Nicolas Bárdos-Féltoronyi:


Exercices géopolitiques pour l’Union européenne

- Les puissances et leurs différends –

Partie 1 doc Imprimerie Correspondance

Table des matières

down  Comment situer l’UE dans le monde ?
down  1.1. Comment se dessine le système des grandes puissances aujourd’hui ?
down    *  En quoi consiste un système de grandes puissances ?
down    *  Les facteurs, les moyens et les critères des grandes puissances
down    *  Sélection pragmatique des pays et des critères pratiques
down    *  L’arme nucléaire assure-t-elle la toute-puissance ?
down    *  D’autres critères plus qualitatifs
down    *  Synthèse, conclusions et perspectives
down    *  Bibliographie spécifique
down  1.2 Limites, frontières et portée de l’Union européenne
down    *  Arguments discutables
down    *  UE, Espace spécifique ou espace constitué ?
down    *  Que dit l’UE d’elle-même ?
down    *  Quelles fonctionnalités et institutionnalisations de l’UE ?
down    *  A la recherche des critères historico-culturels, peut-être perdus ?
down    *  L’Europe, puissance et portée locale ou mondiale ?
down    *  Quelle défense pour quelle autonomie européenne ?
down    *  En guise de conclusions… provisoires
down    *  Bibliographie
down  1.3. Le différend russo-américain récent dans la Caucase méridionale et l’UE
down    *  Antécédents récents et guerre brève
down    *  Position spécifique de la Géorgie
down    *  Evaluation et évolutions géopolitiques
down    *  Conclusions provisoires
down    *  Bibliographie spécifique

  down 

Comment situer l’UE dans le monde ?

Depuis le début des années 2000, deux questions essentielles hantent les esprits européens sur le plan international. Dans le débat autour de la PESC et de la PESD, ainsi qu’à propos de l’invasion américaine de l’Irak 1 , la première question porte sur la place géopolitique de l’UE dans le monde. La deuxième a trait à l’opportunité d’élargir cette dernière à la Turquie 2 , à l’Ukraine ou à d’autres pays, l’adhésion tôt ou tard des pays des Balkans étant acquise. Dans ce cas, la discussion vise finalement les limites et la portée problématiques de l’union 3 . Dans ces exercices-ci, l’expression eurocentrisme évoqué dans le chapitre introductif trouvera des contours et du contenu plus précis. Ils restent néanmoins une première tentative à des analyses géopolitiques approfondies à effectuer pour lesquelles ils ne fournissent que les soubassements. Il reste que le très récent différend russo-américain dans la Caucase méridionale a induit une réaffirmation de l’UE qui n’est sans implication intéressante.

up down

1.1 Comment se dessine le système des grandes puissances aujourd’hui 4 ?

Tout le monde se pose des questions: les EUA ou la Russie ont-ils encore le moyen d’être une grande puissance après les échecs répétés du Vietnam jusqu’à l’Irak en passant par la Tchétchénie et l’Afghanistan, et ce, depuis plus d’un quart de siècle ? L’UE avec ses 27 pays membres (UE à 27) serait-elle déjà une puissance mondiale ? Et la Chine, n’émerge-t-elle pas devant nos yeux comme une grande puissance ? Quid de l’Inde, du Japon ou du Brésil ?

Disposer d’armes nucléaires est-il un critère suffisant pour être considérée comme grande puissance (comme Israël ou la Corée du Nord)? Les multinationales ou les grandes religions ne seraient-elles pas également des grandes puissances à leur façon? Le système des grandes puissances du XXe siècle dominé par l’Union soviétique et les EUA subit, selon nous, des mutations remarquables aujourd'hui et indiquerait une toute nouvelle configuration pour demain. Il s’agit de l’explorer attentivement et, à partir de cette exploration, de conclure, du moins, du point de vue de l’UE.

up down

En quoi consiste un système de grandes puissances ?

Clarifions d’abord quelques notions de base. Le pouvoir est la capacité et la possibilité d’accomplir une action, de produire un effet, alors que l’>autorité est la puissance détenue sur quelqu’un ou quelque-chose. Compte tenu de ces définitions, qu’est-ce que la puissance? Il s'agit du pouvoir de commander, de dominer ou d’imposer son autorité. Donc, nous retenons pour la suite que :
• si le pouvoir est disposer de la force, alors la puissance consiste à l’utiliser ! On parlera des pouvoirs publics ou de la puissance publique, voire précisément des grandes puissances dans l’arène internationale ;
• si l’on a l’autorité de fait ou de droit, alors on a le pouvoir et la puissance !
• pour que la puissance puisse exister, il faut disposer de moyens ! On dira que la puissance des moyens correspond aux moyens de la puissance.

Le terme "puissance" est parfois utilisé pour qualifier un Etat ou tout au moins les Etats les plus importants en termes géopolitiques. Dans ce dernier cas, le groupe (plus ou moins arbitrairement défini) d’Etats influents, reconnus et forts à l'échelle internationale compose le système des puissances. Rappelons néanmoins que nous supposons que si la politique intérieure définit, dans une mesure large, la politique internationale d’un pays, il s’agit d’une grande puissance. Bien sûr, le principe ne s’applique pas dans les rapports de force entre grandes puissances, ni en temps de paix, ni en temps de guerre.

En ce qui concerne la reconnaissance de la puissance, l’exemple est, par excellence, le Conseil de Sécurité de l’ONU dont les cinq membres permanents disposent d’un droit de veto et sont aussi des puissances nucléaires:
• la Chine,
• les Etats-Unis d’Amérique,
• la France
• le Royaume-Uni,
• la Russie.
Cependant, comme plusieurs Etats forts, tous les Etats "nucléaires" n’en sont pas membres permanents. Cette situation à l’ONU reflète très vraisemblablement une situation figée au début des années '40, moment où cette unique institution politique mondiale fut conçue, puis établie ! Il est possible qu’il ouvre prochainement ses portes à la RFA, au Japon, à l’Inde ou au Brésil voir à l’UE.



down

Carte 1. Les grandes puissances


Ajoutons par ailleurs que le terme puissance ne se limite pas uniquement aux Etats. Il existe des firmes et banques multinationales bien plus fortes que la majorité des 190 Etats dans le monde. Il y a des organisations dites non gouvernementales dont le pouvoir d’influence s’étend parfois sur plusieurs continents, telles que les religions (à titre d’exemple, l’Eglise catholique), les courants idéologiques (néolibéralisme, bolchevisme ou néoconservatisme, par exemple) ou les mouvements altermondialistes. Dans cet exercice, nous faisons abstraction de ces puissances non-étatiques 5 .

up down

Les facteurs, les moyens et les critères des grandes puissances

La distinction entre cause et effet s’avère malaisée en cette matière. La puissance donne le pouvoir et le pouvoir engendre la puissance, voire l’autorité. Agrandir son pays le rend plus grand, ce qui crée ensuite la possibilité de l’étendre encore. En outre, quelque-chose de positif peut s’avérer négatif. Une population nombreuse peut correspondre à une grande armée, mais elle doit être nourrie et devient dès lors une charge. Ces deux considérations peuvent également être illustrées par ce qui suit: une grande étendue serait une source de richesse et un avoir dont les autres puissances ne disposent pas, mais également une préoccupation grave du point de vue de sa défense. Compte tenu des ambivalences, voyons à présent ces facteurs ou moyens.

Les facteurs ou les critères permettent d'évaluer si un Etat constitue une grande puissance. Par contre, les moyens sont les éléments qui autoriseraient un Etat à s’affirmer comme grande puissance et cet Etat à jouir de cette position comme telle. Est-ce alors le cas de la poule et de l’oeuf ? Pas tout à fait, car les rapports de force qui s’inscrivent dialectiquement dans l’espace géographique, s’exercent toujours dans un système de pluralité étatique, historiquement parlant. Traités ici comme synonymes, les facteurs, les critères ou les moyens des Etats se comparent et se mesurent d’Etat à Etat. Rien n’est absolu !

Trois facteurs de base semblent théoriquement, selon Raymond Aron, fonder toute puissance quelle qu’elle soit:
• l’espace qu’elle occupe, géographique ou imaginaire;
• la quantité et la qualité des ressources humaines et matérielles;
• la capacité d’action collective suffisante, ne fût-ce que pour défendre son espace.


Parmi les innombrables facteurs ou moyens possibles qui traduisent ces facteurs théoriques dans la réalité concrète, on peut facilement distinguer six critères. L’interprétation comme la subjectivité du choix de ces critères introduisent inéluctablement une certaine ambiguïté dans l’analyse qui suit. Ces critères sont mentionnés en fonction croissante de leur possibilité de changer ou de se modifier rapidement dans le temps :
• le critère géographique prend en compte l’étendue du territoire et la situation géopolitique; il est composé d’éléments structurels qui ne se modifient dans le temps que lentement et progressivement;
• le facteur démographique considérant l’importance, l’évolution, l’âge et la qualification de la population;
• l’influence, le rayonnement, la solidité et le consensus culturels et idéologiques où la langue, l’industrie culturelle et la recherche jouent un rôle important;
• le degré et la nature de développement économique, l’accès aux ressources naturelles, notamment énergétiques, la dépendance extérieure en terme commercial et d’endettement, ainsi que du point de vue des investissements à l’étranger, la domination externe par les multinationales étrangères, etc.;
• l’aptitude diplomatique et la force militaire, y compris la qualité technique des équipements;
• la capacité de mobiliser sa propre population par la voie du discours ou d’autres actions politiques.


On peut aussi classer ou différencier les puissances en fonction du rôle supposé ou réel qu’elles sont susceptibles de jouer dans le monde ou du moins sur un continent :
• les grandes puissances dont les capacités d’action sont susceptibles de s’étendre dans une partie notable du monde et dont l’une ou l’autre serait d’importance telle qu’elle domine les autres dans une ère géographique donnée. Ainsi, depuis le Moyen-âge européen, l’Espagne et le Portugal, puis les Pays-Bas et la Grande-Bretagne; aux XXe et XXIe siècles, les EUA, puis l’Union soviétique devenue Russie, et peut-être, la Chine, l’UE à 27, le Japon ou l’Inde
• les puissances moyennes ou régionales dont les moyens d’action sont géographiquement plus limités, mais dont certaines ont été des grandes puissances jadis (la France, l’Iran ou le RU) ou sont peut-être en train d’en devenir;
• les puissances locales dont le pouvoir est surtout diplomatique et, en cas d’alliances amples, dépendent fortement des autres Etats de même catégorie. L’exemple par excellence en serait la Belgique.

up down

Sélection pragmatique des pays et des critères pratiques

La première sélection des pays est avant tout intuitive en partant de considérations pragmatiques de bon sens, au risque de se tromper. De leur côté, les critères s’inspirent des explications ci-dessus, mais tentent d’être pratiques et plus moins aisés à quantifier ou à qualifier. Tentons de croiser la sélection intuitive des pays avec les facteurs ou critères envisagés.

Dans les tableaux qui suivent, nous dressons une description comparative sommaire pour quelques pays déjà mentionnés. Les indications qualitatives sont de types : "fort/moyen/faible", “oui-non” ou "+, - ou 0", ainsi que "ss" pour les données peu significatives dans le contexte. A titre de comparaison et dans le but d’une meilleure compréhension, Israël et la Belgique figurent dans le tableau I et montrent la "petitesse" de ces deux pays par rapport aux "grands".

Critères géographique, démographique et économique

Tab 1

Tab 1


La grandeur ou la petitesse d’un pays pourrait correspondre à la richesse ou à la pauvreté réelle ou symbolique. La dimension du territoire également. Mais un grand territoire est indiscutablement plus difficile à défendre contre les invasions extérieures et à maîtriser à l’intérieur. Il a cependant l’avantage de ne laisser que moins d’espace à d’autres pays. Pratiquement, tous ces pays ont un accès facile aux mers chaudes qui facilite le transport bon marché. Mais trop de frontières maritimes peuvent signifier également une certaine vulnérabilité.

Il en va de même pour l’importance du nombre d'habitants : beaucoup de personnes à nourrir, mais de nombreux soldats disponibles. Les "migrations nettes" sont exprimées en nombre pour 1.000 habitants. Un chiffre élevé signifie l’afflux et une force d’attraction, alors qu’un nombre faible, voire négatif correspond à une déperdition démographique, à un rejet de population. L’attrait comme le rejet peuvent être motivés tant par des circonstances politiques ou socio-économiques, que par des faits culturels ou idéologiques. Il est indiscutable que, sur base de ces critères démographiques, les EUA, l’UE à 27 et la Russie peuvent être considérées comme grandes puissances.

Tab 2

Tab 2

PIB = Produit Intérieur Brut; PPA = Parité de Pouvoir d’Achat.

Le PIB à PPA est l’expression annuelle du produit total d’un pays calculé comme si les prix et le panier du consommateur étaient égaux de pays à pays. L’UE à 27, les EUA et la Chine occupent les trois premières places, bien avant les autres pays. C’est la Chine qui se substitue à la Russie dans cette comparaison. Le PIB est un critère assez important car il marque la capacité économique d'un pays de consommer et d’investir, voire de s’armer. Elle est certes théorique, car son importance géopolitique dépend précisément de la manière de l’utiliser. Les habitants d’un pays riche pourraient être réticents à diminuer leur consommation pour, par exemple, se garantir une meilleure sécurité, alors que, dans un pays pauvre, les habitants colonisés seraient prêts à sacrifier leur bien-être relatif pour obtenir leur libération du joug étranger.


D’autres critères économiques

“L’endettement extérieur brut” 6 des EUA s’élève à plus de 10 000 milliards d'Euros, soit plus que l’ensemble de l’endettement extérieur en devises de tous les autres pays du monde ! Les charges d’intérêts annuelles à payer vers l’étranger par les EUA pèsent évidemment sur les revenus du pays et handicapent évidemment ce dernier pour financer sa puissance. Si, par contre, on ne prête qu’aux riches, alors les EUA le sont et d’ailleurs ils ne remboursent pas jusqu’ici. Pourtant, à un moment donné, l’ex-grande puissance Royaume-Uni a été amenée à devoir rembourser des dettes extérieures, car les banquiers l’avaient requis au début des années '60. Même de la part des EUA, un remboursement en or et en devises a été effectué lorsque le nouveau président français, Charles de Gaulle, l’a exigé !

A l’instar du Japon, l’UE à 27 s’avère faiblement endettée à l’égard de l’étranger, tandis que la Chine l’est à 140-150 milliards d'Euros, alors que la Russie devient moins en moins endettée. De plus, la Chine, le Japon et l’UE à 27 détiennent d’importantes créances sur les EUA. Hélas, l’endettement des pays pauvres est substantiel par rapport à leur production. Des remboursements annuels majorés d’intérêts élevés sont exigés chaque année. Cela provoque la misère croissante et la crise économique incessante pour un plus grand nombre, comme en Inde, au Pakistan, au Brésil et en Indonésie. Ce facteur négatif interdit donc à ces pays de se ranger parmi les grandes puissances.

Dans le cas des EUA, la demande de remboursement de leurs dettes vers l’étranger peut, à n’importe quel moment, devenir d’actualité, notamment dans un rapport de force avec la Chine par exemple. Elle provoquera inéluctablement une crise majeure du système économique internationale. Si c’est le cas, l’Euro deviendrait alors l’unique monnaie de base significative, le Yen, la Livre sterling et le Franc suisse gardant leur statut secondaire. Quoi qu’il en soit, depuis le début de ce millénaire, le Dollar perd progressivement sa place première parmi les devises internationalement utilisées et ce, en faveur de l’Euro.

A prix constants ou autrement dit, en termes réels, la croissance entre l’UE à 27 et les EUA ne diffère guère depuis 1998. Les chiffres antérieurs étant marqués par la terrible crise occasionnée dans les pays devenus membres d’Europe centrale et orientale par leur (r)entrée dans la voie du capitalisme multinational. Le cas du Japon s’avère intéressant. Il dispose d’une masse du PIB respectable avec une population relativement modeste jointe à un haut niveau de développement technologique.

Mesurée en consommation d’énergie par 1000 Euros de PIB, l’intensité énergétique de l’économie des EUA est quasi le double de celle de l’UE à 27. Ce qui veut dire que la dépendance énergétique des EUA se trouve à un niveau sensiblement plus élevé que celle de l'UE. Il en va de même des émissions de gaz à effet de serre, avec un effet environnemental désastreux. Il reste que les deux entités dépendent fortement de l’étranger au niveau énergétique. La Russie comme le Brésil sont exportateurs énergétiques, alors que la Chine, le Japon, l’Inde, le Pakistan et l’Indonésie sont des pays importateurs.

Les critères économiques mettent l’UE à 27 à la première place, suivie par la Chine, puis les EUA et le Japon. Outre le problème de l’endettement des EUA, la perte du rôle prééminent du Dollar et leur forte dépendance énergétique contribuent à créer un doute quant à la place future des EUA parmi les toutes premières puissances économiques.

up down

L’arme nucléaire assure-t-elle la toute-puissance ?

Voyons les faits ou ce qui apparaît comme tel en ce qui concerne la puissance nucléaire. Le tableau indique également les statistiques de forces armées, Ces statistiques sont par définition approximatives en raison du nombre fluctuant des personnes appelées ou engagées, de l'existence de classements variés et des milices populaires ou mercenaires privés, notamment auprès de l’armée américaine et entre autres pour les périodes alternatives de paix et de guerre.

Tab 1


La distinction entre "grandes" et "moyennes-régionales" est réalisée en fonction des vecteurs nucléaires en jeu. Les unes ont des moyens de transport d’armes nucléaires à portée mondiale, alors que les autres n’en auraient qu’à portée locale, c’est-à-dire, ne dépassant guère quelques milliers de kilomètres. L’hystérie dûment entretenue à propos de la prolifération éventuelle d’armes nucléaires correspond à une propagande de guerre classique, mais ne semble techniquement guère justifiée. En effet, le raffinement technologique de ces armes, l’effort budgétaire substantiel nécessaire et la capacité limitée de les utiliser par des vecteurs efficaces ne permettent point des improvisations d’amateurs ou de bandes de criminels.

La puissance nucléaire en tant que telle doit également être relativisée. D’une part, en cas d’utilisation, la riposte risque d’être nucléaire aussi et d’entraîner des dégâts inacceptables à l’initiateur. D’autre part, à une distance faible qu’imposeraient des vecteurs à portée limitée, son utilisation est peu recommandable en raison des retombées inéluctables telles que pluies ou vents radioactifs, ras de marée, réfugiés en grand nombre, etc. Enfin, le pays qui y aurait recours pourrait voir s’allier contre lui une part notable du monde.

Du point de vue géographique, les EUA profitent de la situation insulaire par rapport à la Russie fortement étendue et la Chine très montagneuse, mais ne peuvent guère recourir à la menace nucléaire véritable, puisque les deux autres disposent de configurations géographiques qui leur sont aussi favorables. Ni la Russie, ni la Chine ne peuvent menacer l’autre pour les raisons qui viennent d’être évoquées. Elles peuvent cependant utiliser leurs armements nucléaires en cas de nécessité extrême contre d’autres puissances. Si ces deux pays s’allient “pour le bon”, cette alliance constitue un risque quasi inacceptable pour les EUA, alors que le risque nucléaire paraît relativement réduit dans les rapports sino-pakistanais, sauf attaque autodestructrice de l’Inde ou du Pakistan, l’un contre l’autre. Finalement, c’est seulement l’hypothèse suicidaire de la lutte nucléaire de David contre Goliath qui semble avoir quelques fondements et qui justifie la posture de la France.

L’importance des forces armées peut être estimée à partir d’un grand nombre d’éléments tels que :

• La longueur et la nature des frontières terrestres et maritimes à sécuriser nécessitant l’entretien d’un grand nombre de militaires. C'est manifestement le cas de la Russie, de la Chine ou des EUA. L’UE à 27 opte plutôt en faveur d’une diplomatie active comme substitut à la force militaire. Néanmoins, les actions dites humanitaires exigent en même temps des militaires plus nombreux. Il reste aussi la défense indispensable du territoire.

• La qualification des militaires et les équipements disponibles permettent par contre de diminuer le chiffre des effectifs; l’exemple par excellence en est évidemment le Royaume-Uni ou Israël. Une limite à cette tendance se manifeste cependant ces derniers temps : dans les cas d’occupations, après des guerres "technologiques" plus ou moins éclairs, l’occupant doit disposer d'une infanterie nombreuse (Vietnam, Afghanistan, Tchétchénie, Irak, etc.).

• Les projets stratégiques des dirigeants ainsi que l’opinion publique dont l’influence sur l’ampleur des investissements militaires peut aller dans un sens parfois complètement opposé. Le cas des EUA exprime une tendance impérialiste matérialisée par des centaines de bases militaires installées à travers le monde et par des invasions militaires répétées. L’hypothèse contraire se vérifie pour l’UE à 27. La remilitarisation du Japon ou, à l’opposé, la dénucléarisation brésilienne en sont aussi des illustrations remarquables. Un renforcement militaire s’observe dans les cas des deux Corées, en Iran encerclé par les EUA, et dans les relations indo-pakistanaises ou dans le rapport américano-russe.

Les EUA entretiennent un réseau étendu de 725 bases militaires de nature multiforme sur tous les continents excepté dans les grands pays tels que la Russie, la Chine, l’Inde ou le Brésil. Ce réseau leur permet d’encercler, jusqu’à une certaine mesure, certaines entités ou pays tels que l’UE à 27, la Russie, l’Iran ou la Chine. Cela leur donne un avantage géostratégique indiscutable à condition de disposer d’une armée suffisante pour exploiter ces bases.

Or, précisément, les problèmes que posent les invasions récentes de l’Afghanistan et de l’Irak soulèvent la question d'un excès de l’extension militaire du pays, puisque les troupes y manquent manifestement. En outre, ce ne sont pas des guerres-éclairs "technologiques" d’une "superpuissance" autoproclamée contre ces "nains géopolitiques" qui me convaincraient d’une prééminence des EUA dans l’arène internationale. Ces questions ont déjà surgi après la guerre vietnamo-américaine dans les années '70 mais deviennent aujourd’hui plus aiguës. Du reste, toute tentation hégémonique, déclarée ou de fait, devient un piège et entraîne la contestation, voire l’alliance d’autres puissances contre cette envie puérile et dangereuse. Le danger est que le pays qui s’illusionne de cette façon, peut se prendre au sérieux et faire beaucoup de dégâts à travers le monde.

Or, précisément, les problèmes que posent les invasions récentes de l’Afghanistan et de l’Irak soulèvent la question d'un excès de l’extension militaire du pays, puisque les troupes y manquent manifestement. En outre, ce ne sont pas des guerres-éclairs "technologiques" d’une "superpuissance" autoproclamée contre ces "nains géopolitiques" qui me convaincraient d’une prééminence des EUA dans l’arène internationale. Ces questions ont déjà surgi après la guerre vietnamo-américaine dans les années '70 mais deviennent aujourd’hui plus aiguës. Du reste, toute tentation hégémonique, déclarée ou de fait, devient un piège et entraîne la contestation, voire l’alliance d’autres puissances contre cette envie puérile et dangereuse. Le danger est que le pays qui s’illusionne de cette façon, peut se prendre au sérieux et faire beaucoup de dégâts à travers le monde.

up down

D’autres critères plus qualitatifs

Parmi les critères géographiques, il faut assurément tenir compte du positionnement géopolitique de chaque puissance, situation à laquelle on a déjà fait allusion ci-dessus. Il en est de même des facteurs démographiques, tels que l’âge et la qualification de la population. En termes économiques, il faut évidemment tenir compte de l’accès aux ressources naturelles, notamment énergétiques, de la dépendance extérieure en terme commercial et d’endettement, ainsi que de la domination externe par les multinationales étrangères dans le pays, ou de la domination exercée par les multinationales locales à l’étranger

Objectiver ces critères est une tâche difficile et rend finalement leur évaluation assez subjective.

Autres critères géographiques, démographiques et économiques

Tab 4


Du point de vue géopolitique, la faiblesse peut devenir une force ou l’inverse, selon les cas. L’UE à 27 est fragile car elle est de fait indéfendable en cas de guerre nucléaire, mais, en même temps, le risque d’être attaquée reste limité, puisqu’une telle guerre détruirait des installations productives autant que des marchés de toutes les puissances qui y sont économiquement présentes. Quant aux EUA, leur insularité constitue un grand avantage, tandis que pour la Chine, la concentration côtière de la population rend le pays vulnérable, mais néanmoins protégé par des territoires montagneux. En ce qui concerne la Russie, on découvre ici, selon les quatre critères, qu'elle a une position favorable.

Critères culturel, politique et idéologique

Il importe aussi d’évaluer, ne fût-ce que subjectivement, l’influence et le rayonnement, comme la solidité et le consensus culturels et idéologiques au sein d’un pays, d’un ensemble de pays ou entre différents pays. Certains éléments semblent y jouer un rôle non négligeable tel que la langue, l’industrie culturelle ou la recherche ainsi que l’aptitude diplomatique comme la capacité à mobiliser sa propre population par voie du discours ou d’autres actions politiques. Quid de l’élan agressif ou pacifique de la population ou du comportement impérialiste ou conciliant avéré des gouvernants ?

Tab 5


Dans ce genre d’évaluations très approximatives, il faut apparemment tenir compte du type et de la nature des régimes politiques des pays pris en considération. Un peu rapidement, on attribue à la démocratie des vertus géopolitiques non avérées. Les démocraties comme les régimes autoritaires peuvent exercer une certaine influence culturelle ou idéologique, ou créer un consensus politique intérieur, notamment par le lancement d’une guerre contre un ennemi.
Une tendance au fondamentalisme affaiblit une puissance car elle la rend rigide comme aux EUA, au Pakistan ou en Iran.

up down

Synthèse, conclusions et perspectives

Une classification un peu systématique confirme l’intuition quant au système des grandes puissances dans le monde. Sur base des critères démographiques, les EUA, l’UE à 27 et la Russie peuvent prétendre être considérées comme grandes puissances. Les critères économiques indiquent pour l’UE à 27 la première place, suivie par la Chine, puis les EUA et le Japon. Les critères militaires font émerger, en ordre d’importance, les EUA, la Russie, la Chine et l’UE à 27 comme étant des grandes puissances actuelles et ce, bien entendu, pour des raisons variées. Selon les critères qualitatifs et fort subjectifs, la Russie comme l’UE à 27 a une position favorable.

Il en résulte que les quatre puissances citées par ordre alphabétique : la Chine, les EUA, la Russie et l’UE à 27 figurent en première place du système international. Outre le problème de l’endettement des EUA, la perte du rôle prééminent du Dollar, les insuffisances en matière militaire et leur forte dépendance énergétique contribue, néanmoins, à créer le doute quant à la place future des EUA parmi les toutes premières puissances. En dehors de ces quatre, les autres puissances ne peuvent aspirer qu’à des positions de puissances moyennes ou régionales, mais peuvent s’allier entre elles ou avec l’une ou l’autre des plus grandes et développer ainsi des rapports de force non négligeables. Tel serait le cas pour le Japon ou l’Inde.

A notre sens, le système actuel des grandes puissances dans le monde apparaît comme éclaté et instable à quatre, alors que le monde dominé par le “duopole” russo-américain entre 1945 et 1990 a souvent été considéré comme structuré et équilibré. De toute évidence et contrairement aux affirmations répétées, il n’y a aucune raison d’admettre l’existence d’une superpuissance qui dominerait toutes les autres. Malgré les tentations ou des actes impérialistes, les discours ne peuvent se substituer aux réalités. Les EUA seraient en fait en déclin relatif, tandis que l’UE à 27 comme la Chine tendrait à se renforcer par rapport aux premiers. La position géopolitique future de la Russie demeure une question d’interrogation. L’apparence unipolaire du monde conduit à sa réelle contestation et à son dénigrement fondé.

Quoiqu’instable et éclaté, le système des grandes puissances dépasse le nombre fatidique de triumvirat particulièrement conflictuel et se trouve dans une situation oligarchique plurale. Dans cette configuration, tantôt l’une tantôt l’autre prévaut ou des alliances changeantes s’organisent pour une raison ou une autre. Il ne semble exister aucune raison pour que cela change. Ce qui n’exclut guère des évolutions et des ajustements, voire des modifications de sphères d’influence de l’une ou de l’autre puissance selon les conjonctures des relations internationales et le développement du capitalisme en voie de se globaliser. Cette globalisation augmenterait même la menace de conflits armés entre les grandes puissances, selon Arrighi.

Une stratégie eurasiatique

En Eurasie, trois hypothèses d'école se profilent du point de vue géopolitique. La première postule la mise en place d'une chaîne de grandes puissances plus ou moins équivalentes - la Russie, la Chine, les EUA et l'UE - et dont l'équilibre est instable et mouvant. La seconde envisage l'éclatement partiel ou total de la Russie. L'affaiblissement serait tel qu'il créerait un vide géopolitique que seule la Chine ou l'UE (ou encore les deux ensemble?) serait en état de combler. Cette évolution signifierait, en Eurasie, des guerres multiples et inéluctablement nucléaires, et dont les effets sont tout simplement imprévisibles. La troisième hypothèse suggère que le danger n’est pas la puissance russe, mais plutôt sa faiblesse. Elle envisage que la future confédération, née de l'ex-URSS et constituée autour de la Russie, continuerait à garantir à cette dernière une position de grande puissance. Cette Russie constituerait un contrepoids européen à l'Amérique du Nord et à d'autres puissances telle que la Chine ou l’Inde.

Avec l'accord de tous, cette formule pourrait permettre deux évolutions également possibles: soit Europe occidentale et centrale est militairement banalisée et devient d'une certaine façon la « Suisse neutre du monde» du troisième millénaire, par analogie avec le rôle joué par ce pays pendant la seconde Guerre mondiale; soit Europe est à nouveau partagée entre Washington et Moscou. A cause de l'opposition foncière des EUA à égard de l'OSCE, le risque persiste de voir l'OTAN se substituer à cette dernière, ce qui "réaméricaniserait" puissamment Europe et, en même temps, la partagerait en deux, quelque trois cents ou quatre cents kilomètres plus à l'est que ne l'avait fait la conférence de Yalta. S'achemine-t-on vers un autre Yalta, grâce au consentement ou à la complicité de la Russie? Ce ne serait pas sans répercussion sur ce qui se passe en Asie du Sud-est ou sur la légitimité que cela donne aux Grands pour intervenir et bombarder n'importe où en termes de principes et de valeurs, cette dernière évolution n'est pas non plus sans risque.

L'OTAN, comme les EUA et leurs alliés, se vante depuis toujours de défendre le système démocratique, la paix dans le monde et les droits de l'homme au sens large. Or, l'OTAN s'accommode fort bien de régimes dictatoriaux ou très autoritaires, qu'il s'agisse de la Grèce, de l'Espagne ou du Portugal dans le passé, de la Turquie ou de la Georgie aujourd'hui. Les EUA réarment massivement le monde et plus particulièrement les pays islamiques jusqu'en Europe (le Pakistan et les talibans en Afghanistan, la Bosnie-Herzégovine, l'Albanie et, par voie de conséquence, le Kosovo), tout en voulant renforcer l'OTAN en face du danger que représenterait l'Islam 7 . La Russie fricote avec l'Iran ou, avec les EUA, mène des activités peu louables dans la Caucasie au Nord comme au Sud. Le respect des règles du Conseil de Europe ou de l'Organisation internationale du travail n'est manifestement pas le premier souci des pays de l'OTAN ou de la Russie, ni à l'intérieur ni à l'extérieur.

Axe Moscou-Beijing-Washington

Depuis 1997, Washington annonce sa décision d'élargir l'OTAN. Cette décision n'est véritablement négociée qu'entre Washington et Moscou, et ces négociations se déroulent sans l'intervention réelle de la diplomatie européenne de l'UE. Depuis 2000, il conclut de nombreux accords militaires bilatéraux avec certains PECO et y implante de système de défense à l’insu de l’OTAN. En 2008, c’est pour la première fois que l’OTAN ne suit pas les décisions des EUA quant à l’adhésion immédiate de l’Ukraine ou de la Géorgie. Par ailleurs, il faut bien prendre en considération qu'à l'échelle mondiale l'Inde représente, outre la Russie, un contrepoids considérable aux ambitions de grande puissance de la Chine en Asie. L'amitié russo-indienne des années cinquante, soixante et septante s'était amoindrie, mais vient d'être vigoureusement réaffirmée depuis les expériences nucléaires de l'Inde. D'un autre côté, comme on le sait, la Chine a développé un programme nucléaire complet. Depuis les années 1960, elle soutient le Pakistan et se pose en rivale face de l'Inde.

Il faut également savoir qu'un conflit armé entre la Chine et les EUA est parfaitement concevable et possible. Pour les EUA, il est difficile de tolérer le développement d'une puissance chinoise qui subordonnerait toute initiative d'un autre Etat aux intérêts de Beijing. Cette position très forte de la Chine pèse sur le Japon, satellite fidèle des EUA. Par sa diaspora dans toute l'Asie de Sud-est, la Chine exerce par ailleurs une influence croissante et déjà considérable. Par rapport aux EUA, elle travaille à en détacher progressivement l'Indonésie, les pays d'Indo-Chine et bien d'autres pays, notamment en Afrique.

L'important traité signé en avril 1997 entre Moscou et Beijing entérine une modification des rapports de forces: pour la première fois, la Russie ne domine plus son grand voisin de Sud-est eurasiatique. Quoique l'accord ait été pompeusement baptisé de « Partenariat stratégique », il n'est pas à sous-estimer par rapport à la prétention hégémonique des EUA. Issue de ce partenariat, l’Organisation de la coopération de Shanghai (OCS), répond aux besoins russo-chinois de renforcer leur position eurasiatique à égard des EUA et du Japon, mais également de l'Inde ou du Pakistan. Dans l'avenir, cet accord pourrait également réguler les relations russo-chinoises en ce qui concerne les questions coréenne, vietnamienne ou afghane. En tous cas, il met ipso facto en question la doctrine kissingérienne de la diplomatie américaine: les EUA doivent avoir de meilleures relations avec la Chine et avec la Russie que ces deux dernières entre elles.

La question soulevée par la volonté de l'Inde et du Pakistan de devenir puissances nucléaires n'est pas sans lien avec l'enjeu que représente l'Asie centrale entre la Russie et la Chine au nord, l'Iran et le Pakistan au sud, non loin du nord de l'Inde, cette partie du continent eurasiatique est composée de six pays dont le nom se termine par "stan" (voir Partie 3 ci-dessus). Conséquence de l'affaiblissement de la Russie, l'Asie centrale devient un lieu convoité en raison de réserves massives de matières premières, surtout énergétiques. Or pour les sortir d'Asie centrale, il faut développer des conduites (oléoducs et gazoducs) à travers de nombreux pays voisins, partager des sphères d'influences tant privées que publiques et, aussi vite que possible, stabiliser toute la région concernée. Les multinationales comme les grandes puissances sont toutes impliquées et, indirectement, participent à tous les conflits souvent armés et meurtriers en Afghanistan, au Kirghizstan ou au Cachemire, à l'instar de ce qui se passait en Tchétchénie.

Dans la géoéconomie des armes nucléaires, la responsabilité des Etats comme celle de leurs multinationales qui vendent la technologie et l'équipement - au départ souvent civils - est entière. C'est la raison pour laquelle les sanctions américaines contre l'Inde, l’Iran ou le Pakistan font long feu devant la volonté d’exporter. Les Etats affaiblis sous le coup de la mondialisation et des impératifs du profit infini des multinationales s'unissent pour répandre l'horreur.

En raison de sa configuration et sa localisation, l’Europe à quelle que définition que ce soit ne peut penser sa sécurité et sa défense que d’une façon exclusivement défensive et dans une perspective de « bon voisinage » : un recours systématique à la coopération socio-économique et à la diplomatie de paix. Plus spécifiquement, pour l’UE actuelle et pour les futurs pays membres des Balkans, la conclusion s’impose: Bruxelles aura désormais tout intérêt de tenir une distance égale par rapport à Moscou et à Washington. L’un comme l’autre représentent une grande puissance, se situent à proximité et seraient toujours tentés de vouloir dominer l’UE.

Il en résulte que, tout en sachant que le risque russe existe toujours et que l’aléa américain ne fait que croître 8 , l’UE devra simultanément
1. développer une alliance stratégique avec la Chine,
2. se distancer un peu des EUA et
3. s’approcher de la Russie.
D’ailleurs, avec cette dernière, des liens culturels sont bien plus nombreux qu’avec les EUA et l’approvisionnement énergétique se trouve assuré, pour une part notable, par la Russie et indépendamment des EUA et leurs multinationales. Certes, pour l’UE à 27, puis d’ici quelques années à 30 ou plus, il faut garder raison afin de ne pas provoquer les autres grandes puissances. Peut-on souhaiter autre chose qu’une UE, « puissance tranquille », pacifique et contenue, mais aussi autonome, civile et solidaire (voir chapitre suivant) ?

up down

Bibliographie spécifique


ADAM, Bernard (sous la direction), Europe, puissance tranquille ?, GRIP-Complexe, Bruxelles, 2006.
ADDA, Jacques, La mondialisation de l’économie, La Découverte, Paris, 2006.
BADIE, Bertrand & alii, Qui a peur du XXIe siècle ? Le nouveau système international, La Découverte, Paris, 2006.
BELLO, Walden, La fin de l’empire – La désagrégation du système américain, Fayard, Paris, 2006.
BEURDELEY, L., R. de la BROSSE & F. MARON (sous la dir.), L’Union européenne et partenariats rénovés : quel avenir pour le nouveau voisinage de l’Union ?, Bruylant, Bruxelles, 2007.
BOLLMANN, Ralph, Lob des Imperiums. Der Untergang Roms und die Zukunft des Westens, Wolf Jobst Siedler jr., Berlin, 2006.
BRZEZINSKI, Z., The Choice: Global Domination or Global Leadership, Basic Books, New York, 2005.
BULARD, Martine, La Chine bouscule l’ordre mondial, in: Le Monde Diplomatique, août 2005.
Cahiers marxistes, Le défi impérial, numéro thématique, n° 233, août-septembre, 2006.
DELCOURT, Barbara, L’impérialisme libéral : un projet d’avenir ?, in : Cahiers marxistes, Le défi impérial, numéro thématique, n° 233, août-septembre, 2006.
DEMPSEY, Judy, EU and NATO bound in perilous rivalry, in : International Herald Tribune, 5.10.2006.
Etat du monde 2007, l’, sous la direction de B. Badie & B. Didiot, La Découverte, Paris 2006.
DOMBEY, Daniel, America finds its hands tied by new rivals, in: Ft, 12.2.2007.
FERENCZI, Thomas, Pourqoi l’Europe?, André Versaille, Bruxelles, 2008.
FERGUSON, Niall, The War of the World: Twentieth-Century Conflict and the Descent of the West, Penguin, London, 2006.
FT Special Report: Russia, April 18 2008.
GODARD, Michel, Colonialisme, impérialisme.. Good-bye Lenine ?, Cahiers marxistes, Le défi impérial, numéro thématique, n° 233, août-septembre, 2006.
GORDON, Philip H., Winning the Right War. The Path to Security for America and the World, Times Books, New York, 2007.
GRAZIONO, Manlio, Perché, di preciso, gli americani sono andati in Iraq?, in: LIMES, 2/2006.
International Herald Tribune, India welcomed as new sort of superpower, 21.7.2005.
GRAY, John, The Mirage of Empire, in : The New York Review, 12.1.2006.
HASSNER, Pierre, Débat: Le siècle de la puissance relative, in: Le Monde, 2.10.2007.
HOBSBAWM, Eric, Où va l’Empire américain, in: Le Monde Diplomatique, juin, 2003.
HOFFMANN, Stanley, The Foreign Policy the US Needs, in: The New York Review, 10.8.2006.
HORN, Gerald, Made in China? Az amerikai imperializmus válsága, in: Eszmélet, Kina egysége és sokfélesége, n° 71, automne, 2006.
IMHASLY, Bernard, Abschied von Ganghi? Eine Reise durch das neue Indien, Herder, Freiburg i.Br., 2006.
JOHNSON, Chalmers, Nemesis: The Last Days of the American Republic, Metropolitan, New York, 2007.
JUDT, Tony, Dreams of Empire, in : The New York Review, 4.11.2004.
KENNEDY, Paul, KENNEDY, Paul, The rise and fall of the Great Powers, Fontana Paperbacks, London, 1988;
idem, The Modern Machiavelli, in : The New York Review, 7.11.2002.
KISSINGER, H., Does America Need a Foreign Policy? Towards a diplomacy for the 21st Century, Simon & Schuster, 2001, New York.
KJELLÉN, R., Die Grossmächte und die Weltkrise, Teubner, Berlin-Leipzig, 1921.
KUPCHAN, Ch.A., The End of the American Era: U.S. Foreign Policy and Geopolitics of Twenty-First Century, Knopf, 2002, New York.
LAYNE, Christopher, The peace of illusions. American grand strategy from 1940 to the present, Cornell Univ. Press, Ithaca-London, 2006.
LEONARD, Mark, Why Europe Will Run the 21st Century, HarperCollins, Londres, 2005.
LILA, Mark, Die Schlafwandler – Amerika vor und nach den Terroranschlägen des 11. September – eine Sicht von innen, in: NZZ, 9/10.9.2006.
LIMES, n° 3, 2002, Tema speciala: “Il triangolo di Osama: USA/RUSSIA/CINA” ;
Idem, Parte I le Potenze oceaniche, in: LIMES, 4/2006.
LONGWORTH, Philip, Russia’s Empires, Their Prehistory to Putin, John Murray, London, 2005.
LOROT, P., & T. THUAL, La géopolitique, Paris: Monchrestien, 1997.
MARTHOZ, Jean-Paul, L’Europe et les droits de l’Homme, in: Politique, n° 52, Février 2008.
idem, La liberté, sinon rien – Mes Amériques de Bastogne à Bagdad, GRIP, Bruxelles, 2008.
MASKENS, Alain, Bruxelles face aux idéologies mono identitaires, in: Agenda interculturel, n° 254, Juin 2007.
MORAVCSIK, Andrew, Europe is the new rôle model for the world, in Financial Times, 6.10.2004.
MUELLER, John, Is There Still a Terrorist Threat ?, in : Foreign Affairs, septembre-octobre, 2006.
MUSCHG, Adolf, Was ist europïsche? Reden für einen gastlichen Erdteil, C.H. Beck, München, 2005.
NZZ, Europa – mächtig, aber ohne Macht, 14/15.7.2007.
PANITCH, Leo & Sam GINDIN, Capitalisme mondial et empire américain, Cahiers marxistes, Le défi impérial, numéro thématique, n° 233, août-septembre, 2006.
PAOLINI, Margherita, Primum vivere : così Putin vuole agganciare l’Europa, in : LIMES, 1/2006.
PAX CHRISTI WALLONIE-BRUXELLES, Comment se dessine le système des grandes puissances?, Bruxelles, 2005.
Idem, Géopolitique de la migration, Bruxelles, 2006.
PISTELLI, Lapo, Mappa della (dis)unione europea, in: LIMES, n° 1, 2006.
RADÓ, Sándor, Atlas für Politik, Wirtschaft, Arbeiterbewegung. 1. Der Imperializmus, Haack, Leipzig, 1930/1980.
RAMSèS 2007, sous la direction de T. de Montbrial & P. Moreau, Dunod, Paris, 2006.
RUBIO GARCíA, Dolores, Les enjeux de l’identité européenne, in : La Revue Nouvelle, mai 2007.
SCHMITT, Carl, Der Begriff des Politischen – Text von 1932 mit einem Vorwort und Corollarien, Duncker & Humblot, Berlin, 1963/2002.
Idem, Frieden oder Pazifismus? Arbeiten zum Völkerrecht und internationalen Politik 1924–1978, Duncker & Humblot, 2005.
SCHÜRER, Wolfgang, Wenn Asiens Bäume in den Himmel wachsen – Der Aufbruch Chinas und Indiens – Ein vielgestaltiges Phänomen mit einer Vielzahl von Paradoxien, in: NZZ, 14/15.1.2006.
SIPRI, http://first.sipri.org/index
STEPHENS, Philip, Last chance for the US to shape the new global order, in: FT, 3.4.2008.
URQUHART, Brian, The New Amarican Century?, in: The New York Review, 11.8.2005.
WADE, Robert, A New Global Financial Architecture, in : New Left Review, n° 46, juillet-août, 2007.
WALLERSTEIN, I., The Eagle Has Crash Landed, in: Foreign Policy Magazine, juillet-août, 2002.
ZEILINGER, Reinhard & autres, Geopolitik - Zur Ideologiekritik politischer Raumkonzepte, Promedia, Wien, 2001.

up down

1.2 Limites, frontières et portée de l’Union européenne 9

L’interrogation sur les limites, les frontières ou la portée de l’UE rencontre un ensemble “de défis et de réponses à ces défis” caractérisés par une dialectique redoutable. Ces défis et de réponses à ces défis frisent constamment le risque d’échecs, mais s’inscrivent en même temps dans une dynamique que rien n’a jusqu’ici démentie.

up down

Arguments discutables

Peuplée de 495 millions d’habitants, l’UE est le troisième “pays” le plus peuplé du monde, après la Chine et l’Inde. En raison de l’existence de la Russie eurasiatique notamment, l’étendue de l’Europe n’est, cependant, pas à confondre avec l’UE. En me cantonnant à n’envisager que cette dernière, le débat autours des limites à son extension future me paraît souvent oiseux. Citer les prétendus critères ou raisons géographiques, historiques, religieux, culturels ou même ethniques tout court ne seraient pour moi qu’autant de prétextes pour éliminer tel ou tel candidat à l’adhésion, sauf débats approfondis. Dire que les frontières de l’Europe dépendraient de l’idée que l’on se fait de l’Europe, me paraît aussi un peu court. Oubliez donc pour le temps de la lecture du texte qui suit ces éléments. Dites-vous bien que la question serait bien plus compliquée qu’elle ne paraît. Il convient, selon moi, de faire table rase et recommencer à réfléchir.

En effet, la Méditerranée serait, pour certains, une limite absolue, alors que depuis l’Antiquité le bassin méditerrané a fait partie de quelques empires européens. Pour le général de Gaulle, l’Europe s’étendrait de l’Atlantique à l’Oural, mais il oublia de mentionner qu’une partie notable de la Russie se trouve au-delà de cette chaîne de montagnes. La Caucasie méridionale comme le Proche-Orient correspond à l’ère de la première christianisation. L’Iran serait le pays le plus proche à l’Est qui a pratiquement toujours échappé aux puissances indiscutablement européennes. Heureusement, l’Atlantique constituerait une frontière dite naturelle du côté de l’Ouest et du Nord, encore que l’on puisse facilement trouver des Britanniques qui voient dans les EUA un prolongement de l’Europe.

Tab 1
Carte 2. L’UE à 27, les pays candidats et les pays „voisins”

Source: L’Union européenne

Depuis l’élargissement de l’UE en 2004 et 2007, la nouvelle frontière orientale de l’union court sur 5 000 km, des mers Egée et Noire à la mer de Barents. L’union compte désormais trois voisins à l’est, l’Ukraine, le Bélarus et la république de Moldova, outre la Russie. Cette nouvelle donne pose une série de risques complexes, notamment la compensation des écarts de développement, la gestion des flux migratoires et le contrôle de la criminalité. Au delà, elle soulève des interrogation géopolitiques et la question des frontières ultimes de l’UE. Dans le double contexte de l’élargissement de l’UE et des progrès du partenariat euro-russe, Bruxelles s'est dotée d’une Politique européenne de voisinage, afin de clarifier les liens qu’elle veut entretenir avec ses nouveaux voisins.

Quant aux arguments religieux, il suffit de se rappeler des discussions entendues il y a 5 ou 10 ans à propos des pays balkaniques qui sont orthodoxes et seraient d’inspiration byzantine. A d’aucuns, ces caractéristiques paraissaient incompatibles avec celles de l’Europe catholique et protestante. Personne n’a pris la peine de vérifier si la religion est discriminante quant aux différences entre les peuples européens d’aujourd’hui et si le byzantinisme est plus développé en Bulgarie ou en Roumanie que dans une Belgique à multiples clivages, entre autres religieux. Beaucoup considèrent la Belgique comme l’exemple d’un byzantinisme politique que la fédéralisation progressive et complexe depuis les années 1960 rend quasi-incompréhensible à beaucoup.

Or, la Belgique est pays fondateur de l’UE et les deux pays balkaniques adhèrent en 2007, sans que cela provoque des remous particuliers. Dix à quinze ans plus tard, l’intégration de la Turquie paraissait vraisemblable, mais le débat autour de sa nature musulmane provoque aujourd’hui des frémissements curieux et souvent mal fondés. Il en est de même pour les autres pays balkaniques, puis pour ceux de la Caucasie méridionale. Une UE à 35, est-ce trop ou trop peu, c’est bien difficile à dire.

Une argumentation similaire peut être tenue s’agissant des critères ethniques, pseudo-historiques ou linguistiques. Il convient de rappeler que, par rapport à l’UE actuelle à 27, le degré d’hétérogénéité des EUA ou même celui de la Suisse paraissent plus élevé, si l’on tient compte de l’étendue des pays en question. Le débat d’aujourd’hui à propos de la Turquie est de la même veine. Peut-être, demain, les questions se poseront-elles à propos du Maroc ou de l’Israël. L’argument historico-politique ne semble pas bien tenir non plus.

D’aucuns avancent l’idée que les pays qui n’ont pas connu la Renaissance ou les Lumières européennes soient peu aptes à épouser la démocratie européenne. L’idée n’est pas fondée en ce qui concerne la Turquie, puisque sa modernisation entamée consistait précisément à introduire des valeurs européennes, bien avant plusieurs PECO et même si elle n’a réussi que partiellement. Plus généralement, l’idée est indéfendable, car il suffit de songer à la démocratie pratiquée par le Japon et l’Inde depuis de la deuxième guerre mondiale.

Les limites, les frontières ou la portée d’une entité physique, sociale ou mentale (pays, bourgeoisie, puissance ou religion, ainsi que multinationales, lieux de travail, de famille ou de loisirs, implantations des ONG comme des fans d’un club de football, etc.) n’apparaîtront donc pas comme des données toutes faites. Plutôt, d’après notre idée, elles relèveraient de la vision et la volonté, ainsi que bien sûr des possibilités des citoyens ou de groupes de personnes concernés. Il s’agirait des « communautés imaginaires » à la Benedict Anderson. C’est en tout cas l’hypothèse qui sera défendue dans la suite.

up down

UE, Espace spécifique ou espace constitué ?

Après ces premiers efforts d’élucidation, il convient d’aller au-delà des arguments fallacieux. Ainsi, peut-être existe-t-il des critères mieux argumentés pour aborder la question des limites, des frontières et de la portée de l’UE ? Ces critères ne peuvent être que théoriques 10 , c’est-à-dire analytique, systématique et logique satisfaisant à l’esprit humain. Il convient de rappeler les choses élémentaires :

 pas d’espace sans temps et pas d’espace européen ni de temps européen sans Etat, c’est-à-dire sans l’UE en tant qu’entité étatique historiquement établie!

 comme tout espace, l’UE est à la fois espace qui consiste en donnés et pensés, s’avère objet de représentation et constitue enjeu et produit.

Ainsi, peut-être existe-t-il des critères mieux argumentés pour aborder la question des limites, des frontières et de la portée de l’union ? Certes, on peut insister sur les espaces en tant que tels ou plutôt sur les différentiations entre espaces. D’où surgissent deux séries de questions 11 .

1. Que constitue l’espace spécifique ?

• Les données inhérentes ou davantage les dissemblances (géographie, langue, structures sociétaires, etc.) ?
• Les éléments matériels ou les “constructions” de l’imaginaire collectives (ressources naturelles, reliefs, représentations, nations, cultures).
• Le surgissement historique ou le développement inégal (féodalisme-capitalisme, stratégie des acteurs dominants et enjeux, multinationales, division du travail) ?
• Les identités territoriales ou les identités territorialisées (localisation, appartenance, territorialité, frontières, zone d’action politique) ?

2. Comment un espace se constitue-t-il ?

• Par un territoire à soi à acquérir ou une aire à défendre (lutte d’indépendance, impérialisme, fédéralisme, discours, stratégie) ?
• Par un Etat à constituer ou une souveraineté à propager (nationalisme, religions, culture-langue, idéologie, intérêts économiques) ?
• Par une région de passage à occuper ou un domaine à délimiter (fleuves, détroits, îles, idéal ou mémoire historiques, aire vitale) ?

Telle que l’UE, l’univers s’inscrit évidemment dans l’espace, mais dans des espaces pas nécessairement réductibles à des espaces géographiques ou territoriaux. Les aspects spatiaux de cet univers ne se réduisent pas non plus à un problème de localisation de l’Etat. Il y a évidemment des rapports entre

 la souveraineté et la Nation,
 les Etats et leurs zones d’influences ou
 la monnaie, l’armée, la politique étrangère et leurs portées géographiques. Ainsi
l’espace européen admet-il une multiplicité de facettes qui peuvent même se superposer :
 le pays ou l’habitat,
 le terrestre et le maritime,
 les critères de nationalité ou de religion, d’intérêt ou de solidarité économique,
ou encore, plus généralement, de stratégie, d’histoire ou d’appartenance, etc.

Au sein des Etats et entre eux, il existe des acteurs nombreux tels que les multinationales, les Eglises, les courants de pensée, etc. Chacun d’entre eux crée ses propres représentations d’espaces instables et tente à les imposer. Faisant suite à des séries de décisions successives séparées et parcellaires, chacune de ces stratégies comporte son espace spécifique et singulière. En l’absence d’un plan social ou global, l’interaction des stratégies des acteurs se réalise forcément dans l’incohérence, voire le chaos. Il ne s’agit pas seulement du rapport entre l’institution politique et la spatialité du politique, bien que celle-ci joue le rôle principal dans l’espace social concret et pour commencer même dans sa délimitation géographique.
Il va de sois que cet espace social entretient un rapport spécifique avec les institutions qui représentent l’intérêt collectif et font figure d’Etat. Cet intérêt collectif s’exprime en effet, depuis les Temps modernes, par et dans l’Etat en Europe.

Dans le processus capitaliste de la globalisation actuelle, l’Etat se trouverait en déphasage temporel par rapport au règne mondialisé du capital. Cependant, le capitalisme est loin d’être entièrement mondial pour le moment. La majeur partie des échanges se limite aux pays industrialisés en matières tant du commerce que d’investissement. Il n’en reste pas moins que l’Etat serait en retard devant le dynamisme du capitalisme qui déborde les frontières des Etats-Nations actuels. Cependant, ce débordement est même favorisé par l’Etat par la libéralisation, la déréglementation et la privatisation pratiquées.

En même temps, la fonction et la place de l’Etat se redéfinit constamment par la création de fédérations d’Etats (UE, Mercosur, ASEAN, etc.), d’institutions internationales publiques ou privées (ONU, OMC, Tribunal pénal international), du mercenariat multinational, des mafias diverses, etc. 12 Dans l’UE, l’introduction d’une monnaie unique, l’esquisse d’une défense commune et la création lente mais certaine d’une citoyenneté propre sont, sans doute, les signes avant-coureurs d’une entité réellement fédérée 13 . A cette entité sui generis, les Etats devenues membres transfèrent des morceaux de plus en plus nombreux de souveraineté.

L’option sera ici d’explorer l’UE comme
o étant à la fois espaces donnés, pensés, représentés, enjeux et produits,
o s’incrivant dans le temps historique sous l’égide d’une nouvelle espace étatique sui generis.
Foucher la décrit avec justesse : l’Europe correspond à une “rencontre d’un espace et d’un projet” !

Par ailleurs, pour la clarification des notions, précisons d’emblée qu’en évoquant l’UE, des limites risquent de lui être imposées de l’extérieur par la force ou la ruse. Par contre, l’union peut s’imposer elle-même des frontières en vue de la reconnaissance diplomatique. En fonction de ses ambitions et de ses possibilités, elle se fixe enfin sa propre portée (influence ou emprise) qui pourrait cependant être contestée par d’autres pays. Les frontières et les limites correspondent à des réalités souvent tangibles, alors que la portée peut aussi bien concerner des territoires ou des peuples au-delà de ses confins. Néanmoins, il convient de se rappeler que la notion de frontière est récente. Elle fait partie de l’histoire entremêlée des Etats-Nations en création et de leurs colonies à l’époque Moderne en Europe.

La question est enfin de savoir enfin si,
o dans une perspective du libéralisme classique, l’UE serait-elle un espace de normalisation, ou,
o dans une orientation socialiste, un espace de lutte et de solidarité collective, ou encore,
o dans une optique conservatrice, un espace organique où chaque élément retrouve harmonieusement sa place par des réformes progressives?
Jusqu’ici, les thèses britanniques semblent avoir prévalu : le marché, rien que le marché ; la concurrence entre les Etats et les multinationales, sans harmonisation fiscale ni sociale ; un système régional de sécurité au sein de l’OTAN. Il en résulterait des élargissements sans limites !

up down

Que dit l’UE d’elle-même ?

Est-il imaginable que l’UE s’étende indéfiniment ? Qu’en dit l’ex-traité de la constitution européenne ? Il stipule que “L'Union est ouverte à tous les Etats européens qui respectent ses valeurs et qui s'engagent à les promouvoir en commun... L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l’Etat de droit, ainsi que de respect des droits de l'Homme, y inclus des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes... L'Union a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples. L'Union offre à ses citoyennes et à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, et un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée...”.

L’UE n’a jamais défini ce qu’elle appelle “Etat européen”, mais si l’on consulte la liste des pays qui sont déjà membres ou observateurs des institutions telles que l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et le Conseil d’Europe (pour lequel, les pays membres sont indiqués avec une *), on y trouve
• tous les pays balkaniques*,
• les trois pays de la Caucasie méridionale* (Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie),
• la Turquie*,
• le Bélarus*, l’Ukraine*, la République Moldave* et la Russie*,
• les cinq pays centre-asiatiques (Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Turkménistan et Ouzbékistan).

L’UE en donne une seule fois, partiellement et par négation, une indication lorsqu’en 1993, elle refuse la candidature du Maroc en déclarant que ce « pays n’est pas un pays européen ». La Turquie en reçoit par contre la reconnaissance implicite dès 1963. Chypre s’adhère à l’UE en 2004, alors que il se trouve plus près du Proche-Orient que de l’Europe telle qu’elle est vue à cette époque. L’Eurovision inclut l’Arménie, Israël, la Russie et la Turquie. Les mêmes sont membres de l’UEFA (l'Union des associations européennes de football), avec notamment l’Azerbaïdjan, la Géorgie et le Kazakhastan. Par contre, le groupe de pression européen du patronat capitaliste, l’UNICE n’admet que la Turquie parmi ces pays.

Or, sans l’accord unanime des pays membres, ces pays ne pourront pas faire partie de ces institutions. Néanmoins, la question se pose de savoir si tous les peuples d’Europe et surtout leurs dirigeants souhaitent-ils s’intégrer à l’union ? Qu’en pensent ceux et celles qui se trouvent déjà à l’intérieure de l’UE ? Les pays du Conseil de l’Europe ont certes tous souscrits aux “valeurs” que fondrait l’UE. Quel en est le respect ? D’abord, même dans les Etats membres de longue date, le respect de toutes les valeurs est loin d’être le cas 14 . Parmi les nouveaux, ce n’est pas le cas non plus. Chez les futurs membres, la situation peut être considérée parfois comme catastrophique, notamment en Turquie ou dans la Caucasie méridionale (voir Partie 3).

Enfin, il faut en plus souligner que, selon l’ancien projet de traité constitutionnel, l’UE “a pour but de promouvoir la paix... /et/ offre à ses citoyennes et à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice...”. En terme géostratégique, l’UE “promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les Etats membres. Dans ses relations avec le reste du monde, l'Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts. Elle contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l'élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l'Homme, en particulier ceux de l’enfant, ainsi qu’au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations unies”.

“La compétence de l'Union en matière de politique étrangère et de sécurité commune couvre tous les domaines de la politique étrangère ainsi que l'ensemble des questions relatives à la sécurité de l'Union, y compris la définition progressive d'une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune. Les Etats membres appuient activement et sans réserve la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union dans un esprit de loyauté et de solidarité mutuelle et respectent l'action de l'Union dans ce domaine. Ils s'abstiennent de toute action contraire aux intérêts de l'Union ou susceptible de nuire à son efficacité” 15 , proclame le texte constitutionnel.

« Rapport spécial sur la capacité de l’UE à intégrer de nouveaux membres » de la Commission de l’UE de novembre 2006 n’apporte pas beaucoup de lumières sur la question qui préoccupe à juste titre beaucoup en Europe. La Commission définit simplement trois orientations de caractère purement normatif : « garantir la capacité de l’UE à maintenir l’élan de l’intégration européenne ; veiller à ce que les pays candidats remplissent les conditions rigoureusement fixées ; assurer une meilleure communication ». La troisième orientation est inquiétant car elle suggère qu’en raison d’une mauvaise communication, les citoyen-nes européen-nes n’avaient pas compris jusqu’ici de quoi s’agit-il. Or, communiquer unilatéralement ne se substitue point aux débats démocratiques nécessaires !

Quoi qu’il en soit, comment interpréter ces textes, ces déclarations ?

up down

Quelles fonctionnalités et institutionnalisations de l’UE ?

L’Europe est sans doute à l’origine de l’urbanisation municipale et du développement socio-économique dans une bonne partie du monde. De l’imprimerie de Gutenberg jusqu’à l’énergie nucléaire, elle initie, simultanément, le progrès technico-scientifique remarquable qui dure depuis plus d’un demi millénaire. Enfin, elle conçoit une culture politique et sociale dont certaines caractéristiques font l’objet de l’envie de la Terre entière, sauf peut-être de la Chine. Sa prospérité à multiples facettes attire, depuis des siècles, des flux migratoires considérables 16 .

1. L’UE dispose-t-elle de la capacité suffisante pour se gratifier des projets cohérents et des structures institutionnelles adéquates pour l’ensemble de ses pays membres, - actuels et futurs -, quels que dissemblables qu’ils soient ? Par rapport aux insuffisances de ces projets et ces structures, beaucoup expriment des craintes. Ils soulignent le fait que les élargissements successifs risquent diluer le projet européen en une simple zone de libre échange. Ceci pourrait bien devenir la réalité, à moins d’une réaffirmation que l’UE est plus qu’une politique économique ou qu’une pensée libérale. On peut également partir de l'hypothèse que l'UE est une construction sui generis qui comporte des territoires à adhésions variées et à droits divers. L’hétérogénéité jointe au nombre de pays accru risque de peser sur le « projet » et les procédures mises en place effacent progressivement la dimension réellement politique. Nonobstant, chaque élargissement augmente certes la complexité mais entraîne des solutions nouvelles : la politique régionale et industrielle, la politique de coopération au développement, l’union monétaire, etc.

2. On évoquera la « capacité d'absorption » ou la « capacité d'intégration » de l’union en fonction du projet que les Etats européens veulent mener en commun. Pour assurer la capacité de l'UE à maintenir l'élan de l'intégration européenne, des réformes institutionnelles doivent être décidées avant tout élargissement ultérieur, que l'impact sur les politiques agricoles et de cohésion et le budget doit être évalué. En réalité, le débat sur la constitution européenne a soulevé, nous semble-t-il, la question de fond. C’est la question du déplafonnement du budget européen dans la perspective du développement politique de l’union. C’est également l’exercice de la souveraineté en matière de biens indispensables (matières premières et énergétiques comme des « biens communs » ou collectifs) et la gestion optimale des ressources ou simplement la mise en place de la fiscalité proprement européenne. C’est aussi la question de savoir comment inclure la gestion de la Banque centrale européenne dans la politique économique de l’UE.

3. La prétendue impossibilité de pouvoir gérer l’UE à 30 ou 35 pays membres ne semble avoir beaucoup de sens si l’on songe au fait que la Russie dispose de 89 unités autonomes, les EUA 51 Etats et la Chine 31 provinces ou entités similaires sur des territoires bien plus étendues que celui de l’union 17 . Certes, comparaison n’est pas raison car les structures s’avèrent fort différentes. Il n’en reste pas moins que l’on gère tout si on est décidé de le faire. Ceux ou celles qui s’y connaissent dénoncent cependant de nombreuses incohérences, du déficit démocratique et de manques d’efficacité des institutions et des pratiques de l’union. Au contraire des EUA, l’UE n’est pas encore un ensemble politique homogène dans le domaine socio-économique. Les exportations de ses Etats membres ne se font par exemple pas en fonction d’une ligne directrice stratégique, et encore moins d’une politique étrangère commune. Chaque secteur national a ses intérêts propres qui entrent parfois en concurrence avec ceux des sociétés basées dans d’autres Etats membres. En outre, les exportations des pays de l’Union sont régulées par un Code de conduite relativement restrictif. Etant donné l’atomisation des décisions politiques en la matière au sein de l’UE, Bruxelles ne peut utiliser ses exportations comme un instrument important de sa politique étrangère, comme le fait Washington.

4. La réaction politique en est évidemment des traités européens. Les uns après les autres, ces traités tentent et tendent de remédier à ces insuffisances et à surmonter les difficultés, sans jamais y réussir totalement. Cela s’avère plutôt heureux car l’union correspond à une réalité évolutive.

5. En termes de sécurité, l’UE pour sa pérennité serait-elle apte à garantir (i) ses frontières et sa souveraineté, (ii) l’intangibilité de ses territoires (iii) la sauvegarde de ses intérêts légitimes et (iv) la capacité de s’approvisionner en matière premières et énergétiques ? Pourrait-elle se doter des instruments de sécurité adaptés à sa posture géostratégique et à ses intérêts propres dans le monde ? Ces instruments devraient intégrer les moyens diplomatiques et militaires autant que les pratiques de la coopération au développement, voire celle des liens d’association 18 . D’où l’importance du débat - hélas, fort limité - autours de l’armée européenne et des relations entre l’UE et l’OTAN, autrement dit des liens entre Bruxelles et Washington 19 , entre Bruxelles et Moscou, ou encore entre l’UE et les pays du Tiers Monde. L’UE a réussi l’euro face au dollar. La création d’une force militaire autonome est un enjeu analogue et une politique de coopération solidaire est de même. En un mot, il s’agit de savoir quelles sont les chances de réussites nécessaires de la PESC (Politique étrangère et de sécurité commune) et de la PESD (Politique européenne de sécurité et de défense) de l’UE.

6. Il n’empêche qu’un nouveau vent de « guerre ou paix froide » se pointe à l’horizon. Il fait suite à l’expansion de l’OTAN vers l’Est et aux implantations de plus en plus nombreuses de bases militaires américaines (non soumises au contrôle politique de l’OTAN), de la mer Baltique jusqu’à la mer Noire, ainsi que dans la Caucasie méridionale. Fort bien tolérées par l’UE, ces « infiltrations » mettent, en fait, en question la souveraineté politique et internationale de l’union à peine amorcée. Elles permettent aux EUA en quelques sortes de s’interposer entre l’UE et la Russie. Elles minent la sécurité interne de l’union, comme l’a (dé)montré la permission, l’ignorance ou la tolérance de vols d’avions de la CIA dans le ciel européen. Certes, elle par contre est fort bien acceptée par les élites ex-communistes, néolibéraux et néoconservateurs des « nouveaux Etats membres ».

7. L’UE dispose-t-elle de la capacité voulue de maintenir le territoire en paix, autrement dit de garantir l’ordre de la loi et les droits humains à chaque citoyen ou citoyenne afin d’éviter des conflits pouvant mener à l’éclatement de l’UE. Les inégalités ou les déséquilibres régionaux, économiques ou sociaux sont ainsi a combattre afin d’éviter des conflits et de réaliser ainsi la paix au sein de la société. Depuis 1945, les pays membres de l’UE actuelle n’ont connu que la paix, ce qui est un fait politique majeure. Nonobstant, on peut se demander si l’UE promeut suffisamment “la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les Etats membres”. S’avèrent sources d’inquiétudes les aléas de l’Europe sociale, c’est-à-dire la dimension sociale de l’UE qui porte sur les conditions matérielles et politiques des travailleurs et des consommateurs, ainsi que les exactions à l’égard des immigrés et des chômeurs. Il en est de même s’agissant la primauté accordée au « combat au terrorisme » au lieu de l’amélioration des conditions socio-économiques ou, au contraire, de l’accentuation des différences de revenus et de fortunes au sein de chaque pays membres et sur le plan interrégional, etc.

8. L’UE actuelle et future parviendra-t-elle à organiser, à gérer et à faire fonctionner son territoire en termes social, culturel, économique, etc. en vue d’un ensemble efficace englobant des diversités historiques et le pluralisme culturel et linguistique 20 ? Les clivages sont notables par exemple entre (i) le Nord et le Sud des Alpes, (ii) pays latins, germaniques et slaves 21 , (iii) modèles rhénan et anglo-américain ou encore (iv) catholiques, protestants (scandinaves), orthodoxes et musulmans, voire athées ou républicains. D’aucuns craignent à juste titre qu’avec les élargissements successifs et continuels, les écarts socio-économiques augmentent au sein de l’union et dès lors les consensus s’organisent de plus en plus difficilement. L’envahissement anglo-américain est également mal ressenti.

9. En termes proprement politiques, l’UE serait-elle apte d’appliquer le principe de la subsidiarité vers le bas comme vers le haut 22 . Certes, malgré les craintes fondées, les successifs élargissements n’ont jusqu’ici pas empêché les nécessaires approfondissements et la circulation intense des idées. Il reste que le déficit démocratique n’est pas dénoncé par les seuls Britanniques mais aussi par la gauche européenne 23 . Mener des politiques européennes communes serait toujours plus difficile à fixer et à conduire. Il faut constamment s’y appliquer pour réussir et l’effort nécessaire s’en avère incessant.

Ces considérations permettent au premier abord de conclure que la vision et la volonté politiques des Européens et des gouvernants sont décisives en cette matière. En réalité, cette vision et cette politique fixent par elles-mêmes les limites possibles et souhaitables de l’UE. Ainsi, par exemple, l’UE et l’OTAN entretiennent une rivalité certaine par rapport aux territoires voisins ou proches de l’UE, même si des accords ont pu être négociés et conclus sur le plan économique et militaire entre l’UE et ces pays. Comment évoluera cette rivalité ? Quelle en est la stratégie européenne 24 ? C’est sans conteste la Politique européenne de sécurité et de défense, la PESD qui doit y apporter des réponses dans les prochaines années, voire décennies.

up down

A la recherche des critères historico-culturels, peut-être perdus ?

Faire fonctionner l’UE “en termes social, culturel, économique, etc. en vue d’un ensemble efficace englobant des diversités historiques et le pluralisme culturel et linguistique” n’est toutefois pas seulement un problème fonctionnel, mais soulève également des questions substantielles quant au fondement de l’Europe et de ses confins à (re)trouver. Peut-on imaginer une vision et une volonté politiques, sans appartenance, sans identité ou sans localisation spécifique ? On s’interrogera donc sur l’origine culturelle de notre continent afin d’appréhender dans son “essence”, si cette dernière existe et si elle s’exprime aisément. Tournons préférentiellement notre regard, une fois de plus, vers l’ex-projet de texte constitutionnel européen et plus particulièrement vers son préambule tant débattu. Qu’y lisons-nous ?

L’UE s'inspire “des héritages culturels, religieux et humanistes de l'Europe, à partir des quels se sont développées les valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la démocratie, l'égalité, la liberté et l’Etat de droit” et que l’Europe se trouve “désormais réunie au terme d'expériences amères, entend avancer sur la voie de la civilisation, du progrès et de la prospérité, pour le bien de tous ses habitants, y compris les plus fragiles et les plus démunis; qu'elle veut demeurer un continent ouvert à la culture, au savoir et au progrès social; et qu'elle souhaite approfondir le caractère démocratique et transparent de sa vie publique, et oeuvrer pour la paix, la justice et la solidarité dans le monde..” 25 . L’UE est “Unie dans sa diversité”.

Comment interpréter ce texte? Certes, les Grecs dans l’Antiquité et notamment Hérodote ont déjà évoqué l’Europe. Pour eux, celle-ci se trouve, géographiquement et en terme d’influence, à l’intersection de la Grèce elle-même et de la Méditerranée, de l’Asie et de l’Afrique. L’apôtre Paul et les autres apôtres accomplissent la christianisation à partir du Proche-Orient, puis vers l’Asie et l’empire romain, jusqu’à l’Inde et la Chine. L’empire romain d’alors occupe tout le pourtour de la Méditerranée et gère la culture gréco-latine dont s’inspirent les Eglises chrétiennes d’Orient et d’Occident. Les trois religions du Livres, strictement monothéistes : le Judaïsme, la Chrétienté et l’Islam sont toutes nées au Proche-Orient et inspirent encore aujourd’hui nos sociétés d’Europe.

Imperium Sacrum est devenu Imperium Romana d’abord en Byzance, puis à Rome. Dans ce dernier cas, il ne s’est accompli qu’avec l’affirmation de la papauté pendant les premiers siècles du deuxième millénaire. Les Eglises dominent, culturellement, tout le Moyen-Âge à l’Est comme à l’Ouest, mais heureusement il y a la rencontre avec l’Islam dès le VIIe siècle en Espagne. Jusqu’à la Reconquista espagnole, la rencontre s’avère fructueuse entre cultures juives, chrétiennes et musulmanes dans les pays méditerranés. La rupture progressive entre les Eglises d’Orient et d’Occident ne se consomme pleinement qu’au moment de la chute de Byzance, de la Renaissance occidentale et l’avènement des Ottomans, puis de la Russie impériale. L’idée de l’Europe désormais se conçoit différemment à Rome, à Moscou ou à Istanbul, puis à Bruxelles à partir de la deuxième moitié du XXe siècle. L’Europe devient ainsi un carrefour du pluralisme et de la contradiction. Elle est l’incarnation même des identités et appartenances multiples et conflictuelles que l’UE a jusqu’ici réussi de (re)concilier.

Quels héritages ?

Il est indiscutable que les traditions du monothéisme et du doute hébraïques, de la philosophie politique et d’une certaine démocratie grecques, de l’étatisme et du droit romains, et de la solidarité et du personnalisme chrétiens ont ensemble eu un impact substantiel sur les pays en Europe et dans le voisinage. Ces pays rechercheront constamment un équilibre délicat entre ces fondements, ces ferments. La Renaissance, les Lumières ou les luttes de classes persistantes qu’accompagne le Capitalisme débauché en ont surgi et caractérisent prioritairement ces pays. Ce résultat s’obtient à travers des aléas dont ces pays ne peuvent pas toujours être très fiers : songeons au capitalisme ultra libéral, au fascisme, au nazisme, au vichysme ou au stalinisme, tous nés des Lumières. Pourtant, il permet d’aboutir à la liberté formelle 26 et à la démocratie politique réelle, mais limitée à seul domaine de la vie en société.

Le rejeton de l’Europe, les EUA grossissent l’un ou l’autre facette des fondements antiques. Ils arrivent à une société qui ne connaît pas de doute, à un individualisme exacerbé à faible solidarité collective, à un provincialisme religieux et messianique, à une démocratie dont la moitié de la population s’exclue, à une domination de la propriété privée et à un pragmatisme philosophique et pratique sans consistance mais parfois redoutablement efficace ! Beaucoup restent convaincus que la Russie tsariste, puis soviétique et enfin en voie de démocratisation est plus proche des valeurs de l’UE que les EUA.

Il n’empêche que la vision des pays colonisés ou musulmans à propos de l’Europe consiste à observer : l’Europe n’a guère convaincu le monde de ses valeurs ou de son esprit, mais s’est imposée par “la force et la violence institutionnalisées” par le colonialisme, puis par le néocolonialisme médiatisé par ses multinationales et ses institutions internationales. A-t-on réussi “l’exportation de la démocratie” ? Parfois et encore de façon limitée ! L’Amérique la tente, mais, depuis un siècle, elle aboutit aux événements du Proche-Orient qui connaît des conflits militaires constants à intensité faible. La démocratie est un processus qu’un ensemble de population porte. Ce processus vise le bien-être de tous assurant les conditions égales à la liberté, l’état de droit en matières internationale, judiciaire et policière, la disjonction des pouvoirs (législatif, judiciaire et législatif) autant qu’il se peut, la séparation entre Eglise et Etat aussi stricte que possible, la liberté économique individuelle et collective strictement régulée en fonction du plus grand nombre, etc.

Les soit disant “valeurs universelles” que constituent “les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la démocratie, l'égalité, la liberté et l’Etat de droit” d’une part, et de l’autre, “la paix, la justice et la solidarité”, ne le sont devenues qu’à cette dernière période et uniquement en UE. C’était le cas après “d'expériences amères”, après des siècles, des millénaires d’intolérances, de guerres et tueries (notamment religieuses) et d’injustices caractérisées en Europe, entre autres. Il y avait aussi des expériences avantageuses grâce au pluralisme et à la coopération exercés parmi de nombreux pays et s’imposant progressivement dans la contradiction et la division. C’était tout autant le cas grâce à la raison et le sentiment de la justice, de la solidarité dans les pratiques politiques de plus en plus démocratiques. Etre solidaire n’est d’ailleurs devenu plus aisé que grâce à la prospérité de l’UE.

N’oublions pas cependant que les femmes ne votent dans tous les pays de l’Europe que depuis le lendemain de la guerre 1939-45 et que la démocratie se limite au domaine politique, à l’exclusion des domaines économique, culturel et social. Certes, ce qui importe beaucoup, il n’y a plus de guerre sur les territoires de l’UE depuis la guerre en question et les peuples de cette union prennent toujours davantage conscience qu’une Europe existe. Le prolongement de ces tendances grâce au dynamisme d’élargissement de l’UE depuis des lustres reste indispensable. Toutefois, l’individualisme qu’exprime la notion de “la personne humaine” sans lien avec une quelconque collectivité qui la structurerait risque de freiner l’idée d’une Europe à une cohérence minimale et de favoriser des penchantes nationalistes, voire autoritaires ou dogmatiques.

Le caractère « évolutif » de l’européanité

Il n’y a guère, certains mettaient en question le caractère européen des pays balkaniques. Certes, à l’exception de la Grèce, ces pays n’ont bénéficié que peu d’existence étatique indépendante et stable qui aurait pu surmonter les contradictions propres à toute société, orthodoxe ou non. Apporter des aménagements territoriaux garantit la reproduction des bases de l’Etat mais peuvent constituer des sources de conflits. Développer des politiques régionales assure mieux la compatibilité entre les divers acteurs au sein de l’Etat mais peuvent créer des rapports de force indésirables. Les divers empires qui ont dominé les Balkans pendant des siècles, ont tout fait pour que les Etats-Nations en question ne puissent survivre ou s’épanouir.

La période soviétique ou yougoslave s’est avérée comme une amorce à un moment de consolidation étatique. Cependant, l’intégration brutale des pays au capitalisme international enfonce des nouveaux Etats-Nations en multiplication et en gestation dans la misère publique et les pousse vers la périphérie des centres décisionnels de l’UE. Faisant suite aux « guerres civiles » depuis 1990, la fragmentation géopolitique de la Yougoslavie et de l’armée de cette dernière a été acquise en faveur des EUA qui l’ont voulu et en bénéficient. Certains discours prétendent aussi apprécier ces pays sur base d’hypothèses de byzantinisme, de tradition orthodoxe ou d’autres broutilles. Venise est de création byzantine et, la Grèce, orthodoxe, faut-il le rappeler ?

L’appartenance et l’identité nationale ou religieuse qui me paraît un droit humain indéniable de chacun et de chaque collectivité quelconque n’est pas un obstacle à l’idée d’une Europe “unie dans la diversité”. Sa dérive nationaliste, sectaire ou fanatique constitue, néanmoins, un risque à une telle Europe. La dénationalisation individualiste et de type libéral en est un autre. L’acceptation aveugle d’un américanisme sans nuance n’en est aussi pas moins dangereuse. Une “opinion publique et démocratique européenne” commence, toutefois, à naître comme souligne Habermas : le 15 février 2003, des millions d’Européens ont manifesté dans les rues de Londres, de Madrid, de Barcelone, de Rome, de Berlin, de Paris, de Budapest et dans d’autres villes afin de s’opposer à la politique de guerre de l’administration de Bush II et de ses alliés, même européens.

up down

L’Europe, puissance et portée locale ou mondiale ?

Afin d’aborder convenablement la question posée, il convient de faire une remarque préliminaire : l’UE est basée sur le principe de la souveraineté des états-membres qui mettent uniquement et selon des modalités définies strictement certaines compétences à condition que tous les Etats-membres soient d’accord. Les autres compétences restent du domaine national ou éventuellement du domaine intergouvernemental, mais pas communautaire 27 . C’est donc la logique inverse de la situation dans les pays ou même dans la plupart des Etats fédérés où c’est souvent le pouvoir central qui a la préséance et « délègue » certaines compétences aux pouvoirs « locaux ».

Si les Etats ne sont pas unanimes, la compétence ne peut être donnée au niveau communautaire, même si une majorité le décide. Cette règle est maintenant « assouplie » avec le principe des « coopérations renforcées ou structurées » (ou autre terme) qui permet à un groupe d’Etats (sous certaines conditions) de mettre certaines compétences en commun comme par exemple la zone Euro ou l’espace Schengen, mais il ne s’agit que d’une exception et pas de la règle. Il y a de plus le risque évident qu’une UE où il y aurait des dizaines de coopérations dans des domaines variés et avec des membres différents deviendrait vite une mosaïque complètement ingérable avec des conflits permanents de compétence.

Il faut aussi ne pas confondre les notions suivantes : sécurité, défense et moyens militaires. La sécurité d’un territoire s’avère une notion complexe. Il n'y a pas de définition classique de la sécurité car la définition elle-même est un enjeu géopolitique. Il suffit de voir que le choix du thème "terrorisme" enclenche une question de sécurité totalement différente en Afghanistan ou en Irak d'une part, et aux EUA d'autre part, et ce, par exemple, en termes du nombre de tués et de blessés ou en termes de la croissance et de les destructions socio-économiques. Il faudra par ailleurs traiter la sécurité et le risque internationaux entre autres eu égard à la « privatisation » dans le monde, tel que le développement du mercenariat privé multinational dont l'expansion est fulgurante ces dernières décennies (un tiers du personnel américain en Irak est fourni par ces nouvelles multinationales à partir de 2003).

Sans doute, la sécurité de nos pays a aussi trait à des thèmes bien connus tels que les territoires ou l’espace en général, les voies de communication, les ressources naturelles, les frontières et les populations et son bien-être ou tels que les représentations et les certitudes idéologiques comme les croyances religieuses, le patriotisme ou le nationalisme, les convictions politiques, etc. Cependant, une fois acquise, la sécurité devient une donnée et un facteur géopolitiquement important.

De son côté, la défense est un moyen pour un Etat ou une fédération d’Etats de se protéger lui-même, ainsi que son territoire, sa sécurité ou sa tranquillité. Diplomatique ou militaire, elle peut être légitime en réaction contre une action de force illicite, accomplie ou tolérée. Différentes actions, à caractère préventif et/ou répressif, peuvent aussi être présentées comme dictées par des impératifs de légitime défense. La défense prend la valeur de principe politique contribuant à la définition de pratiques qui s'inscrivent dans la politique générale d'un pays ou d’un ensemble de pays. Enfin, les moyens militaires se limitent à l’ensemble de personnel et d’équipements militaires contribuant à la défense.

PESD + PESC 28

Pour les uns, la PESD n’est pas une compétence « indépendante », elle ne peut être vue qu’avec les « affaires étrangères » dont elle n’est qu’un des éléments constitutifs. C’est le cas dans chaque pays individuellement et c’est aussi le cas à l’UE où la PESD est partie intégrante de la PESC. En bonne logique, il ne pourrait donc y avoir de défense européenne s’il n’y a pas une véritable politique étrangère européenne. Pour d’autres, la création pas à pas de la PESD pourrait anticiper la PESC. Autrement dit, comme l’euro ou le système Schengen anticipe l’union économique et financière ou la politique de la migration, la politique de sécurité et de défense en ferait de même avec la politique étrangère au sein de l’UE.

La matière « défense » recouvre deux aspects : à savoir l’aspect « politique-affaires étrangères », mais l’aspect « industriel » n’en est pas à négliger. Or même si la Commission Européenne est en principe compétente en matière économique, il y a une exception pour les matériels militaires. Certes, il y a bien une volonté nouvelle de réduire cette exception. Il faudra voir l’impact réel de la création de l’Agence Européenne de Défence. Est-ce un « petit pas » dans la direction d’une PESC ? En même temps, il convient de veiller à ce que cette agence ne devienne un centre de pouvoir dominant qui conduirait à un surarmement démocratiquement non contrôlé et excessif!

Pour que des coopérations renforcées ou structurées se mettent en place, il faut une forte motivation des Etats pour céder les quelques compétences les plus symboliques qui leur restent encore (politique étrangère, défense). Cette motivation a surtout été dans le passé la peur d’une perte de souveraineté. Quelle pourraient être les facteurs de motivation actuels pour une PESD orientée par ou vers la PESC?
 plus d’efficacité ? : on peut être plus efficace si on se met ensemble, mais encore faut-il que si on se met ensemble qu’on puisse décider d’une véritable politique commune sans que trop de compromis ne mine l’efficacité de la politique ;
 coût moindre ? : on pourrait en mettant ces investissements ensemble réaliser des économies d’échelle et avoir un meilleur rendement de l’investissement, à condition de « supprimer » tous les réflexes « nationaux » et en acceptant que certaines industries nationales disparaissent … donc des emplois, etc.…
 y a-t-il actuellement une menace réelle d’agression « militaire » contre les pays de l’UE ou quelque chose qui menacerait l’existence même des pays ? Probablement, pas ! Les risques sont plutôt les besoins énergétiques et matières premières, les problèmes de minorités, d’environnement ou sociaux, etc. : toutes menaces qui demandent d’autres moyens que la politique de défense militaire, même si elle peut y contribuer, mais avec d’autres pays …

A quoi sert à se défendre ?

Du point de vue géopolitique, il faut avancer l’hypothèse que les dites « valeurs européennes » à défendre ou à protéger ne sont guère des données, mais des résultats parfois équivoques d’un long processus accompagné d’aléas multiples. Le processus auquel participe chacun n’est jamais un aboutissement, mais un recommencement incessant. Dans cet esprit, tournons notre regard au-delà des limites incertaines de l’UE ! Il me semble qu’il convient de partir du postulat que toute autorité étatique se doit d’être capable de se défendre et de défendre ses intérêts légitimes. Il appartient ainsi à l’UE de développer les moyens nécessaires, pour pouvoir, lorsqu’elle décide d’agir dans le respect des règles établies, le faire vite et efficacement. Quant à la paix à créer dans le monde et à la nature de la puissance qu’incarne ou incarnera l’UE, les esprits sont divisés.

“Oeuvrer pour la paix, la justice et la solidarité dans le monde” en présuppose cependant une certaine conception, à l’exclusion de l’impérialisme de jadis, largement pratiqué par les grands pays européens. En ce début du XXIe siècle d’ailleurs, il faudrait être fou en Europe du centre et de l’Ouest qui n’est qu’un petit bout, une presqu’île occidentale du continent eurasiatique, pour vouloir jouer la grande puissance nucléaire face à la Russe ou à l’Amérique. L’UE recherche, progressivement, à instituer une distance stratégique égale avec Washington et Moscou. Certes, avec un triomphalisme un peu risible, le premier évoquera complaisamment “l’euro-atlantisme” sous son hégémonie, alors qu’en position de faiblesse, l’autre suggérera une “maison commune d’Europe” pour retrouver sa place dans le concert des grandes Nations.

Une autonomie par rapport aux EUA signifie-t-elle une suppression de l’OTAN ou justement l’équilibre retrouvé des deux côtés de l’Atlantique? L’OTAN deviendra-t-il plutôt un outil important - et de fait unique - de dialogue entre Bruxelles et Washington ? Il semble bien qu’à présent et surtout à l’avenir, l'UE soit davantage menacée par les EUA que par la Russie 29 . La raison en est des clivages croissants en termes géopolitiques, économiques, culturelles ou environnementaux, et même de droit international, de valeurs humaines et de visions géopolitiques. Si cela s’avère vrai, alors l’OTAN devient indispensable pour réguler les conflits qui ne pourront que croître. Elle dispose d’un statut, de réunions programmées, de procédures, etc. qui, tous, sont précieux en cas de crise.

Dans la perspective de la PESD, investir dans l’OTAN néanmoins n’est désormais possible que par l’établissement d’une véritable, efficace et contrôlable égalité politico-militaire au niveau transatlantique. A l’époque, J. Solana a eu raison de souligner que “le partenariat implique le respect mutuel, un partage équitable des coûts, l’analyse et la définitions des mesures en commun”. Cela a-t-il jamais été le cas ? Solana d’insister: “Mais ce n’est que si les Européens travaillent ensemble et renforcent l’UE que la partie européenne de l’équation fonctionne. C’est notre mission de faire en sorte que nous agissions ensemble”. L’UE est devant la nécessité de reconstruire un nouvel équilibre entre les EUA et l’Europe, y compris la Russie.

La paix passe par la coopération et la lutte contre les causes structurelles de la violence (dont les criantes inégalités économiques mais aussi politiques et culturelles). Une instance régulatrice multilatérale comme l’ONU est nécessaire, même si celle-ci nécessite de la voir réformée dans le sens d’une meilleure représentation de l’ensemble des citoyens du monde. Il en est de même des organismes multilatéraux régionaux tels l'OSCE ou l'OUA. Le droit international (Charte de l’ONU) pose l’interdiction de l’emploi de la force et de menace par la force, sauf
 en cas de légitime défense en cas d’agression (ce concept ne peut PAS être élargi dans la direction de la « guerre préventive » en cas de menace) ;
 quand le Conseil de Sécurité prend des mesures contre des menaces à la paix.

Mais dans les faits, il faut constater un « deux poids deux mesures » : certaines résolutions restent lettre morte alors que d’autres servent de prétexte à des interventions sans mandat explicite du Conseil de Sécurité. Les grandes puissances sont protégées par leur droit de veto et jamais inquiétées. Cette situation persuade un certain nombre de pays que l’ONU n’est qu’un simulacre de multilatéralisme pour couvrir la nudité des simples rapports de force, ce qui met à mal la légitimité de cette institution.

Cependant, la prétendue et, pour d'aucuns, exigée hégémonie américaine (démentie notamment par une guerre à l’Irak largement condamnée par la communauté internationale) est un des obstacles principaux à un véritable multilatéralisme : ses nouvelles doctrines offensives sont inacceptables (guerre préventive, nouvelles armes nucléaires, passage de la dissuasion aux scénarios d’utilisation des armes atomiques), ses interventions créent des tensions, porte ouverte à l’utilisation unilatérale de la force par d’autres grandes puissances (Chine, Russie…), avec le risque de provoquer un « choc des civilisations ». La complicité suspecte de certains alliés, notamment européens appuie Washington.

Le discours sur "la Guerre au terrorisme" se trouve respectivement énoncé et menée par les EUA. Les interventions en Afghanistan et en Irak ne sont pas de guerre mais s’avèrent simplement d’invasions. De plus, elles sont contre-productives et ont de nombreux effets pervers : l’exagération de la menace terroriste justifie de nombreux abus comme la réduction des libertés civiles, l’écrasement de minorités gênantes avec un sentiment d’impunité (comme en Tchétchénie)… Il est indispensable de chercher à comprendre les motivations des terroristes pour lutter efficacement contre le terrorisme. Finalement, vouloir éliminer le terrorisme ne doit pas être autre chose qu'une lutte policière classique contre des bandes armées, parfois anarchiques.

up down

Quelle défense pour quelle autonomie européenne ?

Néanmoins, il serait dangereux pour l’UE d’opérer un réarmement massif qui dépasserait celui qui vise la défense au sens stricte du terme, car il serait source d’inquiétude pour les autres grandes puissances. De plus, veillons à ce que l’OTAN ne se substitue pas à l’ONU, car il signifierait le rejet des principes universels de non agression de cette dernière. L’intégration européenne montre de bons résultats en matière de pacification du continent. La réflexion doit partir de ce qu’est l’UE et de ce que sont ses valeurs et ses objectifs, pour ensuite aborder la question de sa politique étrangère (comment elle se situe et agit dans le monde) et enfin de quels outils civils et militaires elle a besoin pour mettre en œuvre ses valeurs et sa politique étrangère et de sécurité.

Pour ce qui est de la Russie, elle est trop dépendante du reste de l'Europe qui est son client principale au niveau énergétique. Elle ne pourrait pas se permettre actuellement de s'attaquer à cette dernière. Mais que prépare l’avenir ? D’aucuns prévoient ou souhaitent que la Russie se désintègre en une multitude de républiques plus ou moins structurées... Une telle évolution déstabiliserait tout le continent eurasiatique. Dans l’hypothèse de la consolidation politique en Russie, et même si le risque russe semble diminuer, il le reste et la proximité géographique exige dès lors une défense proprement territoriale dans cette optique, contrairement à ce que certains “atlantistes” tentent de nous inculquer. Certes, pour contrebalancer la Russie, l’UE a tout intérêt de s’approcher de la Chine et de fait elle développe une alliance privilégiée avec elle depuis une décennie.

Dans le cadre de l’UE, créer un espace européen de solidarité, de paix et de démocratie correspond à mettre en place une puissance “contenue, autonome et civile”, comme référence dans le monde. Il s’appuiera sur la clause de défense collective du traité européen en voie de ratification, ainsi que sur la “coopération structurée” entre pays membres autorisée par celle-ci et soumis aux parlements concernés et à la société civile. Pour éviter toute tentation impérialiste, elle pourra se déclarer donc une puissance autonome de paix. Elle serait la voie royale pour repousser l’orientation vers un « impérialisme libéral » de l’UE tel que’évoque Barbara Delcourt.

Puissance contenue d’Ignace Berten signifiera une armée défensive, restreinte et citoyenne. Puissance automne de paix, mais non pas pacifiste, correspondra, selon moi, à une sorte de “neutralité armée” par rapport aux autres puissances, à un certain point désarmée, dénucléarisée et réengagée. Puissance réengagée impliquera une responsabilité accrue envers le reste du monde et sera une force capable d’impulser un humanisme dans les relations mondiales et avec les partenaires de l’UE à travers le monde. Une telle puissance correspond à vouloir une “Europe, force tranquille” de Bernard Adam et celle d’une “puissance civile” de Caroline Pailhe. Aujourd’hui la priorité peut, d’après moi, être (re)donnée au concept de défense civile populaire non violente.

Ce concept de défense civile populaire non violente n’est pas encore fort élaboré. Une telle défense suggère cependant la nécessité de la réappropriation concrète et citoyenne de la nécessité de se protéger. Il s’agit de se défendre en face d’une menace, d’une agression ou d’une attaque venant de l’étranger. Enfin, on peut y ajouter la notion complexe d’Etienne Balibar de “l’Europe de médiation” correspondant à un nouveau régime de puissance essentiellement relationnelle qui privilégie l’action par rapport à l’identité.

up down

En guise de conclusions… provisoires

A partir des questions posées tout au début de cet exercice, les réponses deviennent à présent plus claires quant à l’espace européen. L’espace spécifique de l’UE se composerait donc à la fois
 de données inhérentes telles la géographie ou la localisation dans le monde, notamment en Eurasie, et d’éléments dissemblents tels que l’histoire, la langue, la dimensions géographiques ou démographiques, les structures sociétaires ;
 d’éléments matériels comme des ressources naturelles ou des reliefs, et de matériaux variés de l’imaginaire collective tels que les représentations, les nations, les religions ou les cultures ;
 de surgissement historique du féodalisme au capitalisme et de développement inégal dominé par la stratégie des acteurs dominants et des enjeux telle que les multinationales ou la division du travail ;
 d’identités ou d’appartenances territoriales et territorialisées comme la nationalité ou l’ethnie, les frontières ou les zones d’action politique.

Cet espace de l’UE se constitua à la fois
 par un territoire à soi à acquérir, et une aire à défendre (lutte d’indépendance, impérialisme, fédéralisme, discours, stratégie),
 par une espèce d’Etat à constituer et une souveraineté à propager (nationalisme, religions, culture et langue, idéologie, intérêts économiques) et
 par des régions de passage à occuper, et des domaines à délimiter (fleuves, détroits, îles, idéal ou mémoire historiques, aire vital) ?

Pour beaucoup de citoyens et dans une large mesure, l’élargissement de l’UE correspond à l’histoire d’une réussite en termes de droits humains et de non guerre. Toutefois, une „lassitude” apparaît de la gauche à la droite, dans toute la palette politique démocratique. Cette lassitude est due sans doute au caractère et aux méfaits néolibéraux de l’intégration européenne et à l’apparition des partis extrémistes qui l’exploitent dans leurs propres buts chauvins, populistes ou xénophobes. Les grippages du processus constitutionnel contribuent également à alimenter un mécontentement diffus. Il est possible que l’UE recule devant son succès si elle ne cesse de s’élargir au rythme de ces dernières décennies. Faut-il réfléchir à des modèles d’adhésion étalée dans le temps et différenciée dans sa nature, ne fût-ce que provisoirement? L’UE connaît dès à présent de degrés divers d’intégration en son sein. Il suffit de songer à l’euro et à l’Union économique et monétaire, à la PESC et à la PESD, à la coopération policière et judiciaire, etc.

Quoi qu’il en soit, l’élargissement de l’UE et ses limites dépendent de la détermination à éradiquer tout germe de guerre entre pays qui sont ou seront membres de l’union et d’y instituer une paix “juste et durable”. L’intégration européenne est sans borne du point de vue de la sécurité à condition qu’elle ait la paix pour perspective et si elle dispose des moyens de surmonter les divisions qui ont marqué le passé. Une intégration progressive de l’Europe et une entente cordiale des deux côtés de l’Atlantique comme l’alliance durable entre la Russie et l’UE font-elles progresser les peuples du monde vers cette “paix perpétuelle” dont rêva Kant ? En tous cas, elle ne l’handicaperait guère, me semble-t-il. Il reste qu’il faille, avec les mots de Beck, « Europa neu zu denken ». Ce n’est pas le rôle du géopolitologue !

up down

Bibliographie

ADAM, Bernard, L’Union européenne ne doit pas devenir une puissance militaire, in LES NOUVELLES DU GRIP, n° 4/2003;
idem, Echec de la lutte contre le terrorisme, in: Le Monde Diplomatique, avril 2004 ;
idem (sous la direction), Europe, puissance tranquille ?, GRIP-Complexe, Bruxelles, 2006.
ALBAHAI, David, Die Angst des Serben vor Europa – Über die wirklichen und imaginären Grenzen eines wunderschönen Traums, in : NZZ, 25/26.3.2006.
ANDERSON, Perry, Jottings on The Conjuncture, in : New Left Review, n° 48, novembre-décembre, 2007.
BALIBAR, Etienne, in : Jean-Claude K. DUPONT, L’Europe, l’Amérique, la guerre, in: La Revue nouvelle, mars 2004; il s’agit du compte rendu de l’ouvrage de Balibar du même titre, paru chez La Découverte-Cahiers Libres, avril 2003.
BARBIER, Cécile, La Convention européenne - Genèse et premiers résultats, in : Courrier Hebdomadaire, CRISP, n° 1776-1777, janvier 2003.
BARTLETT, Robert, Off to a Good Start, in: The New York Review, 9.6.2005.
BECK, Ulrich & Edgar GRANDE, Das kosmopolitische Europa, Suhrkamp, Frankfurt a. M., 2007.
BEHAR, P., Une géopolitique pour l’Europe, Desjonquères, Paris, 1992.
BELGIO, Miscellaneous, n° 4, 2001.
BERNS, Gido, Wij, Europeanen, Damon, Leende, 2005.
BERTEN, Ignace, Pour une Europe forte et puissante - un défi éthique pour une Europe politique, Luc Pire-Espaces-Commission Justice et Paix, Bruxelles, 2001.
BOLLMANN, Ralph, Lob des Imperiums. Der Untergang Roms und die Zukunft des Westens, Wolf Jobst Siedler jr., Berlin, 2006.
CAMARTINS, Iso, Wer ist Europäer?, in: NZZ, 14.11.2006.
CASSEN, Bernard, L’Avenir de l’Europe, in : Le Monde Diplomatique, mai 2007.
CHOPIN, Thierry & Lukáš MACEK, Après l’adhésion de la Bulgarie et la Roumanie : en finir avec l’opposition entre élargissement et approfondissement, Fondation Schuman d’Europe, n° 49, 8.1.2007.
COMECE, rapport aux Evêques de la, Une Europe des valeurs – La dimension éthique de l’Union européenne, mars 2007.
COOPER, R., Why We Still Need Empires?, in: The Observer, 7.4.2002.
CULTURESFRANCE-Collection PENSER L’EUROPE, L’Europe, quelles frontières ?, Paris, février 2007.
CHENEVAL, Francis, Die EU - ein Gewinn an Demokratie im Europa, in : NZZ, 24/25.4.2004.
Commission de l’UE, Rapport spécial sur la capacité de l’UE à intégrer de nouveaux membres, 23.11.2006, voir http://ec.europa.eu/enlargement/pdf/key_documents/2006/Nov/com_649_strategy_paper_fr.pdf.
DARLEY, Mathilde, Les frontières de l’Union européenne : franchissement et résistance, compte rendu des journées tenues les 8 et 9 juin 2006, in : La lettre du CEFRES, Prague, n° 19, septembre-octobre 2006.
DEGRYSE, Ch. & Ph. POCHET (sous la dir.), Bilan social de l’Union européenne 2006 & 2007, ETUI-REHS-OSE-SALTSA, Bruxelles, 2007 & 2008.
DELCOURT, Barbara, L’impérialisme libéral : un projet d’avenir ?, in : Cahiers marxistes, n°233, août-septembre, 2006.
DEL RE, Giovanni Maria, Le quadriglie di Bruxelles, in: LIMES, n° 1, 2006.
De Tijd ; Russland, China en Iran grootste winnars van strijd tegen terreur, 9.9.2006.
DUPONT, Jean-Claude K., L’Europe, l’Amérique, la guerre, in: La Revue nouvelle, mars 2004; il s’agit du compte rendu de l’ouvrage d’Etienne Balibar de même titre, paru chez La Découverte-Cahiers Libres, avril 2003.
DUPRET, Xavier, Goodbye, oncle Sam ?, in : Cahiers marxistes, n° 236, octobre-novembre, 2007.
The Economist, Outgrowing the Union - A survey of the European Union, 24/25.9.2004.
EIGMÜLLER, Monika, Grenzsicherungspolitik. Funktion und Wirkung der europäischen Aussengrenzen, Verlag für Sozialwissenschaften, Wiesbaden, 2007.
FERENCZI, Thomas, Pourqoi l’Europe?, André Versaille, Bruxelles, 2008.
FERGUSON, Niall, The War of the World: Twentieth-Century Conflict and the Descent of the West, Penguin, London, 2006.
FOUCHER, Michel (sous la dir.), Fronts et frontières, Fayard, Paris, 1988 ;
idem, Fragments d’Europe, Fayard, Paris, 1993 ;
idem, La République européenne. Entre histoires et géographies, Belin, Paris, 1998 ;
idem, Quelles frontières et quel projet pour l’Union ?, in : Le Monde Diplomatique, mai 2007.
FRANCK, Ch. & G. DUCHENNE (sous la di.), L’action extérieure de l’Union européenne, R^le global, dimension matérielles, aspects juridiques, valeur, Academia-Bruylant, Bruxelles, 2008.
GÜNTNER, Joachim, Verlust und Wiederentdeckung der Mehrsprachigkeit, in : NZZ, 28.4.2008.
HABERMAS, Jürgen, Ach, Europa. Kleine politische Schriften XI, Suhrkamp, Frankfurt a. M., 2008.
HAENEL, Hubert, L’Europe en valeurs, Sénat de la République française, 25.5.2007.
HALECKI, Oscar, The Limits and Divisions of European History, Sheed & Ward, London, 1950.
HENNESY, Alistair, In The Atlantic Mirror, in : New Left Review, n° 46, juil-août, 2007.
HILLEBRAND, Ernst, L’Incontournable réorientation de la gauche européenne, in : Démocratie, 1.4.2008.
HIX, Simon, What’s wrong with the European Union & how to fix its Polity, Cambridge University Press, Cambridge, 2008.
HÖFFE, Otfried, Europa ist nicht mit der Europäischen Union identisch – Ein Plädoyer für die Fortsetzung einer Erfolgsgeschichte, in : NZZ, 23.1.2006.
JEAN-PAUL II, Ecclesia in Europa, Vatican, 2003.
JUSTUS-WENZEL, Uwe, Einheit in Verschiedenheit? Über Europe als Wertegemeinschaft und als Rechtsgemeinschaft, in: NZZ, 15.5.2007.
KAELBE, Hartmut, Die Genese einer europäische Öffentlichkeit, in : NZZ, 24/25.4.2004.
KANT, Immanuel, Zum ewigen Frieden, Reclam, Leipzig, 1984.
KENNEDY, Paul, The Modern Machiavelli, in : The New York Review, 7.11.2002.
KERMANI, Navid, Jahrtausende, Jahrhunderte, Jahrzehnte – Über Europa als Utopie und als werdende Wirklichkeit, in: NZZ, 25.9.2006.
KERTÉSZ, Imre, Stunde der Wahrheit – Gespräch mit dem Nobelpreisträger über Europa und die Verteidigung seiner Werte, in : NZZ, 7/8.6.2007.
KREIS, Georg, Europa und seine Grenzen, Haupt, Bern, 2004.
KÜHNHARDT, Ludger, Formierung der europäischen Öffentlichkeit, in : NZZ, 23.7.2004;
idem, Auf dem Weg zu einem europäischen Verfassungpatriotismus, in : NZZ, 16.7.2004.
LABAKI, Maroun, Ceci n’est pas la frontière de l’Europe, in : Le Soir, 10.5.2006.
LAYNE, Christopher, The peace of illusions. American grand strategy from 1940 to the present, Cornell Univ. Press, Ithaca-London, 2006.
LONGWORTH, Philip, Russia’s Empires, Their Prehistory to Putin, John Murray, London, 2005.
MARTHOZ, Jean-Paul, L’Europe et les droits de l’Homme, in: Politique, n° 52, Février 2008.
idem, La liberté, sinon rien – Mes Amériques de Bastogne à Bagdad, GRIP, Bruxelles, 2008.
MORAVCSIK, Andrew, Europe is the new rôle model for the world, in Financial Times, 6.10.2004.
MUELLER, John, Is There Still a Terrorist Threat ?, in : Foreign Affairs, septembre-octobre, 2006.
MUSCHG, Adolf, Was ist europïsche? Reden für einen gastlichen Erdteil, C.H. Beck, München, 2005.
PAIHLE; Caroline, Un concept stratégique pour l’Union européenne: le choix d’une « puissance tranquille », in LES NOUVELLES DU GRIP, n° 4/2003.
Pax Christi International et l’élargissement de l’Union européenne - Elargir l’Europe : renforcer la paix et la coopération en Europe, Bruxelles, 21.10.2002.
PAYE, Jean-Claude, La coopération policière et judiciaire Etats-Unis - Europe, in : La Revue Nouvelle, juin-juillet, 2004.
PISTELLI, Lapo, Mappa della (dis)unione europea, in: LIMES, n° 1, 2006.
POITEVIN, Cédric, Transferts d’armes au Moyen-Orient : qui arme qui et pourquoi ?, in : Note d’analyse du GRIP, Bruxelles, 21.4.2008.
Questions internationales, L'Union européenne et ses nouveaux voisins de l'Est : Ukraine, Biélorussie, Moldova, Dossier réalisé en juillet 2006.
REITER, Erich, Die EU - ein sicherheitspolitischer Akteur ?, in : NZZ, 11.6.2004.
La Revue Nouvelle, Dossier : Europe - Etats-Unis - le choc des universalismes, janvier-février, 2004; voir plus particulièrement, les articles tels que : Jean-Marc FERRY, La puissance et la faiblesse; Bruno COLSON, L’Amérique et le monde : variations dans la continuité; Olivier SERVAIS, Faut-il fermer Murdochville ?
Revue internationale de Politique comparée, Les identités territoriales, vol. 5, n° 1, 1998.
RICCARDI, Ferdinando, Jacques Delors a réaffirmé l’importance fondamentale et en même temps les limites des objectifs de la “Grande Europe”, in : Bulletin Quotidien Europe, 24 & 27, 9.2004.
ROSS, Jan, Was bleibt von uns ? Das Ende der westlichen Weltherrschqft, Rowohlt, Berlin, 2008.
SARTORI, Paolo, A che serve la Romania, in : LIMES, 1/2006.
SPAEMANN, Robert, Europa - Wertegemeinschaft oder Rechtsordnung?, in Transit, n° 21, Eté 2001.
STANENOW, Michael, Balkenender Vorstoss, in Frankfurter Allgemeine, 10.9.2004.
STEPHANSON, Anders, Simplicissimus, in: New Left Review, janvier-février, 2008.
SZŰCS, Jenő, Les trois Europes, avec une préface de F. Braudel, L'Harmattan, Paris, 1985.
Idem, Nation und Geschichte: Studien, Akadémia, Budapest, 1981.
SUTTON, Michael, France and the Construction of Europe, 1944-2007 - The Geopolitical Imperative, Berghahn, New York-Oxford, 2007.
TAGGART MURPHY, R., East Asia’s Dollars, in: New Left Review, Juillet-août, 2006.
TASSINARI, Fabrizio, Il cerchio du fuoco, in: LIMES, n° 1, 2006.
TheTtreaty of Lisbon – Implementing the Institutional Innovations, EPC-Egmont-CEPS, Bruxelles, novembre 2007.
TELò, Mario, L’Etat et l’Europe – Histoire des idées politiques et des institutions européennes, LABOR, Bruxelles, 2005.
TESCHKE, Benno, Empires by Analogy, in: New Left Review, Juillet-août, 2006.
TODOROVA, Maria, Spacing Europe – What is Historical Region?, in: Donauraum, n° 3-4, 2005.
VIETTA, Silvio, Europäische Kulturgeschichte – Eine Einführung, Wilhelm Fink, München, 2005.
Vigilia, Európa és kereszténység, n° 9, 2004.
VISEUR, Jean-Jacques, Quelles valeurs pour l’Europe ?, conférence organisée par ADIC-Charleroi en juin 2004, rapport de la conférence rédigée par Louis Lefébure d’ADIC-Charleroi, adresse électronique : hainautadic@tiscalinet.be.
WEHNER, Burkhard, Nationalstaat, Solidarstaat, Effizienzstaat - Neue Staatsgrenzen für neue Staatstypen, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1992.
WEIDENFELD, Werner, Rivalitäten der Partner. Die Zukunft der transatlantischen Beziehungen – Die Chancen eines Neubeginns, Bertelmann-Stiftung, Gütersloh, 2005.
ZEILINGER, Reinhard & autres, Geopolitik - Zur Ideologiekritik politischer Raumkonzepte, Promedia, Wien, 2001.
ZIELONKA, Jan, Europe as Empire. The Nature of the enlarged European Union, Oxford Press, Oxford, 2006.
ZÖLLER, M. & H. KAMER (sous la direct.), Der Westen – was sonst ? Amerika und Europa brauchen sich noch, Verlag NZZ, Zürich, 2005.

up down

1.3 Le différend russo-américain récent dans la Caucase méridionale et l’UE 30

Le conflit armé en Caucasie méridionale semble marquer un tournant majeur dans le système international ! Certes, le local s’intègre dans le global, alors que le global conditionne, dans une large mesure, le local. Il n’empêche que, pour la première fois depuis le début des années 1980, la Russie comme grande puissance s’affirme d’une manière résolue et fait fléchir ses adversaires proches et lointains. Le différend qui est apparent entre la Russie et la Géorgie concerne des territoires que l’on appelle l'Ossétie du Sud et l’Abkhazie. En tant que telle, l’Ossétie historique s’étend des deux côtés du Caucase. La partie sud est située à la frontière méridionale de la RUSSIE qui jusqu’il y a peu, n’a pas reconnu la souveraineté du territoire mais qui a continué à maintenir des relations et récemment, à renforcer ses liens. De son côté, l’Abkhazie se situe entre la Russie et la mer Noire, à l’ouest des chaînes du Caucase.

up down

Antécédents récents et guerre brève

Depuis l'indépendance de la Géorgie par rapport à l'URSS en 1991, l'autonomie accordée aux Ossètes-du-Sud a été supprimée par l'Etat géorgien, provoquant l'exode de la population vers la république d'Ossétie du Nord. En 1992, un territoire du côté de la mer Noire déclare l’indépendance sous le nom de la République autonome d'Abkhazie, profitant de la faiblesse du nouvel État géorgien. Cette nouvelle entité bénéficie du soutien de Moscou. En 1994, les nationalistes ossètes proclament, à leur tour, l'indépendance de l'Ossétie du Sud, avec la bénédiction de la Russie.

Depuis l’avènement d'un pouvoir pro-américain à Tbilissi en 2003-4, l'Ossétie-du-Sud est un des enjeux politiques entre la Russie et le président géorgien Mikhaïl Saakachvili « guidé » par les EUA. De plus en plus autoritaire 31 , le président revendique la réintégration des régions considérées comme sécessionnistes 32 . Les indépendantistes ossètes, majoritaires en Ossétie-du-Sud, ambitionnent une indépendance complète. La Fédération de Russie préfère garder le statu quo et ainsi laisser le pouvoir géorgien, tourné résolument vers Washington, dans l'embarras. Les indépendantistes d'Ossétie du Sud souhaitent une réunification avec l'Ossétie du Nord, mais ni la Fédération de Russie, ni l'OSCE et encore moins la Géorgie ne soutiennent encore cette solution.

La République d'Ossétie-du-Sud a tenu un deuxième référendum sur son indépendance le 12 novembre 2006, le premier référendum ayant eu lieu en 1992. Une très large majorité des votants semblent s'être prononcées pour cette indépendance. Le gouvernement géorgien, les EUA et l'UE considèrent ce référendum comme illégal alors que la Russie le reconnaît. La Russie est dès ce moment-là présente sur ce territoire au titre du « maintien de la paix » 33 avec 1000 soldats. Après plusieurs incidents militaires depuis 2007 34 , les forces géorgiennes lancent une offensive soigneusement préparée en août 2008, entraînant une menace d'interventions, suivie d’interventions des Forces armées de la fédération de Russie (Reuters, 7.8.2008, NZZ, 11 et 22.8.2008 & FT, 8, 9, 11.8.2008) 35 . Cette intervention s’étend même sur l’autre territoire contesté : l’Abkhazie 36 . L’offensive géorgienne rencontre un contre offensive russe qui conduit à l’échec de Tbilissi, échec humiliant pour les conseillers militaires américains et israéliens (FT, 12 & 26.8.2008) 37 .

Les autorités s'abstiennent pour l'instant d'analyser cette défaite écrasante de l'armée géorgienne qui ne s'est pas montrée à la hauteur, malgré l'assistance des EUA et une hausse importante des dépenses militaires ces dernières années, soit de 5 à 16% du PIB. Washington a dépensé des millions de dollars pour la formation militaire, l'équipement et l'armement de la Géorgie. Au moment de la nuit de l’attaque, l’armée géorgienne a utilisé les rampes et véhicules lance missiles sol-air en série, de style „Katiouchas”, probablement d’origine tchèque ou ukrainienne. C’est de cette manière qu’elle a pu détruire une partie notable de la capitale d’Ossétie du Sud et tuer ou blesser un grand nombre de civils (NZZ, 22.8.2008). Par après, la supériorité russe dans l'air a cependant été cruciale. Les Géorgiens étaient incapables d'y faire face avec leur système de défense antiaérien.

La Russie a déployé des avions d'attaque au sol Su-24 et Su-25, ayant pour tâche d'apporter une couverture aux forces terrestres et de détruire les troupes et infrastructures ennemies. Moscou avait aussi déployé des bombardiers stratégiques Tu-22. La Géorgie ne dispose que de 10 à 15 appareils Su-25 dont certains ont été détruits et les autres immobilisés après les attaques russes contre les aéroports militaires du pays. Elle s’est concentrée sur l'infanterie et les chars qui sont inutilisables s'ils ne sont pas couverts depuis le ciel.

up down

Position spécifique de la Géorgie

La Géorgie était susceptible de constituer une des pièces du dispositif de Washington contre l’Iran autant qu’un facteur de démantèlement de la Russie et de sa zone d’influence. Washington envisageait notamment d’installer de nouvelles bases en Géorgie ou en Azerbaïdjan. La Géorgie est un verrou stratégique de la Caucasie méridionale 38 . En effet, la Géorgie est placée stratégiquement au coeur des réseaux gazoducs et oléoducs. L'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) entre l'Azerbaïdjan et la Turquie fournit le pétrole de la Caspienne. De moindres volumes passent par l'oléoduc entre Bakou et le port géorgien de Soupsa. Les ports géorgiens constituent une plate-forme du pétrole de la Caspienne venant d'Azerbaïdjan, du Turkménistan et du Kazakhstan. Le gaz à destination des Européens transite aussi par la Géorgie, notamment via le gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzurum entre l'Azerbaïdjan et la Turquie.

Carte 3
Carte 3. La Caucasie méridionale

Rappelons que
Tbilissi passe vers 2004 un accord avec Washington en vertu duquel les EUA privatisent leur présence militaire en Géorgie en passant un contrat avec des officiers militaires américains à la retraite, afin qu’ils équipent et conseillent l’armée géorgienne. C’est la société américaine Cubic qui obtient le contrat de trois ans. Ce programme prend le relais de la collaboration avec Washington entamée sous Chevardnadze en 2002, sous couvert de lutte contre le terrorisme. Les conseillers militaires états-uniens se voient également confier comme mission d’améliorer la sécurité du pipeline du BTC. En contrepartie, la Géorgie envoie 500 hommes soutenir les forces d’occupation en Irak et le nombre en augmentera jusqu’atteindre 2000.
 la Géorgie bénéficie aussi depuis des années du soutien militaire d’Israël et de l’Ukraine, ainsi que quelques autres pays « satellites » des EUA.

Conflits actuels multiples

Le conflit armé actuel commence, comme d’habitude, par des déclarations selon lesquelles l’un n’a fait que répondre à l’attaque de l’autre. Depuis juillet 2008, il est précédé de
 nombreux déplacements d’officiels américains dont Condoleeza Rice et bien d’autres officiels américains, et
 exercices militaires auxquels participent notamment 1000 + 300 soldats ou instructeurs américains ou israéliens (privés ou officiels) qui donnent la possibilité à Washington de soutenir le gouvernement géorgien et qui sont situés aux bases militaires de Marneuli et de Vaziani, dans les faubourgs de Tbilissi.
De son côté, la Russie a tout intérêt à stopper les avancées des EUA dans la Caucasie méridionale craignant
o l’encerclement par les EUA seuls ou grâce à l’OTAN,
o l’utilisation militaire intempestive du couloir aérien par Washington,
o la pénétration des compagnies pétrolières et gazières vers l’Asie centrale (FT, 15.7.2008).
Les stopper ne lui est guère facile. Certes, la Russie se retrouve parmi les « grands » mais sa puissance militaire ou économique n’égale pas celle des EUA, ni celle de l’UE. En termes de brutalités de l’intervention, la Russie est « un petit débutant » en Géorgie, si l’on la compare aux EUA en Afghanistan et en Irak. A court terme, l’objectif russe vise la destruction du matériel et des infrastructures, ainsi que des bases militaires sur le territoire géorgien, excepté celles de l’armée américaine.

Revenant au conflit actuel en Caucasie méridionale, ce conflit me rappelle celui qui a eu lieu en Croatie en 1995. D’une part, la Croatie comme la Géorgie bénéficia d’aides militaires massives et du soutien verbal de la part de Washington tel que : « The American people will stand with you », dixit Bush I et II. D’autre part, les deux débutent en mois d’août lorsque les médias sont absents ou distraits par d’autres choses, en l’occurrence à l’heure actuelle par les Jeux Olympiques à Beijing. Enfin, à l’époque, l’attaque des Croates contre les Serbes et l’expulsion de près de 200 000 Serbes de la Croatie se sont déroulées avec l’appui d’état-major du quartier-général militaire des EUA à Zagreb, tandis que maintenant il y a 1000 soldats américains auxquelles s’ajoutent 300 instructeurs américains et israéliens, qui y interviennent directement ou indirectement.

La différence pourra être à présent la position et la possibilité d’agir plus fortes de la Russie. L'intérêt à plus long terme de la Russie, qui a commencé à préparer les Jeux Olympiques d'hiver de 2014 à Sotchi, commanderait d'œuvrer d’abord avec fermeté, puis chercher à l'apaisement, sans perdre d’influence ni la face. Site touristique prisé, Sotchi est située à proximité des zones troublées de Tchétchénie et d'Abkhazie. Le gouvernement russe a déjà débloqué plus de 6-7 milliards d’euros pour préparer la ville aux Jeux. Une autre différence serait que les milieux dirigeants de Washington pourraient, de leurs côtés, s’avérer divisés et donner des signaux opposés à Tbilissi.

Enfin, il n’est pas sans utilité de remarquer que la Géorgie depuis 2004 adopte et applique le modèle néolibéral, et plus particulièrement, américain dans sa gestion dite socio-économique : déréglementation, réduction de l’administration et des impôts. Par exemple, le pouvoir prévoit de privatiser massivement les universités d’ici à 2010, et de créer des liens plus étroits avec les entreprises et les donateurs privés susceptibles de financer ces établissements. Le secteur de la santé devrait lui aussi passer aux mains de capitaux privés. de 1 800 entreprises ont été privatisées entre 2004 et l’année 2008. Cette gestion désastreuse pèse évidemment sur la popularité du régime actuel et détériore sa légitimité. Elle aurait été à l’origine de la politique de fuite en avant du gouvernement, désireux de récupérer les régions contestées.

Réintégrer les deux territoires en sécession parut à Tbilissi également impératif pour réaliser l’objectif de la politique étrangère géorgienne, l’adhésion à l’OTAN. En reportant la décision pour celle-ci à décembre 2008, le sommet de l’OTAN d’avril 2008 a rendu cette réintégration d’autant plus urgente pour le gouvernement géorgien. Pour celui-ci, le revers politico-militaire laisse entrevoir des règlements de comptes politiques après le conflit armé qui a tourné au désastre pour le pays 39 .

up down

Evaluation et évolutions géopolitiques

Fondamentalement, nous sommes devant deux logiques ou géostratégies impérialistes dans le monde 40 . L’une, celle de la Russie, concerne jusqu’à présent les pays qui l’entourent d’une façon limitative dans une optique de sécurité circonscrite, alors que l’autre, celle des EUA, s’avère planétaire et global, s’étendant sur le monde entier en vertu d’un certain messianisme, sans bornes géographiques 41 . L’une comme l’autre évoque et se donne, sans scrupule, un droit inaliénable d’intervenir militairement là où cela lui semble logiquement indispensable : zones d’influence considérées comme propres, « guerre totale contre le terrorisme », défense sans limite de ses ressortissants, intérêts stratégiques tels l’approvisionnement ou la fourniture énergétique, etc. C’est le cas de l’Afghanistan et d’autres pays centre-asiatiques, de la Somalie, de l’Irak ou de la Géorgie pour ne citer que les entreprises récentes. Evidemment, les EUA interviennent, en raison de sa logique impérialiste nettement plus étendue, plus souvent que la Russie.

Depuis la chute du « rideau de fer » entre 1989 et 1991, les épreuves stratégiques entre les EUA et la Russie peuvent se résumer comme suit :
 les avancées remarquées de l’OTAN vers le centre et l’est de l’Europe,
 l’installation du système anti-missiles en République Tchèque et en Pologne 42 ,
 la présence militaire de Washington en Irak et en Afghanistan, même si elle est incertaine,
 les « révolutions » orange en Ukraine et rose en Géorgie soutenue par des « ONG » gouvernementales américaines.
Face à cela, la Russie enregistre
 la non extension du réseau de bases américaines au centre de l’Asie,
 la reprise en main économique, administrative et militaire du pays,
 les alliances développées avec la Chine et les pays d’Asie centrale avant tout, mais aussi avec l’Inde et l’Iran, pays où l’influence américaine recule (FT, 3.8.2008 & NZZ, 11.8.2008).

Par contre, la Russie en position encore relativement faible est « titillée » à ses frontières au sud et à l’ouest, alors que les EUA s’embourbent dans des conflits qu’ils ont suscités eux-mêmes tels que la « lutte contre le terrorisme » en Afghanistan, en Irak ou en Somalie. La Russie pourrait néanmoins arrêter l’autorisation de survol de son territoire par les forces de l’OTAN vers l’Afghanistan. Depuis le 18.8.2008, elle organise un exercice militaire en Arménie dont le thème tourne autour de l’assistance et du soutien militaires à ce pays en cas d’agression. Enfin, elle pourrait résister à ses propres multinationales en marquant un désintérêt quant à la coopération militaro-affairiste avec les EUA ou l’UE, notamment en ce qui concerne son adhésion à l’OMC.

Un cadeau du ciel pour Moscou ou Bruxelles ?

L’affaire géorgienne est un cadeau du ciel pour Moscou. On y évoque évidemment le précédent de Kosovo pour revendiquer l’indépendance d’Ossétie du sud et d’Abkhazie. L’Azerbaïdjan s’affiche comme pays de plus ou moins neutre, alors que l’Arménie penche vers la Russie. L’objectif de la Russie dans le cas de la Géorgie pourrait être de la rendre simplement stratégiquement plus neutre, voire de maintenir une certaine instabilité dans la Caucasie méridionale aussi longtemps que Moscou ne réussit pas à introduire dans la région les multinationales russes du secteur énergétique. Par ailleurs, on peut être certain qu’en Asie centrale, en Ukraine ou en Azerbaïdjan, les gouvernements suivent de très près les événements. Israël pourrait aussi réviser sa politique du soutien en faveur de la Géorgie.

Washington disposerait d’une panoplie de mesures dans le présent contexte et notamment:
 insister auprès de l’UE pour qu’elle suspende ses négociations « stratégiques » avec la Russie,
 exclure la Russie de certains débats internationaux et l’empêcher son entrée à l’OMC,
 impliquer la Géorgie dans les programmes d’action de l’OTAN,
 faire visiter les ports géorgiens par ses bateaux de guerre ou étendre des patrouilles des avions de combats de l’OTAN au-dessus du territoire « entier » de la Géorgie.
Au-delà des gesticulations militaro-diplomatiques et à supposer qu’elles soient applicables, beaucoup de ces mesures servent aux EUA à ne pas s’impliquer directement et visiblement dans le conflit mais y impliquer les pays membres d’Europe et pour aussi leur faire financer les opérations. Il convient de voir si les différentes négociations ne sont, comme d’habitude, pas dans l’intérêt de chaque partie. Il faut cependant dire que les coups de force tel que l’actuel en Caucasie méridionale laisse peu de choix à l’UE. Celle-ci ne peut guère se mettre franchement du côté de la Russie. Une telle attitude serait une atteinte directe contre la position des EUA et le capitalisme que ces derniers représentent, et que l’UE ne combat guère.

Il reste que l’UE avance petit à petit en termes politiques et construit une force socio-économique 43 . De plus en plus, elle devient politiquement plus autonome de par sa propre logique interne. Recréer un climat de guerre froide est une tentative de renforcer les EUA et de justifier la présence militaire américaine sur le territoire de l’UE (FT, 26.8.2008). Ainsi, cette dernière deviendrait une sorte de « bouclier » dans l’affrontement de Washington par rapport à Moscou (voire le cas polonais ci-dessous).

La prise de parole d’une opposition géorgienne 44

Dans cette analyse, il m’a semblé utile de reprendre quelques déclarations d’une femme politique importante de l’opposition géorgienne sous forme d’une série d’extraits:

„… C'est après la signature de l'accord que les forces russes ont porté trois coups très durs à l'économie, et donc à l'indépendance géorgienne. Ces trois coups sont : le bombardement à la hauteur de Kaspi (40 km de Tbilissi) de la voie ferrée qui constitue la principale artère du commerce est-ouest de la Caspienne vers la mer Noire et la source principale des revenus de l'Etat ; les bombardements et la destruction des infrastructures du port de Poti venant après ceux du terminal portuaire de Kulevi et l'attaque du pipeline BTC visant à paralyser les exportations pétrolières ; le déversement par hélicoptère de trois bombes incendiaires sur le parc naturel de Borjomi, l'un des principaux sites touristiques, qui se lit comme un acte de froide vengeance contre les richesses naturelles. Transit pétrolier et gazier, transit commercial, tourisme, infrastructures portuaires : la Russie sait très exactement frapper là où ça fait mal. Tout aussi précises étaient les frappes de la phase militaire qui a précédé et détruit l'ensemble des infrastructures militaires du pays (les bases de Senaki et de Gori, le centre de Vaziani, les aérodromes militaires de Marneuli, de Kopitnari, les vedettes des garde-côtes stationnées à Poti, les centres de communication ; les bases de forces spéciales sur les hauteurs de Tbilissi à Kojori)…

… Si ces noeuds stratégiques (Senaki, Gori, centrale de l'Enguri, Poti) doivent être tenus par d'autres que les Géorgiens, il importe qu'ils le soient par des forces d'observation indépendantes et impartiales. Toute autre solution pourrait enclencher une dynamique de résistance et de guerre de tranchées, comme c'est le cas dans toutes les nations occupées. La communauté internationale devra donc d'abord empêcher ces dérives, puis aider à reconstruire le pays. Il en va de la possibilité pour ce pays de recouvrer les moyens de son indépendance. Mais l'indépendance, c'est aussi et surtout l'expression de la volonté politique d'un pays, sa capacité à faire entendre sa voix et à restaurer sa crédibilité internationale à la veille de l'autre négociation plus vitale encore qui va porter sur son intégrité territoriale… Il est donc urgent que la liberté des médias et la vie politique soient rétablies. Les partenaires européens doivent l'exiger… Mais les grandiloquences verbales géorgiennes semblent tout aussi dérisoires après l'ampleur de la défaite subie.

… Que représentent réellement l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie pour la Géorgie? Ce sont l'Alsace et la Lorraine de la Géorgie... Quels sont les intérêts économiques en jeu? L'Ossétie du Sud a surtout une valeur stratégique du fait du tunnel de Roki, voie d'accès direct de la Russie vers le Caucase et le coeur de la Géorgie. L'Abkhazie, elle, riche en potentiel touristique et peut-être dotée de réserves de pétrole et de gaz offshore non encore explorées, représente un accès portuaire à la mer Noire dont est désormais dépourvue la Russie. Cette dernière ne conserve en effet que le port de Novorossisk et des droits limités dans le temps à Sébastopol [en Ukraine]. Les experts militaires insistent surtout sur l'importance de la base russe de Goudaouta, dans le nord de l'Abkhazie, qui recèlerait une base souterraine d'essais nucléaires… La signature par la Russie de l'accord sur le retrait de ses bases militaires de Géorgie, en mai 2005, et ensuite le respect scrupuleux du calendrier de retrait n'ont pas empêché une dégradation sensible à partir de décembre 2005…

N'êtes-vous pas déçue de l'incroyable incapacité américaine à défendre son allié? … Les Américains ont dû avoir le sentiment qu'ils avaient tout fait pour prévenir et qu'ils n'ont pas été entendus. Leur attitude s'explique aussi par les contraintes électorales intérieures ou internationales (Iran, Irak ou Afghanistan). Enfin, l'affaiblissement du président Bush et son incapacité à réagir en fin de mandat étaient connus de tous. Je ne suis donc pas déçue de l'absence de réaction militaire américaine, car je n'y ai jamais cru… L'Europe a-t-elle été à la hauteur? Je suis très impressionnée par la rapidité et l'efficacité de l'intervention diplomatique européenne… Je crois que la Géorgie ne mesure pas assez ce qu'elle doit aujourd'hui à l'Europe et combien, pour les semaines qui viennent, son destin va dépendre de la négociation et de la fermeté des positions européennes et américaines. Il est vital pour la Géorgie que cette jonction des efforts diplomatiques se fasse sans compétition ni surenchère pour produire des effets rapides…

Les Etats-Unis vont-ils tirer les leçons de leur défaite dans le Caucase? En tant que femme politique géorgienne préoccupée du sort immédiat de mes compatriotes, je peine à voir la logique de la décision américaine sur le déploiement du bouclier anti-missile en Pologne. Je peux comprendre qu'il y ait là un intérêt stratégique américain et que nos amis polonais soient inquiets. Mais le moment me paraît mal choisi, alors que la vie des habitants des régions géorgiennes les plus exposées n'est pas assurée. Toute décision qui exacerbe la brutalité des forces d'occupation russes me paraît être un acte insensible, qui ne peut qu'accroître le prix déjà élevé payé par la Géorgie pour d'autres résolutions - je pense bien sûr au Kosovo. »

up down

Conclusions provisoires

Primo, l’affaire géorgienne signifie inéluctablement un affaiblissement à nouveau des EUA du point de vue géopolitique 45 . Les échecs relatifs antérieurs s’illustrent déjà par la pénétration modeste en Asie centrale et les infortunes militaires en Irak et en Afghanistan. Du reste, le monde doit s’habituer désormais que la Russie retrouve progressivement sa position de grande puissance, qu’elle, l’UE et les EUA se trouvent en face de l’avènement géopolitique de la Chine, et celui plus modeste de l’Inde dans l’arène internationale 46 . Néanmoins, à fin du mois d’août 2008, le processus d'intégration de la Géorgie à l'OTAN a été relancé avec l'annonce à Bruxelles de la création d'une commission OTAN-Géorgie. Une atmosphère anti-russe de « guerre froide » se créé à l’initiative des milieux intéressés de part et d’autre de l’Atlantique. Il n’empêche que, très vraisemblablement,
 la politique d’expansion de l’OTAN rencontrera désormais des obstacles et il en serait de même quant
 aux implantations des bases militaires proprement américaines au centre de l’Europe.

Secundo, d’une part, les autorités ossète méridionale et abkhaze ont demandé à la Russie de reconnaître leurs indépendances et de maintenir la présence militaire russe. D‘autre part, les deux assemblées de la Fédération votent unanimement une résolution dans ce sens, le président russe Medvedev annonce en août 2008 que la Russie reconnaît les régions séparatistes géorgiennes d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie en tant qu'Etats indépendants. D’y ajouter que la tentative de Tbilissi pour reprendre le contrôle des deux régions par la force avait anéanti tout espoir de coexistence pacifique entre la Géorgie et elles au sein d'un seul Etat, et que les peuples de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie se sont plus d'une fois prononcés par référendum pour l'indépendance de leurs républiques.

A Soukhoumi, la capitale abkhaze, des habitants en liesse ont tiré des coups de feu en l'air et pleuré de joie en apprenant la nouvelle de Moscou. Des scènes analogues ont été observées à Tskhinvali, la capitale sud-ossète. Par ailleurs, Medvedev a ordonné au ministère des Affaires étrangères d'établir des relations diplomatiques avec les deux régions rebelles et de mettre en forme des traités de coopération et d'amitié avec elles afin de garantir la paix en Abkhazie et en Ossétie du Sud jusqu'à la signature des traités d'amitié 47, 48, 49 .

Tertio, il n’en reste pas moins vrai que la résolution militaire des différends tel que le cas géorgien, implique des centaines, voire des milliers de morts, beaucoup de blessés et de réfugiés 50 . Les grandes puissances n’en souffrent guère et ne font que tâter, tester la résistance ou les limites de l’autre. La Russie n’a subi que fort peu de sorties des capitaux pendant le conflit mais la bourse s’avère plutôt à la baisse, mais ne bénéficie guère du soutien chaleureux de l’Organisation de la Coopération Shanghaï (NZZ, 19, 26 & 29.8.2008). Ses partenaires asiatiques sont attentifs aux minorités qu’ont leurs pays et qui seraient tentés de sécession. Les puissances moindres sont par ailleurs amenées à se repositionner constamment en fonction des rapports de force instables des « grands ». C’est le cas sans doute d’Israël, de la Syrie, de l’Ukraine ou de la Turquie, mais également des autres pays de la CEI environnants, sans compter les pays qui ne font qu’en encaisser les conséquences de ces repositionnements 51 .

Il semble bien que la position turque soit inconfortable. Jusqu’ici, la Turquie constitua un « pont » entre l’Asie centrale, voire la Caucasie méridionale et l’Europe méridionale, occidentale et centrale, notamment en matière de fourniture d’hydrocarbures. En même temps, elle entretient des relations excellentes avec la Russie où elle s’approvisionne en gaz naturel par un gazoduc sous la mer Noire. Or, depuis quelques années, elle fournissait des armes à la Géorgie, formait des officiers géorgiens et assurait l’approvisionnement en électricité ce pays, trois activités que Moscou n’apprécie en général guère. Or, avec le conflit en Caucasie méridionale, elle a opté en faveur de la Géorgie ce qui mécontente la Russie. Sans doute, cette situation incite la Turquie à tourner encore davantage vers l’Iran, en promettant quelque € 3 milliards d’investissements dans les champs gaziers de ce dernier, malgré l’agacement évident de Washington (FT & NZZ, 16 à 21 & 29.8.2008).

Toutefois, pour sortir de sa position inconfortable, Ankara lance fin août 2008 une plateforme de coopération, en y invitant les trois pays de la Caucasie méridionale et la Russie. Cette initiative sécuriserait les conduites d’hydrocarbures à travers la Géorgie, créerait un lieu de négociation russo-turc et contribuerait au rétablissement des relations turco-arméniennes qui sont interrompues depuis le début des années 1990.

Quant à l’Ukraine, le pays reste divisé et, depuis le début du conflit russo-géorgien, même polarisé. Les figures de proue en sont le président dit proaméricain et la première ministre devenue depuis peu prorusse. Le débat se focalise sur la base maritime en Ukraine de la flotte militaire russe à Sébastopol en Crimée et dont la présence est garantie jusqu’en 2017 : faut-il soulever la question de l’opportunité et de la continuité de cette collaboration russo-ukrainienne et, ainsi, attiser les tensions sous-jacentes entre Moscou et Kiev (NZZ, 22.8.2008) ? Dans ce débat, la décision du président de vouloir contrôler les mouvements de bateaux de guerre russes me paraît inapplicable, l’Ukraine ne disposant pas de la force nécessaire à exécuter une pareille décision. L’opinion publique reste, à raison de deux tiers des questionnés, opposée à l’adhésion à l’OTAN, même après le conflit russo-géorgien (NZZ, 30/31.8.2008).

Quarto, il conviendrait rappeler à tous les pays intéressés et comme l’a opportunément fait la chancelière allemande Merkel que le fameux article 5 du traité de l’OTAN n’implique pas de solidarité automatique en termes militaires. Chaque partie et surtout les EUA gardent le droit de décider la nature et l’importance de sa « solidarité » !

Enfin, dans une première hypothèse, la Russie pourrait contrôler tout ou une partie de la Géorgie, alors que, dans une deuxième, le « statut quo ante » pourrait s’imposer mais induire aussi une union des Osséties actuelles et l’incorporation progressive de l’Ossétie réunie à la Fédération de la Russie. Il pourrait en être de même quant à l’Abkhazie. On pourrait encore imaginer bien d’autres scénarios, notamment une neutralisation progressive de la Géorgie à la convenance des parties étatiques et privées (les multinationales) à l’instar de la Finlande 52 . Sans doute, les multinationales énergétiques russes (TNK-BP, Rosneft, RENOVA, ALFA, Gazprom, Lukoil, Sibir, Imperial Energy, etc.) en négociation avec leurs homologues euro-américains participeront désormais à l’exploitation des réseaux d’oléoducs et de gazoducs, existants ou à venir, de la région. Le projet euro-américain Nabucco en tant que tel serait par contre mis en question avec le prétexte du risque accru (NZZ, 15.8.2008).

En cas de médiation de l’OSCE ou de l’ONU, il faudrait en tous les cas en exclure tant les EUA que la Russie car les deux font parties du conflit ! Cette médiation pour être efficace doit exclure également tous moyens militaires. La médiation liée éventuellement à une sorte de neutralisation de la Géorgie impose la transparence et la justesse des accords sur l’hydrocarbure qui concerne la région caucasienne, par exemple dans le cadre de la plateforme proposée par la Turquie. Dans le cadre de la présidence de l’UE, l’initiative française visant un cessez-le-feu local, ne peut qu’être applaudie ; elle témoigne d’une certaine indépendance et exige une continuation de l’effort européen !

up down

Bibliographie spécifique

ACKERET, Markus, Georgiens wählt ohne Lust ein neues Parlement, in : NZZ, 20.5.2008.
BERGHEZAN, Georges, Après le conflit géorgien : une indispensable coopération entre la Russie et l’Occident, Note d’Analyse du GRIP, 29 septembre 2008, http://www.grip.org/bdg/pdf/g0907.pdf
COPPIETERS, Bruno, Les peuples disposent-ils d’eux-mêmes, in : Le Monde Diplomatique, octobre, 2008.
DE NEVE, Alain & Tanguy STRUYE de SWIELANDE, Les enjeux de la guerre en Géorgie, in : La Libre Belgique, 14.8.2008.
DOBBINS, Michael & PARSADANISHVILI, Mariami, Georgien konfliktreiche Abkoppelung von Russland – Hegemoniale Ansprüche Moskaus und Verirrungen des georgischen Nationalizmus, in : NZZ, 28.8.2008.
ENGLISH, Robert, Georgia : The Ignored History, in : The New York Review, 6.11.2008.
FOUCHER , Michel & Jean-Dominique GIULIANI, L’Union européenne face à la guerre russo-géorgienne, in : www.fenetreeurope.com du 31.8.2008 et à publier à la Fondation Robert Schuman : www.robert-schuman.eu.
FRIEDMAN, George, Georgia and the Balance of Power, in : The New York Review, 25.9.2008.
HOSP, Gerard, Abchasiens steiniger Weg von der Kriegs- zu einer Friedenswirtschaft, in : NZZ, 10.6.2008.
MAMPAEY, Luc, Les pyromanes du Caucase : les complicités du réarmement de la Géorgie, Note d’Analyse du GRIP, 26, septembre 2008, http://www.grip.org/bdg/pdf/g0908.pdf
NZZ, Georgiens abchasische Fiktionen, 3.6.2008.
PERTHES, Volker, Tschetschenische Loyalitäten - Starke Hände und russisches Geld - die Kaukasusrepublik erfreut sich einer neuen Stabilität, Von NZZ, 8.10.2008.
UNGUREANU, M.-R.(Hg.), Das Schwarze Meer – Herausforderung für Europe, in : Der Donauraum, Band 3-4/2007.

  up
 

Seite  Retour à la Courriel

Footnote list:

1 A propos de l’enthousiasme des PECO nouvellement adhérés à l’UE pour l’initiative de Washington en 2004, enthousiasme considéré comme proaméricain et jugé intempestif, le président français d’alors, Jacques Chirac, proclama avec beaucoup de doigté (sic !): « ces pays ont raté une belle occasion de se taire”. up

2 Y faisant allusion, Valérie Giscard d’Estaing avertit péremptoirement: „la Turquie n’est pas européenne, ni par la géographie, ni par l’histoire”. up

3 Dans leurs premières versions, les études qui suivent ont été élaborées au cours de l’année 2005-7 et ne sont mis à jours que pour les points essentiels. up

4 Sous le même titre, l’étude originale a été destinée à Pax Christi Wallonie-Bruxelles et à des tables rondes consacrées au thème, puis incorporée dans une brochure publiée en décembre 2005 par les bons soins de la même organisation. up

5 Nous y reviendrons dans les Parties 5 et 6 ci-dessous ! up

6 En droit et en finance, c’est l’endettement brut qui compte: pas de compensation entre avoirs et dettes. Les créanciers hors EUA peuvent exiger le remboursement des dettes de ce pays. Ils n’ont rien avoir avec les détenteurs américains des avoirs américains à l’étranger. Ce sont seuls certains économistes qui ne veulent pas comprendre cette réalité juridique et ont l’habitude de raisonner en termes d’endettement net des avoirs extérieurs, c’est-à-dire compensent dans leurs têtes dette et avoir, comme si un pays constituait une entité unique et homogène, non réductible à ses composants: personnes physiques, entreprises, pouvoirs publics, etc. up

7 L’islam écrit en minuscule désigne la religion islamique, tandis que l’Islam orthographié en majuscule a trait à l’aspect politique, social ou civilisationnel. up

8 « Nicholas Burns, the US undersecretary of state and a former ambassador to NATO, bluntly told a NATO conference in Sweden on May 25 /2005/, “Let’s get it straight. NATO does the big military operations” (or to be more accurate, US-led coalitions drawn from NATO and elsewhere are expected to do them). The UE, he continued, handles peacekeeping operations. “If not”, he said, “there will be friction, and you (meaning the Europeans) are not going to be happy”... What Washington does not want is a Europe that aims to be counter-weight to US power or a power center in a multipolar geopolitical structure. Such could be “the road to war,” Condoleezza Rice once warned... What is unacceptable to the US adminstration is a Europe with political and strategic ambitions of its own. Nonetheless, that seems likely to be the Europe that will survive the doomed adventure of the constitution », in : William PFAFF, What’s Left of the Union?, in: New York Review, 14.7.2005 (c’est moi qui souligne). up

9 Cette note en français a jusqu’ici circulé par Internet, mais a déjà été publiée en langue hongroise en Roumanie. up

10 Voir BÁRDOS-FÉLTORONYI 1991 up

11 Voir ARON, BÁRDOS-FÉLTORONYI 1991, CHAUPRADE, FOUCHER, JOHSTON, LASSERRE, ROSIERE, WEHNER & ZEILINGER. up

12 Voir DECROLY & NICOLAÏ 2006. up

13 Voir RUBIO GARCíA. up

14 Voir les EUA qui pratiquent l’exécution capitale, le traitement inhumain et la torture, tous interdits par les règles du Conseil de l’Europe. up

15 C’est nous qui soulignons. up

16 Je fais ici abstraction de la Chine, encore que celle-ci n’ait jamais eu l’impact quasi mondial de l’Europe. up

17 Le budget qui doit couvrir le coût de € 1 à 2 milliards des 5 ou 10.000 interprètes et traducteurs pour 490 millions d’habitants est évidemment négligeable à l’échelle de l’UE. C’est en fait le coût du pluralisme culturel qui est un capital irremplaçable de l’union. Ceux qui dramatisent l’importance de ce budget ne sont que les partisans d’une langue universelle qui serait l’américain. L’unilinguisme ne ferait qu’écraser la richesse culturelle européenne et qu’aplatir des débats qui n’auraient recours qu’à 400 à 500 mots mal utilisés. Il s’inspirer seulement de “la langue de bois de la pensée unique”. up

18 Par exemple, l’UE pourrait bien contribuer à l’établissement de la paix en Palestine en exerçant des pressions concrètes sur les autorités palestiniennes et sur le gouvernement israélien. Ces pressions consisteraient, à titre d’exemple, à réduire substantiellement l’aide aux premières et à suspendre l’accord d’association par rapport au second. up

19 Il est proprement intolérable que certains gouvernements de pays membres (Italie, Grand Bretagne ou Allemagne ou encore les « nouveaux membres » ex-communistes par exemple) acceptent de développer des relations bilatérales avec les EUA et de discuter avec ceux-ci à l’insu des autorités de l’UE en matière d’échanges d’informations et de renseignements “dans un combat à long terme contre le terrorisme pour assurer l’avenir de nos sociétés”, selon l’expression vague et un peu stupide de Washington up

20 Jürgen HABERMAS, Der gespaltene Westen, Kleine Politische Schriften X, Suhrkamp, Frankfurt a. M., 2004. up

21 On fait ici abstraction notamment des langues baltes et finno-ougriennes up

22 Voir notamment le Rapport aux Evêques de la COMECE. up

23 Voir HILLEBRAND. up

24 « Rapport spécial sur la capacité de l’UE à intégrer de nouveaux membres » de la Commission de l’UE de novembre 2006 n’apporte pas beaucoup de lumières sur la question qui nous préoccupe ici. La Commission définit simplement trois orientations de caractère purement normatif : « garantir la capacité de l’UE à maintenir l’élan de l’intégration européenne ; veiller à ce que les pays candidats remplissent les conditions rigoureusement fixées ; assurer une meilleure communication ». La troisième orientation est inquiétant car elle suggère qu’en raison d’une mauvaise communication, les citoyen-nes européen-nes n’avaient pas compris jusqu’ici de quoi s’agit-il. Or, communiquer unilatéralement ne se substitue point au débattre qui correspond à une nécessité démocratique ! up

25 C’est nous qui soulignons. up

26 En fait, la liberté et l’égalité dépendent des conditions égales pour pouvoir aspirer à la liberté. Les différences des revenus et de fortunes qui à présent croissent empêchent de voir l’égalisation des conditions de la liberté. up

27 C’est la structure en piliers : 1er, 2ème et 3ème pilier qui devait être en partie supprimée par le traité de Lisbonne. up

28 Rappelons que PESC = Politique étrangère et de sécurité commune et que PESD = Politique européenne de sécurité et de défense. up

29 Voir le chapitre introductif et le chapitre précédent. up

30 Les évènements sont récents mais significatifs par rapport aux exercices proposés ci-devant. Les références ne correspondent évidemment qu’à celles de la presse internationale. Ce chapitre complète et actualise de ce qui figure au chapitre 3.2. Il garde cependant son autonomie entière par rapport à celui-là. up

31 Le caractère autoritaire du régime est devenu clairement visible en novembre 2007 lors des élections présidentielles dont la qualité démocratique a été fort discutée et qui s’accompagnaient des mesures répressives (FT, 29.7.2008). up

32 Voir à ce propos DOBBINS, Michael & PARSADANISHVILI, Mariami, Georgien konfliktreiche Abkoppelung von Russland – Hegemoniale Ansprüche Moskaus und Verirrungen des georgischen Nationalizmus, in : NZZ, 28.8.2008. up

33 Le conflit entre l'Ossétie du Sud et la Géorgie est gelé depuis la signature, le 14 juin 1992, des accords de Dagomys (en Russie) et l'introduction, dans la zone du conflit, de forces de paix constituées d'unités russes, géorgiennes et ossètes, en juillet 1992. up

34 Survols par la Géorgie des territoires adverses par les drones, avions sans pilote fournis par Israël. up

35 Il est parfaitement possible que Tbilissi ait pris tout seul la décision d’attaquer en espérant l’appui de Washington. Encore que la présence militaire américaine (armées + CIA + FBI) soit tellement importante, qu’il me paraît peu probable qu’au moins certains milieux militaires, diplomatiques ou politiques des EUA n’aient pas approuvé la décision. Quoi qu’il en soit, Tbilissi a commis une erreur stratégique en pariant à la fois sur un soutien „occidental” inconditionnel et sur une absence de réaction russe. Or, Moscou ne pouvait manquer d'intervenir. D'abord pour défendre ses citoyens et ses soldats présents en Ossétie, sur mandat de la CEI. Ensuite pour éviter toute contagion vers la Caucasie septentrionale à stabilité précaire. Enfin pour préserver son influence dans une zone-clé pour ses intérêts. Néanmoins, à la suite de l'intervention des troupes géorgiennes en Ossétie du Sud, Moscou s'est retrouvé dans une situation très délicate. La Russie a dû choisir entre devenir un traitre aux yeux des Ossètes (non seulement du Sud, mais également des Ossètes du Nord, habitant une république faisant partie de la Fédération de Russie), ou un agresseur vis-à-vis de la Géorgie (car les troupes russes entrent sur le territoire géorgien sans avoir préalablement obtenu de mandat de l'ONU et engagent des hostilités contre l'armée géorgienne). Moscou a opté pour la deuxième variante. up

36 La protestation du ministre des affaires étrangères de la Suède Carl Bildt qui affirme que « nul Etat n’a de droit d’intervenir militairement sur le territoire d’un autre Etat » est certes fondée. Cependant, elle n’a guère été développée pendant ces quinze dernières années lorsque l’OTAN bombarda la Serbie, les EUA bombardèrent l’Irak, la France intervenait en Afrique centrale, les EUA envahissaient l’Afghanistan et l’Irak, etc. up

37 On signale que pendant les combats, le conseiller principal du président géorgien se déplace dans le véhicule de l’ambassageur d’Estonie à Tbilissi ! up

38 Au moment de la mise à jour de la présente analyse, je prend connaissance de deux études parues à ce jours-ci :
DE NEVE, Alain & Tanguy STRUYE de SWIELANDE, Les enjeux de la guerre en Géorgie, in : La Libre Belgique, 14.8.2008 ; une excellente étude, sauf que j’ai des doutes quant à savoir si « pour les Etats-Unis, le principal enjeu est de freiner les avancées de la Russie vers le Caucase » ; la Russie est déjà et depuis des siècles au Caucase et les Etats-Unis poursuivent bien d’autres enjeux également ; FRANCIS, Céline, La Géorgie en guerre : les dessous du conflit actuel, Note d’analyse de GRIP, 13.8.2008 ; de la part de GRIP, on s’étonne de voir une analyse si unilatérale et si modestement documentée. up

39 Nino Burjanadze qui jusqu’il y a peu a été la présidente du Parlement grâce à son rôle dans le triumvirat qu’a organisé le coup d’Etat en 2003, est la candidate la plus vraisemblable. Eliminé lui aussi par Sakachvili, Leven Gasheshiladze, l’homme d’affaire et l’ancien maire de Tbilissi, en serait un autre. Il en est de même de David Sourabichwili, dirigeant du Parti Républicain d’opposition. Tous sont d’avis que l’heure n’est pas encore à l’élimination de Sakachvili mais celle-ci ne pourrait pas tarder. Tous craignent que Sakachvili ne recourt à des mesures répressives dont il est bien capable. Tous sont déjà courtisés par des émissaires de puissances étrangères (NZZ, 29.8.2008). up

40 Compte tenu du contexte, je fais ici abstraction de la Chine ou de l’Inde. up

41 De cette façon se comprend-il que l’armée américaine organise six ou sept commendements militaires qui départagent le globe terrestre dans son entièreté. Ainsi, la Russie ou la Chine est couverte par un commendement de Washington ce qui au minimum est bizard, sinon extravagant. up

42 En ce qui concerne ces deux dernier faits et à propos des intérêts proprement européens à défendre, l’ancien ambassadeur suisse en Russie et en Géorgie, Walter Fetscherin, fait remarquer que « Das brüskierende Vorgehen bei der Nato-Osterweiterung und der Stationierung von Abwehrsystemen in Osteuropa entgegen ursprünglichen Versprechungen ist ohnehin schon folgenreich genug » (Briefe an die NZZ, 21.8.2008). up

43 Voir l’analyse de Michel FOUCHER & Jean-Dominique GIULIANI, L’Union européenne face à la guerre russo-géorgienne, in : hwww.fenetreeurope.com du 31.8.2008 et à publier à la Fondation Robert Schuman : www.robert-schuman.eu. Une note détaillée et à certains égards intéressante. Cependant, en six longues pages, les A. parviennent de parler de tout et de rien, sans évoquer le rôle des EUA dans le conflit ! Fort bien, il recommende ainsi à l’UE de « récuser le concept de souveraineté limitée ou faible que Moscou persiste vouloir imposer », sans mentionner les interventions de Washington qui s’inspire du même concept. up

44 Entretien avec Salomé Zourabichvili, diplomate française d'origine géorgienne qui fut ministre des Affaires étrangères de Tbilissi jusqu’en 2005, in : Express, par Christian Makarian, 21.8.2008 ; « Point de vue : Géorgie, et maintenat ?, » par le même auteur, in : Le Monde, 21.8.2008. up

45 FRIEDMAN, George, Georgia and the Balance of Power, in : The New York Review, 25.9.2008. up

46 Dans un éditorial, le NZZ du 16/17.8.2008 écrit, notamment, avec raison ce qui suite: « Vor allem aber hat Moskau über Nacht in Europa neue strategische Realitäten geschaffen, die still hinzunehmen aus westlicher Sicht inakzeptabel, ja längerfristig gefährlich wäre. So sind russische Truppen unter anderem bis nach Gori vorgestossen, der Geburtsstadt Stalins, die im Kernland Georgiens und dicht an der von Baku in Aserbeidschan nach Supsa am Schwarzen Meer führenden Pipeline liegt, die an Russland vorbei Erdöl nach Europa pumpt. » up

47 Voir à ce propos STIGER, Cyrill, Südossetien ist nicht Kosovo – Fragwürdige Parallelen, markante Unterschiede und unzulässige Gleichsetzungen, in : NZZ, 28.8.2008. up

48 Le statut des deux nouveaux Etats ressemblera à celui du Chypre du nord occupé par la Turquie depuis des décennies : une entité qui existe mais personne ne la reconaît, sauf qu’en cas de la Turquie, il s’agit d’un pays « occidental » dont « l’Occident » tolère l’incartade ! up

49 Sans surprise, on apprend qu’à fin août 2008, la Transnistrie, territoire secessioniste de la République moldave, a reconnu l'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie. up

50 D’après les dernières informations, Moscou fait état de quelques 80 tués, la Géorgie de 220 et l’Ossétie du Sud de 1492, mais ce dernier chiffre n’est pas certain. Il y a eu des milliers de blesssés et de dizaines de millers de réfugiés. up

51 En reconnaissant la sécession des deux provinces géorgiennes, la Russie affirme suivre l'exemple des pays occidentaux à propos du Kosovo. La décision de Moscou place la Serbie dans une position délicate, même si les diplomates russes affirment que leur pays ne reconnaîtra pas l'indépendance du Kosovo. Le gouvernement serbe serait entraine de vouloir renégocier le contrat énergétique conclu au début de 2008. up

52 A ses dépends, le Finland a appris pendant le 20e siècle ce que signifie d’avoir un voisin qui est une grande puissance, encore que, heureusement, ait pu s’adhérer à l’UE en fin du siècle. up