait une structure solide depuis le début des années 2000 faisant suite à la pénétration américaine en Asie centrale. La Chine a abandonné l'ancienne confrontation avec ses grands voisins du nord, de l’ouest et du sud qui prenait parfois la forme d'incidents frontaliers sanglants et a opté pour la politique de partenariat. Son économie en croissance rapide réclame la stabilité. Un autre point de convergence des intérêts des trois pays est la lutte contre ce qu’ils appellent le « terrorisme international ». La Russie au Caucase, l'Inde au Cachemire et la Chine dans le Xinjiang. Ils souffriraient dans la même mesure des fondamentalistes et des extrémistes islamiques dont le Pakistan et l'Afghanistan sont les bases principales. C'est l'une des raisons évoquées pour laquelle la Chine cesse de soutenir le Pakistan et choisit la coopération avec l'Inde.

En août 2005, au terme des exercices militaires russo-chinois, Moscou annonce la tenue prochaine d'exercices des armées russe, chinoise et indienne. On se rappellera que dès 1998 l'ancien premier ministre russe Evgueni Primakov émet l'idée du triangle stratégique Russie-Chine-Inde. A l'époque, elle semblait utopique car les contradictions mutuelles paraissaient insurmontables. Maintenant, les relations interétatiques changent et on voit apparaître les éléments de base d'un tel partenariat militaire. D'autant que tous les trois pays sont unanimes dans leur volonté de mettre un terme à la stratégie américaine du monde unipolaire et de créer leur propre centre de force, encore que l’Inde conclut un accord avec les EUA en matière de coopération nucléaire en 2006. L’accord n’est cependant pas encore ratifié.

L’échec militaire patent des EUA en Afghanistan, puis en Irak est à présent suivi par l’échec diplomatique partiel dans les pays centre-asiatiques. Au moment de leurs indépendances, ces derniers sont favorables à Washington au début des années 1990, mais les brusqueries et l’ignorance de ce dernier, ainsi que le retour de la Russie sur la scène eurasiatique modifient les donnes. A Bichkek, Washington réussit cependant à maintenir sa base militaire, alors qu’en 2005, l'OCS, dont la Russie et la Chine font partie, demande aux EUA, de fixer la date limite de la présence de leurs bases en Kirghizie et en Ouzbékistan. A mi-octobre 2005, le chef de la diplomatie américaine a fait état de ses idées à propos de l’Asie centrale à Moscou. Selon Washington, les EUA n’ont pas intention de créer des nouvelles bases militaires dans la région, après que l’Ouzbékistan les ont expulsé de la base Chanabad.

Les EUA viseraient par contre à créer une alliance militaire contre l’Iran et subsidiairement contre la Russie en associant le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Cette alliance organiserait également la protection des sources énergétiques de Washington. De son côté, la Russie précise avec insistance qu’elle ne souhaite pas un deuxième cas afghan en Asie centrale ce qui pourrait signifier qu’elle n’est guère d’accord avec les avancées américaines dans la région, quelle qu’elles soient. En Afghanistan, l’OTAN intervient, pour la première fois « hors-zone », avec des troupes terrestres en situation de combat en été 200650 et par la reprise entière des activités d’occupation. Du point de vue militaire, la situation apparaît sans espoir face aux résistances locales, à la guerre civile, à la « retalibanisation » et à l’épanouissement de l’économie d’opium qui lui est sous-jacente.

Le Kazakhstan continue, jusqu’en 2050, à garantir à la Russie l’usage de Baïkonour comme lieu de tirs et d’expériences balistiques. Les plus grands investisseurs du pays sont les EUA, c’est-à-dire leurs multinationales. Les autorités compétentes autorisent par ailleurs l’acquisition du groupe pétrolier kazakh Petrokazakhastan (PKZ) par le groupe chinois étatique CNPC en 2005. Le prix convenu s’élève à € 3,3 milliards. La société kazakhe contrôle 15% de la production pétrolière et une des trois raffineries du pays. Astana multiplie ses initiatives avec la Chine : construction de gazoducs et d’oléoducs dont l’un est déjà achevé, liens par chemins de fer, etc. En juin 2006, les dirigeants kazakhs et azers signent aussi un accord qui vise à construire un oléoduc reliant les champs pétroliers de Kazakhstan à la Turquie, en traversant en bateau la Caspienne. De leurs côtés, les EUA militent auprès du Kazakhstan pour qu’il fasse dégager son gaz naturel à travers la Caucasie méridionale et vers la Turquie.

La Russie ferait par contre tout pour empêcher que l’Ouzbékistan laisse traverser son territoire par un gazoduc du Turkménistan vers la Chine. Or, en avril 2006, l’accord entre ces deux pays est signé. Le Turkménistan s’engage à fournir du gaz naturel à la Chine par un gazoduc de 4 000 kilomètres de long et traverse le Kazakhstan et l’Ouzbékistan. Cet accord pourrait freiner les fournitures du Turkménistan vers la Russie et l’Ukraine, voire vers l’Europe occidentale par le biais de Gazprom. C’est d’autant plus probable que, toujours en 2006, le Turkménistan signe un autre accord de vente de gaz à l’Iran. Le Japon et le Kazakhstan signent également un accord de coopération en avril 2006. Cet accord porte sur l’exploitation de l’énergie atomique et sur l’accès de l’uranium kazakh aux multinationales japonaises. Un même type d’accord est acquis entre le Kazakhstan et la Russie depuis janvier 2006. Le Kazakhstan commence à nouer des relations accrues avec l’UE depuis cette même année.

En promettant la neutralité et la continuité, le président du Turkménistan, Gourbangouly Berdymoukhammedov, qui a été élu avec près de 90% des voix en 200851, a quelque peu refroidi l'ardeur de ceux qui rêvaient de contrôler les livraisons de gaz turkmène. Plus en plus il devient clair qu'aucun changement radical par rapport à la politique d'antan n'est à attendre. Riche en hydrocarbures, le Turkménistan attire de nombreux acteurs. Mais s'il intéresse certains en tant que fournisseur, il séduit d'autres en tant que levier potentiel de pression sur les consommateurs. D'où la différence des approches du dossier gazier: certains préfèrent maintenir le statu quo, d'autres prônent la diversification des exportations de gaz en proposant de construire des gazoducs de remplacement: via la mer Caspienne vers l'Europe, via l'Ouzbékistan et l'Afghanistan vers le Pakistan, ou encore à destination de la Chine...

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L’ Organisation de Coopération de Shanghai

La Chine se joint à la Russie pour nouer des relations avec le Kazakhstan, la République kirghize, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan dans le cadre de l'Organisation de Coopération de Shanghai (SCO). Depuis 2005, l'Iran a le statut de membre observateur à la SCO. À son tour, l’OCS a des liens avec l'Organisation du Traité de Sécurité Collective (CSTO), un accord de coopération militaire associant la Russie, l'Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, la République kirghize, et le Tadjikistan. En octobre 2007, la CSTO et la SCO ont signé un Mémorandum d'Entente posant des fondements de coopération militaire entre les deux organisations. Cet accord SCO-CSTO implique la création d'une véritable alliance militaire entre la Chine, la Russie et les États membres de la SCO/CSTO. Il est bon de noter, qu'en 2006 la CSTO et de la SCO ont tenu des manœuvres militaires communes qui coïncidaient avec celles menées par l'Iran.

Ces exercices militaires ne sont pas des événements isolés. Ils feraient partie d’un projet conçu en réponse à l’escalade militaire des EUA. Ils visent à démontrer les capacités militaires des pays en question et à décourager une action militaire américaine. Les exercices de l’OCS et de l’OTSC doivent aussi être examinés en relation avec la structure des alliances militaires. Tant la Russie que la Chine sont des alliées de l’Iran, au sein des accords de coopération militaire. La Chine et la Russie sont des acteurs majeurs dans le pétrole de l’Asie centrale et du bassin de la mer Caspienne. Ils ont aussi des accords de coopération économique avec l’entreprise pétrolière d’Etat iranienne.

Les dirigeants de la Chine, de la Russie et des pays d'Asie Centrale se rencontrent à mi août 2007 à Bichkek en Kirghizstan au sommet de l'OCS. La réunion vise, entre autres, à contrer l'influence américaine, avant d'assister à de spectaculaires exercices militaires conjoints en Russie. Les présidents chinois Hu Jintao et russe Vladimir Poutine ont rejoint les dirigeants du Kazakhstan, du Kirghizstan, du Tadjikistan et de l'Ouzbékistan à ce sommet. Les observateurs ou invités y étaient le Turkménistan, l’Afghanistan, l’Iran, la Mongolie, l’Inde et le Pakistan. Les six pays membres nient avoir formé une alliance anti-occidentale mais beaucoup d'analystes estiment que l'OCS s'affirme progressivement comme un contrepoids à l'expansion américaine dans la région.

Il n’est pas sans intérêt de mentionner que le communiqué publié met en évidence, trois domaines prioritaires :
1. la création d’une zone dénucléarisée à délimitation un peu floue au centre de l’Asie,
2. la volonté de se préoccuper de l’Afghanistan,
3. la coopération énergétique.
Ainsi, entre autres, les Etats membres de l’OCS veulent coopérer étroitement dans la réforme de l'ONU, qui doit être basée sur de larges consultations entre ses Etats membres. Ils sont pour un renforcement de la stabilité stratégique et s'oppose à la prolifération des armes de destruction massive. Ils soulignent importance du traité signé au Kazakhstan qui vise la création d'une zone dénucléarisée en Asie centrale. Ils saluent les progrès réalisés par la structure régionale anti-terroriste de OCS et reconnaissent son grand potentiel pour la « structure de coopération dans la lutte contre le terrorisme, le séparatisme et l'extrémisme ».

Ils sont préoccupés par la menace des drogues provenant d'Afghanistan et l'atteinte qu'elles portent à l'Asie centrale. Ils appellent à élargir la coopération anti-drogue au sein de OCS et à créer une zone de sécurité autour de l'Afghanistan grâce aux efforts internationaux. Ils sont prêts à participer aux efforts visant à normaliser la situation politique en Afghanistan, à promouvoir la coopération économique avec l'Afghanistan. En matière énergétique, ils sont d'accord pour établir un partenariat fiable et mutuellement bénéfique en faveur de la sécurité et de la stabilité dans la zone OCS et dans le monde entier. Ils soulignent la nécessité urgente de faire une comparaison sur les stratégies énergétiques entre Etats de la OCS

L'organisation demeure modestement financée mais des exercices militaires spectaculaires se sont déroulés en 2007 en Chine et dans l'Oural russe où les présidents de. Pour la première fois tous les pays de l'OCS participent à ces exercices intitulés cette année "Mission de Paix 2007" et qui impliquent quelque 6.500 soldats, essentiellement russes et chinois, et 36 avions militaires. Selon certaines informations, le scénario de ces exercices antiterroristes est en fait "basé" sur la répression sanglante du soulèvement antigouvernemental de mai 2005 à Andijan en Ouzbékistan. Rappelons que l’armée américaine a dû retirer en 2005 sa base militaire d'Ouzbékistan. Bichkek fait à son tour pression sur Washington, souhaitant une augmentation du loyer de la base américaine sur son territoire qui sert de soutien logistique aux forces de la coalition en Afghanistan, alors que Moscou espère multiplier les effectifs de sa base au Kirghizstan. En août 2005, la Chine et la Russie ont déjà organisé leur premier exercice militaire commun, la "Mission pour la Paix 2005".

Relations avec la Chine et avec la Russie

En août 2007, la Chine et le Kazakhstan conviennent de prolonger un oléoduc afin qu'il relie le territoire chinois à la mer Caspienne, ce qui donnera à Pékin un accès direct à une région sous contrôle kazakh riche en ressources énergétiques. La convention prévoit de prolonger de 700 km vers l'ouest l'oléoduc Atasou-Alashankou, afin de le relier à la Caspienne, qui abrite de nombreux gisements de pétrole et de gaz kazakhs. L'oléoduc qui relie actuellement Atasou (Kazakhstan) à Alashankou (Chine) a une longueur de 966 km. En outre, des accords sont signés dans les secteurs de l'énergie et des métaux notamment. Les deux pays décident enfin de faire passer par le territoire kazakh un nouveau gazoduc en projet entre le Turkménistan et la Chine, consacrant ainsi le Kazakhstan comme "pays de transit" après des mois de négociations. Le gazoduc doit être construit d'ici à 2009 pour acheminer 30 milliards de mètres cubes de gaz en Chine.

Des nouvelles routes relieront la Région autonome ouïgoure du Xinjiang chinois à la Russie, au Kazakhstan, à l'Ouzbékistan, au Tadjikistan, au Pakistan, à l'Iran, et même la Turquie. Le projet entre dans la logique de Beijing de développer l'ouest du pays, économiquement moins prospère que la partie est. La plus importante de ces routes partira d'Urumqi, capitale du Xinjiang, et passera par Tachkent (capitale de l'Ouzbékistan), Mashad (Iran) ou encore Istanbul (Turquie) pour ensuite atteindre l'Europe. Elle sera longue de 1680 km et devrait être ouverte en 2010 selon l'Administration chinoise du transport de la Région autonome du Xinjiang.

La Russie perdrait ses positions discrétionnaires dans les économies des ressources naturelles de l’Asie centrale. La Chine renforce en revanche les siennes, déjà solides, dans le secteur pétrogazier. Le ministère de l’Energie et des Ressources minérales du Kazakhstan a fait savoir en novembre 2007 qu’il étudiait la demande de la compagnie publique China International Trust & Investment Corp. portant sur l’achat des actifs pétroliers de la société canadienne Nations Energy. Rappelons qu’en 2005, la compagnie pétrolière chinoise CNPC achète pour € 3,1 milliards la compagnie PetroKazakhstan à laquelle prétendait également Lukoil. Les compagnies chinoises exploitent déjà une série de grands gisements dans l’Ouest et le Sud de la république. Le premier tronçon de l’oléoduc d’Atassou-Alachankou mis en service en 2005 achemine environ 10 millions de tonnes de pétrole par an du Kazakhstan en Chine. Le deuxième tronçon qui sera construit d’ici peu accroîtra de deux fois le rendement de la conduite.

Le Turkménistan qui signe un accord pour la construction d’ici à 2009 d’un gazoduc dirigé vers la Chine (environ 30 milliards de m3 de gaz par an) joue également la carte chinoise. Qui plus est, Achkhabad devra faire tout son possible en vue d’assurer les livraisons de gaz à la Russie et à l’Ukraine, car les volumes d’extraction actuels ne permettent pas de respecter tous les contrats. Un certain dégagement des républiques d’Asie centrale en général, et du Kazakhstan en particulier, de la sphère d’influence de la Russie est un processus qui vise à établir un équilibre d’influences de la Chine et de la Russie sur la région.

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Stratégie de l’UE

En juin 2007, l'UE adopte sa stratégie pour l'Asie centrale, visant à mieux promouvoir ses relations avec la région et à s'attaquer aux grands défis posés à celle-ci, notamment en renforçant le dialogue politique et en dynamisant la coopération en matière d'éducation, d'Etat de droit, de droits de l'homme et d'énergie. Sa mise en œuvre est bien avancée et l'Union participe avec ses partenaires de la région à l'élaboration de documents de priorités communes énumérant par le menu les futures actions à mener. Entre 2007 et 2013, l'aide de lUE à l'Asie centrale s'élèvera à 750 millions d'euros, en augmentation de 90 % par rapport à la période précédente.

En avril 2008 à Bakou, les représentants des structures du transport de l’Asie Centrale, la Chine, la Corée, les Pays Baltes et les membres de l’UE réunissent en vue du développement des corridors du transport au GUAM, les projets fondamentaux dans le secteur de transport, le développement du secteur et autres questions figurent au menu de la conférence. Il faut noter que, l’Azerbaïdjan préside le Conseil de transport de GUAM.

L'accord de partenariat et de coopération, nouveau cadre des relations bilatérales entre l'UE et le Tadjikistan, devrait être ratifié prochainement par l'ensemble des Etats membres de l'Union. Il fixe les conditions d'une coopération élargie, notamment dans les domaines politique, économique, commercial et culturel. L'UE prévoit d'affecter 66 millions d'euros au Tadjikistan sous forme de programmes d'aide entre 2007 et 2010. La priorité ira au soutien des réformes structurelles, à la santé, à l'éducation, à la réduction de la pauvreté et à la promotion des réformes économiques, y compris le développement du secteur privé, dans le but d'accélérer le développement économique.

La RFA est le seul membre de l’UE à entretenir des ambassades dans les cinq républiques. Le gouvernement américain a fait du Kazakhstan la tête de pont de sa politique en Asie Centrale, laquelle vise à créer un „corridor de réformes“, plus clairement un « corridor énergétique », allant jusqu’à l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde. L’UE se voit maintenant modérer les politiques des EUA et de la Russie, les deux étant avant motivée par des intérêts géopolitiques et géoéconomiques.

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Iran et ses aspirations centre-asiatiques

Entouré par l’armée américaine à l’est (Pakistan), au sud (Golfe persique), à l’ouest (Irak) et au nord (Caucasie méridionale et Asie centrale), l’Iran veut se constituer une « brèche amicale » en Irak, pays majoritairement chiite. Cette posture explique aussi que l'Iran ne se contente plus de son statut d'observateur à l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS). En mars 2008, l'Iran dépose sa demande officielle d'adhésion en tant que membre à part entière. Téhéran frappe à la porte de l'OCS, où il dispose du statut d'observateur de même que l'Inde, la Mongolie et le Pakistan, depuis plusieurs années. En fait, si l'on se fonde sur l'activité économique et sur des éléments rationnels, l'Iran a toutes les raisons de devenir membre à part entière de cette organisation, tout comme la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan.

En ce moment, l'Iran est un des principaux agents économiques précisément dans la zone des intérêts naturels de l'OCS: la région de la Grande Asie centrale, où s'implantent activement les EUA au grand dam de Moscou. Les mérites de l'Iran dans cette région sont évidents. Il suffit de citer la construction de deux tunnels au Tadjikistan et des deux centrales hydroélectriques de Sangtouda et Chourabskaïa, les plus grandes de la région. Douchanbé (capitale du Tadjikistan) a également choisi le partenaire iranien pour un projet stratégique sur le plan régional: la construction d'un chemin de fer qui reliera le Tadjikistan, l'Afghanistan et l'Iran. Ce dernier est également chargé de créer des zones de libre échange au Tadjikistan.

L'Iran déploie des efforts non moins énergiques en vue de pénétrer dans les économies d'autres républiques d'Asie centrale, notamment le Kirghizstan et le Turkménistan. Il convient de mettre l'accent sur l'Afghanistan, car les EUA tentent d'attirer toutes les républiques d'Asie centrale vers ce pays, et de les arracher à l'influence de Moscou. C'est pourquoi la Russie cherche à entraîner l'Afghanistan dans l'OCS, mais, pour l'instant, ses efforts s'avèrent peu fructueux. En Afghanistan, l'Iran est traditionnellement présent sur les plans économique, culturel et politique plus que tous les autres membres de l'Organisation de coopération de Shanghai. Une question logique se pose: pour quelle raison l'Iran n'est-il pas admis au club de Shanghai? Outre la procédure qui est complexe, la réponse est évidente: le problème réside dans le dossier nucléaire iranien dont plusieurs pays membres de l’OCS se méfient.

Pour Moscou et Beijing, cette initiative iranienne est certainement un problème difficile, car une demande officielle implique une réponse officielle. En effet, c'est que l'OCS veut éviter la confrontation avec les EUA et l'UE, et que par conséquent, avant l'adhésion, l'Iran devra régler définitivement ses problèmes avec l'AIEA, mais c'en est une autre lorsqu'il faut le déclarer aux chefs des Etats membres de l'OCS lors du prochain sommet qui se tiendra à la fin de l'été 2008 à Douchanbe. L'Iran ne pourra probablement pas lever toutes les questions de l'AIEA sur son programme nucléaire. Pour que les espoirs de l'Iran se réalisent, Moscou et Beijing doivent s'entendre pour lever le moratoire sur l'extension du club à de nouveaux membres. Même si cette variante est possible, il faudra faire de nombreuses concessions réciproques. Ainsi, Beijing pourrait demander l'admission à l'OCS de son protégé, le Pakistan, et Moscou proposer à Téhéran des variantes de contrôle en commun de l'enrichissement de l'uranium.

A fin mars 2008, les préparatifs des négociations entre les présidents du Tadjikistan, de l'Iran et de l'Afghanistan sont entamés. Ils devraient aboutir à la signature d'un accord portant création d'un Conseil économique de l'alliance persanophone. L'apparition de cette alliance s’expliquerait par la diminution de l'influence de la Russie sur le Tadjikistan. Traditionnellement aligné sur Moscou, Douchanbe (capitale tadjike) a commencé à déplacer graduellement l'orientation de sa politique étrangère vers l'Iran. Depuis que le groupe russe RusAl et le gouvernement tadjike n'ont pu s'entendre sur les paramètres techniques de la centrale hydroélectrique de Rogoun, les rapports entre Moscou et Douchanbe se sont considérablement détériorés.

En outre, le Tadjikistan n'apprécie guère le fait que Moscou se range aux côtés de Tachkent dans le contentieux sur l'utilisation des ressources régionales en eau. L'Ouzbékistan se prononce catégoriquement contre la construction d'ouvrages hydro-énergétiques sur les fleuves transfrontaliers. L'Iran qui considère le Tadjikistan comme une partie du "grand Iran" a profité de l'affaiblissement des positions de la Russie. Il a notamment confirmé son intention de construire aux frais de l'Iran un chemin de fer reliant le Tadjikistan à l'Iran via l'Afghanistan. Il a promis d'accélérer la construction de la deuxième centrale hydroélectrique de Sangtouda et d'en construire une autre sur le Vakhch, ainsi qu'un centre de cardio-chirurgie moderne à Douchanbe.

Cette orientation de Tadjikistan est étonnante. On peut notamment se demander comment l’Afghanistan, quasi protectorat américain,
1. puisse s’entendre avec l’Iran, le diable pour Washington,
2. lui garantir la sécurité du chemin de fer à construire,
3. comment Tadjikistan qui entretient des bases militaires à la fois russe et américaine sur son territoire parviendrait s’accorder avec la Russie.
Par contre, il paraît vraisemblable que le Tadjikistan cherche à se prémunir contre le renforcement de l'importance régionale du Kazakhstan et de l'Ouzbékistan. Quant à l’Iran, je le vois de tous les points de vue favorisé par l’existence même de ces négociations.

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Comment exploiter la centralité de la région ?

Le cycle des votations centre-asiatique se termine : en août 2006, Kazakhstan ; en décembre 2007, Kirghizstan et Ouzbékistan. Les résultats en sont conformes à la volonté des autorités régnantes et les « grandes puissances » se taisent à tout crin !

En Kirghizstan, le parti Ak-Jol du président Kourmanbek Bakiev a gagné tous les sièges du Parlement à l'issue de législatives en décembre 2007. La formation présidentielle n'a remporté que 49% des voix, mais aucun des onze autres partis en lice ne dépasse le seuil électoral ni la présence minimale dans chaque province pour entrer au Parlement. Le parti d'opposition Ata-Meken, arrivé en deuxième position avec moins de 9% des suffrages est la seule autre formation à dépasser le minimum requis de 5% des inscrits, mais dans trois des neuf régions du pays, il n'obtient pas les 13.500 voix nécessaires pour entrer au Parlement. Ces régions du sud du Kirghizstan, sont les fiefs du président Bakiev. Il reste une chance à ce parti d'entrer au Parlement, la Cour suprême devant encore statuer sur la légalité de la barrière des 13.500 voix.

Le Kirghizstan a enchaîné les crises politiques depuis l'arrivée au pouvoir de Kourmanbek Bakiev en mars 2005 à l'issue d'une révolution provoquée par des falsifications lors des précédentes législatives. L'opposition a mobilisé à plusieurs reprises au cours des deux dernières années des dizaines de milliers de manifestants contre la corruption du régime et les velléités autoritaires, selon elle, du président. Mais la capacité à mobiliser des opposants reste une inconnue dans cette ex-république soviétique d'Asie centrale où la population, fatiguée des manifestations, réclame stabilité politique et réformes économiques. Les élections législatives anticipées avaient été convoquées par M. Bakiev, après une réforme constitutionnelle destinée à stabiliser le pays en réorganisant le partage du pouvoir entre l'exécutif et le législatif.

Les bases militaires et les froids d’hiver

Fin décembre 2007, le président kirghiz Bakiev déclare que la base militaire américaine installée dans son pays devrait y rester tant que la conjoncture en Afghanistan n'est pas redevenue stable. Il annonce au cours d'une émission télévisée que la situation en Afghanistan a vu des améliorations remarquables, mais pourrait encore se dégrader. Pour cette raison, il est nécessaire que la base américaine reste au Kirghizstan pour éviter une telle dégradation. A la suite de la guerre d'Afghanistan en 2001, les EUA ont établi une base aérienne militaire à l'aéroport international de Manas, situé près de Bichkek, en déployant quelque 1.500 soldats américains et des pays de l'Otan.

De son côte, l’Ouzbékistan a expulsé en 2005 des soldats américains d'une autre base aérienne, faisant ainsi de Manas la seule base de ravitaillement pour son armée de l'air déployée en Asie centrale et une escale cruciale pour les troupes américaines ou de l'Otan provenant d'Europe à destination de l'Afghanistan. En mars 2008, il est annoncé que les alliés, dont les EUA, pouvaient utiliser les installations militaires en Ouzbékistan. Ainsi l’Armée américaine se servira de nouveau de la base aérienne militaire de Termez, tête de pont vers l'Afghanistan, et où la RFA avait réussi à se maintenir, en dépit des critiques de l’UE contre Tachkent après la répression sanglante du soulèvement d'Andijan en mai 2005. L'Ouzbékistan s'était alors rapproché de Moscou avec qui elle avait signé en novembre 2005 un pacte d’assistance militaire mutuelle, accusant Washington de chercher à renverser le régime en place.

Mais au cours de ces derniers mois les relations diplomatiques entre Washington et Tachkent se sont détendues : pour preuve, la visite en Ouzbékistan en janvier 2008 du chef du Commandement central américain, l'amiral William Fallon, pour y rencontrer le président Islam Karimov. Si la présence de troupes étrangères sur la base de Termez a fait l’objet d’une annonce officielle, aucune information n'a en revanche filtré sur celle de Khanabad d’où les troupes américaines avaient été «invitées» à se retirer à l’automne 2005. Moscou et Beijing sont particulièrement attentifs à l’évolution des relations entre l’Ouzbékistan et les EUA et voient d’un très mauvais œil la réapparition de leurs forces armées sur ce territoire.

Le président de Tadjikistan lance fin janvier 2008 une centrale hydroélectrique de construction russe de 340 millions d'euro qui devrait selon lui pallier en partie à la crise énergétique alors que le pays connaît un des hivers les plus froids depuis plusieurs décennies.
Le président Emomalii Rakhmon a mis en marche avec des responsables officiels russes le premier générateur de la centrale dans le sud du Tadjikistan, pays pauvre d'Asie centrale.
Suite au manque d'eau en 2007, la plus grande centrale hydroélectrique tadjike, Nourek, qui assure près de 80% d'électricité au Tadjikistan ne peut tourner à plein régime. La centrale, dont la construction a été interrompue par une guerre civile au début des années 1990, est conçue pour produire 2,5 milliards de kilowatt-heures par an lorsque ses quatre générateurs fonctionneront à partir de 2009. Le groupe russe de l'électricité SEU possède 75% du capital de la centrale dont le reste appartient à l'Etat tadjik.

L'Ouzbékistan a repris ses exportations de gaz vers le Tadjikistan voisin, après que Douchanbé eut remboursé une dette de sept millions de dollars. Tachkent avait annoncé en janvier 2008 avoir réduit ses livraisons de trois à deux millions de m3, aggravant la crise énergétique qui mine le Tadjikistan, la plus pauvre des ex-républiques soviétiques d'Asie centrale, alors que la région affronte son hiver le plus froid depuis 40 ans. Le Tadjikistan obtient l'essentiel de son gaz de son voisin ouzbek, avec qui il entretient des relations tendues. Il paye 145 dollars les 1.000 m3 en 2008, contre 100 dollars précédemment.

Le président turkmène Gourbangouly Berdymoukhamedov a assisté à fin décembre 2007 au début des travaux de construction d’une voie ferroviaire reliant l’Iran à la Russie, via l’Asie centrale, dont le but est de renforcer les échanges commerciaux dans la région. "Cette voie permettra le transport des marchandises à moindre coût entre la Russie et l’Asie centrale et vers l’Europe", a déclaré le président turkmène à Bereket (est) près de la frontière iranienne, où les premiers rails ont été posés. Ce nouveau chemin de fer, qui doit être achevé en décembre 2011, mesurera quelque 900 kilomètres de long, soit 600 kilomètres de moins que la voie existante, et permettra le transport annuel de 10 à 12 millions de tonnes de marchandises, selon le ministère turkmène du Transport ferroviaire. Le Turkménistan s’engage, sous l’impulsion de M. Berdymoukhamedov, dans une politique de rapprochement avec ses voisins.

Dépenses militaires

En 2007, les républiques asiatiques de l'ex-URSS ont brusquement augmenté leurs dépenses militaires. Si la croissance du PIB dans ces Etats est projetée à hauteur de 9 à 10% cette année, leurs dépenses militaires doivent augmenter de 48% en 2007. Par rapport à 2006, le Kazakhstan a doublé ses dépenses de défense cette année. Ces taux d'accroissement des dépenses militaires sont les plus élevés dans l'espace postsoviétique mais ne représentent que 1,2% du PIB. Le Kazakhstan a lancé un rééquipement intense de son armée, a créé une flotte de guerre sur la Caspienne et a professionnalisé son armée à 70%. Cependant, en termes de rapport dépenses militaires/PIB, l'Ouzbékistan est le leader incontestable dans l'ensemble de la CEI. Cette année, Tachkent consacrera à la défense 902,4 millions de dollars, soit près de 4,8% de son PIB (il est suivi de l'Azerbaïdjan qui consacre 4,5% de son PIB à la défense). Bien que le PIB ouzbek ne représente qu'un cinquième du PIB kazakh, le rapport entre les deux pays en termes de dépenses militaires est de 8 à 10.

Pour moi, des dépenses aussi élevées s'expliquent par les tensions sociales en Ouzbékistan et l'éventualité de tentatives de déstabilisation, à l'instar des événements de mai 2005 (selon les autorités ouzbeks, dans la nuit du 12 au 13 mai 2006 et dans la journée du 13, plusieurs attentats ont été commis sur le territoire de la région d'Andijan, à l'est du pays, qui ont fait 176 tués et 295 blessés. Tachkent accuse les organisations terroristes internationales : "Mouvement islamique du Turkestan" et le "Parti de la libération islamique". Le budget militaire et policier de la Turkménie est le troisième parmi les pays de l'ex-Asie centrale soviétique. Par rapport à 2006, il a progresse de 37% pour s'élever à près de € 100 millions.

Les dépenses d'Achkhabad pour la sécurité et la police sont secrètes mais, avec les crédits pour l'armée, elles se situeraient, à en croire les experts, entre € 400 et 500 millions par an.
Les sommes consacrées à la défense par le Tadjikistan et le Kirghizstan sont nettement moins importantes. En moyenne, celles-ci ne représentent que 1,5% du PIB de chacun de ces pays. Le maintien de la défense et de la sécurité dans ces pays à un niveau de suffisance s'effectue grâce essentiellement à l'assistance militaire russe et à la présence de la 201e division russe au Tadjikistan et de la base aérienne russe de Kant en Kirghizie. A l'exception de la Turkménie, les quatre pays font partie, avec la Russie, le Bélarus et l'Arménie, de l'Organisation du Traité de sécurité collective.

Du gaz à la torture

A fin décembre 2007, Gazprom a conclue un accord sur le prix du gaz vendu par l'Ouzbékistan à la Russie en 2008. Le prix n'a pas été dévoilé, mais est celui "du marché régional" selon Gazprom, ce qui ne veut strictement rien dire. Les deux parties ont également défini le prix du transit du gaz. Fin novembre 2007, l'Ouzbékistan avait annoncé qu’il envisage d'augmenter le prix de son gaz exporté vers la Russie pour tenir compte de la faiblesse du cours du dollar et de la hausse des tarifs des hydrocarbures. En 2007, l'Ouzbékistan a vendu à Gazprom 9 milliards de m3 de gaz à 100 dollars les 1.000 m3.

La demande ouzbèke était intervenue alors que la Russie venait d'accepter une hausse des prix du gaz qu'elle achète au Turkménistan, une autre république ex-soviétique d'Asie centrale. L'Ouzbékistan produit annuellement quelque 60 milliards de m3 de gaz, dont 12 milliards sont exportés principalement vers la Russie, mais aussi vers le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan.

La Russie, le Turkménistan et le Kazakhstan signent en décembre 2007 un contrat sur la construction d'un gazoduc qui permettra à Moscou de conserver sous son contrôle l'acheminement de gaz asiatique vers l'ouest. Le monopole russe Gazprom, qui a poussé à la conclusion de cet accord, achète la majeure partie de la production de gaz turkmène, soit 50 milliards de mètres cubes par an, ainsi que du gaz kazakh, afin de le réexporter vers l'Ukraine et l'Occident. Le nouveau gazoduc, appelé gazoduc de la Caspienne, vise à accroître le volume de gaz d'Asie centrale qui passe par la Russie - en frôlant la mer Caspienne. Il devrait avoir une capacité annuelle de 10 à 20 milliards de mètres cubes. Il aidera la Russie à diversifier ses sources d'approvisionnement en gaz et à renforcer sa position de fournisseur essentiel de l'Europe. La concurrence entre l'Occident, la Chine et la Russie pour l'accès au gaz turkmène s'est accrue depuis la mort, l'an dernier, de Niazov, qui manifestait peu d'intérêt pour la "diplomatie énergétique".

AMNESTY INTERNATIONAL annonce en mars 2007 ce qui suit (extraits) : « En mars 2007, les ministres des Affaires étrangères de cinq républiques d’Asie centrale – le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan – rencontrent à Astana, au Kazakhstan, le ministre allemand des Affaires étrangères, actuel président pour six mois de l’UE (UE) et d’autres hauts responsables de l’UE, en vue de débattre des efforts faits par l’UE pour renforcer ses relations avec les pays de la région. Au moment où l’UE développe une nouvelle stratégie à long terme pour ses relations avec l’Asie centrale, accordant davantage d’attention à la région, Amnesty encourage l’UE à faire des droits humains et de la primauté du droit les éléments clés de sa stratégie et de son engagement politique avec les gouvernements d’Asie centrale.

L’organisation demande instamment à l’UE de s’efforcer de faire comprendre aux gouvernements d’Asie centrale la nécessité de prendre des mesures concrètes visant à faire appliquer des dispositions législatives garantissant de manière efficace et durable à tous les peuples d’Asie centrale la protection de leurs droits fondamentaux et le respect de leur dignité. Amnesty s’inquiète de ce qu’en dépit des efforts professés par les gouvernements pour remplir leurs obligations en matière de respect des droits humains et des efforts réels de certains États pour remédier aux pires abus, de graves atteintes aux droits humains continuent d’être perpétrées en toute impunité ».

La torture est pratiquée de manière courante en Ouzbékistan, a affirmé le comité de l'ONU contre la torture en novembre 2007. La torture est pratiquée dans les centres de détention pour obtenir des aveux ou des informations. Le comité dénonce le refus des autorités d'enquêter sur ces allégations et de poursuivre les responsables en justice. Dans son rapport, il s'inquiète aussi des allégations sur l'usage excessif de la force par les autorités lors des émeutes d'Andijan en mai 2005. La répression sanglante de cette manifestation aurait fait, selon les témoins, des centaines de morts.

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Le cas de « l’invincible Afghanistan »

Appréhendé sur la très longue durée, le territoire afghan est un carrefour stratégique et géoculturel traversé par les mouvements de peuples et de civilisations. Dès la plus lointaine antiquité, des tribus indo-européennes descendent des hauts-plateaux centre-asiatiques vers le Pendjab, en empruntant la passe de Khyber, et l’histoire de l’Afghanistan s’écoule, par ruptures successives, entre les influences croisées de deux grands foyers de civilisation, la Perse et l’Inde, de la haute Antiquité jusqu’au 6e siècle de notre ère. L’Afghanistan devient aussi le centre de diffusion du bouddhisme mahayaniste (le Grand Véhicule) sur les routes de la soie qui traversent l’Asie centrale, à destination de la Chine. C’est au VIIIe siècle que l’Afghanistan est islamisé et conquis par les Turcs Ghaznévides, qui à leur tour franchissent les cols de l’Hindou Kouch pour conquérir le Pendjab (XIe siècle). En 1173, les Ghaznévides sont renversés par un chef afghan, Mohammed de Ghor, qui conquiert le Pendjab et le bassin du Gange et fonde le sultanat de Delhi. L’Afghanistan est ensuite englobé dans l’empire moghol (1526) puis passe, en tout et en partie, sous diverses dominations (le Perse Nadir Chah ; Ahmed Chah et la dynastie Dourrani), au cours du XVIIIe siècle, avant de sombrer dans l’anarchie.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le territoire afghan se trouve au centre du «grand jeu» qui met aux prises la Russie tsariste, dont l’aire d’expansion englobe désormais le Turkestan occidental (l’Asie centrale), et le Royaume-Uni, soucieux de consolider les frontières nord-ouest de l’Empire des Indes. Les rivalités d’influences et l’engagement britannique dans deux « guerres afghanes » (1839-1842 et 1878) débouchent sur un accord entre Londres et Saint-Pétersbourg pour fonder un royaume d’Afghanistan, avec une fonction d’Etat-tampon entre les deux grands empires (1885). Les Britanniques obtiennent des Russes la reconnaissance d’un semi-protectorat sur l’Afghanistan et tracent l’essentiel des frontières du nouvel Etat. Au nord-est, le pédoncule du Wakhan, entre les chaînes du Pamir et de l’Hindou Kouch, face au Turkestan oriental (sous souveraineté chinoise), sépare la zone d’influence russe de l’Empire des Indes. Au sud de la passe de Khyber, la « ligne Durand » – du nom du vice-roi des Indes, lord Mortimer Durand –, passe par le milieu des zones montagneuses pachtounes.

Suite au retrait britannique et à la partition de l’Empire des Indes (1947), l’Afghanistan devient le voisin du Pakistan et Kaboul émet un temps des revendications sur les territoires à l’est de la « ligne Durand » (les « territoires tribaux », peuplés de Pachtounes/Pathans, qui bénéficient d’une très large autonomie au sein du Pakistan). L’Afghanistan est l’objet de rivalités pacifiques entre Américains et Soviétiques qui financent diverses infrastructures (l’aéroport de Kandahar pour les Américains et le tunnel du Salang pour les Soviétiques).

A la fin des années 1960, cet équilibre est rompu au profit de l’URSS, les EUA concentrant leurs efforts sur l’Iran et le Golfe Arabo-Persique, puis au Vietnam. Toutefois, l’abolition de la monarchie en 1973, le coup d’Etat du Parti démocratique du Peuple afghan (communiste) en 1978, les rivalités entre les factions du PDPA et l’insurrection islamiste qui s’ensuit précipitent l’intervention soviétique (1979-1989). L’Afghanistan fait retour dans le « grand jeu » de la Guerre froide. Les troupes soviétiques se retirent en 1989 après avoir subi l’interventionnisme indirect de Washington qui soutient les Talibans et les troupes surtout de l’Al Qaïda de ben Laden. Trois ans plus tard, le gouvernement prosoviétique de Kaboul s’effondre mais les différents partis, tous plus ou moins islamistes, qui composent le gouvernement de coalition, s’affrontent les armes à la main. C’est au cours de cette guerre civile que les Talibans, épaulés par les services secrets pakistanais et américains, prennent Kandahar, Kaboul, puis la quasi-totalité de l’Afghanistan (1996).

C’est ce qui explique que la situation géopolitique actuelle est pour le moins incertaine et l’Afghanistan se trouve à nouveau au centre d’une partie stratégique autrement plus complexe que le « grand jeu » du XIXe siècle. Sur place, les EUA et leurs alliés cherchent à s’imposer par tous les moyens mais avec des succès mitigés. En réalité, les rivalités d’affaires, ethniques et confessionnelles, ainsi que le jeu des tribus et des chefs de guerre, sur fond de narcotrafics (opium et héroïne), limitent fortement l’autorité du pouvoir central. C’est ce qu’instrumentalise l’islamisme. A ce propos, Al-Kaïda serait, selon moi, bien content d’avoir eu autant de membres que Washington annonce avoir “éliminés” et ce, d’autant plus, qu’un certain nombre d’entr’eux seraient vraisemblablement des anciens alliés des EUA au moment de la guérilla anti-soviétique des années 1980. La manière de tuer ressemble à celle pratiquée par Israël contre les Palestiniens52.

L’enjeu du pavot

En Afghanistan, la culture du pavot est devenue quasi industrielle53 et le premier producteur mondial d'opium. Après avoir été presque éradiquée sous le régime des talibans, la culture du pavot a repris ces dernières années où la guerre et l'anarchie contribuent à la prospérité des trafiquants. Selon certaines estimations, plus de 90 % de l'opium mondial proviendrait aujourd'hui d'Afghanistan. L'argent de la drogue représenterait plus de la moitié du PIB du pays. À Kaboul, les luxueuses maisons des barons de la drogue, surnommées les « villas du pavot », ont poussé dans les quartiers du centre-ville, et l'argent de l'opium se répand dans tous les secteurs de l'économie. La culture du pavot, traditionnelle dans les campagnes afghanes, a fait place à une production quasi industrielle. Les paysans afghans cultivent l'opium pour des raisons financières, le pavot rapportant environ vingt fois plus que le blé. La drogue est ensuite exportée via l'Iran, le Pakistan ou l'Asie centrale. Il est difficile de convaincre les cultivateurs d'abandonner une culture aussi lucrative. La faiblesse et la corruption du gouvernement d'Hamid Karzaï et l'insurrection des talibans, qui ont repris le quasi-contrôle de provinces entières dans le sud du pays, rendent difficile la lutte contre la drogue dans le pays.

Les Talibans, qui avaient interdit la culture de l'opium lorsqu'ils étaient au pouvoir, considèrent à présent la drogue comme un moyen de financer leur guerre contre le gouvernement. Dans les provinces pachtounes d'Helmand, de Kandahar et d'Uruzgan, grosses productrices d'opium, les talibans ont passé des accords avec les seigneurs de la drogue locaux. En échange d'une taxe, ils protègent les champs en gênant les campagnes d'éradication menées par les agences internationales. Face à cette collusion entre les Talibans et les narcotrafiquants, aucune stratégie n'a jamais pu être adoptée entre les institutions internationales et les forces étrangères en Afghanistan. Dans un pays ravagé par plus d'un demi-siècle de guerre et à l'économie ruinée, les énormes profits de la drogue représentent une tentation à laquelle il est difficile de résister.

L'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime annonce que l’Afghanistan a connu une récolte record de 8.200 tonnes d'opium en 2007, soit 34% de plus qu'en 2006. Les exportations d'opium sont évaluées à 4 milliards de dollars, soit 29% de plus qu'en 2006. L'économie de l'opium s'élève désormais à 53% du PNB légal du pays. La valeur de ces « exportations mortelles » s'accroît après chaque passage aux frontières, et quand l'héroïne arrive dans les rues de Moscou, de Londres ou de Paris, elle peut valoir 100 fois plus, indique l'ONUDC. Depuis 2005, de nouvelles routes de l'héroïne ont émergé, à travers le Pakistan, l'Inde et la Chine.

Stratégie et géoéconomie

Il semble bien que deux stratégies “occidentales” prévalent en Afghanistan. Les troupes purement américains bombardent, assassinent et éliminent des adversaires locaux, sans offrir une issue politique à la situation qui empire. Composés essentiellement des britanniques, des canadiens, des hollandais et des américains, les troupes de l’OTAN de leur côté poursuivent une double stratégie: en même temps combattre les radicaux et gagner la confiance des populations par la séduction, la menace, la corruption, etc. Le but en est de sécuriser de plus en plus des villes, puis des villages en créant des tâches d’encre qui s’étendent et finalement se touchent. Washington n’est pas d’accord avec cette dernière stratégie, voulant uniquement réussir - spectaculairement mais sans réel effet - sa “guerre contre le terrorisme”. C’est ce qui expliquerait les expulsions récentes du pays des représentants de l’ONU ou des ONG, notamment britanniques et irlandais.

Sur le plan de la géopolitique externe, l’Afghanistan est à la croisée de stratégies antagoniques des grandes puissances et à celle de leurs intérêts géoéconomiques précis. Bien que le Pakistan soit officiellement engagé dans la « guerre contre le terrorisme », aux côtés des EUA, les milieux islamistes pakistanais et des éléments de l’appareil de pouvoir (militaires et services secrets) s’ingénient à faire de l’Afghanistan leur « grand arrière », pour s’assurer une certaine profondeur stratégique face à l’Inde, cherchent à constituer un bloc face à l’Iran chiite, et entendent s’ouvrir une voie d’accès à l’Asie centrale. A l’ouest, l’Iran soutient traditionnellement les Hazaras (chiites), les Tadjiks (sunnites mais de langue persane) et Téhéran pourrait appuyer divers chefs de guerre. Au nord, les Etats d’Asie centrale (Turkménistan, Ouzbékistan et plus encore Tadjikistan) redoutent l’extension du « chaos afghan » et sont impliqués dans le conflit (points d’appui militaire et facilités logistiques sont accordés aux Alliés).

Moins que les EUA, présente néanmoins en Asie centrale et redoutant elle aussi les débordements, la Russie a accepté l’intervention militaire américano-européenne dans ce qu’elle considère être son « étranger proche ». Elle cherche à maintenir une certaine influence dans les évolutions intérieures au moyen des factions tadjikes et pourrait soutenir elle aussi certains chefs de guerre. Cela dit, les dirigeants russes s’inquiètent aussi de la percée américaine dans les ex-républiques soviétiques. Moscou signe un accord sur l’acheminement des matériels et approvisionnements à travers de son territoire et cherche ainsi à se positionner vis-à-vis de des EUA et de l’OTAN. Du côté géoéconomique, l’enjeu principale correspond à la problématique du dégagement des ressources d’hydrocarbures vers la Russie et le reste de l’Europe, vers la Chine, et les EUA auxquels se joint le Japon par le biais des multinationales concernées.

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Le cas de la Mongolie à la recherche d’une autonomie


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Carte 13. La Mongolie

Où est le pays de Gengis Khan ?

La Mongolie est située en Asie centrale, avec pour capitale Oulan-Bator et a comme voisins au nord la Russie et à l'est, au sud et à l'ouest la Chine. Dépendante historiquement de la Russie qui est de loin son principal partenaire économique, la Mongolie a été longtemps sous l'emprise soviétique. Le pays est immense, avec une superficie totale de 1 566 500 km². Son territoire comprend des hautes plaines et des chaînes montagneuses qui font écran entre la Sibérie et la Chine, de l'Altaï au massif du Grand Hinggan, sur près de 2 000 km d'ouest en est. L'altitude varie de 1 000 à 3 000 m en moyenne, entre le point le plus bas à 552 m et les monts de l'Altaï qui culminent à 4 620 m. Le désert de Gobi recouvre les vastes régions du Centre et du Sud-Est. La population de la Mongolie s'élève à 2 874 127 habitants, soit 1,8 habitant au km², qui vivent principalement dans les villes en raison de l'urbanisation forcée menée par les soviétiques et des hivers de plus en plus rudes que connaît le pays. Oulan-Bator est la capitale historique de la Mongolie, fondée en 1369, et, jusqu'en 1924, la résidence du Bogdo-Gegen, le Bouddha vivant, chef de l'Église bouddhiste mongole. A elle seule elle abrite 869 900 habitants, les autres villes d'importance sont Darhan et Erdenet.

Par les caractères et les formes de ses traits géographiques, la Mongolie se place au centre d'un arrière-pays asiatique que limitent les chaînes centre-sibériennes au nord. Sur cet immense territoire de steppes bordé de hautes montagnes et s'ouvrant respectivement à l'est comme à l'ouest sur les plaines chinoises, les populations anciennes de l'Asie centrale ont joué un rôle fondamental. Une analyse plus serrée permet de distinguer plusieurs régions géographiques de Gobi. Le Gobi entre l'Altaï mongol et le Khangai chinois comprend au nord-ouest le fossé des grands lacs, morcelé en plusieurs bassins distincts. Le Gobi transaltaïque, entre l'Altaï au nord et le Tianshan au sud, s'étend sur les territoires mongol et chinois. Le Gobi est-mongol, entre les steppes du Nord et les chaînes du Khingan, est le plus vaste, mais non le plus désertique. L’ensemble se situe sur des hauts plateaux, rarement inférieurs à 500 mètres au-dessus du niveau de mer et atteignant parfois plusieurs milliers de mètres. La vie socio-économique essentiellement nomade y reste fondée sur les activités pastorales, concentrées sur la laine cachemire. Les parcours atteignent parfois 200 kilomètres de distances.

Les techniques modernes avaient apparemment réussi dans deux secteurs inconnus de la Mongolie pré-communiste : l’agriculture surtout développée dans les fermes d'État et une agro-industrie. Or, les ressources naturelles de la Mongolie sont également constituées par les minéraux tels que cuivre, molybdène, fluorine et tungstène, et les pierres précieuses et semi-précieuses, dont de l'or. Au nord-ouest de Oulan-Bator, la compagnie minière Erdenet a en outre été créée en 1973 avec l’URSS pour y exploiter un combinat de traitement du cuivre et du molybdène. Le concentré de cuivre est traité en Chine. Cette entreprise est actuellement une des plus importante compagnie minière au monde. Elle est détenue à 51% par l'Etat mongol et 49 % par la Russie. Son importance est primordiale pour l’économie et dans le budget d'Etat mongol car elle génère 25% du budget national, ainsi que plus de 40% du PIB et 51% des exportations.

L’entrée du capitalisme

L'entrée du capitalisme international dérègle l'infrastructure industrielle, d'autant plus que celle-ci était dépendante de l'U.R.S.S. pour l'approvisionnement pétrolier. Un tiers de la population, estimée à près de 3 millions, habite déjà à la capitale, à Oulan-Bator, dans des conditions socio-économiques déplorables tandis qu’un autre tiers pratique uniquement le nomadisme. Le grand groupe minier canadien Ivanhoe Mines acquiert en 2004 le droit d’exploiter des droits miniers (voir ci-dessous le problème politique qui en découle). Ses mines se situent au sud du pays à Oyu Tolgoi et constituent l’essentiel des ressources naturelles de la Mongolie. La mine de cuivre serait une des plus importantes dans le monde. Egalement dans le sud, des groupes chino-mongols exploitent des mines de zinc.

Le régime dit communiste organisa des conditions sanitaires et sociales assez solides. Ces conditions subirent une régression considérable depuis le début des années 1990. Le problème essentiel de la politique intérieure étaient - et restent encore - à l'échelle du pays de 1,6 millions de km² (plus de trois fois la France): comment intégrer le pays et sa population dans le monde moderne, dans le capitalisme globalisé ? Toute la population est aujourd'hui paupérisée et de très nombreux habitants sont contraints de migrer vers l'un ou l'autre des trois grands centres urbains, où les attendent des conditions d'existence précaires. Quelle est la résistance de la majorité du peuple et comment résistera-t-elle, lorsqu’une petite minorité s’enrichit, notamment par l’ouverture qu’elle organise au capital international, et qu’elle domine le pays politiquement ?

Littéralement vissée entre la Chine et la Russie, le territoire de la Mongolie est depuis le 14e siècle soumise soit à l’une, soit à l’autre. La domination de l’URSS en était la dernière ce qui induit dans la population une certaine antipathie à l’égard des Russes, mais à présent la méfiance à l’égard de la Chine semble se renforcer. L’accès à la mer lui est imposé par la géographie. C’est le port de Tianjin à une distance de bon millier kilomètres au nord de la Chine qui s’offre seul à lui. En 1990, elle devint indépendante. La dépendance, notamment énergétique, vis-à-vis de l'extérieur demeure préoccupante. En 2004, le pays profite de sa proximité avec le marché chinois en pleine expansion. Il passe également avec les EUA un accord-cadre sur le commerce et les investissements, qui constitue une première étape vers un accord de libre-échange. Enfin, la Mongolie solde ces dernières années sa dette envers la Russie.

L’année politique 2005 est marquée par des tensions habituelles entre les deux grands partis nationaux aux élections législatives de juin 2004 : la Coalition démocratique de la patrie (CDP) et le Parti révolutionnaire du peuple mongol (PRPM, au pouvoir de 2000 à 2004). Pourtant, l’impossibilité de former un gouvernement sans le soutien de son adversaire a conduit à une grande coalition nationale. En août, Tsakhia Elbegdorj (CDP) a été élu Premier ministre tandis que le PRPM contrôlait les portefeuilles clés de l’Intérieur et des Affaires étrangères. Le PRPM a par ailleurs renforcé son pouvoir politique en mai 2005 avec l’élection de l’ancien Premier ministre Nambariin Enkhbayar à la présidence de la République. En cette même année, la Mongolie signe un accord économique avec Bruxelles lui permettant l’exportation sans taxe douanière de ses produits vers l’UE pour la période 2005-2015.

Les classes dirigeantes mongoles sont à la recherche intense d’alliance avec les EUA et subsidiairement avec le Japon, la Corée du sud et l’UE. Le principe en est qu’il vaut mieux d’avoir des amis lointains que des protecteurs proches! La visite « instantanée » en Mongolie de Bush II en novembre 2005 en est la réponse bienveillante et forcément intéressée. La diplomatie du pays parle à présent du « troisième voisin ». L’armée mongole s’entraîne avec le soutien d’officiers américains et s’exerce dans le cadre de la coopération militaire américano-mongole sous la forme du PPP de l’OTAN. C’est bien entendu ce qui garantie une présence militaire des EUA et explique l’envoi d’un petit contingent mongol en Irak. L’expulsion partielle de l’armée américaine d’autres pays centre-asiatique trouve ainsi une sorte de compensation. Nonobstant, la constitution de 1992 interdit explicitement le stationnement de troupes étrangères en Mongolie. Il n’empêche qu’un centre d’écoute américain s’installerait au désert de Gobi au grand mécontentement de Beijing.

C’est cependant ce qui explique que la Chine a toujours refusé l’hypothèse selon laquelle le « transsibérien de gaz naturel » traverse la Mongolie. Il en est de même quant au « transsibérien de chemins de fer ». D’où Oulan-Bator déploie désormais des efforts pour se rapprocher de Beijing et de Moscou, notamment lors de la rencontre de l’OCS en juin 2006. Les dirigeants mongols souhaiteraient certes limiter la coopération au domaine économique, mais cela ne paraît guère praticable. La Chine offre des crédits favorables à Oulan-Bator et investit activement dans le pays. Elle absorbe 85% de la production de cuivre. Au début d’avril 2006, les manifestants à Oulan-Bator (capitale de la Mongolie) ont exigé la démission du président et certains ministres qui négocient la vente des mines de cuivre du pays à la société canadienne Ivanhoe.

A fin 2006, la Russie entre en jeu et promet d’investir € 4 milliards dans les années à venir, notamment dans la modernisation de la compagnie minière Erdenet et du chemin de fer national qui relie la Russie avec la Chine et par conséquent revêt d’une importance certaine. L’exploitation des mines d’or, ainsi que la production de fluorites assurent dès à présent des recettes d’exportations substantielles au pays. Outre les russes, les multinationales suivantes y sont actives : Ivanhoe, BH-Billiton, Val do Rio Doce, Rio-Tinto, Anglo-Gold, Mitsui et Samsung. Le jeu d’équilibre d’Oulan Bator semble de cette façon réussir entre les trois intervenants en ordre d’importance : La Russie, la Chine et les EUA.

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En guise de premières conclusions et quelques propositions

En résumé, la région s’efforce de nouer des relations intenses avec l’UE et les EUA afin de pouvoir résister à la pression conjointe ou non de la Russie et de la Chine voisines. L’immensité du territoire exclut toute solution autre que diplomatique et économique. Le problème de fond que connaissent des politiques intérieures des pays de l’Asie centrale telle qu’elle est précisée ici se définit également face à une série de circonstances telles que
 l’insuffisance de l’eau et des terres utiles, ainsi que les effets multiples de la détérioration environnementale étendue, d’où conséquences négatives à long terme;
 la quasi inexistence de la démocratie et de la justice socio-économique, d’où risque permanent d’explosion sociale ;
 la détérioration marquée du niveau de vie socio-économique de la majorité de la population ;
 l’absence presque total de l’état de droit, d’où instabilité incessante des régimes politiques.

Hélas, ces caractéristiques négatives n’ont guère de chance de disparaître et constituent des facteurs d’instabilités. La raison principale en est le fait que des classes dominantes qui gouvernent d’une façon autoritaire et corrompue, bénéficient le soutien opportun des grandes puissances et des multinationales quelles qu’elles soient. Or, ces grandes puissances mènent des stratégies qui jusqu’ici n’aboutissaient pas à une stabilisation de la région, voire menaient plutôt à un des « harcèlements d’intensités variables » mutuels. Rien ne permet d’en prévoir une issue ne fût-ce que provisoire. De plus, il existe une certaine asymétrie entre elles. Les pays européens ou américains et leurs multinationales peuvent toujours diversifier leurs sources d’approvisionnement. En revanche, les puissances voisines telle que la Chine ou la Russie auront plus de difficultés à empêcher que l’une ou l’autre des « autres » puissent atteindre une hégémonie régionale. Les trois grandes puissances voisines tenteront d’écarter l’Iran de la région, alors que l’UE et les EUA favoriseront la Turquie.

La Chine travaille à travers ses compagnies pétrolières nationales qui acquièrent des participations dans des sociétés pétrolières centre-asiatiques et développent des voies de dégagements des hydrocarbures. La construction de l’oléoduc entre le Kazakhstan et la Chine devrait être achevée vers 2007. Ainsi, outre ces voies d’ouest en est, il n’existe actuellement pour l’UE et les EUA que deux possibilités d’évacuer les produits énergétiques de la région : vers le Nord, par la Russie ou vers l’Ouest, par le « corridor » de la Caucasie méridionale. L’impasse afghane rend impraticable la solution nord-sud et, la moins coûteuse, la voie iranienne reste encore à négocier. L’intervention de l’OTAN sous l’égide des EUA n’est point la solution mais le problème majeur de la situation afghane.

Le renforcement à la fois de la Russie et de la Chine par rapport aux autres grandes puissances rend persistante, voire croissante la conflictualité qui les concerne. L’Asie centrale entre sans doute dans une nouvelle phase d’instabilités multiples. Une sorte de neutralisation de la région serait peu probable, mais l’UE devrait la viser. Des guerres civiles ou intra-régionales comme la poursuite d’un « processus d’instabilités constructives » me paraissent plus vraisemblables. L’UE devrait élaborer une stratégie propre à cet égard, mais la participation de certains pays membres de l’UE à l’intervention militaire d’abord des EUA, puis de l’OTAN, en Afghanistan la rend malaisée.

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Footnote list:

1 Cet exercice prit naissance d’un processus d’études successives à partir de 2000. Il prépara les négociations en vue de la décision européenne quant à l’adhésion éventuelle de la Turquie à l’UE. Certaines parties d’études furent publiées in: Démocratie le 1er janvier 2003 et le 15 mars 2005. up

2 Il faut considérer ces chiffres comme des ordres de grandeur mais, néanmoins, significatifs dans une perspective d’interprétation géopolitique. up

3 Voir aussi le chapitre 5 section 4 intitulé Le verrou turc in: André DUMOULIN & autres, La politique européenne de sécurité et de défense (PESD) - De l’opération à l’identitaire, Bruylant, Bruxelles, 2003. up

4 La différence de revenu annuel par tête d’habitant entre Est et Ouest serait, actuellement, d’un à vingt, soit de € 500 à € 10 000, voir Neue Zürcher Zeitung du 5.11.2002. up

5 En février 2004, le gouvernement a lancé la privatisation de TÜRPAS, la plus grande raffinerie turque, pour un montant de € 1 milliard environ correspondant à 65,8% du capital. Avec sa filiale, le groupe étatique turc contrôle 85% de son secteur d’activité. Chacun pour la moitié, le groupe russe Efremov Cautchou et le holding Zurlu turc ont marqué de l’intérêt. Le groupe russe Tatneft se trouve sous le contrôle à 33,4% de la république locale du Tatarstan. Les relations qui existeraient entre Tatneft et Efremov Cautchou s’avèrent difficiles et troublent les observateurs par rapport à cette privatisation par le dernier. De plus, un monopole d’Etat est simplement remplacé par un monopole privé. Est-ce le prix pour entrer dans l’UE ? up

6 De 1990 à 1999, Erdogan fut le maire d’Istanbul à la satisfaction des citoyens. Il a fait fonctionner les écoles et les centres de santé de quartier, réparer des rues et des places publiques et ramasser des poubelles. Cependant, son mandat a pris fin avec sa condamnation à quatre mois de prison en raison d’un discours flamboyant qui parut fondamentaliste à ses adversaire. Ces mois d’emprisonnement lui ont permis, semble-t-il, de réfléchir aux avantages de la démocratie et de changer sa stratégie politique. up

7 Rappelons que l'AKP remporta près de 42% des suffrages aux élections municipales en 2004 contre 34% aux élections législatives de 2002. up

8 Le soufisme se base davantage sur la foi que sur la lecture du Coran. Aussi se prête-il plus à des manipulations. Il n’est cependant pas fondamentaliste. up

9 Je nuancerais l'affirmation selon laquelle la Turquie a toujours été présentée "sous le visage d'un ennemi" en Europe. Au moment de la Renaissance tardive, les arts avaient un caractère cosmopolite à Istanbul. Il suffit de se rappeler du portrait de Suleyman d'un Bellini. Aux 17e et 18e siècles, la France de Louis XIV et de Montesquieu (Lettres persanes) ont eu de nombreuses relations empreintes d'amitiés avec la Turquie. L'image négative est proprement austro-russe. De son côté, la "mémoire des Turcs" s'avère aussi loin d'être unique. La Turquie est aussi diversifiée que l'Italie d'il y a 50 ans (de la Lombardie jusqu'au Sicile), puis l'Allemagne de Hambourg à Munich, en passant par Dresde et enfin l'UE elle-même. Ceci se vérifie en termes sociaux (feudalisme-capitalisme), ethniques (Turcs, Kurdes, etc.), régionales (Est-Ouest, Nord-Sud) ou religieuses (sunnites orthodoxes, bektachis, alévis, etc.). up

10 A signaler que, dans le cadre de résolution de la crise cubaine en 1962, l’URSS est cependant sortie gagnante de l’opération, puisqu’elle avait obtenu que les fusées nucléaires Jupiter des EUA soient retirées du territoire de la Turquie à proximité de ses frontières. up

11 Il est difficile à savoir quelle est la portée de l’accord militaire conclu entre la Turquie et la Syrie en juin 2002. On peut supposer que le statut de la province Hatay revendiquée par la Syrie, la question kurde et la gestion des eaux du Tigre et de l’Euphrate en constituaient des thèmes essentiels. up

12 Il faut savoir que l’Européen, l’Arabe, l’Kurde, l’Iranien ou d’autres, ainsi que une autre religion ou une autre orientation religieuse seront considérés par “les vrais Turcs” comme “gavur” signifiant en turc à la foi impie et étranger, néanmoins accueilli ou accepté souvent en tant qu’ami ou allié. up

13 Il est intéressant de savoir que le président pakistanais Musharaff est turcophone et a étudié à l’Académie militaire de Turquie. up

14 A fin 2005, il est assez remarquable d’observer une visite du ministre des affaires étrangères d’Iran effectuée en Turquie, après une longue période de tensions vives entre les deux pays. Des conversations diplomatiques, les intéressés n’ont pratiquement rien révélé, sauf que le Moyen-Orient dont l’Irak y figura. A mi novembre 2005 est annoncée l’acquisition par le groupe arabie-séoudite OGER avec Telecom Italia de 55% de la société Türk Telekom pour un prix de $ 6,55 milliards. OGER dispose déjà d’intérêts dans le même secteur dans les pays tels que le Liban, l’Afrique du sud, la Roumanie et le Portugal. up

15 Tout le monde parle du film turc “Vallée des loups – Irak”. Tel que l’on me l’a décrit (NZZ, 22.2.2006), il serait foncièrement et fort adroitement nationaliste, accompagné d’un antiaméricanisme et un antieuropéanisme solides. Un nationalisme exacerbé et surtout l’appui discret du gouvernement allant dans ce sens sont évidemment inquiétants, méritera analyse attentive. up

16 Dans le système actuel fixé pour l’UE à 27, la contribution des fonds structuraux ne peuvent pas dépasser 4% du PIB du pays bénéficiaire. Le payement direct aux agriculteurs des PECO est limité à 25% de celui déboursé aux pays “anciens” et n’augmentera que progressivement dans les années à venir. Si on applique ces modalités à la Turquie, le débours européen serait de l’ordre € 12-15 milliards brut et € 9 à 12 net de la contribution turque au budget européen, soit 10-12% du budget de l’UE à 27 (in: Financial Times, 5.7.2004). up

17 Des prévisions pessimistes en prévoient un flux d’ordre de 250.000 par an, alors que d’autres anticipent plutôt un reflux vers la Turquie en raison de la croissance moindre en UE, ainsi que de l’amélioration de la sécurité politique et policière dans le pays (in: Financial Times, 5.7.2004). Enfin, on peut aussi arguer que ceux qui voulaient venir sont déjà là, à l’instar des travailleurs des PECO up

18 Le FT du 5.10.2005 fait état de la gêne que des diplomates européens éprouvent devant l’engagement résolu des EUA pour favoriser l’adhésion de la Turquie à l’UE. Cette sorte d’ingérence encourage l’opinion de ceux qui croient qu’un axe Londres-Washington-Ankara risque de s’établir au sein de l’UE et provoque des réactions négatives même chez les proaméricains européens. D’autres par contre comptent sur la puissante armée turque afin de renforcer la PESD. up

19 En juin 2004, le président américain en fonction déclara, sans être invité par quiconque à s’occuper des affaires pour lesquelles il n’a aucune compétence, ce qui suit : “Comme la Turquie remplit les critères d’adhésion de l’UE, celle-ci devrait commencer les négociations qui aboutiront à la pleine intégration de la République turque”. En fait, ce n’est que la Commission européenne qui est chargée et qualifiée pour apprécier si la Turquie remplit les critères en question. up

20 Pour plus de détails, voir les propos introductifs de la Partie 2. up

21 Il faut considérer ces chiffres comme des ordres de grandeur mais, néanmoins, significatifs dans une interprétation politique. up

22 Il s’agit d’un massif volcanique où, suivant la Bible, s’arrêta l’arche de Noé et montagne magique des Arméniens, mais qui se situe aujourd’hui en Turquie orientale. up

23 Les Géorgiens sont chrétiens depuis la première moitié du IVe siècle, ainsi que les Arméniens, mais ceux-ci ont adopté le monophysisme et refusé les conclusions du concile de Chalcédoine (451). L’islam est le fait des peuples turco-tatars: les Tatars, de rite sunnite; les Azéris, de rite chiite. Il y a, en outre, 300 000 musulmans sunnites dans le sud-ouest de la Géorgie, les Adjars et les Meskhs, tous de langue géorgienne. L’Arménie et la Géorgie ont, en outre, chacune leur littérature écrite, constituée depuis quinze siècles, avec une alternance d’âges d’or souvent brillants et d’éclipses dues aux invasions mutilantes des Mongols et de quelques autres non moins destructrices. up

24 Iran, Russie, Azerbaïdjan, Turkménistan et Kazakhstan. up

25 Certains éléments en sont repris d’un article du Monde du 2.1.2007 qui comporte cependant d’erreurs manifestes et d’interprétations unilatérales. up

26 Il s’agit d’une enclave en Arménie, séparée du reste de l’Azerbaïdjan et celui-ci ne peut la rallier que par le territoire iranien up

27 Cette république autonome est l’héritière de l’ancien royaume chrétien abkhaze, fief de la famille Chervachidze, depuis 1325 jusqu’à 1864, date à laquelle la Russie fait abdiquer le dernier souverain. up

28 En Azerbaïdjan, les Russes et les Arméniens représentaient chacun une population d’un demi-million avant l’éclatement de l’URSS et des conflits locaux. Ces derniers ont souvent homogénéisés aux populations de la région. On trouve également dans ce même pays la quasi totalité de quelques 150 000 Kurdes du Caucase. up

29 Il est assez symptomatique de voir comment se forme l’Azerbaïdjan dans l’histoire. Les invasions se succèdent au sud-est du Caucase, faisant alterner les vagues iraniennes, mongoles et ottomanes. Les petits khanats autonomes finissent par être absorbés par l’Azerbaïdjan et imprégnés de langue turque azérie et de religion musulmane chiite. up

30 Un an avant la chute du président taxé de corruption, celui a obtenu une décoration à Washington pour avoir « démocratisé » le pays ! up

31 En novembre 2005, l’Amnesty International publie un rapport selon lequel la police géorgienne a toujours recours à de traitements inhumains et de tortures dans ses prisons à l’instar du protecteur américain. La tendance à criminaliser l'adversaire politique jette un doute sur le sérieux de l'engagement démocratique de la Géorgie. Le cas le plus flagrant est celui de l'ancien ministre de la défense, Irakli Okrouachvili, un faucon qui voulait en découdre avec les séparatistes abkhazes et ossètes. Naguère proche du président, il a inauguré son passage dans l'opposition en accusant son ancien allié d'avoir commandité l'assassinat d'un oligarque. Okrouachvili a été jeté en prison et libéré après qu'on lui eut extorqué un humiliant repentir public. Le ministère de l'intérieur lui a ensuite fait comprendre que son salut était dans l'exil. Cette réaction du pouvoir rappelle plus un règlement de comptes entre clans que les pratiques d'une démocratie apaisée à laquelle aspirent des Géorgiens qui se veulent européens. Mieux que d'élections, ils ont besoin d'une alternance tranquille. Ils en sont encore loin. » up

32 Il convient de se rappeler quelques faits. En 1993-94, c’est la Géorgie, aujourd’hui plutôt proaméricaine, qui sollicite l’intervention militaire russe dans le pays. Tant l’armée américaine que russe y disposent des bases militaires. Encore aujourd’hui, l’Arménie bénéficie d’une importante assistance financière des EUA, tout en restant fidèle à Moscou. Les relations turco-azéries connaissent continuellement des hauts et des bas. up

33 Curieusement, la version en américain se présente comme suit : « NATO welcomes Ukraine’s and Georgia’s Euro Atlantic aspirations for membership in NATO. We agreed today that these countries will become members of NATO. » up

34 La déclaration se poursuit dans les termes suivants : « Ils ont l’un et l’autre apporté de précieuses contributions aux opérations de l'Alliance. Nous nous félicitons des réformes démocratiques menées en Ukraine et en Géorgie, et nous attendons avec intérêt la tenue, en mai, d'élections législatives libres et régulières en Géorgie. Le MAP représente, pour ces deux pays, la prochaine étape sur la voie qui les mènera directement à l’adhésion. Nous déclarons aujourd’hui que nous soutenons la candidature de ces pays au MAP. Nous allons maintenant entrer dans une période de collaboration intensive avec l’un et l’autre à un niveau politique élevé afin de résoudre les questions en suspens pour ce qui est de leur candidature au MAP. Nous avons demandé aux ministres des Affaires étrangères de faire, à leur réunion de décembre 2008, une première évaluation des progrès accomplis. Les ministres des Affaires étrangères sont habilités à prendre une décision sur la candidature au MAP de l'Ukraine et de la Géorgie. » Le MAP correspond à un de ces programmes de l’OTAN qui préparent les pays candidats à l’adhésion. up

35 La frontière commune irano-soviétique a été longue de 1 700 kilomètres. up

36 La Géorgie en 1999, puis l’Arménie et l’Azerbaïdjan en 2001 ont été admis au titre de “pays de l’Europe centrale et orientale”. up

37 L’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie ont été admis en 1992 dans cette organisation américano-européenne up

38 Respectivement, Transport de pétrole et de gaz transfrontalier, Zone pan-européenne de transport, Transport corridor Europe-Caucasie-Asie et Groupe d’action environmental Danube-mer Noire! up

39 La loyauté géorgienne aux « protecteurs » va jusqu’à rebatiser la route entre Tbilissi et son aéroport au nom de « George W. Bush » ! up

40 Rappelons que la Russie s’efforce de regrouper sous l’une ou l’autre forme les pays qui ont fait partie de l’URSS. Outre la CIE, il existe
o « l’espace économique » formé par Bélarus, Russie, Kasakhastan et Ukraine ;
o « la communauté économique eurasiatique » dont Bélarus, Russie et Ukraine, ainsi que les cinq pays centre-asiatique de l’ex-URSS ;
o ces cinq centre-asiatiques ont établi entre eux une « zone de libre-change » ;
o o certains de ces pays sont intégrés dans le Groupe de Shanghai, etc. up

41 Shell, British Petroleum, Exxon, Chevron et Unocal, auxquelles se joignent des compagnies plus modestes de la Californie et du Texas proches de l’administration de Bush II. up

42 Je fais abstraction du Turkestan oriental qui, sous le nom de Xinjiang, a été incorporé à la Chine populaire en 1949 et dont la population ouigur mène depuis lors la guerilla contre les autorités de Beijing à intensité variable. up

43 Sauf Ousbékistan qui dispose d’une longue côte au bord de la mer Caspienne. up

44 Avec l’achèvement du « grand jeu » centre-asiatique au 19e siècle, une telle neutralisation a garanti la tranquilité de l’Afghanistan entre 1888 et 1973. up

45 Pour plus de détails, voir les propos introductifs de la Partie 2. up

46 En 1985, un accord d'échange commercial a été signé entre la Mongolie Intérieure chinoise et « République populaire de Mongolie » encore soviétique. Depuis lors, ses applications n'ont cessé de se diversifier. En mai 1990 s'ouvrait une ligne de chemin de fer entre Hohhot et Oulan-Bator, qui reliait la Mongolie Intérieure au trafic chinois et international. La Mongolie Intérieure se présente parfois comme une vitrine tentante pour sa voisine du Nord pour que les Mongols de Chine se détournent du démon de l'indépendantisme. L'espoir de Beijing est que ses propres Mongols l'aideront à conquérir l’économie mongole indépendante de Moscou depuis 1990. up

47 La vallée de la Fergana est confrontée à des menaces bien réelles. Elle a toujours été le berceau d’une foi musulmane active. Dès la fin du XIXe siècle, on parlait du wahhabisme de la vallée de Fergana. C’est une région surpeuplée. On y trouve 10 % de la population de l’Ouzbékistan, qui compte 25 millions d’habitants. Dans certains endroits, on compte 500 habitants au kilomètre carré. Tous les facteurs sociaux qui peuvent déboucher sur une déstabilisation sont dans cette vallée : promiscuité, épidémies, chômage, inculture, ... En outre, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan sont des pays ruraux. Cette partie de l’Asie centrale est montagneuse telle que les vallées sont coupées les unes des autres. Maintenant, une route et un tunnel relient la vallée du Fergana à Tachkent, capitale de l’Ouzbékistan. Mais c’est récent. Ce qui fait que pendant les premières années de l’indépendance de l’Ouzbékistan, cette vallée a complètement échappé aux autorités. En août 1999, puis de nouveau en août 2000, des troupes du Mouvement islamique d'Ouzbékistan ont effectué des incursions armées en territoire kirghize et ouzbek, à partir du Tadjikistan. Le Mouvement islamique d'Ouzbékistan est un parti d'opposition islamique interdit, qui prône le renversement par la force du régime du président Islam Karimov et la mise en place d'un califat ou d'un État islamique. Ce mouvement opérerait à partir de bases situées en Afghanistan. Il a effectué des incursions dans la vallée de la Fergana et aux environs, région qu'il considère comme la plus propice à l'établissement d'un califat, en raison de la perméabilité de ses frontières, du caractère précaire de la cohabitation des diverses ethnies qui la peuplent, de l'extrême pauvreté qui y règne et de la ferveur religieuse qui anime une bonne partie de la population. D'autres groupes islamiques clandestins, comme le Hizb-ut-Tahrir (Parti de la libération), mouvement islamique international fondé au Moyen-Orient, sont également présents dans la vallée de la Fergana depuis quelques années. Hizb-ut-Tahrir, qui aspire également à fonder un califat, ne prône cependant pas la violence. up

48 Y compris le désert de Gobi en Mongolie. up

49 Les principes et leurs applications particulières en sont bien connus en Amérique latine depuis la doctrine Monroe proclamée en 1823 qui organisait la colonisation américaine dans cette région du monde. up

50 Depuis la deuxième guerre mondiale, c’est pour la première fois que des troupes américaines seront commender par des officiers non américains. Est-ce la contrepartie européenne à l’intervention « hors-zone » de l’OTAN ? up

51 Les 83 % de Loukachenko au Bélarus inquiètent l’OSCE mais les ces 90% ! up

52 Tuer aveuglement des non combattants mérite des citations devant le Conseil de l’Europe et le TPI. up

53 Voir ADRIEN JAULMES, in : Le Figaro, le 24 septembre 2007. up